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"Je vous donne un commandement nouveau : c'est de vous aimer les uns les autres.

 

Comme je vous ai aimés, vous aussi aimez-vous les uns les autres.

 

Ce qui montrera à tous les hommes que vous êtes mes disciples, c'est l'amour que vous aurez les uns pour les autres."

 

Evangile de Jésus-Christ selon  saint Jean 

   

 

Pentecôte

" Le Défenseur, l'Esprit Saint que le Père enverra en mon nom, lui, vous enseignera tout, et il vous fera souvenir de tout ce que je vous ai dit."

 

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean  

 

   

 

 El Papa es argentino. Jorge Bergoglio                 

Saint Père François

 

 

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1er mai 2011 Béatification de Jean-Paul II

Béatification du Serviteur de Dieu Jean-Paul II

 

 

  Béatification du Père Popieluszko

beatification Mass, in Warsaw, Poland

à Varsovie, 6 juin 2010, Dimanche du Corps et du Sang du Christ

 

 

presidential palace in Warsaw

Varsovie 2010

 

 

Basilique du Sacré-Cœur de Montmartre
Sanctuaire de l'Adoration Eucharistique et de la Miséricorde Divine

La miséricorde de Dieu est comme un torrent débordé. Elle entraîne les cœurs sur son passage.
(Saint Curé d'Ars)
 

 


Le côté du Christ a été transpercé et tout le mystère de Dieu sort de là. C’est tout le mystère de Dieu qui aime, qui se livre jusqu’au bout, qui se donne jusqu’au bout. C’est le don le plus absolu qui soit. Le don du mystère trinitaire est le cœur ouvert. Ce n’est pas une image, c’est une réalité. C’est la réalité la plus profonde qui soit, la réalité de l’amour.
Père Marie-Joseph Le Guillou




Dans le cœur transpercé
de Jésus sont unis
le Royaume du Ciel
et la terre d'ici-bas
la source de la vie
pour nous se trouve là.

Ce cœur est cœur divin
Cœur de la Trinité
centre de convergence
de tous les cœur humains
il nous donne la vie
de la Divinité.


Sainte Thérèse Bénédicte de la Croix
(Edith Stein)



Le Sacré-Cœur représente toutes les puissances d'aimer, divines et humaines, qui sont en Notre-Seigneur.
Père Marie-Eugène de l'Enfant Jésus

 



feuille d'annonces de la Basilique du Sacré-Coeur de Montmartre

 

 

 

 

 

 

 

     

The Cambrai Madonna

Notre Dame de Grâce

Cathédrale de Cambrai

 

 

 

Cathédrale Notre Dame de Paris 

   

Ordinations du samedi 27 juin 2009 à Notre Dame de Paris


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Magnificat

     



Solennité de l’Immaculée Conception de la Vierge Marie à Notre-Dame de Paris


NOTRE DAME DES VICTOIRES

Notre-Dame des Victoires




... ma vocation, enfin je l’ai trouvée, ma vocation, c’est l’Amour !

 

 

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Voyages de Benoît XVI

 

SAINT PIERRE ET SAINT ANDRÉ

Saint Pierre et Saint André

 

BENOÎT XVI à CHYPRE 

 

Benedict XVI and Cypriot Archbishop Chrysostomos, Church of 

Salutation avec l'Archevêque Chrysostomos à l'église d' Agia Kyriaki Chrysopolitissa de Paphos, le vendredi 4 juin 2010

 

     

 

Benoît XVI en Terre Sainte  


 

Visite au chef de l'Etat, M. Shimon Peres
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Visite au mémorial de la Shoah, Yad Vashem




 






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Vicariat hébréhophone en Israël

 


 

Mgr Fouad Twal

Patriarcat latin de Jérusalem

 

               


Vierge de Vladimir  

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SALVE REGINA

26 mai 2011 4 26 /05 /mai /2011 11:00

La journée est encore embellie par la mémoire d'un de ces premiers pontifes qui, comme Urbain, ont été les fondements de la sainte Eglise à l'âge des tempêtes. Eleuthère monta sur le Siège Apostolique au milieu de la tourmente excitée par la persécution de Marc-Aurèle et de Commode. Il vit arriver à Rome la légation que lui envoyaient les martyrs de l'Eglise de Lyon, et qui avait à sa tête le grand Irénée. Cette illustre Eglise, couronnée à ce moment des palmes les plus glorieuses, venait les offrir à la nouvelle Rome en qui elle reconnaissait la "puissante principauté" qu'a célébrée le même saint Irénée, dans ses livres Contre les Hérésies.

