Ce genre d’éclairage était bien insuffisant, et plus de la moitié des rues restait dans l’ombre ; Sterne le constate dans le livre charmant que tout le monde a lu. Il est venu deux fois en France, en 1762 d’abord, puis en 1764 ; il a raconté sa seconde visite dans le Voyage sentimental.
Depuis le 19 avril 1763, la troupe de l’Opéra-Comique, qui jouait à la foire Saint-Germain, avait été réunie aux Italiens, qui donnaient leurs représentations rue Mauconseil, à l’hôtel de Bourgogne. C’était un théâtre très fréquenté : tout Paris, comme l’on disait déjà y courait pour voir les trois Sultanes. Il est donc probable que les alentours étaient éclairés avec quelque soin, et qu’on avait pris des précautions pour en rendre les abords faciles. «Il y a, dit Sterne, un passage fort long et fort obscur qui va de l’Opéra-Comique à une rue fort étroite. Il est ordinairement fréquenté par ceux qui attendent humblement l’arrivée d’un fiacre, ou qui veulent se retirer tranquillement quand le spectacle est fini. Le bout de ce passage, vers la salle, est éclairé par une petite chandelle dont la faible lumière se perd avant qu’on arrive à l’autre bout. Cette chandelle est peu utile, mais elle sert d’ornement ; elle paraît de loin comme une étoile fixe de la moindre grandeur : elle brûle et ne fait aucun bien à l’univers.» Si les environs d’un théâtre à la mode étaient éclairés de la sorte, que penser du reste de la ville ?
Ce fut un peu plus tard, en 1766, que parurent les premiers réverbères pour l’invention desquels des lettres patentes avaient été délivrées, le 28 décembre 1745, à l’abbé Mathérot de Preigney et à Bourgeois de Château-Blanc. Une mèche de coton baignant dans l’huile était substituée aux chandelles, et un réflecteur étendait le champ atteint par la lumière.
Lorsque l’on se décida à remplacer les anciennes lanternes, qui étaient presque centenaires, il en existait 8,000 à Paris et dans les faubourgs ; elles disparurent devant 1,200 réverbères, dont la clarté était, dit un auteur du temps, égale, vive et durable. On croyait être arrivé au nec plus ultra, et l’on se moqua des lanternes, comme aujourd’hui nous nous moquons des réverbères, comme nos enfans sans doute riront de nos candélabres. On les laissait allumés toute l’année, excepté pendant les nuits de pleine lune ; qu’il y eût des nuages ou non, qu’on y vît ou qu’on n’y vît pas, la mèche était morte, et les passans avaient tout loisir de se casser le cou. On revint de ce sot usage quelques années avant la révolution, sur l’initiative de Lenoir, le lieutenant de police ; on se contenta d’éteindre un réverbère sur deux lorsque la lune était dans sa plus grande période de croissance. Cette médiocre économie a duré assez longtemps pour permettre à Scribe de chanter :
Un réverbère éteint
Qui comptait sur la lune…
Maxime Du Camp, L’Éclairage à Paris, Revue des Deux Mondes, 1873