Hérode a voulu envelopper le Fils de Dieu même dans un immense massacre d'enfants ; Bethléhem a entendu les
lamentations des mères ; le sang des nouveau-nés a inondé toute la contrée ; mais tous ces efforts de la tyrannie n'ont pu atteindre l'Emmanuel ; ils n'ont fait que préparer pour l'armée du ciel
une nombreuse recrue de Martyrs. Ces enfants ont eu l'insigne honneur d'être immolés pour le Sauveur du monde ; mais le moment qui a suivi leur immolation leur a révélé tout à coup des joies
futures et prochaines, bien au-dessus de celles d'un monde qu'ils ont traversé sans le connaître. Le Dieu riche en miséricordes n'a pas demandé d'eux autre
chose qu'une souffrance de quelques instants ; et ils se sont réveillés au sein d'Abraham,
francs et libres de toute autre épreuve, purs de toute souillure mondaine, appelés au triomphe comme le guerrier qui a donné sa vie pour sauver celle de son chef.
Dieu a daigné faire pour les Innocents immolés à cause de son Fils ce qu'il fait tous les jours par le sacrement de la régénération, si souvent appliqué à des enfants que la mort enlève dès les
premières heures de la vie ; et nous, baptisés dans l'eau, nous devons rendre gloire à ces nouveau-nés, baptisés dans leur sang, et associés à tous les mystères de l'enfance de Jésus-Christ.
Nous devons aussi les féliciter, avec l'Eglise, de l'innocence que cette mort glorieuse et prématurée leur a conservée. Purifiés d'abord par le rite sacré qui, avant l'institution du Baptême,
enlevait la tache originelle, visités antérieurement par une grâce spéciale qui les prépara à l'immolation glorieuse pour laquelle ils étaient destinés, ils ont habité cette terre, et ils ne s'y
sont point souillés. Que la société de ces tendres agneaux soit donc à jamais avec l'Agneau sans tache ! et que ce monde, vieilli dans le péché mérite miséricorde en
s'associant par ses acclamations, au triomphe de ces élus de la terre qui, semblables à la colombe
de l'arche, n'y ont pas trouvé où poser leurs pieds !
A Rome, la Station qui, le jour de saint Etienne, s'est tenue dans l'Eglise de ce premier des Martyrs, sur le Mont Coelius, et le jour de saint Jean, dans la Basilique de Saint-Jean-de-Latran, où
le Disciple bien-aimé partage les honneurs de Jean le Précurseur, a lieu aujourd'hui dans la Basilique de Saint-Paul-hors-les-Murs, dont le trésor se glorifie de posséder plusieurs des corps des
saints Innocents. Au XVIe siècle Sixte-Quint en enleva une partie, pour les placer dans la Basilique de Sainte-Marie-Majeure, près de la Crèche du Sauveur.
Le saint Evangile raconte avec sa sublime simplicité le Martyre des Innocents. Hérode envoya tuer tous les enfants. Cette riche moisson pour le ciel fut coupée, et la terre ne s'en émut pas. Les
lamentations de Rachel montèrent seules jusqu'au ciel, et bientôt le silence se fit dans Bethléhem. Mais les heureuses victimes n'en étaient pas moins enlevées par le Seigneur, pour former la
cour de son Fils.
Jésus, du fond de son berceau, les contemplait et les bénissait ; Marie compatissait à leurs courtes souffrances, et à la douleur des mères ; l'Eglise qui allait bientôt naître devait glorifier,
dans tous les siècles, cette immolation de tendres agneaux, et fonder les plus grandes espérances sur le patronage de ces enfants devenus tout d'un coup si puissants sur le cœur de son céleste
Epoux.
O Dieu, dont les Innocents Martyrs ont confessé aujourd'hui la gloire, non par leurs paroles, mais par leur mort, mortifiez en nous les passions et les vices, afin que votre foi, que notre
langue publie, soit aussi confessée par nos mœurs, par Jésus-Christ notre Seigneur.
Le Missel Mozarabe nous donnera la pièce suivante, pleine d'onction et d'éloquence :
IMMOLATIO MISSAE
C'est une chose digne et juste, oui vraiment digne et juste, que nous vous rendions grâces toujours et en tous lieux, Seigneur saint, Père tout-puissant, Dieu éternel, principalement pour ceux
dont nous célébrons aujourd'hui la Passion dans une solennité annuelle. Ce sont ceux que le satellite d'Hérode a arrachés des mamelles des mères qui les allaitaient. Ils sont appelés à bon droit
fleurs des Martyrs, ceux qui, au milieu du froid de l'infidélité, ont éclaté comme les premières perles de l'Eglise, et sont tombés sous le vent glacé de la persécution ; dont le sang a coulé
comme une source, dans la cité de Bethléhem.
Ils sont enfants, car l'âge leur refusait la parole ; cependant ils firent entendre avec joie la louange du Seigneur. Ils prêchent, immolés, Celui que vivants ils ne pouvaient annoncer. Ils
parlent par leur sang, quand leur langue se tait encore ; et le martyre initie à la louange ceux dont la bouche ne pouvait encore parler. Le Christ enfant envoie au ciel, avant lui, des enfants ;
il transmet à son Père des gages nouveaux ; il lui consacre, pour prémices, un premier martyre d'enfants, accompli par le forfait d'Hérode. L'ennemi rend service à leurs corps, au moment même où
il les immole : il les égorge, et la vie sort de cette mort ; en tombant, ils ressuscitent ; leur victoire se prouve par leur trépas.
Le Massacre des Innocents par Giotto
DOM GUÉRANGER
L'Année Liturgique