Ces perspectives nous font revenir au récit de la Transfiguration. "Survint une nuée qui les couvrit de son ombre, et de la nuée une voix se fit entendre : "Celui-ci est mon Fils bien-aimé. Écoutez-le" (Mc 9, 7). La nuée sacrée, la shekhinah, est le signe de la présence de Dieu lui-même. La nuée au-dessus de la tente de la Révélation indiquait la présence de Dieu. Jésus est la tente sacrée au-dessus de laquelle se trouve la nuée de la présence de Dieu, et à partir de laquelle cette nuée "couvre de son ombre" les autres aussi. Voici que se reproduit la scène du baptême de Jésus, dans laquelle, depuis la nuée, le Père lui-même avait proclamé Jésus Fils : "C'est toi mon Fils bien-aimé ; en toi j'ai mis tout mon amour" (Mc 1, 11).
The Transfiguration of Christ by Pietro Perugino
Cette proclamation solennelle de Jésus comme Fils est immédiatement suivie de l'injonction : "Écoutez-le". Ici, la relation avec la montée de Moïse sur le Sinaï apparaît de nouveau clairement, relation dont nous avons dit au début qu'elle constituait l'arrière-plan de l'histoire de la Transfiguration. Sur la montagne, Moïse a reçu la Torah, la parole d'enseignement de Dieu. À présent il nous est dit de Jésus : "Écoutez-le".
Voici le commentaire pertinent qu'en donne Hartmut Gese : "Jésus est devenu Parole de la Révélation divine elle-même. Il était difficile aux évangélistes de le dire plus clairement, plus énergiquement : Jésus est la Torah elle-même". C'est aussi la fin de l'apparition dont cette parole résume le sens profond. Les disciples doivent redescendre avec Jésus et s'imprégner sans cesse de cette parole : "Écoutez-le".
Si nous comprenons ainsi le contenu du récit de la Transfiguration - irruption et aube de l'époque messianique -, nous sommes aussi en mesure de comprendre les paroles obscures que Marc intercale entre la confession de Pierre et l'enseignement aux disciples d'une part, et le récit de la Transfiguration d'autre part : "Et il leur disait : "Amen, je vous le dis : parmi ceux qui sont ici, certains ne connaîtront pas la mort avant d'avoir vu le règne de Dieu venir avec puissance" (Mc 9, 1). Qu'est-ce que cela peut bien signifier ? Jésus prédit-il que quelques-uns de ceux qui l'entourent seront encore en vie au moment de sa Parousie, à l'avènement définitif du Royaume de Dieu ? Ou quoi d'autre ?
Rudolf Pesch a montré de façon convaincante que ce passage, placé immédiatement avant la Transfiguration, signifie on ne peut plus clairement qu'il a un rapport avec cet événement. Certains des présents, en tout cas les trois disciples qui accompagnent ensuite Jésus dans son ascension de la montagne, reçoivent l'assurance qu'ils vivront la venue du Royaume de Dieu "avec puissance". Sur la montagne, les trois disciples voient Jésus illuminé par la gloire du Royaume de Dieu. Sur la montagne, la nuée sacrée de Dieu les couvre de son ombre. Sur la montagne, dans l'entretien de Jésus transfiguré avec la Loi et les Prophètes, ils comprennent que l'heure de la vraie fête des Tentes est venue. Sur la montagne, ils apprennent que Jésus est lui-même la Torah vivante, la Parole complète de Dieu. Sur la montagne, ils voient la puissance (dynamis) du Royaume, qui vient dans le Christ.
Mais également, dans la rencontre effrayante avec la gloire de Dieu en Jésus, ils doivent apprendre ce que Paul déclare aux disciples de tous les temps dans sa première Lettre aux Corinthiens : "Nous, nous proclamons un Messie crucifié, scandale pour les Juifs, folie pour les peuples païens. Mais pour ceux que Dieu appelle, qu'ils soient Juifs ou Grecs, ce Messie est puissance (dynamis) de Dieu et sagesse de Dieu" (1 Co 1, 23-24.).
Cette puissance (dynamis) du Royaume à venir leur apparaît dans le Jésus transfiguré qui parle avec les témoins de l'Ancienne Alliance de la "nécessité" de sa passion comme chemin vers la gloire (cf. Le 24, 26-27).
Ainsi ils voient l'anticipation de la Parousie, ainsi ils entrent progressivement dans la profondeur du mystère de Jésus.