 

La paix ne tarda pas à être rendue à l'Eglise, et le reste du pontificat d'Eleuthère s'écoula dans le calme et la tranquillité. Au sein de cette paix, avec son nom qui exprime la Liberté, ce pontife est une image de notre divin ressuscité, dont le Psalmiste nous dit qu'il est libre entre les morts (Psalm. LXXXVII, 6.).

 

L'Eglise honore saint Eleuthère comme martyr, avec les autres papes qui ont siégé avant la paix de Constantin, et qui presque tous ont versé leur sang dans les persécutions des trois premiers siècles. Associés à toutes les souffrances de l'Eglise, gouvernant la chrétienté à travers mille périls, ne goûtant la paix que dans de rares et courts intervalles, cette suite de trente-trois pontifes a droit d'être considérée comme une série de martyrs.

 

Une gloire particulière pour Eleuthère est d'avoir été l'apôtre de la grande île britannique qui est devenue plus tard l'Angleterre. Les Romains avaient colonisé dans cette île, qui n'était plus comme auparavant séparée du reste du monde. La divine Providence choisit les années de paix du pontificat d'Eleuthère pour agréger à ['Eglise les prémices de la population bretonne. Plus tard, l’île évangélisée ainsi dès le second siècle par les soins de notre saint pape deviendra l'Ile des saints, et dans deux jours ses gloires chrétiennes resplendiront une seconde fois sur le cycle.

 

Eleuthère, né à Nicopolis en Grèce, fut d'abord diacre du pape Anicet, et gouvernera ensuite l'Eglise sous l'empire de Commode. Au commencement de son pontificat, il reçut des lettres de Lucius, roi des Bretons, qui le suppliait de l'admettre ainsi que ses sujets au nombre des chrétiens. Eleuthère envoya donc dans la Grande-Bretagne Fugacius et Damien, personnages doctes et pieux, pour enseigner la foi à ce prince et à sa nation.

 

Ce fut aussi sous son pontificat que saint Irénée, disciple de saint Polycarpe, vint à Rome, où il fut accueilli avec une grande cordialité. L'Eglise Jouit d'une grande paix et d'un profond repos sous Eleuthère, et la foi taisait de grands progrès dans le monde entier, principalement à Rome.

 

Il exerça le pontificat quinze ans et vingt-trois jours, et fit trois ordinations au mois de décembre, dans lesquelles il créa douze prêtres, huit diacres et quinze évêques pour divers lieux. Il fut enseveli au Vatican près du corps de saint Pierre.

 

Votre nom, ô Eleuthère, est le nom du chrétien ressuscité avec Jésus-Christ. La Pâque nous a tous délivrés, tous affranchis, rendus tous libres. Priez donc, afin que nous conservions toujours cette glorieuse liberté des enfants de Dieu, que recommande l'Apôtre (Rom. VIII, 21). Par elle nous sommes retirés des liens du péché qui nous livrait à la mort, de la servitude de Satan qui nous entraînait loin de notre fin, de la tyrannie du monde qui nous égarait par ses maximes charnelles La vie nouvelle que nous a donnée la Pâque est toute du ciel où le Christ nous attend dans sa gloire ; nous ne pourrions la perdre que pour être esclaves de nouveau. Saint Pontife, obtenez que la Pâque, à son retour en l'année qui suivra, nous retrouve dans cette heureuse liberté qui est le fruit de notre délivrance par le Christ.

 

Il est une autre liberté que vante le monde, et pour la conquête de laquelle il arme les hommes les uns contre les autres. Elle consiste à fuir, comme on fuirait un crime, toute sujétion et toute dépendance, à ne s'incliner devant aucune autorité qu'on ne l'ait créée soi-même, pour ne durer qu'autant qu'il nous plaira. Délivrez-nous, saint Pontife, de tout attrait pour cette prétendue liberté si contraire à la soumission chrétienne, et qui n'est que le triomphe de l'orgueil humain. Dans sa frénésie, elle verse des torrents de sang ; enivrée de ce qu'elle appelle fastueusemcnt les droits de l'homme, elle substitue l'égoïsme au devoir. Pour elle la vérité n'est plus, car elle va jusqu'à reconnaître des droits à l'erreur ; pour elle le bien n'est plus, car elle a abdiqué tout droit d'enchaîner le mal : tant elle est devenue esclave du principe sauvage de l'indépendance. Elle détrône Dieu autant qu'il lui est possible, en refusant de le reconnaître dans les dépositaires de l'autorité sociale, et jette l'homme sans défense sous le joug de la force brutale, l'écrasant sous le poids de ce qu'elle appelle les majorités, et sous la pression monstrueuse des faits accomplis. Non, telle n'est pas, ô Eleuthère, la liberté à laquelle nous a conviés le Christ, notre libérateur. Soyez comme des hommes libres, nous dit Pierre votre prédécesseur, et ne soyez pas de ceux qui, sous un voile trompeur, sont les sectateurs de la liberté du mal (I PETR. II, 16.).

