Je retournai au couvent à onze heures et j’en sortis de nouveau à midi pour suivre la voie Douloureuse : on appelle ainsi le
chemin que parcourut le Sauveur du monde en se rendant de la maison de Pilate au Calvaire.
La maison de Pilate est une ruine d’où l’on découvre le vaste emplacement du temple de Salomon et la mosquée bâtie sur cet
emplacement.
Jésus-Christ ayant été battu de verges, couronné d’épines et revêtu d’une casaque de pourpre, fut présenté aux Juifs par Pilate :
Ecce Homo, s’écria le juge ; et l’on voit encore la fenêtre d’où il prononça ces paroles mémorables.
Selon la tradition latine à Jérusalem, la couronne de Jésus-Christ fut prise sur l’arbre épineux, lycium spinosum. Mais le
savant botaniste Hasselquist croit qu’on employa pour cette couronne le nabka des Arabes. La raison qu’il en donne mérite d’être rapportée :
" Il y a toute apparence, dit l’auteur, que le nabka fournit la couronne que l’on mit sur la tête de Notre-Seigneur : il est commun
dans l’Orient. On ne pouvait choisir une plante plus propre à cet usage, car elle est armée de piquants ; ses branches sont souples et pliantes, et sa feuille est d’un vert foncé comme celle du
lierre. Peut-être les ennemis de Jésus-Christ choisirent-ils, pour ajouter l’insulte au châtiment, une plante approchant de celle dont on se servait pour couronner les empereurs et les généraux
d’armée."
Une autre tradition conserve à Jérusalem la sentence prononcée par Pilate contre le Sauveur du monde :
Jesum Nazarenum, subversorem gentis, contemptorem Caesaris, et falsum Messiam, ut majorum suae gentis testimonio probatum est,
ducite ad communis supplicii locum, et eum in ludibriis regiae majestatis in medio duorum latronum cruci affigite. I, lictor, expedi cruces.
A cent vingt pas de l’arc de l’Ecce Homo, on me montra, à gauche, les ruines d’une église consacrée autrefois à
Notre-Dame-des-Douleurs. Ce fut dans cet endroit que Marie, chassée d’abord par les gardes, rencontra son Fils chargé de la croix. Ce fait n’est point rapporté dans les Evangiles, mais il est cru
généralement sur l’autorité de saint Boniface et de saint Anselme. Saint Boniface dit que la Vierge tomba comme demi-morte et qu’elle ne put prononcer un seul mot : Nec verbum dicere
potuit. Saint Anselme assure que le Christ la salua par ces mots : Salve, Mater ! Comme on retrouve Marie au pied de la croix ce récit des Pères n’a rien que de très probable
; la foi ne s’oppose point à ces traditions : elles montrent à quel point la merveilleuse histoire de la Passion s’est gravée dans la mémoire des hommes. Dix-huit siècles écoulés, des
persécutions sans fin, des révolutions éternelles, des ruines toujours croissantes, n’ont pu effacer ou cacher la trace d’une mère qui vint pleurer sur son fils.
Cinquante pas plus loin nous trouvâmes l’endroit où Simon le Cyrénéen aida Jésus-Christ à porter sa croix.
" Comme ils le menaient à la mort, ils prirent un homme de Cyrène, appelé Simon, qui revenait des champs, et le chargèrent de la
croix, la lui faisant porter après Jésus."
Ici le chemin qui se dirigeait est et ouest fait un coude et tourne au nord ; je vis à main droite le lieu où se tenait Lazare le
pauvre, et en face, de l’autre côté de la rue, la maison du mauvais riche.
" Il y avait un homme riche qui était vêtu de pourpre et de lin, et qui se traitait magnifiquement tous les jours. Il y avait aussi
un pauvre appelé Lazare, tout couvert d’ulcères, couché à sa porte, qui eût bien voulu se rassasier des miettes qui tombaient de la table du riche ; mais personne ne lui en donnait, et les chiens
venaient lui lécher ses plaies. Or, il arriva que le pauvre mourut et fut emporté par les anges dans le sein d’Abraham. Le riche mourut aussi, et eut l’enfer pour sépulcre."
Saint Chrysostome, saint Ambroise et saint Cyrille ont cru que l’histoire du Lazare et du mauvais riche n’était point une simple
parabole, mais un fait réel et connu. Les Juifs mêmes nous ont conservé le nom du mauvais riche, qu’ils appellent Nabal.
Après avoir passé la maison du mauvais riche, on tourne à droite, et l’on reprend la direction du couchant. A l’entrée de cette rue
qui monte au Calvaire, le Christ rencontra les saintes femmes, qui pleuraient.
" Or, il était suivi d’une grande multitude de peuple et de femmes, qui se frappaient la poitrine et qui le pleuraient. Mais
Jésus se tournant vers elles leur dit : Filles de Jérusalem, ne pleurez pas sur moi, mais pleurez sur vous-mêmes et sur vos enfants."
A cent dix pas de là on montre l’emplacement de la maison de Véronique, et le lieu où cette pieuse femme essuya le visage du
Sauveur. Le premier nom de cette femme était Bérénice ; il fut changé dans la suite en celui de Vera-Icon, vraie image, par la transposition de deux lettres ; en outre, la transmutation du b en v
est très fréquente dans les langues anciennes.
Après avoir fait une centaine de pas on trouve la porte Judiciaire : c’était la porte par où sortaient les criminels qu’on exécutait
sur le Golgotha. Le Golgotha, aujourd’hui renfermé dans la nouvelle cité, était hors de l’enceinte de l’ancienne Jérusalem.
De la porte Judiciaire au haut du Calvaire on compte à peu près deux cents pas : là se termine la voie Douloureuse, qui peut avoir
en tout un mille de longueur. Nous avons vu que le Calvaire est maintenant compris dans l’église du Saint-Sépulcre. Si ceux qui lisent la Passion dans l’Evangile sont frappés d’une sainte
tristesse et d’une admiration profonde, qu’est-ce donc que d’en suivre les scènes au pied de la montagne de Sion, à la vue du Temple et dans les murs mêmes de Jérusalem !
Après la description de la voie Douloureuse et de l’église du Saint-Sépulcre, je ne dirai qu’un mot des autres lieux de dévotion que
l’on trouve dans l’enceinte de la ville.
Chateaubriand, Itinéraire de Paris à Jérusalem, Quatrième partie : Voyage de Jérusalem
Arc de l'Ecce Homo, Jérusalem, 1856, calotype d'Auguste Salzmann
" A cent vingt pas de l’arc de l’Ecce Homo, on me montra, à gauche, les ruines d’une église consacrée autrefois à Notre-Dame-des-Douleurs. Ce fut dans cet endroit que Marie, chassée d’abord par les gardes, rencontra son Fils chargé de la croix."