Que la Liturgie est donc, comme toutes les grandes choses de ce monde, l'arbre de la science du bien et du mal, puisque,
dans ce chapitre qui nous a donné lieu d'énumérer les noms de plusieurs des plus vénérables docteurs de l'Église, nous n'avons pu nous empêcher d'y joindre une ignoble liste sur laquelle figurent
Théodore de Mopsueste, Nestorius, Philoxène, Sévère d'Antioche, Jacques d'Édesse, etc.
La fin du sixième siècle vit monter sur
le Siège apostolique un homme dont le pontificat de treize ans et six mois expira l'an 604, mais laissa pour tous les siècles suivants la renommée d'une gloire qui a pu être égalée, mais n'a
jamais été surpassée. Saint Grégoire le Grand, dont l'immense correspondance nous retrace si vivement la sollicitude qu'il exerçait sur toutes les Églises, dont les écrits si remplis de gravité
et d'onction justifient, par la plus pure et la plus excellente doctrine, le titre de quatrième Docteur que l'Église lui a assigné, saint Grégoire le Grand porta ses soins éclairés sur la
Liturgie de l'Église de Rome, et par les perfectionnements qu'il y introduisit, prépara d'une manière sûre, pour un temps plus ou moins éloigné, son introduction dans toutes les provinces de
l'immense patriarcat d'Occident.
Nous avons rapporté, au chapitre précédent, les travaux de saint Célestin et de saint Gélase durant ce cinquième siècle, qui
fut, dans toute l'Église, un moment brillant pour la Liturgie, puisqu'on vit alors les plus grands évêques donner tous leurs soins à la perfectionner. Vers la fin du sixième siècle, il était
devenu nécessaire de compléter et d'améliorer l'œuvre des siècles précédents; car la Liturgie, comme le Symbole de l'Église, comme le recueil de sa Discipline, doit s'enrichir par le
cours des siècles, bien qu'elle ne puisse changer d'une manière fondamentale. Ce progrès dirigé par l'autorité compétente, en même temps qu'il satisfait à de nouveaux besoins, n'expose jamais
l'intégrité des rites ecclésiastiques et n'amène point de variations choquantes dans les formules saintes que les siècles ont consacrées.
Ce fut donc dès les premières années de son pontificat que saint Grégoire entreprit la réforme de la Liturgie romaine. Son
historien, Jean Diacre, nous a laissé sur ce sujet les détails les plus intéressants ; ils nous sont confirmés non seulement par le témoignage de tous les auteurs qui l'ont suivi, mais même par
l'autorité de plusieurs personnages qui ont vécu avant lui, tels que Walafride Strabon, saint Adrien Ier, et Ecbert, qui occupa le siège d'York en 732. Or, voici les paroles de Jean Diacre, au
chapitre XVII du second livre de la vie de notre saint pontife :
" Il réduisit en un seul volume le livre du pape Gélase, qui contenait la solennité des messes, retranchant beaucoup de
choses, en retouchant quelques-unes, et en ajoutant plusieurs autres."
Walafrid Strabon, qui mourut en 849, vingt-huit ans avant le Pontificat de Jean VIII, par l'ordre duquel Jean Diacre écrivit la
vie de saint Grégoire, s'exprime ainsi dans son traité De Rebus ecclesiasticis : "Gélase, le cinquante-unième Pape, mit en ordre les prières, tant celles qu'il avait composées que
celles que d'autres avaient rédigées avant lui ; les Églises des Gaules se servirent de ses oraisons, et elles y sont encore employées par plusieurs. Mais comme beaucoup de ces formules
semblaient appartenir à des auteurs incertains, ou ne présentaient pas un sens clair et complet, le bienheureux Grégoire prit soin de réunir tout ce qui était conforme à la pureté originale du
texte, et ayant retranché les choses trop longues, et celles qui avaient été rédigées sans goût, il composa le livre qui est appelé des Sacrements. Que si on y trouve encore plusieurs choses qui
s'écartent du but que nous venons de marquer, elles n'ont point été insérées par ce Pape, mais on doit croire qu'elles ont plus tard été ajoutées par d'autres personnes moins soigneuses."
Telle est l'origine du Sacramentaire grégorien qui, joint à l'Antiphonaire dont nous parlerons bientôt, forme encore
aujourd'hui, à quelques modifications près, le Missel romain dont l'Église d'Occident tout entière se sert, sauf les exceptions de fait ou de droit.
