Les scribes et les pharisiens sont assis sur la chaire de Moïse. Observez donc, et faites tout ce qu’ils vous disent ; mais ne faites pas ce qu’ils font : car ils disent ce qu’il faut faire, et ne le font pas. Ils lient des fardeaux pesants et insupportables, et les mettent sur les épaules des hommes ; et ils ne veulent pas les remuer du bout du doigt.
ÉVANGILE DE SAINT MATTHIEU
mardi de la deuxième semaine
Il n'y a point de vice qu'il nous soit plus important, dans l'usage du monde, de tenir au moins caché, si nous en sommes atteints, que l'orgueil, parce qu'il n'y en a point qui nous rende plus odieux. On pardonne plus aisément tous les autres vices, on les tolère ; mais l'orgueil est insupportable. Aussi Dieu n'a-t-il pu le souffrir dans le ciel, et dès qu'il le vit dans ses anges, il les précipita au fond de l'abîme.
Cependant on peut ajouter que de tous les vices, c'est celui peut-être qui se produit plus naturellement au dehors, et qu'il est plus difficile de dissimuler. Tout le fait paraître : l'air, la contenance, la démarche, le geste, la composition du visage, le tour des yeux, le discours, la parole, le ton de la voix, le silence même, cent autres signes qui frappent la vue et dont on s'aperçoit tout d'un coup. Un homme n'a donc qu'à se montrer, on le connaît bientôt, et son orgueil se répand dans toutes ses actions. S'il est dans une assemblée, il faut toujours qu'il soit placé aux premiers rangs : il ne balance pas là-dessus, et, sans attendre comme d'autres, et selon l'avis du Sauveur du monde, qu'on lui fasse honnêteté pour l'inviter à monter plus haut, il se croit affranchi de cette loi de bienséance, et prévient de lui-même cette cérémonie. S'il parle dans un entretien, c'est ou en maître qui ordonne avec empire, ou en juge qui décide avec autorité, ou en philosophe qui prononce des sentences et des oracles, ou en docteur qui enseigne et qui dogmatise. Il occupe seul toute la conversation, et ferme la bouche à quiconque voudrait l'interrompre pour quelque temps, et demander à son tour le loisir de s'expliquer. Si, par une disposition toute contraire, il se tait et prend le parti d'écouter, l'attention qu'il donne ne fait pas moins voir avec quelle hauteur d'esprit et quel dédain il reçoit ce que chacun dit. Ses réponses les plus ordinaires, ce sont quelques coups de tète, quelques œillades, quelques souris moqueurs, quelques mots entrecoupés, quelques expressions enveloppées et mystérieuses, comme s'il était seul au fait des choses, comme s'il avait seul la clef des affaires, comme s'il en savait seul pénétrer le secret et démêler les ressorts, comme si tout ce qu'il entend n'était de nul poids et ne méritait nulle réflexion, comme s'il ne daignait pas y prêter l'oreille, et qu'il le regardât en pitié. Car dans la société humaine on ne rencontre que trop de ces présomptueux qui n'ont pas même soin de se déguiser, et se laissent emporter aux sentiments de leur orgueil. Orgueil grossier dont rougit pour eux toute personne sage et pourvue de raison : mais eux, ils ne rougissent de rien, tant ils sont infatués d'eux-mêmes et prévenus à leur avantage.
Ce qui doit encore plus étonner, c'est lorsqu'on vient à découvrir cette sensibilité et cet orgueil dans des âmes pieuses et dévotes, dans des âmes religieuses et consacrées à Dieu, dans des ministres de l’Église et des pasteurs du peuple fidèle. Le prophète vit en esprit l'abomination de désolation dans le lieu saint ; et n'est-ce pas ce qui s'accomplit réellement à nos yeux et de quoi nous sommes témoins, quand nous voyons l'orgueil dans les plus sacrés ministères, l'orgueil dans le sanctuaire de Jésus-Christ, sous les livrées de Jésus-Christ, à la table, à l'autel de Jésus-Christ ? C'est là qu'on le porte, et, au lieu de l'étouffer aux pieds d'un Dieu humilié et anéanti, c'est de là qu'on le rapporte aussi entier et aussi vivant qu'il était. Scandale qui confirme le monde dans ses préjugés contre la dévotion, et qui l'autorise à dire, quoique avec une malignité outrée, qu'il suffit d'être dévot pour être plus jaloux de son rang, plus intraitable sur ses privilèges et sur ses droits, plus sensible à la moindre offense, plus scrupuleux sur le point d'honneur, en un mot, plus orgueilleux.
BOURDALOUE, DE L'HUMILITÉ ET DE L'ORGUEIL