La veuve de Philippe Le Bon essaya en 1811 de renouveler rue de Bercy, dans le faubourg Saint-Antoine, les expériences du thermolampe ; elle y réussit, attira la foule, qui s’émerveilla.
L’Académie des Sciences fit un rapport auquel prirent part Gérando et Darcet ; l’empereur, par décret du 2 décembre 1811, accorda une pension de 1,200 francs à Mme Le Bon, qui n’en put jouir longtemps, car elle mourut en 1813. La découverte échappait à la France ; elle ne devait y revenir qu’en 1815, avec les alliés, car le brevet pris par Philippe Le Bon expirait en 1814, et l’on n’avait point songé à le renouveler au, nom de son fils mineur. Le brevet fut pris par un Allemand naturalisé Anglais, nommé Winsor, qui dans une polémique postérieure, ; dont on peut trouver trace dans le Journal des Débats du 9 juillet 1823, reconnaît «avoir été un des premiers en 1802 à rendre un tribut, d’éloges à M. Le Bon.» C’était encore une application du sic vos non vobis dont l’histoire des inventions est pleine. La famille de Philippe Le Bon était ruinée, mais du moins l’humanité allait profiter des découvertes que notre compatriote avait faites.
Winsor avait créé dès 1804 une société à Londres pour éclairer la ville par le gaz hydrogène ; il lui fallut attendre jusqu’en 1810 les autorisations nécessaires, et pendant ce temps différents essais avaient été tentés, principalement par Murdoch à Birmingham en 1805. Le brevet d’importation de Winsor pour Paris est daté du 1er décembre 1815 : au mois de janvier 1817, le passage des Panoramas fut éclairé ; une société se forma qui liquida forcément en 1819, après avoir exécuté l’éclairage d’une petite portion du Luxembourg et du pourtour de l’Odéon. Les premiers efforts des compagnies ne furent point heureux ; la population semblait réfractaire à ce genre d’éclairage ; on en redoutait les dangers, on l’accusait de vicier l’air respirable, et, avec l’esprit de routine qui chez nous a tant de puissance, on faisait une résistance sourde et continue à cet admirable progrès.
A la société Winsor succède la compagnie Pauwels ; une société parallèle se forme sous le nom de Compagnie royale, elle est soutenue par la liste civile, ses affaires n’en vont pas mieux, elle est sur le point de mettre la clé sur la porte et ne se sauve qu’en se réunissant à une nouvelle compagnie anglaise formée à Paris par Manby-Wilson. On fut bien lent avant de prendre un parti sérieux, et l’on attendit quinze ans, de 1815 à 1830, pour donner aux Parisiens une fête de lumière qui pût leur prouver la supériorité évidente de ce genre d’éclairage ; enfin dans la nuit du 31 décembre 1829 au 1er janvier 1830, la rue de la Paix fut éclairée au gaz ; six mois après, c’était le tour de la rue Vivienne. Le procès était gagné ; très prudemment, un à un pour ainsi dire, on décrocha les vieux réverbères, et on les remplaça par des candélabres.
L’opposition du reste fut des plus ardentes, et bien des hommes d’un vif esprit, d’une grande intelligence, firent à l’établissement du nouveau mode d’éclairage une guerre acharnée. Charles Nodier se distingua par une violence extrême : les arbres meurent, les peintures des cafés noircissent, des gens sont asphyxiés, des voitures versent dans un trou creusé au milieu de la chaussée, le feu a pris à la maison, la devanture d’une boutique a sauté, le choléra s’abat sur la ville, — à qui la faute ? Au gaz hydrogène. Il ne tarit pas, il y revient sans cesse ; les sept plaies d’Égypte lui semblent préférables.
Le gouvernement de juillet n’en tint compte, passa outre et fit bien. Nous avons dit qu’à l’heure de la révolution de février Paris comptait déjà plus de 8,000 lanternes à gaz.
Maxime Du Camp, L’Éclairage à Paris, Revue des Deux Mondes, 1873