Heureux l'homme qui en tous ses travaux et toutes ses activités recherche le bienheureux repos ! Toujours il s'efforce, selon le conseil de l'Apôtre, d'entrer dans ce repos (He 4, 11) ; par désir de ce repos, il se montre exigeant pour son corps, tandis que son esprit, il le prépare et le dispose déjà à ce repos ; il vit en paix avec tous les hommes, pour autant qu'il dépend de lui (Rm 12, 18) ; il préfère spontanément le repos et le loisir de Marie, mais si c'est nécessaire il accueille le labeur et les occupations de Marthe ; toutefois il les accomplit, autant qu'il est possible, dans la paix et le repos de l'esprit, et toujours, à partir de cette multiplicité qui le tire en sens divers, il se recueille vers l'unique nécessaire (Lc 10, 42).
Un tel homme, même quand il travaille, se tient en repos. L'impie, en revanche, même quand il est au repos, travaille. Il en va de même dans l'ordre naturel : toute chose qui se tient en dehors de la simplicité et de l'unité du point central est prise dans le mouvement et l'agitation ; et un cercle est emporté avec d'autant plus de violence qu'il est plus éloigné de l'immobilité de son centre, c'est-à-dire de son axe. Oui, les impies tournent en rond (Ps 11, 9). C'est pourquoi ils ne peuvent entrer dans ce désirable repos intérieur et éternel. C'est pourquoi ruine et malheur se présentent sur leurs chemins, puisqu'ils n'ont pas trouvé le chemin de la paix (Ps 13, 3) ; ils ne l'ont pas même cherché, et ils ne peuvent donc dire : En tout j'ai cherché le repos. Il aurait fallu pour cela que dans la multiplicité de leurs actions, par lesquelles ils se laissent troubler et ils provoquent du trouble, ils aient visé et recherché l'unique nécessaire (Lc 10, 42).
Cette parole convient plutôt aux hommes justes, eux qui peuvent dire également : Je n'ai demandé qu'une seule chose au Seigneur, et je la rechercherai (Ps 26, 4). J'ai cherché, Seigneur, ton visage ; ton visage, je le rechercherai (Ps 26, 8 LXX). S'ils travaillent, c'est uniquement par amour de ce repos ; en vérité ils préfèrent souffrir maintenant dans leur corps, mais pouvoir trouver le repos au jour de l'épreuve.
Voici que maintenant encore la Sagesse continue de clamer sur les places (Pr 1, 20) : En tous j'ai cherché le repos ; j'ai frappé, et nul ne m'a ouvert (cf. Ap 3, 20), j'ai appelé, nul ne m'a répondu (Is 66, 4). Le Fils de l'homme est devenu, au dire du prophète, semblable à un vagabond, pareil à un voyageur qui cherche un gîte (Jr 14, 8-9), il n'a pas où reposer la tête (Mt 8, 20). Il se tient dehors, la tête pleine de rosée, les cheveux couverts des gouttes de la nuit (Ct 5, 2). Qui parmi nous sera assez humain et hospitalier pour se lever et lui ouvrir (Ct 5, 5), et le faire entrer dans sa chambre ? Ou encore pour lui montrer une grande salle toute préparée où il puisse manger la Pâque nouvelle avec ses disciples (Mc 14, 14-15) ? Je vous le déclare en effet, mes frères : si le Seigneur ne trouve pas chez nous le repos qu'il cherche, nous non plus nous ne trouverons en lui le repos que nous désirons.
Sur qui vais-je me reposer, dit le Seigneur, sinon sur l'homme humble et en repos (Is 66, 2 LXX) ? Comment, en effet, pourrait-il se reposer sur cela qui ne tient pas en repos ? Comment une colonne pourrait-elle demeurer immobile sur une base qui chancelle ou vacille ?
Aussi, mes frères, afin que le Seigneur, lui qui aime et dispense le repos, puisse trouver en vous son repos, appliquez-vous, selon le conseil de l'Apôtre, à demeurer en repos (1 Th 4, 11). Et comment cela se fera-t-il ? Je vous recommande, dit-il, de vous adonner chacun à votre tâche, et de travailler de vos propres mains (1 Th 4, 11). Le travail est une charge ; et cette charge, tel le poids qui leste un navire, donne repos et stabilité aux cœurs agités, et en outre il assure assise et équilibre à l'homme extérieur.
C'est, comme vous le lisez, la source de grandes difficultés qu'une femme vagabonde, incapable de rester en repos, incapable de garder ses pieds dans sa maison, mais toujours aux aguets tantôt devant sa porte, tantôt sur les places, tantôt dans les recoins (Pr 7, 10-12). Et ce n'est pas sans raison que Paul, le docteur des nations, éprouve tant de méfiance à l'égard de ce mal de l'agitation, qu'il pense devoir le combattre non seulement par des réprimandes mais encore par la mise à l'écart. Nous vous en prions, dit-il, reprenez les agités (1 Th 5, 14). Et de nouveau dans sa seconde épître aux mêmes chrétiens de Thessalonique, il dit : Nous avons appris que certains d'entre vous mènent une vie agitée, ne faisant rien, mais se mêlant de tout. À ces gens-là, nous ordonnons de travailler dans le silence et de manger le pain qu'ils auront eux-mêmes gagné. Si quelqu'un n'obéit pas à ce que nous disons dans cette lettre, blâmez-le et n'ayez aucun rapport avec lui, pour qu'il en ait honte (2 Th 3, 11-14).
Que sa honte le conduise à se corriger, que la réprimande lui procure de la joie, et qu'il nous réjouisse nous-mêmes, mais aussi l'Esprit de Dieu. Car si celui-ci dit : En tous j'ai cherché le repos, il ne le trouve que dans ceux qui sont en repos, et il ne le donne qu'à ceux qui sont en repos.
Tous ensemble, travaillons donc à nous tenir en repos (1 Th 4, 11) ; ainsi, dans notre repos, nous nous emploierons sans cesse à la méditation du repos éternel, et, par désir de ce repos, nous serons trouvés prêts à assumer tout travail.
Que la bienheureuse Mère de Dieu, dont nous célébrons aujourd'hui le repos, nous obtienne cette grâce de la part de celui qui a trouvé le repos dans la demeure (Si 24, 12) de son corps et de son cœur. C'est lui, le Christ Jésus, qui est le Repos éternel : à lui honneur et gloire dans tous les siècles !
Bienheureux Guerric d'Igny
Sermon 3 pour l'Assomption