Les apôtres, au moment qu'ils reçurent le Saint-Esprit, furent prêts à mourir pour ces vérités : sommes-nous prêts, je ne dis pas à mourir nous-mêmes, mais à faire mourir nos désirs déréglés et nos passions ?
BOURDALOUE
Quoi qu'il en soit, Chrétiens, reprenons ; et par le miracle qu'a opéré dans les apôtres le Saint-Esprit, reconnaissons ce que nous sommes devant Dieu.
A en juger par les effets, cet Esprit de vérité, dont je viens de vous faire voir les merveilles et les prodiges, a-t-il été jusqu'à présent un esprit de vérité pour nous ? et s'il ne l'a pas été, à quoi devons-nous l'imputer, sinon à l'endurcissement et à la dépravation de nos cœurs ? Quelque profession que nous fassions, comme chrétiens, d'être les disciples de cet Esprit de vérité, nous a-t-il réellement persuadé les vérités du christianisme ? nous les a-t-il fait goûter ? nous a-t-il mis dans la disposition sincère et efficace de les pratiquer ? Nous adorons en spéculation ces vérités, mais y conformons-nous notre conduite ? nous en parlons peut-être éloquemment, mais nos mœurs y répondent-elles ? nous en faisons aux autres des leçons, mais en sommes-nous bien convaincus nous-mêmes ? croyons-nous d'une foi bien vive qu'il faut, pour être chrétien, non seulement porter sa croix, mais s'en faire un sujet de gloire ? qu'il faut, pour suivre Jésus-Christ, renoncer intérieurement, non seulement à tout, mais à soi-même ? qu'il faut, pour lui appartenir, non seulement ne pas flatter sa chair, mais la crucifier ; qu'il faut, pour trouver grâce devant Dieu, non seulement oublier l'injure reçue, mais rendre le bien pour le mal ? Croyons-nous, sans hésiter, tous ces points de la morale évangélique, et pouvons-nous nous rendre témoignage que nous les croyons aussi solidement de cœur, que nous les confessons de bouche ?
Les apôtres, au moment qu'ils reçurent le Saint-Esprit, furent prêts à mourir pour ces vérités : sommes-nous prêts, je ne dis pas à mourir nous-mêmes, mais à faire mourir nos désirs déréglés et nos passions ? Suivant cette règle, y a-t-il lieu de croire que l'Esprit de vérité nous a détrompés de mille erreurs qui causent tous les désordres du monde, qu'il nous a désabusés de je ne sais combien de fausses maximes qui nous pervertissent, qu'il nous a dessillé les yeux sur certains chefs où nous nous formons des consciences qui sont autant de sources de damnation ? s'il n'a rien fait en nous de tout cela, quelles preuves avons-nous que nous l'ayons reçu ? et si nous ne l'avons pas reçu, à qui nous en devons-nous prendre, encore une fois, qu'à nous-mêmes ? Peut-être, pour excuser l'aveuglement criminel où nous vivons, osons-nous dire que ce sont les lumières du Saint-Esprit qui nous manquent, et rejeter sur lui l'iniquité de nos erreurs.
Mais comme Esprit de vérité, il a bien su nous ôter ce vain prétexte, et nous convaincre, par les reproches qu'il nous fait si souvent dans l'Ecriture, que nos erreurs viennent uniquement de nos résistances à ses lumières ; que si nous sommes toujours aveugles, c'est que toujours incirconcis de cœur, toujours indociles et opiniâtres, nous ne voulons pas l'écouter, et qu'au mépris de ses inspirations, nous ne suivons point d'autre guide que l'esprit séducteur du monde, qui nous corrompt et qui nous perd : Dura cervice et incircumcisis cordibus, vos semper Spiritui Sancto resistitis ! Au lieu que nous voudrions rendre le Saint-Esprit lui-même responsable de notre aveuglement, par le refus qu'il ferait de nous éclairer, comme Esprit de vérité il nous fait convenir malgré nous que la cause de notre aveuglement, c'est que nous ne pouvons supporter la vérité qui nous reprend, et que nous abusons par orgueil de celle qui nous flatte : Dura cervice et incircumcisis cordibus, vos semper Spiritui Sancto resistitis.
Ah ! mes chers auditeurs, ne faisons pas cet outrage à l'Esprit de grâce, de vouloir nous justifier aux dépens de la grâce même. Préservez-nous de ce désordre, ô divin Esprit ! et pour cela faites-nous connaître vos voies.
Enseignez-nous ce que vous enseignâtes aux apôtres. Faites que nous commencions enfin à être vraiment vos disciples ; et soyez pour nous, non seulement un Esprit de vérité, mais un Esprit de sainteté.
BOURDALOUE SERMON POUR LA FÊTE DE LA PENTECÔTE