Respondens autem Jesus, dixit : Nescitis quid petatis. Potestis bibere calicem quem ego bibiturus sum ? Dicunt ei : Possumus. Ait illis : Calicem quidem meum bibetis : sedere autem ad dexteram meam vel sinistram non est meum dare vobis.
Jésus leur répondit, et leur dit : Vous ne savez ce que vous demandez. Pouvez-vous boire le calice que je boirai ? Ils lui dirent : Nous le pouvons. Alors il leur répliqua : Vous boirez le calice que je dois boire : mais d'être assis à ma droite ou à ma gauche, ce n'est pas à moi de vous l'accorder.
ÉVANGILE DE SAINT MATTHIEU
mercredi de la deuxième semaine
Ce n'est pas sans une providence particulière que Jésus-Christ, qui venait enseigner aux hommes l'humilité, choisit des disciples dont les sentiments furent d'abord si opposés à cette vertu, et qui, dans la bassesse de leur condition, avant que le Saint-Esprit les eût purifiés, ne laissaient pas d'être superbes, ambitieux et jaloux des honneurs du monde. Il voulait dans les désordres de leur ambition, nous découvrir les nôtres ; et dans les leçons toutes divines qu'il leur faisait sur un point si essentiel, nous donner des règles pour former nos mœurs, et pour nous réduire à la pratique de cette sainte et bienheureuse humilité, sans laquelle il n'y a point de piété solide, ni même de vrai christianisme.
C'est le sujet de notre évangile : Deux disciples se présentent devant le Sauveur du monde, et le prient de leur accorder les deux premières places de son royaume. Comme ils ne le connaissaient pas encore, ce royaume spirituel, et qu'ils ne l'envisageaient que comme un royaume temporel, il est évident que l'ambition seule, et le désir de s'élever au-dessus des autres, les porta à lui faire cette demande. Mais vous savez, Chrétiens, comment ils furent reçus ; et de ce qui se passa dans une occasion si remarquable, nous pouvons aisément reconnaître en quoi consiste le désordre de l'ambition, quels en sont les divers caractères, quels en sont les effets et les suites, et quels en doivent être enfin les remèdes.
Ces deux frères, enfants de Zébédée, demandent au Sauveur du monde les deux premières places de son royaume, et le Sauveur du monde, au lieu de leur répondre précisément, et de s'expliquer sur leur proposition, leur en fait trois autres bien différentes. Car premièrement, il leur déclare que ce n'est point lui, mais son Père qui doit nous élever à ces places et à ces rangs d'honneur dont ils paraissent si jaloux : Sedere autem ad dexteram meam vel sinistram, non est meum dare vobis, sed quibus paratum est a Patre meo (Matth., XX, 23.). Secondement, il leur fait entendre qu'ils ne doivent point chercher, comme les nations infidèles, à dominer ; mais que celui d'entre eux qui veut être grand doit établir pour principe de se regarder comme le serviteur des autres, et croire que la préséance où il aspire, ne sera pour lui qu'un fonds de dépendance et d'assujettissement : Non ita erit inter vos, sed qui voluerit inter vos major fieri, fiat sicut minor; et qui prœcessor est, sicut ministrator (Matth., XX, 26.). Enfin il les interroge à son tour, et il veut savoir d'eux s'ils pourront boire son calice, c'est-à-dire le calice de ses souffrances : Potestis bibere calicem, quem ego bibiturus sum (Matth., XX, 22.) ? Trois choses, Chrétiens, parfaitement propres à détruire trois erreurs dont ces deux apôtres étaient prévenus. Car ils supposaient, sans remonter plus haut, que Jésus-Christ, en qualité d'homme, leur pouvait donner ces places honorables qu'ils ambitionnaient, et Jésus-Christ leur fait connaître que nul ne peut légitimement les occuper, hors ceux à qui elles ont été préparées et assignées par son Père céleste. Leur prétention, en obtenant ces deux places, était de se distinguer des autres, et de prendre l'ascendant sur eux ; et Jésus-Christ les détrompe en les avertissant que d'être placé au-dessus des autres, n'est qu'une obligation plus étroite de travailler pour les autres et de les servir. Enfin ils se proposaient, dans ce prétendu royaume de Jésus-Christ et dans cette préséance imaginaire, une vie douce et commode ; et Jésus-Christ leur apprend combien cette préséance leur doit coûter, et que, pour l'avoir, il faut boire un calice d'amertume, et être baptisé d'un baptême de sang.
Leçons admirables, où il semble que le Fils de Dieu ait voulu ramasser tout ce que la morale chrétienne a de plus fort, pour corriger les désordres de notre ambition.
BOURDALOUE, SUR L'AMBITION ; SERMON POUR LE MERCREDI DE LA DEUXIÈME SEMAINE