 

Demeurez toujours, ô saint Pontife, le père de la société humaine dont vous fûtes le chef ici-bas. Durant votre régne pacifique, vous avez siégé près des Césars dans la ville aux sept collines. La pourpre et le diadème étaient portés par d'autres ; mais votre nom n'était pas ignoré dans le monde. Tandis que le pouvoir matériel tenait la hache suspendue sur votre tête, d'innombrables fidèles se dirigeaient vers Rome pour vénérer la tombe de Pierre et rendre hommage à son successeur. Vous vîtes arriver un jour l'ambassade d'un roi barbare. Cette légation ne se dirigeait pas vers le palais des Césars ; elle s'arrêtait à la porte de votre humble demeure. Un peuple était appelé par la grâce divine à recevoir la bonne nouvelle, à entrer dans la famille chrétienne. Les destinées de ce peuple que vous avez évangélisé le premier devaient être grandes dans l'Eglise. L'île des Bretons est fille de l'Eglise Romaine ; et c'est en vain qu'elle voudrait effacer cette noble origine. Prenez ses maux en pitié, ô vous qui fûtes son premier apôtre; aidez les efforts qui sont faits de toutes parts pour la rendre à l'unité. Souvenez-vous de la foi de Lucius et de son peuple, et montrez votre paternelle sollicitude en faveur d'un pays que vous avez enfanté à la foi.

 

DOM GUÉRANGER
L'Année Liturgique

 

Maiestas Domini by Miniaturist, English

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26 mai 2011 4 26 /05 /mai /2011 04:00

La joie est, ainsi que nous l'avons dit, le caractère principal du Temps pascal : joie surnaturelle, motivée à la fois par le triomphe si éclatant de notre Emmanuel et par le sentiment de notre heureuse délivrance des liens de la mort. Or, ce sentiment de l'allégresse intérieure a régné d'une manière caractéristique dans le grand serviteur de Dieu que nous honorons aujourd'hui ; et c'est bien d'un tel homme, dont le cœur fut toujours dans la jubilation et dans l'enthousiasme des choses divines, que l'on peut dire, avec la sainte Ecriture "que  le cœur du juste est comme un festin continuel" (Prov. XV, 15).

 

Un de ses derniers disciples, l'illustre Père Faber, fidèle aux doctrines de son maître, enseigne, dans son beau livre du Progrès spirituel, que la bonne humeur est l'un des principaux moyens d'avancement dans la perfection chrétienne. Nous accueillerons donc avec autant d'allégresse que de respect la figure radieuse et bienveillante de Philippe Néri, l'Apôtre de Rome et l'un des plus beaux fruits de la fécondité de l'Eglise au XVIe siècle.

 

L'amour de Dieu, un amour ardent, et qui se communiquait comme invinciblement à tous ceux qui l'approchaient, fut le trait particulier de sa vie. Tous les saints ont aimé Dieu, car l'amour de Dieu est le premier et le plus grand commandement, mais la vie de Philippe réalise ce divin précepte avec une plénitude, pour ainsi dire, incomparable. Son existence ne fut qu'un transport d'amour envers le souverain Seigneur de toutes choses ; et sans un miracle de la puissance et de la bonté de Dieu, cet amour si ardent au cœur de Philippe eût consumé sa vie avant le temps.

 

Il était arrivé à la vingt-neuvième année de son âge, lorsqu'un jour, dans l'Octave de la Pentecôte, le feu de la divine charité embrasa son cœur avec une telle impétuosité que deux côtes de sa poitrine éclatèrent, laissant au cœur l'espace nécessaire pour céder désormais sans péril aux transports qui l'agitaient. Cette fracture ne se répara jamais ; la trace en était sensible par une proéminence visible à tout le monde ; et grâce à ce soulagement miraculeux, Philippe put vivre cinquante années encore, en proie à toutes les ardeurs d'un amour qui tenait plus du ciel que de la terre.