L'historiographe de saint Grégoire nous apprend encore d'accord avec le Liber pontificalis, que ce saint pontife ajouta
quelques paroles au canon de la messe. Remarquons ici, pour la seconde fois, que l'addition d'une seule ligne au canon de la messe était un événement qui intéressait tout l'Occident et que les
siècles à venir ne pouvaient plus ignorer. Voici les paroles de Jean Diacre : "Il ajouta au canon de la messe : Diesque nostros in tua pace disponas, atque ab œterna damnatione nos
eripi, et in electorum tuorum jubeas grege numerari. Cette addition qui exprime une demande de paix, paraît se rapporter à l'année 594, durant laquelle Agilulphe, roi des Lombards, vint
mettre le siège devant Rome ; ce qui plongea dans la plus vive terreur cette ville, qui se trouvait en ce moment privée de garnison. Inquiet du salut de son troupeau, saint Grégoire suspendit les
travaux qu'il faisait alors sur le prophète Ezéchiel, et ses instantes prières, jointes à sa vigilance et au courage des Romains, procurèrent la délivrance de la ville, après un an de siège
(Ciacconi. Vitae Pont. Rom.).
Saint Grégoire ne se borna pas à rectifier les formules de la Liturgie et à les compléter ; il s'attacha aussi à donner aux
cérémonies du culte une pompe extérieure qui les rendit plus efficaces encore pour l'instruction et l'édification du peuple. Il régla, dans un ordre qui s'est conservé jusqu'aujourd'hui presque
dans son entier, les jours et les lieux des Stations (nous donnerons ailleurs la désignation de ces Stations, ainsi que le détail de ce qu'on y observait). "Il ordonna avec soin, continue
Jean Diacre, les Stations dans les basiliques, ou dans les cimetières des saints martyrs, en la manière que garde encore aujourd'hui le peuple romain, comme si Grégoire vivait toujours. Dans ces
Stations, auxquelles il prenait part lui-même, il prononça, en diverses époques, devant l'assemblée des fidèles, vingt homélies sur l'Evangile ; il dicta seulement les vingt suivantes, et les fit
déclamer par d'autres, à cause des langueurs de sa poitrine fatiguée. L'armée du Seigneur, composée d'une foule innombrable de fidèles de tout sexe, de tout âge et de toute condition, avide de la
parole de doctrine, accompagnait, dans ces Stations, les pas du Pontife, qui, comme le chef d'une milice céleste, donnait à chacun des armes spirituelles."
" Il régla les Messes solennelles que l'on célébrerait sur les corps des bienheureux Apôtres Pierre et Paul. Il fit
l'acquisition d'un grand nombre de plants d'oliviers dont il grava le dénombrement sur des tables de marbre placées aux portes de la basilique (ces tables existent encore parfaitement conservées,
sous le portique de la basilique actuelle de Saint-Pierre), et les affecta au luminaire qu'il augmenta, et à l'entretien duquel il pourvut avec soin."
On peut voir dans les divers exemplaires du Sacramentaire grégorien, qui ont été publiés sur des manuscrits plus ou moins purs,
et dans les anciens Ordres romains, dont les deux premiers sont très certainement contemporains de saint Grégoire, la forme de la Messe papale, telle qu'elle était célébrée aux jours des
Stations. Fleury lui-même n'a pas cru devoir se dispenser d'en raconter plusieurs détails dans son Histoire ecclésiastique. Nous réservons ce récit, ainsi que la description de la Messe
papale telle qu'elle se célèbre aujourd'hui, pour la partie de notre travail qui traitera à fond du sacrifice chrétien et de ses mystères.
Les modifications que saint Grégoire avait introduites dans la Liturgie n'avaient pas manqué, ainsi qu'il arrive toujours dans
les mesures générales d'administration d'exciter les réclamations de plusieurs. Le saint Pape, en effet, en statuant plusieurs règlements sur la forme du service divin dans l'Église de Rome,
avait astreint par là même à l'observation de ces ordonnances, les Églises de l'Italie et des îles adjacentes qui sont, comme on doit savoir, du domaine primatial de l'Église romaine, de même que
l'Occident, en son entier, forme sa circonscription patriarcale.
