Le saint pape Pie Ier acheva son pontificat en l'année 150, et on l'ensevelit dans la crypte Vaticane.
L'église de Rome lui donna pour successeur Anicet, syrien de nation, dont le père se nommait Jean. Il habitait dans la ville un quartier désigné plus ou moins exactement par la chronique papale, sous le nom d'Omisa ou Amisa. Le nouveau pape trouvait l'Eglise en paix du côté de César ; mais la chrétienté de Rome avait à souffrir de la part des hérétiques orientaux qui dogmatisaient en dehors de l'Eglise dont ils avaient été repoussés, et ne laissaient pas que d'entraîner dans leurs erreurs un certain nombre d'esprits.
En même temps, on était préoccupé de la crainte de voir tôt ou tard une division éclater entre les orthodoxes sur la question de la Pâque, au sujet de laquelle le prédécesseur d'Anicet avait cru devoir faire une démonstration solennelle. Anicet tenait depuis peu de temps le gouvernail du vaisseau de l'Eglise, lorsqu'il vit arriver à Rome un illustre vieillard, Polycarpe, évêque de Smyrne, disciple autrefois de l’évangéliste saint Jean, et bientôt appelé à la gloire du martyre. Emu au bruit qu'avait fait dans toute l'Eglise le Constitutum de Pie, il venait réclamer le maintien d'une coutume chère aux chrétiens d'Asie, et autorisée par la condescendance du disciple bien-aimé du Seigneur.
En vain Anicet chercha-t-il à le persuader des sages raisons qui avaient porté l'église romaine à choisir le jour du dimanche pour la célébration de la plus solennelle des fêtes, en vain s'efforça-t-il de démontrer à son hôte vénérable que le moment était venu de secouer le dernier lambeau des pratiques judaïques, Polycarpe ne demeura pas convaincu, et Anicet comprit que le moment n'était pas venu encore d'établir dans l'Eglise une parfaite uniformité sur ce point capital de la liturgie. Il renonça à presser davantage le vieillard dont il honorait la haute vertu, et remit à ses successeurs le soin de régler définitivement cette importante question, lorsque le temps aurait enlevé les difficultés de personnes, et amené déjà la plupart des églises, ainsi qu'il arriva, à la pratique romaine. Il voulut même donner à son peuple une preuve de l'estime qu'il professait pour Polycarpe, en l'invitant à célébrer solennellement les saints mystères dans l'assemblée des fidèles de Rome.
Mais la soif du martyre dévorait le saint évêque, et il avait fallu le motif de prévenir les troubles dans son église et dans celle de la province d'Asie, pour lui faire entreprendre, à l'âge de quatre-vingts ans, un si long et si laborieux voyage. Il se sépara donc du successeur de Pierre avec l'espoir d'avoir conjuré de graves dissensions, et repartit pour Smyrne où la couronne l'attendait. Les Actes de son martyre attestent la persécution ouverte et la recherche des chrétiens par les magistrats de l'Empire. On doit donc reporter l'événement aux premières années de Marc-Aurèle, et non à l'année 155, où l'Eglise jouissait encore de la tranquillité.
Le pontificat d'Anicet ne s'étendit pas au delà de l'année 161, qui vit aussi mourir Antonin, prince digne des regrets de Rome, de l'Empire, et, nous ajouterons, de l'Eglise. Marc-Aurèle lui succéda, associant à l'Empire Lucius Verus. Anicet fut remplacé sur le siège apostolique par Soter. Le nouveau pape, né dans la Campanie, à Fundi, était le fils d'un nommé Concordius.
Son pontificat fut plus agité que celui de ses prédécesseurs. Non seulement les hérésies, qu'aucune force extérieure ne réprimait, continuaient leurs ravages ; mais la persécution, qui dormait sous Antonin, allait se réveiller sanglante et perfide sous son successeur. Il était possible de fondre en un même système d'oppression les rescrits de Trajan, d'Hadrien et d'Antonin. Pour cela, il suffisait d'un empereur peu bienveillant envers le christianisme. Ces trois décisions impériales avaient été de plus en plus favorables à la liberté des chrétiens, mais pas une, même celle d'Antonin, n'avait enlevé à ceux-ci la qualité de prévenus d'un délit contraire aux lois de l'Empire. Qu'importait que leurs dénonciateurs eussent été plus ou moins contenus, si un jour les magistrats recevaient l'ordre officiel ou tacite de donner suite à la dénonciation ? Marc-Aurèle n'encourrait pas le reproche d'une tyrannie par trop odieuse, si, laissant tomber les adoucissements ajoutés par Hadrien et par Antonin, il s'en tenait à la ligne de conduite prescrite au proconsul de Bithynie par Trajan.
Au fond c'était replacer les chrétiens sous la légalité établie à leur égard par Néron ; on en était quitte pour ne pas l'avouer, et assurément les païens ne réclameraient pas. Quant aux chrétiens, ils réclamèrent, comme nous allons le voir.
DOM GUÉRANGER
SAINTE CÉCILE ET LA SOCIÉTÉ ROMAINE AUX DEUX PREMIERS SIÈCLES (pages 313 à 317)