 

Ce séraphin dans un corps d'homme fut comme une réponse vivante aux insultes dont la prétendue Réforme poursuivait l'Eglise catholique. Luther et Calvin avaient appelé cette sainte Eglise l'infidèle et la prostituée de Babylone ; et voici que cette même Eglise avait à montrer de tels enfants à ses amis et à ses ennemis : une Thérèse en Espagne, un Philippe Néri dans Rome. Mais le protestantisme s'inquiétait beaucoup de l'affranchissement du joug, et peu de l'amour. Au nom de la liberté des croyances, il opprima les faibles partout où il domina, il s'implanta par la force là même où il était repoussé ; mais il ne revendiquait pas pour Dieu le droit qu'il a d'être aimé. Aussi vit-on disparaître des pays qu'il envahit ce dévouement qui produit le sacrifice à Dieu et au prochain. Un long intervalle de temps s'est écoulé depuis la prétendue Réforme, avant que celle-ci ait songé qu'il existe encore des infidèles sur la surface du globe ; et si plus tard elle s'est fastueusement imposé l'œuvre des missions, on sait assez quels apôtres elle choisit pour organes de ses étranges sociétés bibliques. C'est donc après trois siècles qu'elle s'aperçoit que l'Eglise catholique n'a pas cessé de produire des corporations vouées aux œuvres de charité. Emue d'une telle découverte, elle essaie en quelques lieux ses diaconesses et ses infirmières. Quoi qu'il en soit du succès d'un effort si tardif, on peut croire raisonnablement qu'il ne prendra jamais de vastes proportions; et il est permis de penser que cet esprit de dévouement qui sommeilla trois siècles durant au cœur du protestantisme, n'est pas précisément l'essence de son caractère, quand on l'a vu, dans les contrées qu'il envahit, tarir jusqu'à la source de l'esprit de sacrifice, en arrêtant avec violence la pratique des conseils évangéliques qui n'ont leur raison d'être que dans l'amour de Dieu.

 

Gloire donc à Philippe Néri, l'un des plus dignes représentants de la divine charité au XVIe siècle ! Par son impulsion, Rome et bientôt la chrétienté reprirent une vie nouvelle dans la fréquentation des sacrements, dans les aspirations d'une piété plus fervente. Sa parole, sa vue même électrisaient le peuple chrétien dans la cité sainte ; aujourd'hui encore la trace de ses pas n'est point effacée. Chaque année, le vingt-six mai, Rome célèbre avec transport la mémoire de son pacifique réformateur. Philippe partage avec les saints Apôtres les honneurs de Patron dans la ville de saint Pierre. Les travaux sont suspendus, et la population en habits de fête se presse dans les églises pour honorer le jour où Philippe naquit au ciel, après avoir sanctifié la terre. Le Pontife romain en personne se rend en pompe à l'église de Sainte-Marie in Vallicella, et vient acquitter la dette du Siège Apostolique envers l'homme qui releva si haut la dignité et la sainteté de la Mère commune.

 

Philippe eut le don des miracles, et tandis qu'il ne cherchait que l'oubli et le mépris, il vit s'attacher à lui tout un peuple qui demandait et obtenait par ses prières la guérison des maux de la vie présente, en même temps que la réconciliation des âmes avec Dieu. La mort elle-même obéit à son commandement, témoin ce jeune prince Paul Massimo que Philippe rappela à la vie, lorsque l'on s'apprêtait déjà à lui rendre les soins funéraires. Au moment où cet adolescent rendait le dernier soupir, le serviteur de Dieu dont il avait réclamé l'assistance pour le dernier passage, célébrait le saint Sacrifice. A son entrée dans le palais, Philippe rencontre partout l'image du deuil : un père éploré, des sœurs en larmes, une famille consternée ; tels sont les objets qui frappent ses regards. Le jeune homme venait de succomber après une maladie de soixante-cinq jours, qu'il avait supportée avec la plus rare patience. Philippe se jette à genoux, et après une ardente prière, il impose sa main sur la tête du défunt et l'appelle à haute voix par son nom. Paul, réveillé du sommeil de la mort par cette parole puissante, ouvre les yeux, et répond avec tendresse : "Mon Père !" Puis il ajoute : "Je voudrais seulement me confesser". Les assistants s'éloignent un moment, et Philippe reste seul avec cette conquête qu'il vient de faire sur la mort. Bientôt les parents sont rappelés, et Paul, en leur présence, s'entretient avec Philippe d'une mère et d'une sœur qu'il aimait tendrement, et que le trépas lui a ravies. Durant cette conversation, le visage du jeune homme, naguère défiguré par la fièvre, a repris ses couleurs et sa grâce d'autrefois. Jamais Paul n'avait semblé plus plein de vie. Le saint lui demande alors s'il mourrait volontiers de nouveau. — "Oh ! oui, très volontiers, répond le jeune homme ; car je verrai en paradis ma mère et ma sœur". — "Pars donc, répond Philippe ; pars pour le bonheur, et prie le Seigneur pour moi". A ces mots, le jeune homme expire de nouveau, et entre dans les joies de l'éternité, laissant l'assistance saisie de regret et d'admiration.