Jean Diacre nous a conservé un important fragment d'une lettre de saint Grégoire adressée à Jean, évêque de Syracuse, et dans
laquelle le saint Pape répond aux clameurs qui s'étaient élevées en Sicile. Nous reproduirons ici cette pièce, en y joignant nos observations :
" Un homme venant de Sicile m'a dit que quelques-uns de ses amis, grecs ou latins, sous prétexte de zèle
envers l'Eglise romaine, murmuraient contre mes règlements, disant : Comment prétend-il abaisser l'Église de Constantinople, lui qui en suit les coutumes en toutes choses ? Comme je lui
disais : Quelles coutumes suivons-nous ? il m'a répondu : Vous avez fait dire Alléluia, aux messes, hors le temps pascal ; vous faites marcher les sous-diacres sans tuniques ; vous faites dire
Kyrie, eleison ; vous avez ordonné de dire l'Oraison dominicale aussitôt après le canon. A cela j'ai répondu que dans aucune de ces choses nous n'avons suivi les usages d'une autre Église. Car
pour ce qui est de l’Alleluia,la tradition nous apprend qu'il a été introduit ici par le bienheureux Jérôme, au temps du pape Damase, de sainte mémoire, à l'imitation de l'Église de
Jérusalem ; et encore faut-il remarquer que, dans ce Siège, nous avons retranché plutôt quelque chose à ce que l'on avait ainsi reçu des Grecs (on sait que les Grecs
chantent Alleluia pendant le Carême, et même aux sépultures.). Si je fais marcher les sous-diacres sans tuniques, c'est l'ancienne coutume de l'Eglise ; seulement, dans la suite des temps, il
avait plu à quelqu'un de nos pontifes, je ne sais lequel, de les revêtir ainsi. Mais vos propres Églises (de Sicile), ont-elles donc reçu la tradition des Grecs ? Aujourd'hui encore, chez vous,
d'où vient que les sous-diacres paraissent couverts d'une simple tunique de lin, si ce n'est parce qu'ils ont reçu cet usage de l'Église romaine leur mère ?
" D'ailleurs, nous ne disons pas Kyrie, eleison à la manière des Grecs. Chez eux, tous le disent ensemble ; chez
nous, il n'y a que les clercs, et le peuple répond ; et de plus, nous disons autant de fois Christe, eleison, que les Grecs ne disent jamais. Dans les messes quotidiennes, nous passons
sous silence certaines choses que l'on a coutume de dire aux autres jours, et nous disons seulement Kyrie, eleison et Christe, eleison, en les chantant avec un peu plus de
lenteur. Nous disons l'Oraison dominicale aussitôt après le canon, parce que telle a été la coutume des Apôtres qui, en consacrant l'hostie de l’oblation, se contentaient de cette prière (on
doit savoir que le mot consacrer, appliqué à l'Eucharistie, dans la langue des Pères, a un tout autre sens que dans le langage de la théologie actuelle. Il signifie certain usage qu'on fait de
l'hostie sainte in ordine ad communionem. C'est ainsi que saint Ambroise, en son livre De Officiis ministrorum, fait dire au diacre saint Laurent, que le pape saint Sixte lui a
confié la "Consécration du Sang du Seigneur" Dominici Sanguinis consecrationem). Il nous eût paru inconvenant de réciter sur l'oblation une prière rédigée par un savant, et d'omettre de
réciter sur le corps et le sang du Rédempteur celle qu'il a lui-même composée. De plus, l'Oraison dominicale chez les Grecs est dite par tout le peuple, tandis que, chez nous, c'est le prêtre
seul qui la récite.
" En quoi donc avons-nous suivi les coutumes des Grecs, nous qui n'avons fait que rétablir nos anciens usages, ou en
introduire d'utiles, quand bien même on prouverait qu'en cela nous avons imité les autres ? Quand donc Votre Charité aura occasion d'aller à Catane, ou à Syracuse, qu'elle ait soin d'instruire
sur ces différents points tous ceux qu'elle sait avoir murmuré à ce sujet ; qu'elle s'y prenne à propos pour leur faire entendre ces raisons. Quant à ce qu'ils disent de l'Église de
Constantinople, qui doute qu'elle ne soit sujette du Siège apostolique, ainsi que le très pieux Empereur et notre frère l'évêque de cette ville, le professent assidûment ? Néanmoins, si cette
Église, ou toute autre, a quelque chose de bon, de même que je réprime mes inférieurs, lorsqu'ils font des choses illicites, de même je suis prêt à les imiter dans ce qu'ils ont de bon. Ce serait
folie de mettre la primauté à dédaigner d'apprendre ce qui est le meilleur."
