Nous notons ces points en passant, nous réservant d'y revenir.
Son fils Q. Caecilius Metellus Pius avait fait ses premières armes dans la guerre contre Jugurtha, où le Numidique l'emmena simple soldat sous ses ordres. Il parut plus tard comme un des meilleurs généraux de Sylla, dans les luttes de celui-ci contre la faction démocratique ; mais il n'avait d'autre but que de refouler la démagogie qui, sous la conduite de Marius, menaçait Rome des derniers malheurs, et il ne trempa jamais dans les violences atroces qui ont souillé la mémoire du dictateur. Il eut les honneurs du consulat en 674. On ne tarda pas à l'envoyer en Espagne, où Sertorius tenait en échec la puissance romaine. Les rebelles, qui avaient compté sur l'isolement de la péninsule pour prolonger leur occupation séditieuse, se virent contraints de céder devant la science militaire de Pius. Celui-ci, dans l'expédition, avait eu pour collègue le jeune Pompée qui partagea avec lui les honneurs du triomphe en 684. Il mourut en 691, ayant tenu durant quarante ans le pontificat suprême.
Le rôle militaire des Caecilii, sur la terre d'Espagne, ouvert par le Macédonique, ne s'étendit pas au delà des dernières campagnes de Metellus Pius ; mais cette contrée demeura chère aux Caecilii qui l'avaient occupée assez de temps pour y fonder comme un second établissement de leur famille. Deux villes nouvelles, Mételline et Castra Caecilia, aujourd'hui Cacérès, en Estramadure, ont marqué le souvenir de leur glorieux passage. Lorsque tout fut perdu pour la grandeur romaine, on vit une partie de cette noble race s'établir sur le sol que ses ancêtres avaient reconquis à Rome, et venir chercher au milieu des races ibériennes l'héritage de cette estime que leurs pères y avaient méritée. Les médailles et les inscriptions nous les montrent, aux premiers siècles de notre ère, se liant toujours plus par leurs bienfaits avec les peuples de la péninsule. Au reste, les Caecilii ne furent pas seuls à venir demander à cette terre l'indépendance et la dignité de la vie, telles qu'elles pouvaient exister encore sous le règne des Césars.
" On peut dire que l'époque la plus heureuse et la plus brillante pour l'Espagne fut celle où, à partir du règne d'Auguste, ayant renoncé à la lutte contre la puissance des légions, elle recueillit et appliqua les moyens de civilisation qu'apportèrent dans son sein les grandes races de l'émigration romaine. Ce fut au moment même où la péninsule Italique marchait vers la décadence que l'Ibérique s'éleva au faîte de sa grandeur. Grâce aux influences que nous signalons, l'esprit romain, la langue et les moeurs latines, s'y montraient plus florissants qu'en Italie même, où l'esprit grec avait si fort modifié le vieux caractère national. On ne s'étonne plus alors de voir l'Espagne fournir à Rome des empereurs : Trajan, Hadrien et Théodose." (Reinhold Baumstark, Une Excursion en Espagne.)
Entre les familles du patriciat romain dont plusieurs membres émigrèrent dans ce pays, nous ne pouvons omettre de désigner les Valerii. On les y suit comme les Caecilii, à l'aide des inscriptions et des médailles, à partir du règne d'Auguste, exerçant l'un après l'autre ou simultanément les premières charges dans les colonies et les municipes de cette contrée. Bien plus, les deux noms s'unissent dans la communauté la plus intime. A Sagonte, un Valerius est adopté par les Caecilii ; à Barcelone, une Valeria dédie un monument funèbre à son mari Caecilius ; un Caecihus Bassus épouse une autre Valeria ; tandis que, à Rome, un Valerius Bassus est le mari d'une Caecilia. Ces rapprochements auront plus tard leur prix dans notre histoire.
Nous avons parlé déjà, à propos des Cornelii, de Q. Caecilius Metellus Pius Scipion, adopté par les Caecilii. En même temps qu'il était arrière-petit-fils de P. Cornélius Scipion Nasica Corculum, il se rattachait au même degré de parenté, par son aïeule, à Caecilius le Macédonique, en attendant qu'il entrât définitivement dans la gens Caecilia par l'adoption que fit de lui Metellus Pius. Nous avons dit comment, en la journée de Thapsus, cet héritier des deux races succomba avec Rome devant la fortune de César.
Avant de parler des femmes de la gens Caecilia, il n'est pas hors de propos de dire quelque chose des simples chevaliers de cette famille. On entendait sous ce nom ceux des Caecilii qui, laissant à leurs frères l'illustration des hautes magistratures, se contentaient de l'état intermédiaire où les plaçait leur fortune. Ainsi nous mentionnerons Q. Caecilius Bassus qui, après la bataille de Pharsale, lutta avec énergie dans Apamée contre les forces de César. Nous avons nommé déjà l'ami de Cicéron, Q. Caecilius Pomponianus Atticus, né d'un Pomponius et d'une Caecilia. L'existence splendide et pacifique de ce personnage dans des temps aussi agités, est un des épisodes les plus intéressants de cette époque où Rome finit. Nous avons dit la grande fortune que lui assura l'adoption de son oncle Q. Caecilius, et son nom ne tardera pas à revenir, à propos de sa descendance féminine.
Le nom d'une Caecilia brille aux premières pages de l'histoire romaine, et là est le point de départ des gloires inouïes qui se sont rassemblées autour de cette famille. L'époque des rois était close depuis bien des siècles, la république avait épuisé ses destinées, l'Empire s'en allait chancelant vers sa ruine, que le souvenir de Caïa Caecilia Tanaquil, femme de Tarquin l'Ancien, planait encore sur la ville éternelle. Dans son admiration pour cette matrone, Rome lui avait érigé une statue au Capitole. Varron, au rapport de Pline, atteste que la quenouille garnie de laine et le fuseau de Caïa Caecilia se conservaient encore de son temps dans le temple de Sangus, et que l'on gardait dans celui de la Fortune une robe que cette princesse avait tissée pour l'usage de Servius Tullius.
Ce culte traditionnel rendu à une femme que son rôle politique n'avait point détournée des convenances et des occupations de son sexe, est un des traits caractéristiques de l'ancienne Rome, et nous aurons occasion de remarquer jusqu'à quel degré l'idée et les attributs de Caïa Caecilia étaient entrés dans le type de l'épouse romaine. Mais ce qui ajoute encore à la gloire de ce personnage mystérieux, c'est d'avoir obtenu les éloges d'un Père de l'Eglise. Saint Jérôme a cité l'épouse de Tarquin l'Ancien comme l'un des modèles de la pudicité conjugale chez les gentils. "Le nom du prince auquel elle fut unie, dit le saint docteur, disparaît sous les ombres de l'antiquité comme celui des autres rois ; mais la rare vertu qui a élevé cette femme au-dessus de son sexe est gravée si profondément dans la mémoire de tous les siècles, que le temps n'a pu l'effacer." (Adv. Jovinian., lib. I, c. XLIX.)
Une autre Caecilia est restée célèbre jusqu'à nos jours, non par les qualités dont elle fut ornée, puisque les historiens ne nous en ont rien transmis, mais par la grâce et la majesté du monument qui lui servit de tombeau.
DOM GUÉRANGER
SAINTE CÉCILE ET LA SOCIÉTÉ ROMAINE AUX DEUX PREMIERS SIÈCLES (pages 365 à 369)