 

Tel était cet homme favorisé presque constamment des visites du Seigneur dans les ravissements et les extases, doué de l'esprit de prophétie, pénétrant d'un regard les consciences, répandant un parfum de vertu qui attirait les âmes par un charme irrésistible. La jeunesse romaine de toute condition se pressait autour de lui. Aux uns il faisait éviter les écueils ; aux autres il tendait la main dans le naufrage. Les pauvres, les malades, étaient à toute heure l'objet de sa sollicitude. Il se multipliait dans Rome, employant toutes les formes du zèle, et ayant laissé après lui une impulsion pour les bonnes œuvres qui ne s'est pas ralentie.

 

Philippe avait senti que la conservation des mœurs chrétiennes dépendait principalement d'une heureuse dispensation de la parole de Dieu, et nul ne se montra plus empressé à procurer aux fidèles des apôtres capables de les attirer par une prédication solide et attrayante. Il fonda sous le nom d'Oratoire une institution qui dure encore, et dont le but est de ranimer et de maintenir la piété dans les populations. Cette institution, qu'il ne faut pas confondre avec l'Oratoire de France, a pour but d'utiliser le zèle et les talents des prêtres que la vocation divine n'appelle pas à la vie du cloître, et qui, en associant leurs efforts, arrivent cependant à produire d'abondants fruits de sanctification.

 

En fondant l'Oratoire sans lier les membres de cette association par les vœux de la religion, Philippe s'accommodait au genre de vocation que ceux-ci avaient reçu du ciel, et leur assurait du moins les avantages d'une règle commune, avec le secours de l'exemple si puissant pour soutenir l'âme dans le service de Dieu et dans la pratique des œuvres du zèle. Mais le saint apôtre était trop attaché à la foi de l'Eglise pour ne pas estimer la vie religieuse comme l'état de la perfection. Durant toute sa longue carrière, il ne cessa de diriger vers le cloître les âmes qui lui semblèrent appelées à la profession des vœux. Par lui les divers ordres religieux se recrutèrent d'un nombre immense de sujets qu'il avait discernes et éprouvés : en sorte que saint Ignace de Loyola, ami intime de Philippe et son admirateur, le comparaît agréablement à la cloche qui convoque les fidèles à l'Eglise, bien qu'elle n'y entre pas elle-même.

 

La crise terrible qui agita la chrétienté au XVIe siècle, et enleva à l'Eglise catholique un si grand nombre de ses provinces, affecta douloureusement Philippe durant toute sa longue vie. Il souffrait cruellement de voir tant de peuples aller s'engloutir les uns après les autres dans le gouffre de l'hérésie. Les efforts tentés par le zèle pour reconquérir les âmes séduites par la prétendue Réforme faisaient battre son cœur, en même temps qu'il suivait d'un œil attentif les manœuvres à l'aide desquelles le protestantisme travaillait à maintenir son influence. Les Centuries de Magdebourg, vaste compilation historique destinée à donner le change aux lecteurs, en leur persuadant, à l'aide de passages falsifiés, de faits dénaturés et souvent même inventés, que l'Eglise Romaine avait abandonné l'antique croyance et substitué la superstition aux pratiques primitives ; cet ouvrage sembla à Philippe d'une si dangereuse portée, qu'un travail supérieur en érudition, puisé aux véritables sources, pouvait seul assurer le triomphe de l'Eglise catholique. Il avait deviné le génie de César Baronius, l'un de ses compagnons à l’Oratoire. Prenant en main la cause de la foi, il commanda à ce savant homme d'entrer tout aussitôt dans la lice, et de poursuivre l'ennemi de la vraie foi en s'établissant sur le terrain de l'histoire. Les Annales ecclésiastiques furent le fruit de cette grande pensée de Philippe ; et Baronius lui-même en rend le plus touchant témoignage en tète de son huitième livre. Trois siècles se sont écoulés sur ce grand œuvre. Avec les moyens de la science dont nous disposons aujourd'hui, il est aise d'en signaler les imperfections ; mais jamais l'histoire de l'Eglise n'a été racontée avec une dignité, une éloquence et une impartialité supérieures à celles qui règnent dans ce noble et savant récit dont le parcours est de douze siècles. L'hérésie sentit le coup ; l'érudition malsaine et infidèle des Centuriateurs s'éclipsa en présence de cette narration loyale des faits, et l'on peut affirmer que le flot montant du protestantisme s'arrêta devant les Annales de Baronius, dans lesquelles l'Eglise apparaissait enfin telle qu'elle a été toujours, "la colonne et l'appui de la vérité" ( I Tim III, 15. ). La sainteté de Philippe et le génie de Baronius avaient décidé la victoire ; de nombreux retours à la foi romaine vinrent consoler les catholiques si tristement décimés ; et si de nos jours d'innombrables abjurations annoncent la ruine prochaine du protestantisme, il est juste de l'attribuer en grande partie au succès de la méthode historique inaugurée dans les Annales.