On voit, dans cette curieuse lettre, l'exercice de la suprématie romaine dans les choses de la Liturgie. Le Pontife rétablit des
usages tombés en désuétude ; il en institue d'autres qui lui paraissent utiles; il choisit dans les rites des Églises soumises à celle de Rome, ceux qu'il lui semble à propos d'adopter ; il
professe le droit souverain qu'il a reçu de réprimer les abus, jusque sur le Siège de Constantinople ; enfin, il proclame en même temps la disposition si sage et si souvent mise en pratique par
le Saint-Siège, d'imiter ce qui se rencontre de meilleur dans les usages des diverses Eglises. Nous verrons constamment les Papes, dans tous les siècles, suivre cette ligne si sagement et si
fortement tracée.
Le zèle infatigable de saint Grégoire ne se borna pas à lui faire entreprendre la réforme des prières et des cérémonies de la
Liturgie ; il entreprit aussi la correction du chant ecclésiastique, dont la mélodie majestueuse devait ajouter une nouvelle splendeur au service divin. Nous avons vu, au chapitre
précédent, le pape saint Célestin instituant le chant des antiennes et des répons, connus sous le nom d'Introït et de Graduel, et l'on ne saurait douter que ces morceaux ne fussent composés à
l'instar des autres pièces du même genre que nous voyons dès lors en usage, soit dans la psalmodie des heures, soit dans la célébration de la messe. Il y avait aussi, comme nous l'avons vu, des
préfaces et autres récits qui ne pouvaient être chantés sans un système de musique quelconque. Nous n'avons point à nous occuper, en cet endroit, du caractère du chant ecclésiastique ; nous
devons seulement rappeler en passant au lecteur que tous les hommes doctes qui ont traité des origines de la musique ont reconnu dans le chant ecclésiastique ou grégorien, les rares et précieux
débris de cette antique musique des Grecs dont on raconte tant de merveilles. En effet, cette musique d'un caractère grandiose et en même temps simple et populaire, s'était naturalisée à Rome de
bonne heure. L'Église chrétienne s'appropria sans trop d'efforts cette source intarissable de mélodies graves et religieuses ; seulement, le respect dû aux formules saintes, souvent tirées des
Ecritures, qu'il fallait réduire en chant, ne permettant pas de les soumettre à une mesure qui en eût souvent altéré la simplicité et quelquefois même le sens, le chant de l'Eglise, quoique puisé
dans les modes antiques, n'avait pour thème que des morceaux en prose et d'un rythme vague et souvent irrégulier. On voyait que les Pontifes avaient cherché plutôt à instruire les fidèles par la
doctrine contenue dans les paroles sacrées, qu'à ravir leurs oreilles par la richesse d'une harmonie trop complète. Toutefois, les besoins du culte avaient donné naissance, dans l'Église de Rome,
à un grand nombre de pièces de chant, toutes en prose pour les paroles ; car, à la différence de celle de Milan et de presque toutes les autres, elle n'admettait pas d'hymnes. Les motifs de
la plupart de ces chants étaient inspirés par la réminiscence de certains airs familiers et d'une exécution aisée, qu'une oreille exercée reconnaît encore dans le répertoire grégorien, et qu'il
serait facile de rétablir dans leur couleur première.
Ce recueil de chants appelait aussi une correction, et Dieu, qui avait donné à saint Grégoire cette diction noble et cadencée
qui lui permit de retoucher le Sacramentaire de saint Gélase, lui avait donné pareillement le sens de la musique ecclésiastique, à laquelle il devait même attacher son nom. "Grégoire, dit
son historien, semblable dans la maison du Seigneur à un nouveau Salomon, pour la componction et la douceur de sa musique, compila un Antiphonaire, en manière de centon, avec une grande utilité
pour les chantres." Ces expressions compilavit, centonem, font voir que saint Grégoire ne peut être considéré comme l'auteur proprement dit des morceaux qui composent son
Antiphonaire ; en sorte qu'il en est du chant ecclésiastique comme de toutes les grandes institutions du catholicisme : la première fois qu'on les rencontre dans les monuments de la tradition,
elles apparaissent comme un fait déjà existant, et leur origine se perd dans une antiquité impénétrable. Mais il est permis de croire que saint Grégoire ne se borna pas à recueillir des mélodies
: il dut non-seulement corriger, mais composer lui-même plusieurs chants dans son Antiphonaire, par un travail analogue à celui qu'il avait accompli sur le Sacramentaire. Ce ne peut être qu'en
qualité de correcteur éclairé et même de compositeur, que Jean Diacre le loue sur l'onction et la douceur de sa musique. Il nous serait impossible de préciser aujourd'hui avec certitude dans le
détail, les morceaux de l'Antiphonaire grégorien qui appartiennent proprement au grand Pontife dont nous parlons ; mais telle était encore, au moyen âge, la reconnaissance des Églises d'Occident
envers le Symphoniaste inspiré auquel elles devaient leurs chants, que le premier dimanche de l'Avent, on chantait solennellement les vers qui suivent, avant d'entonner l'Introït de la messe
Ad te levavi, comme une sorte de tribut obligé à la mémoire d'un service si important :
Gregorius Praesul meritis et nomine dignus,
Unde genus ducit, summum conscendit honorem :
Quem vitae splendore, suae mentisque sagaci
Ingenio potius compsit, quam comptus ab illo est.
