Cependant le combat s'était prolongé jusqu'à la septième heure du jour et la victoire demeurait encore incertaine entre les deux partis. Déjà les nôtres désespéraient du succès, et, vaincus par l'excès de la fatigue, ils commençaient à attaquer avec moins de vigueur.
Déjà ils formaient le projet de retirer un peu en arrière leur tour mobile, près de se briser sous les coups dont on l'accablait, et toutes leurs autres machines que les feux dont elles étaient sans cesse atteintes faisaient déjà fumer de tous côtés. Ils voulaient remettre au lendemain la suite de leurs travaux; le peuple perdait courage, et ne comptant plus sur l'efficacité de ses efforts, se retirait peu à peu ; pendant ce temps les assiégés l'insultaient avec plus d'insolence que de coutume et le provoquaient à persévérer dans ses attaques, quand tout à coup la faveur divine se manifesta d'une manière bien nécessaire dans une situation si désespérée ; et vint apporter quel que consolation aux fidèles, en leur faisant entrevoir l'accomplissement de leurs voeux.
On vit sur la montagne des Oliviers un soldat, qui cependant ne reparut plus ensuite dans le camp, brandissant un bouclier resplendissant et donnant un signal à nos légions pour les rappeler au combat et les inviter à recommencer leurs attaques.
Ce miracle remplit de joie le duc Godefroi et son frère Eustache: ils s'étaient placés tous deux sur le sommet de la tour, pour se trouver les premiers à l'assaut et veiller de plus près à la défense de leur machine ; aussitôt, poussant de grands cris, ils se mirent à rappeler le peuple et les principaux chefs de leur corps d'armée. Tous, marchant sous la conduite de la miséricorde divine, reviennent avec joie sur leurs pas et montrent à l'envi les uns des autres une si grande ardeur, qu'il semble qu'ils vont recommencer le combat avec des forces toutes nouvelles. Ceux qui se retiraient naguère, succombant à la fatigue ou frappés de blessures, ont retrouvé tout leur courage, viennent se présenter volontairement, comme si leur vigueur était redoublée, et demandent à attaquer avec plus d'ardeur qu'ils n'en ont jamais manifesté. Les princes et tous ceux qui étaient considérés comme les chefs et les soutiens de l'armée, marchent à leur tête, et leur exemple ranime encore le courage de tout le peuple. Les femmes mêmes, pour ne point se soustraire à tant de travaux, parcourent les rangs, tenant des vases dans les mains, portant des boissons aux hommes, tandis qu'ils combattent avec le plus d'intrépidité, et les encourageant à la bataille, par des paroles pleines de puissance. La joie était si grande dans tout le camp que tous paraissaient désormais assurés de la victoire.
Dans l'espace d'une heure les fossés se trouvèrent comblés, les ouvrages des ennemis renversés et la tour mobile fut appuyée de vive force contre les remparts. J'ai déjà dit que les assiégés avaient suspendu sur les murailles des poutres longues et fortes, pour amortir l'effet des projectiles : ceux des nôtres qui occupaient la tour coupèrent les cordes par lesquelles deux de ces poutres étaient retenues et elles tombèrent aussitôt par terre. Les hommes qui se trouvaient en dessous les reçurent en ce moment, non sans courir eux-mêmes de grands dangers, les transportèrent sous la machine et les dressèrent sans délai pour donner plus de solidité au pont, qu'on jetait dans le même instant du haut de la tour (ainsi que j'aurai occasion de le raconter tout à l'heure), car ce pont était construit de pièces de bois extrêmement faibles et qui n'eussent pu supporter tous ceux qui devaient passer par-dessus, s'il n'eût été soutenu par les poutres dont on eut soin de le renforcer.
GUILLAUME DE TYR, HISTOIRE DES CROISADES, BnF - Gallica
Jérusalem vue du Mont des Oliviers