L’entreprise générale fabrique ses voitures d’après un type imposé par la préfecture de la Seine.
Ses ateliers sont situés à La Chapelle-Saint-Denis et sont fournis de tous les instruments que la science moderne offre à l’industrie. Un omnibus prêt à être attelé et pouvant contenir vingt-huit personnes revient à 3 500 francs (non compris les frais généraux d’atelier) ; à ce prix, une voiture est construite avec des matériaux de premier choix et par des ouvriers d’élite.
Le droit de stationnement perçu par la caisse municipale est d’un million pour les 500 premières voitures et de 1000 francs par voiture excédant le nombre de 500 ; aussi l’entreprise a-t-elle payé 1 958 000 francs d’impôts en 1866. Les fourrages, achetés en quantités assez considérables pour dépasser tous les besoins prévus, sont répartis dans tous les dépôts, qui sont munis de greniers aérés, où l’avoine est retournée au moins trois fois par mois, afin d’éviter toute mauvaise chance de fermentation.
Le personnel actif de l’entreprise générale n’est peut-être pas parfait, mais il est d’une moralité extrême, si on le compare à celui des fiacres. Les registres de la préfecture de police en font foi ; les plaintes portées contre les cochers et les conducteurs des omnibus sont rares en regard de celles qui atteignent les cochers de voitures à la course. Sur soixante réclamations adressées contre les omnibus, il y en a environ cinquante-sept qui frappent les cochers, auxquels on reproche de ne pas s’être arrêtés au signal qu’on leur faisait, d’avoir été grossiers, d’avoir menacé quelqu’un à l’aide du fouet ; les trois autres ont pour objet les conducteurs, qu’on accuse parfois d’un excès de vivacité dans le langage ou d’un peu trop de galanterie dans les gestes. Ce ne sont là que des peccadilles, et, sauf de rares exceptions, tout ce personnel, qui a été sévèrement choisi, se conduit avec régularité.
L’entreprise générale surveille très activement ses agents ; sachant que l’homme est essentiellement faillible, elle lui impose une série de mesures préservatrices qui forcent sa probité à ne jamais dévier. C’est surtout à l’égard des conducteurs qui, chaque jour, ont en main une recette moyenne de 83 fr. 04 c., que les précautions sont accumulées. À chaque voyageur qui monte en omnibus, le conducteur doit sonner un des deux cadrans indiquant le nombre de places occupées dans l’intérieur ou sur l’impériale ; toutes les fois qu’il s’arrête à l’une des cent vingt stations de l’entreprise, il doit faire viser sa feuille par le contrôleur, qui constate d’un coup d’œil le nombre de personnes présentes dans la voiture ; de plus, il existe une inspection secrète dont il est superflu de faire connaître le mécanisme ; mais je crois que le personnel occulte en est nombreux, car il a coûté 42 732 fr. en 1866.
On peut donc affirmer que, contrairement à la Compagnie générale, l’entreprise des omnibus est très peu volée. Les sommes détournées par les conducteurs sont insignifiantes, et, à défaut de documents, même approximatifs, il serait imprudent d’essayer d’en déterminer le chiffre.
Maxime Du Camp, Les voitures publiques dans la ville de Paris, Revue des Deux Mondes, 1867