Autrefois pendant les moments de trouble, qui étaient bien plus fréquents alors que de nos jours, les Parisiens étaient tenus, en vertu de vieilles ordonnances royales, d’antiques arrêts du parlement, de mettre sur leurs fenêtres de la lumière et au seuil de leur porte un seau d’eau. C’était tout ce que l’on avait imaginé de mieux pour déjouer les surprises à main armée et parer aux incendies possibles.
Dès qu’un danger, si éloigné qu’il fût, menaçait Paris, on tâchait de faire allumer des chandelles. Lorsque, le 7 mars 1525, le parlement de Paris reçut la lettre que la reine-mère lui avait écrite le 4 de Lyon pour lui annoncer la défaite de Pavie et la captivité de François Ier, il décréta, séance tenante, que «les lanternes et lumières qui avaient été ordonnées être mises par cette dicte ville seront remises». On n’écoutait guère, il faut le croire, de tels arrêts, et l’insouciance parisienne n’était alors guère plus attentive qu’aujourd’hui, car le 24 octobre de la même année le parlement renouvela sa prescription, et le 16 novembre 1526 le prévôt des marchands demande que les habitants soient forcés de placer des lanternes à leurs fenêtres.
Pendant vingt-sept ans, la question est oubliée ; elle reparaît tout à coup et très vivement sous Henri II, le 28 septembre 1553. On avait profité de l’obscurité dès rues pour coller sur les murailles des placards injurieux contre le prévôt des marchands ; celui-ci, qui paraît n’avoir eu qu’un goût médiocre pour la liberté de la presse pratiquée de cette façon, intervint auprès du parlement, qui édicta que le lieutenant-criminel serait tenu de faire mettre «lanternes et chandelles ardentes» aux fenêtres des maisons. Il n’en fut que cela, et Paris n’en vit pas plus clair.
La première tentative faite pour doter la ville d’un éclairage à peu près régulier date de 1558. Un arrêt, rendu le 29 octobre par le parlement et dirigé contre «les larrons, voleurs, effracteurs de portes et huis» ordonne qu’il y aura un falot ardent au coin de chaque rue de dix heures du soir à quatre heures du matin, «et où les dictes rues seront si longues que le dict falot ne puisse éclairer d’un bout à l’autre, il en sera mis un au milieu des dictes rues». On fit un «cri public» de l’ordonnance, qui fut lue et publiée à son de trompe. Le 24 novembre suivant, les commissaires du Châtelet, les quarteniers, les cinquanteniers, les dizainiers, accostés de deux notables bourgeois de chaque rue, sont chargés de faire le devis des frais probables et de désigner les endroits où devront être placées les lanternes «ardentes et allumantes».
Cette fois on s’exécuta sans y mettre trop de mauvaise grâce, et nous savons à quoi nous en tenir sur ce mode d’éclairage, que j’ai encore vu en action dans quelques villes de l’extrême Orient. Un poteau en bois muni de distance en distance de barrettes libres qui faisaient office d’échelons portait au sommet un bras de potence auquel pendait une chaînette soutenant un lourd panier de fer rempli de résine et d’étoupes qu’on allumait. C’était simplement un pot à feu qui ressemblait fort au fanal que les pêcheurs à la fouenne mettent à l’avant de leur bateau.
Si mince que fût le progrès, c’en était un : si la flamme goudronneuse dégageait bien de la fumée, elle projetait du moins une lueur rougeâtre sur laquelle il était possible de se diriger ; elle était supérieure à la mèche vacillante de ces veilleuses perpétuelles brûlant derrière une grille fermée, au pied des statues de saints et de madones dont Paris était plein à cette époque, clarté douteuse que soufflait le vent, et qui pendant tant de siècles fut le seul éclairage de la grande ville.
Maxime Du Camp, L’Éclairage à Paris, Revue des Deux Mondes, 1873