L’Eglise honore aujourd'hui la mémoire d'un des hommes le plus spécialement choisis pour représenter la pensée de
ce détachement sublime que l'exemple du Fils de Dieu, né dans une grotte, à Bethléhem révéla au monde. L'ermite Paul a tant estimé la pauvreté de Jésus-Christ, qu'il s'est enfui au désert, loin
de toute possession humaine et de toute convoitise. Une caverne pour habitation, un palmier pour sa nourriture et son vêtement, une fontaine pour y désaltérer sa soif, un pain journellement
apporté du ciel par un corbeau pour prolonger cette vie merveilleuse : c'est ainsi que Paul servit, pendant soixante ans, étranger aux hommes, Celui qui n'avait pas trouvé de place dans la
demeure des hommes, et qui fut contraint d'aller naître dans une étable abandonnée.
Mais Paul habitait avec Dieu dans sa grotte ; et en lui commence la race sublime des Anachorètes, qui, pour converser avec le Seigneur, ont renoncé à la société et même à la vue des hommes :
anges terrestres dans lesquels a éclaté, pour l'instruction des siècles suivants, la puissance et la richesse du Dieu qui suffit lui seul aux besoins de sa créature. Admirons un tel prodige ; et
considérons, avec reconnaissance, à quelle hauteur le mystère d'un Dieu incarné a pu élever la
nature humaine tombée dans la servitude des sens, et tout enivrée de l'amour des biens terrestres.
N'allons pas croire cependant que cette vie de soixante ans passée au désert, cette contemplation surhumaine de l'objet de la béatitude éternelle, eussent désintéressé Paul de l'Eglise et de ses
luttes glorieuses. Nul n'est assuré d'être dans la voie qui conduit à la vision et à la possession de Dieu, qu'autant qu'il se tient uni à l'Epouse que le Christ s'est choisie, et qu'il a établie
pour être la colonne et le soutien de la vérité. Or, parmi les enfants de l'Eglise, ceux qui doivent le plus étroitement se presser contre son sein maternel, sont les contemplatifs ; car ils
parcourent des voies sublimes et ardues, où plusieurs ont rencontré le péril. Du fond de sa grotte, Paul, éclairé d'une lumière supérieure, suivait les luttes de l'Eglise contre l'arianisme ; il
se tenait uni aux défenseurs du Verbe consubstantiel au Père : et afin de montrer sa sympathie pour saint Athanase, le vaillant athlète de la foi, il pria saint Antoine, à qui il laissait sa
tunique de feuilles de palmier, de l'ensevelir dans un manteau dont l'illustre patriarche d’Alexandrie, qui aimait tendrement le saint abbé, lui avait fait présent.
Le nom de Paul, père des Anachorètes, est donc enchaîné à celui d'Antoine, père des Cénobites ; les races fondées par ces deux apôtres de la solitude sont sœurs ; toutes deux émanent de Bethléhem
comme d'une source commune.
La sainte Eglise lit, dans ses Offices, le récit suivant de la vie merveilleuse du premier
:
Paul, l'instituteur et le maître des Ermites, né dans la basse Thébaïde, n'avait que quinze ans
lorsqu'il perdit ses parents. Quelque temps après, pour fuir la persécution de Décius et de Valérien, et pour servir Dieu avec plus de liberté, il se retira dans une caverne du désert, où un
palmier lui fournit la nourriture et le vêtement. Il y vécut jusqu'à l'âge de cent treize ans : auquel temps saint Antoine, qui en avait quatre-vingt-dix, le visita, d'après un avertissement de
Dieu. Ils se saluèrent de leurs propres noms, quoiqu'ils ne se connussent point auparavant ; et pendant qu'ils tenaient des discours abondants sur le royaume de Dieu, un corbeau, qui jusqu'alors
avait apporté chaque jour à Paul la moitié d'un pain, en apporta un tout entier.
" Voyez, dit Paul après le départ du corbeau , comment Dieu , vraiment bon, vraiment miséricordieux, nous a envoyé de quoi manger. Il y a déjà soixante ans que je reçois chaque jour la
moitié d'un pain ; mais aujourd'hui, pour votre arrivée, Jésus-Christ a doublé la ration de ses soldats".
VELÁZQUEZ
Ils prirent donc leur repas avec action de grâces, au bord d'une fontaine, et ayant réparé convenablement leurs forces, et rendu de nouveau grâces à Dieu, selon la coutume, ils passèrent la nuit
dans les louanges divines. Le matin, Paul, sentant que sa mort était proche, en avertit Antoine, et le pria d'apporter, pour ensevelir son corps, le manteau que saint Athanase lui avait donné.
Antoine, étant en route pour revenir, vit l'âme de Paul monter au ciel au milieu des chœurs des Anges et dans la compagnie des Prophètes et des Apôtres.
Lorsqu'il fut arrivé à la grotte, il trouva le saint à genoux, la tête droite, les mains élevées en haut, et le corps sans vie. II l'enveloppa du manteau, et chanta des hymnes et des psaumes,
selon la tradition chrétienne. Mais comme il n'avait point d'instrument pour creuser la terre, deux lions accoururent du fond du désert, et s'arrêtèrent près du corps du bienheureux vieillard,
donnant à entendre qu'ils le pleuraient à leur manière. Ils fouillèrent la terre à l'envi l'un de l'autre, avec leurs griffes, et firent une fosse capable de contenir un homme. Quand ils furent
partis, Antoine déposa le saint corps dans cette fosse, et le couvrant de terre, il lui dressa un tombeau à la manière des Chrétiens. Quant à la tunique que Paul s'était tissue de feuilles de
palmier, il l'emporta avec lui, et tant qu'il vécut, il s'en revêtit aux jours solennels de Pâques et de Pentecôte.
DOM GUÉRANGER
L'Année Liturgique
Saint Antoine et
Saint Paul l'Ermite Master of the Osservanza