 

 Mais il est temps de lire le récit liturgique des vertus et des saintes œuvres de l'apôtre de Rome au XVIe siècle : 

Philippe Néri naquit à Florence de parents honnêtes et pieux, et dès son enfance il donna des marques visibles de sa future sainteté. Arrivé à l'adolescence, il abandonna une riche succession qui lui venait d'un oncle paternel, et se rendit à Rome où il étudia la philosophie et la théologie, et se consacra entièrement à Jésus-Christ. Son abstinence était telle, que souvent il passait jusqu'à trois jours sans nourriture. Adonné à la veille et à la prière, il visitait fréquemment les sept Eglises de Rome, et il avait coutume de passer la nuit au Cimetière de Calliste dans la contemplation des choses célestes

 

Ayant reçu par obéissance le sacerdoce, il s'appliqua tout entier au service des âmes, et continua jusqu'au dernier jour de sa vie d'entendre les confessions. Il donna à Jésus-Christ un nombre d'enfants presque innombrable ; et afin de les soutenir par la nourriture quotidienne de la parole de Dieu, la fréquentation des sacrements, l'assiduité à l'oraison, et par d'autres exercices de piété, il institua la congrégation de l'Oratoire.

 

L'amour de Dieu dont il portait la blessure le jetait dans une continuelle langueur, et l'ardeur qui l'embrasait était si grande, que son cœur se trouvant trop resserré dans les bornes naturelles, le Seigneur lui élargit miraculeusement la poitrine par la rupture et l'élévation de deux côtes. Quelquefois Philippe, célébrant la Messe, ou priant avec une plus grande ferveur, était élevé de terre, et paraissait tout environné d'une lumière éclatante. Il rendait aux pauvres et à ceux qui étaient dans quelque besoin tous les soins que peut inspirer la charité, et il mérita qu'un ange vînt recevoir de lui l'aumône sous la figure d'un mendiant. Une autre fois, comme il portait du pain la nuit aux indigents, étant tombé dans une fosse, le secours d'un autre ange l'en fit sortir sain et sauf. Voué à l'humilité, il eut toujours le plus grand éloignement pour les honneurs, et refusa plus d'une fois les premières dignités de l'Eglise qui lui étaient offertes.

 

Rendu illustre par le don de prophétie, il fut remarquable aussi par la pénétration des pensées les plus secrètes. Il garda toute sa vie la plus entière virginité, et il avait reçu le don de distinguer à la bonne ou à la mauvaise odeur ceux qui étaient chastes et ceux qui ne l'étaient pas. Il apparaissait quelquefois à des personnes éloignées du lieu où il se trouvait, et les secourait dans le danger. Il rétablit en santé un grand nombre de malades, et même des moribonds. Il rappela un mort à la vie.

 

La Sainte Viergei apparaît à Saint Philippe Néri par Carlo Maratti 

 

Honoré souvent de l'apparition des esprits célestes et même de la Vierge Mère de Dieu, il vit les âmes de plusieurs personnes monter au ciel brillantes de lumière.

 

Enfin l'an du salut mil cinq cent quatre-vingt-quinze, le huit des calendes de juin, jour auquel tombait la fête du Saint-Sacrement, après avoir célébré le Sacrifice dans les transports d'une pieuse joie, et avoir exercé les autres fonctions ordinaires, il s'endormit dans le Seigneur âgé de quatre-vingts ans, un peu après minuit, à l'heure même qu'il avait prédite. Après sa mort il éclata encore par ses miracles, et fut mis au nombre des Saints par Grégoire XV.

