Quoi qu’il en soit de ces faits, les réverbères restaient d’assez ternes lumières que déjà l’industrie privée avait fait en matière d’éclairage un progrès considérable.
Les lampes n’étaient autrefois qu’un récipient plein d’huile dans lequel trempait un écheveau de coton ; l’huile, agissant par voie de capillarité, mouillait les fibres, mais n’entraînait avec elle qu’un volume d’air trop mince pour brûler toutes celles-ci ; alors la mèche charbonnait, fumait et ne produisait qu’une clarté insuffisante. C’est la lampe antique ; elle existe encore dans l’Italie méridionale et en Orient.
Un Genevois nommé Aimé Argand imagina de tisser des mèches en fils de coton, de les placer entre deux tubes dans l’intervalle desquels circule incessamment un courant d’air qui active la combustion, nourrit la flamme et vivifie la clarté. Une cheminée de verre, placée sur la lampe et enveloppant les tubes, servait à augmenter le tirage et à empêcher tout dégagement de fumée. Le 5 janvier 1787, Argand reçut du parlement des lettres patentes équivalant à un brevet d’invention et au droit d’exploitation exclusive. La nouvelle découverte fit fortune, chacun prétendit y avoir des droits, et un apothicaire intrigant appelé Quinquet donna son nom à la lampe d’Argand, un peu comme Americo Vespucci avait baptisé les terres pressenties et trouvées par Colomb.
Ces améliorations, qui eurent pour résultat de faire substituer presque partout l’usage des lampes à celui des chandelles et des bougies, n’atteignirent point les réverbères ; ceux-ci, fumeux et peu éclairants, étaient toujours alimentés par l’ancien système. On en avait successivement augmenté le nombre : ils étaient à une ou plusieurs mèches. En 1817, on en compte 4,645, renfermant 10,941 becs ; en 1820, 12,672 becs sont contenus dans 4,553 lanternes.
Le 17 février 1821, on fit, place du Louvre, l’essai d’un nouvel éclairage inventé par un ferblantier-lampiste nommé Vivien ; c’était simplement l’application du courant d’air d’Argand aux tubes qui portaient la mèche allumée. Tous les réverbères de Paris furent renouvelés sur un modèle uniforme. Ce sont ceux-là qui ont duré jusqu’à l’établissement de l’éclairage au gaz ; nous les avons connus, et sans grand’peine nous en pourrions voir encore, car il s’en faut qu’ils aient tous disparu. Ils se balançaient au-dessus des ruisseaux, qui alors coulaient au milieu des voies publiques.
Des hommes embrigadés par la préfecture de police, à laquelle le service d’éclairage de Paris appartint jusqu’au décret du 10 octobre 1859, qui le fit passer dans les attributions de la préfecture de la Seine, et qu’on nommait les allumeurs, étaient exclusivement chargés des soins à donner aux réverbères. Protégés par une serpillère qui garantissait leurs vêtements contre les taches d’huile, coiffés d’un chapeau très plat sur lequel ils portaient une vaste boîte de zinc contenant leurs ustensiles indispensables, ils ouvraient chaque matin la serrure qui fermait le tube de fer où glissait la corde de suspension. Le réverbère descendait avec un bruit désagréable et arrivait à hauteur d’homme. On le nettoyait alors, on récurait la plaque des réflecteurs, on essuyait les verres, on coupait la mèche, et dans le récipient on versait la ration d’huile de navette ou de colza ; puis chaque soir, à la tombée de la nuit, on les allumait.
C’était sale, lent et fort incommode pour les voitures, qui étaient obligées d’attendre que la toilette de la lanterne fût terminée.
Maxime Du Camp, L’Éclairage à Paris, Revue des Deux Mondes, 1873