Jusqu'ici, nous avons contemplé les Martyrs au berceau de l'Emmanuel. Etienne, qui a succombé sous les cailloux du
torrent ; Jean, Martyr de désir, qui a passé par le feu ; les Innocents immolés par le glaive ; Thomas, égorgé sur le pavé de sa cathédrale : tels sont les champions qui font la garde auprès du
nouveau Roi. Cependant, si nombreuse que soit la troupe des Martyrs, tous les fidèles du Christ ne sont pas appelés à faire partie de ce bataillon d'élite ; le corps de l'armée céleste se compose
aussi des Confesseurs qui ont vaincu le monde, mais dans une victoire non sanglante. Si la place d'honneur n'est pas pour eux, ils ne doivent pas cependant être déshérités de l'avantage de servir
leur Roi. La palme, il est vrai, n'est pas dans leurs mains ; mais la couronne de justice ceint leurs têtes. Celui qui les a couronnés se glorifie aussi de les voir à ses
côtés.
Il était donc juste que la sainte Eglise, pour réunir, dans cette triomphante Octave, toutes les gloires du ciel et de la terre, inscrivît en ces jours, sur le Cycle, le nom d'un saint Confesseur
qui dût représenter tous les autres. Ce Confesseur est Silvestre, Epoux de la sainte Eglise Romaine, et par elle de l'Eglise universelle, un Pontife au règne long et pacifique, un serviteur du Christ orné de toutes les vertus, et donné au monde le lendemain de ces combats
furieux qui avaient duré trois siècles, dans lesquels avaient triomphé, par le martyre, des millions de chrétiens, sous la conduite de nombreux Papes Martyrs, prédécesseurs de
Silvestre.
Silvestre annonce aussi la Paix que le Christ est venu apporter au monde, et que les Anges ont chantée en Bethléhem. Il est l'ami de Constantin, il confirme le Concile de Nicée, il organise la
discipline ecclésiastique pour l'ère de la Paix. Ses prédécesseurs ont représenté le Christ souffrant : il figure le Christ dans son triomphe. Il complète, dans cette Octave, le caractère du
divin Enfant qui vient dans l'humilité des langes, exposé à la persécution d'Hérode, et cependant Prince de la Paix, et Père du siècle futur.
Lisons l'histoire de son tranquille Pontificat, dans le récit de la sainte Eglise. La nature de cet ouvrage exclut les discussions critiques ; c'est pourquoi nous ne dirons rien des difficultés
qu'on a élevées sur le fait du Baptême de Constantin, à Rome, par saint Silvestre. Il suffira de rappeler que la tradition romaine, à ce sujet, est adoptée par de savants hommes, tels que
Baronius, Schelestrate, Bianchini, Marangoni, Vignoli, etc.
Le Pape Sylvestre baptise Constantin par Pomarancio
Silvestre, Romain, fils de Rufin, fut placé, dès son bas âge, sous la discipline du prêtre Cyrinus, dont il imita parfaitement la doctrine et les mœurs. Pendant que sévissait la persécution, il
vécut caché sur le mont Soracte. Agé de trente ans, il fut créé prêtre de la sainte Eglise Romaine par le Pape Marcellin.
S'étant acquitté de cet emploi d'une manière digne de louange, et surpassant en mérite les autres clercs, il succéda au Pape Melchiade, sous l'empire de Constantin. Cet
empereur avait auparavant, par une loi publique, donné la paix à l'Eglise de Jésus-Christ. Déjà marqué par le ciel du signe de la Croix, et vainqueur de Maxence, il se fit le défenseur et le
propagateur de la religion chrétienne ; l'encourager dans cette voie fut la grande œuvre à laquelle s'adonna le nouveau Pontife. Selon que le porte
l'antique tradition de l'Eglise Romaine, il fit reconnaître les portraits des Apôtres à l'empereur, le lava dans le bain du saint baptême, et le guérit de la lèpre de
l'infidélité.
Aussi, d'après les conseils de Silvestre, le pieux empereur confirma par son exemple le droit qu'il avait accordé aux chrétiens de bâtir publiquement leurs temples ; car il éleva un grand nombre
de Basiliques, à savoir celle du Latran au Christ Sauveur, celle du Vatican à saint Pierre, celle de la voie d'Ostie à saint Paul, celles de saint Laurent dans l'Agro Verano, de Sainte-Croix au
palais de Sessorius, des saints Pierre et Marcellin et de sainte Agnès sur les voies Lavicane et Nomentane, d'autres encore, qu'il orna splendidement d'images saintes et dota magnifiquement en
possessions et privilèges.
Ce fut pendant son pontificat que se tint le premier Concile de Nicée, dans lequel, sous la présidence de ses légats, en présence de Constantin et de trois cent dix-huit Evêques, la sainte et
catholique Foi fut expliquée, Arius et ses sectateurs condamnés ; et ce Concile fut confirmé par Silvestre, à la demande des Pères, dans un Synode tenu à Rome, où Arius fut condamné de nouveau.