 

 

Vous avez aimé le Seigneur Jésus, ô Philippe, et votre vie tout entière n'a été qu'un acte continu d'amour ; mais vous n'avez pas voulu jouir seul du souverain bien. Tous vos efforts ont tendu à le faire connaître de tous les hommes, afin que tous l'aimassent avec vous et parvinssent à leur fin suprême.

 

Durant quarante années, vous fûtes l'apôtre infatigable de la ville sainte, et nul ne pouvait se soustraire à l'action du feu divin qui brûlait en vous. Nous qui sommes la postérité de ceux qui entendirent votre parole et admirèrent les dons célestes qui étaient en vous, nous osons vous prier de jeter aussi les regards sur nous. Enseignez-nous à aimer notre Jésus ressuscité. Il ne nous suffit pas de l'adorer et de nous réjouir de son triomphe ; il nous faut l'aimer : car la suite de ses mystères depuis son incarnation jusqu'à sa résurrection, n'a d'autre but que de nous révéler, dans une lumière toujours croissante, ses divines amabilités. C'est en l'aimant toujours plus que nous parviendrons à nous élever jusqu'au mystère de sa résurrection, qui achève de nous révéler toutes les richesses de son cœur. Plus il s'élève dans la vie nouvelle qu'il a prise en sortant du tombeau, plus il apparaît rempli d'amour pour nous, plus il sollicite notre cœur de s'attacher à lui.

 

Priez, ô Philippe, et demandez que "notre  cœur et notre chair tressaillent pour le Dieu  vivant" (Psalm. LXXXIII, 2.).

 

Après le mystère de là Pâque, introduisez-nous dans celui de l'Ascension ; disposez nos âmes à recevoir le divin Esprit de la Pentecôte ; et lorsque l'auguste mystère de l'Eucharistie brillera à nos regards de tous ses feux dans la solennité qui approche, vous, ô Philippe, qui l'ayant fêté une dernière fois ici-bas, êtes monté à la fin de la journée au séjour éternel où Jésus se montre sans voiles, préparez nos âmes à recevoir et à goûter "ce pain vivant qui donne la vie au monde" (JOHAN. VI, 33.).

  

La sainteté qui éclata en vous, ô Philippe, eut pour caractère l'élan de votre âme vers Dieu, et tous ceux qui vous approchaient participaient bientôt à cette disposition, qui seule peut répondre à l'appel du divin Rédempteur.

 

Vous saviez vous emparer des âmes, et les conduire à la perfection par la voie de la confiance et la générosité du cœur. Dans ce grand œuvre votre méthode fut de n'en pas avoir, imitant les Apôtres et les anciens Pères, et vous confiant dans la vertu propre de la parole de Dieu.

 

Par vous la fréquentation fervente des sacrements reparut comme le plus sûr indice de la vie chrétienne. Priez pour le peuple fidèle, et venez au secours de tant d'âmes qui s'agitent et s'épuisent dans des voies que la main de l'homme a tracées, et qui trop souvent retardent ou empêchent l'union intime du créateur et de la créature.

  

Vous avez aimé ardemment l'Eglise, ô Philippe ; et cet amour de l'Eglise est le signe indispensable de la sainteté.

 

Votre contemplation si élevée ne vous distrayait pas du sort douloureux de cette sainte Epouse du Christ, si éprouvée dans le siècle qui vous vit naître et mourir. Les efforts de l'hérésie triomphante en tant de pays stimulaient le zèle dans votre cœur : obtenez-nous de l'Esprit-Saint cette vive sympathie pour la vérité catholique qui nous rendra sensibles à ses défaites et à ses victoires.

 

Il ne nous suffit pas de sauver nos âmes ; nous devons désirer avec ardeur et aider de tous nos moyens l'avancement du règne de Dieu sur la terre, l'extirpation de l'hérésie et l'exaltation de notre mère la sainte Eglise : c'est à cette condition que nous sommes enfants de Dieu.

 

Inspirez-nous par vos exemples, ô Philippe, cette ardeur avec laquelle nous devons nous associer en tout aux intérêts sacrés de la Mère commune.

 

Priez aussi pour cette Eglise militante qui vous a compté dans ses rangs comme un de ses meilleurs soldats. Servez vaillamment la cause de cette Rome qui se fait honneur de vous être redevable de tant de services. Vous l'avez sanctifiée durant votre vie mortelle ; sanctifiez-la encore et défendez-la du haut du ciel.