Ipse Patrum monimenta sequens, renovavit et auxit
Carmina, in Officiis retinet quae circulus anni :
Quae clerus dulci Domino modulamine solvat,
Mystica dum vitae supplex libamina tractat.
Suaviter haec proprias servat dulcedo nitelas;
Si quod voce sonat, fido mens pectore gestet.
Nec clamor tantum Domini sublimis ad aures,
Quantum voce humilis placido de corde propinquat.
Haec juvenum sectetur amor, maturior aevo,
Laudibus his instans, aeternas tendat ad Horas.
Ces vers si expressifs se trouvent, avec quelques variantes, en tête des divers exemplaires de l'Antiphonaire de saint Grégoire,
qui ont été publiés sur des manuscrits des neuvième, dixième et onzième siècles, par Pamelius, Dom Denys de Sainte-Marthe et le B. Tommasi.
L'Antiphonaire de saint Grégoire se divisait en deux parties, l'une qui contenait les chants usités dans la messe et qui est
connue depuis longtemps sous le nom de Graduel ; l'autre appelée, dans l'antiquité, Responsorial, et contenant les répons et les antiennes de l'office, laquelle a retenu le nom
d'Antiphonaire. Le manuscrit de Saint-Gall, l'un des deux sur lesquels le B. Tommasi a publié le Responsorial, porte, en tête, les vers suivants à la louange de saint Grégoire
:
Hoc quoque Gregorius, Patres de more secutus,
Instauravit opus; auxit et in melius.
His vigili Clerus mentem conamine subdat
Ordinibus, pascens hoc sua corda favo.
Quem pia sollicitis solertia nisibus, omni
Scripturae campo legit et explicuit.
Carmina diversas sunt haec celebranda per horas,
Sollicitam rectis mentem adhibete sonis.
Discite verborum legales pergere calles,
Dulciaque egregiis jungite dicta Modis.
Verborum ne cura sonos, ne cura sonorum
Verborum normas nullificare queat.
Quicquid honore Dei studiis celebratur honestis,
Hoc summis jungit mitia corda Choris.
Pour assurer l'exécution parfaite des chants qu'il avait recueillis et renouvelés avec tant de soin, saint Grégoire établit une
école de chantres qui, au temps de Jean Diacre, existait encore. Le saint Pape l'avait richement dotée et lui avait assigné deux maisons dans Rome, l'une sous les degrés de la basilique de
Saint-Pierre, l'autre dans le voisinage du palais patriarcal de Latran. "On conserve encore, dans cette dernière, ajoute l'historien, le lit sur lequel il se reposait en faisant répéter les
modulations du chant, le fouet dont il menaçait les enfants et l'exemplaire authentique de l'Antiphonaire". Le Collège des chantres établi par saint Grégoire a traversé les siècles et après avoir
subi diverses modifications et obtenu de grands privilèges du Siège apostolique, il existe encore aujourd'hui à Rome ; il fait seul le service du chant à la chapelle papale et dans les
basiliques, quand le souverain Pontife y célèbre les saints mystères. Conformément aux usages de l'antiquité, lorsque les chantres de la chapelle papale tiennent le chœur, l'orgue et les
instruments de musique sont interdits.
Quant au chant grégorien, proprement dit, nous aurons occasion de parler en divers endroits de ses destinées et des
changements et altérations dont il a été l'objet.
DOM GUÉRANGER
INSTITUTIONS LITURGIQUES : CHAPITRE
VII : TRAVAUX DE SAINT GREGOIRE LE GRAND SUR LA LITURGIE ROMAINE.
— PROGRÈS DE CETTE LITURGIE DANS L'OCCIDENT. — AUTEURS LITURGISTES DES VIIe ET VIIIe SIECLES.
Saint Grégoire Le
Grand par Goya