Silvestre fit aussi plusieurs décrets avantageux à l'Eglise de Dieu qui sont rapportés sous son nom ; savoir : que le Chrême serait fait par l'Evêque seul ; que le prêtre oindrait du Chrême le
sommet de la tête du baptisé ; que les diacres se serviraient de la dalmatique dans l'Eglise, et porteraient sur le bras gauche un ornement de lin ; que le Sacrifice de l'autel se célébrerait sur
un voile de lin.
Il prescrivit également, dit-on, à tous ceux qui seraient initiés aux Ordres, le temps durant lequel ils doivent exercer, chacun, les fonctions de leur Ordre dans l'Eglise, avant de monter à un
degré plus élevé. Il interdit aux laïques la fonction d'accusateur public contre les clercs, et défendit aux clercs de plaider devant les juges séculiers. Retenant seulement le nom de Samedi et
de Dimanche, il voulut que les autres jours de la semaine fussent appelés du nom de Fériés, comme il était déjà d'usage dans l'Eglise, pour signifier que les clercs doivent, chaque jour, vaquer
uniquement au service de Dieu, et se dégager de tout autre soin.
L'admirable sainteté de sa vie, et sa bonté envers les pauvres, répondirent toujours à cette prudence céleste avec laquelle il gouvernait l'Eglise. Il veilla à ce que les clercs pauvres
vécussent en commun avec les autres clercs plus riches, et que les vierges sacrées ne manquassent pas des choses nécessaires à la vie. Il vécut dans le pontificat vingt-un ans, dix mois et un
jour. Il fut enseveli au cimetière de Priscille, sur la voie Salaria. Il célébra sept ordinations au mois de décembre, dans lesquelles il créa quarante-deux prêtres, vingt-cinq diacres, et
soixante-cinq Evêques pour divers lieux.
L'Eglise Grecque célèbre saint Silvestre par des chants d'enthousiasme. On remarquera, dans les strophes que nous empruntons à ses Menées, qu'elle rapporte à ce
grand Pontife tout l'honneur de la décision de Nicée, et qu'elle l'honore comme ayant détruit l'hérésie arienne.
In magno Vespertino, et passim
Père, hiérarque, Silvestre ! saintement illuminé de la lumière de sainteté, tu as éclairé les fidèles par la lueur de tes enseignements ; tu leur as fait adorer l'unité de nature en trois
personnes, et tu as chassé les ténèbres des hérésies : c'est pourquoi, aujourd'hui, nous chantons avec joie, dans des hymnes splendides, ta brillante mémoire.
Père qui portes Dieu, Silvestre ! visible colonne de feu, qui t'avances d'un pas sacré, à la tête de la sainte armée ; nuée dont l'ombre protège, qui fais sortir les fidèles des erreurs de
l'Egypte par tes enseignements infaillibles, nous vénérons ta glorieuse et très sacrée mémoire.
Père aux paroles divines, Silvestre ! par le torrent de tes prières, tu as arrêté et emprisonné le dragon aux mille formes. Homme admirable et sacré, tu as conduit à Dieu des multitudes de
païens, tu as humilié l'audace des Juifs, opérant sous leurs yeux de grands miracles : c'est pourquoi nous t'honorons et te proclamons bienheureux.
Divinement obéissant à la loi divine, divinement orné de la science des Ecritures inspirées, tu as enseigné la vérité aux sages des païens ; tu leur as appris à confesser le Christ avec le Père
et l'Esprit, et à répéter : Chantons au Seigneur, car il a fait éclater magnifiquement sa gloire.
Hiérarque inspiré de Dieu, Silvestre notre père ! tu as paru donnant l'onction aux Pontifes dans l'Esprit divin, et illuminant les peuples, ô homme très sacré ! Tu as mis en fuite l'erreur des
hérésies, tu as fait paître le troupeau, et jaillir les eaux fertilisantes de la piété sur les moissons appelées à la connaissance de Dieu.
Par l'habileté de tes discours, tu as délié à jamais les vains nœuds de l'erreur ; ceux que l'erreur avait enchaînés, tu les as enchaînés toi-même à la divine foi, ouvrant leur âme, ô Père et
bienheureux hiérarque , à l'explication des Ecritures.
Tu as rendu immobile par tes prières, tu as renfermé pour jamais le serpent de malice, qui, dans son envie, infectait de son haleine ceux qui approchaient de toi, ô bienheureux. ! toi qui as
imposé à la demeure des dragons le sceau de la croix, plus inviolable pour eux que les portes et les verrous.
Pontife suprême de l'Eglise de Jésus-Christ, vous avez donc été choisi entre tous vos frères pour décorer de vos glorieux mérites la sainte Octave de la Naissance de l'Emmanuel.
Vous y représentez dignement le chœur immense des Confesseurs, vous qui avez tenu, avec tant de vigueur et de fidélité, le gouvernail de l'Eglise après la tempête. Le diadème pontifical orne
votre front ; et la splendeur du ciel se réfléchit sur les pierres précieuses dont il est semé. Les clefs du Royaume des cieux sont entre vos mains : et vous l'ouvrez pour y faire entrer les
restes de la gentilité qui passent à la foi du Christ ; et vous le fermez aux Ariens, dans cet auguste Concile de Nicée, où vous présidez par vos Légats, et auquel vous donnez autorité, en le
confirmant de votre suffrage apostolique.
Bientôt des tempêtes furieuses se déchaîneront de nouveau contre l'Eglise ; les vagues de l'hérésie viendront battre la barque de Pierre ; vous serez déjà rendu au sein de Dieu ; mais vous
veillerez, avec Pierre, sur la pureté de la Foi Romaine. Vous soutiendrez Jules, vous sauverez Libère ; et, par vos prières, l'Eglise Romaine sera le port où Athanase trouvera enfin quelques
heures de paix.
Sous votre règne pacifique, Rome chrétienne reçoit le prix de son long martyre. Elle est reconnue Reine de l'humanité chrétienne, et son empire le seul empire universel. Le fils de votre zèle,
Constantin, s'éloigne de cette ville de Romulus, aujourd'hui la cité de Pierre ; la seconde majesté ne veut pas être éclipsée par la première ; et, Byzance fondée, Rome demeure aux mains de son Pontife.
Les temples des faux dieux croulent, et font place aux basiliques chrétiennes qui reçoivent la dépouille triomphale des saints Apôtres et des Martyrs. Enfin, la victoire de l'Eglise sur le Prince
de ce monde est marquée, ô Silvestre, par la défaite de ce dragon qui infectait les hommes de son haleine empoisonnée, et que votre bras enchaîna pour jamais.
Etant honoré de dons si merveilleux, ô Vicaire du Christ, souvenez-vous de ce peuple chrétien qui a été le vôtre. Dans ces jours, il vous demande de l'initier au divin mystère du Christ Enfant.
Par le sublime symbole qui contient la foi de Nicée, et que vous avez confirmé et promulgué dans toute l'Eglise, vous nous apprenez à le reconnaître Dieu de Dieu, Lumière de Lumière, engendré et
non fait, consubstantiel au Père.
Vous nous conviez à venir adorer cet Enfant, comme Celui par qui toutes choses ont été faites. Confesseur du Christ, daignez nous présenter à lui, comme l'ont daigné faire les Martyrs qui vous
ont précédé. Demandez-lui de bénir nos désirs de vertu, de nous conserver dans son amour, de nous donner la victoire sur le monde et nos passions, de nous garder cette couronne de justice à
laquelle nous osons aspirer, pour prix de notre Confession.
Pontife de la Paix, du séjour tranquille où vous vous reposez, considérez l'Eglise de Dieu agitée par les plus affreuses tourmentes, et sollicitez Jésus, le Prince de la Paix, de mettre fin à de
si cruelles agitations. Abaissez vos regards sur cette Rome que vous aimez et qui garde si chèrement votre mémoire ; protégez, dirigez son Pontife.
Qu'elle triomphe de l'astuce des politiques, de la violence des tyrans, des embûches des hérétiques, de la perfidie des schismatiques, de l'indifférence des mondains, de la mollesse des
chrétiens.
Qu'elle soit honorée, qu'elle soit aimée, qu'elle soit obéie.
Que la majesté du sacerdoce se relève ; que la puissance spirituelle s'affranchisse, que la force et la charité se donnent la main ; que le règne de Dieu commence enfin sur la terre, et qu'il n'y
ait plus qu'un troupeau et qu'un Pasteur.
Veillez, ô Silvestre, sur le sacré dépôt de la foi que vous avez conservé avec tant d'intégrité ; que sa lumière triomphe de tous ces faux et audacieux systèmes qui s'élèvent de toutes parts,
comme les rêves de l'homme dans son orgueil. Que toute intelligence créée s'abaisse sous le joug des mystères, sans lesquels la sagesse humaine n'est que ténèbres ; que Jésus, Fils de Dieu, Fils
de Marie, règne enfin, par son Eglise, sur les esprits et sur les coeurs.
Priez pour Byzance, autrefois appelée la nouvelle Rome, et devenue sitôt la capitale des hérésies, le triste théâtre de la dégradation du Christianisme. Obtenez que les temps de son humiliation
soient abrégés. Qu'elle revoie les jours de l'unité ; qu'elle consente enfin à honorer le Christ dans son Vicaire ; qu'elle obéisse, afin d'être sauvée. Que les races égarées et perdues par son
influence, recouvrent cette dignité humaine que la pureté de la foi seule maintient, que seule elle peut régénérer.
Enfin, ô vainqueur de Satan, retenez le Dragon infernal dans la prison où vous l'avez enfermé ; brisez son orgueil, déjouez ses plans ; veillez à ce qu'il ne séduise plus les peuples ; mais que
tous les enfants de l'Eglise, selon la parole de Pierre, votre prédécesseur, lui résistent par la
force de leur Foi.
DOM GUÉRANGER
L'Année
Liturgique
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