 

DOM GUÉRANGER
L'Année Liturgique

 

La Sainte Vierge apparaît à Saint Philippe Néri par Tiepolo

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25 mai 2011 3 25 /05 /mai /2011 15:00

Cette journée est marquée par le triomphe de deux saints papes, et le septième Grégoire, en quittant la terre, est introduit dans le séjour céleste par un de ses prédécesseurs : Urbain, martyr par l'effusion de son sang ; Grégoire, martyr par les douleurs qu'éprouva sa grande âme. La cause était la même. Urbain donnait sa vie plutôt que de céder à la puissance terrestre qui eût voulu courber toute âme généreuse devant les idoles des faux dieux ; Grégoire préféra encourir toutes les disgrâces de cette vie plutôt que de laisser la sainte Eglise sous le joug de César. Tous deux embellissent le cycle pascal de leurs palmes et de leurs couronnes. Jésus ressuscité avait dit à Pierre : Suis-moi (JOHAN. XXI, 19). Pierre suivit son Maître jusqu'à la croix.

 

Héritiers de Pierre, Urbain et Grégoire se sont attachés à la suite du même chef, et nous saluons leur commun triomphe, en lequel brille la force invincible que le triomphateur de la mort a communiquée dans tous les siècles à ceux qu'il a choisis pour rendre témoignage ici-bas à la vérité de sa résurrection.

 

Voici maintenant le récit que la Liturgie romaine nous donne sur les œuvres et les mérites du saint pape Urbain : 

Urbain, né à Rome, gouverna l'Eglise au temps de l'empereur Alexandre Sévère. Par son enseignement et la sainteté de sa vie il convertit un grand nombre de personnes à la foi du Christ, entre autres Valérien, époux de la bienheureuse Cécile, et Tiburce, frère de Valérien, lesquels endurèrent plus tard le martyre avec un grand courage.

 

Il a écrit ces paroles au sujet des biens qui sont donnes à l'Eglise : " Les choses que les fidèles offrent au Seigneur ne doivent être employées que pour la subsistance des ministres de l'Eglise, des chrétiens nos frères et de ceux qui sont dans le besoin, parce  que ce sont les oblations des fidèles, le prix de la rémission de leurs péchés, et le patrimoine des pauvres."

 

Il siégea six ans, sept mois et quatre jours ; il reçut la couronne du martyre, et fut enseveli dans le cimetière de Prétextât, le huit des calendes de juin. En cinq ordinations qu'il tint au mois de décembre, il créa neuf prêtres, cinq diacres et huit évêques pour divers lieux.

 

Saint Pontife, nous célébrons votre triomphe avec une joie augmentée encore par l'anniversaire du départ de votre illustre successeur pour le séjour où vous l'attendiez dans la gloire. Du haut du ciel vous aviez suivi ses combats, et vous aviez reconnu que son courage n'était pas au-dessous de celui des martyrs. Lui, sur sa couche funèbre à Salerne, s'animait à la dernière lutte par la pensée de votre dernier combat en ce même jour. Ô lien merveilleux de l'Eglise triomphante et de l'Eglise militante ! ô sublime fraternité des saints ! ô espérance immortelle pour nos cœurs !

 

Jésus ressuscité nous convie à nous réunir à lui pour l'éternité. Chaque génération lui envoie ses élus, et ils viennent tour à tour se grouper au-dessous de ce divin Chef, comme autant de membres qui forment la plénitude de son corps. Il est le premier-né entre les morts, et il nous fera participer à sa vie, selon que nous aurons participé à ses souffrances et à sa mort. Priez, ô Urbain, afin que le désir de nous réunir à Jésus qui est la voie, la vérité et la vie, s'enflamme en nous toujours plus.

 

Rendez-nous supérieurs aux calculs terrestres, et donnez-nous de sentir toujours que tant que nous restons en ce monde, nous sommes exilés du Seigneur.

 

DOM GUÉRANGER
L'Année Liturgique

 

Le Pape Urbain Présidant la Conversion de Valérien, Fresque de l'Oratoire de Sainte Cécile

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25 mai 2011 3 25 /05 /mai /2011 04:00

Après avoir salué sur le cycle du Temps Pascal les deux noms illustres de Léon le Grand et de Pie V, nous nous inclinons aujourd'hui devant celui de Grégoire VII. Ces trois noms résument l'action de la Papauté dans la suite des siècles, après l'âge des persécutions. Le maintien de la doctrine révélée, et la défense de la liberté de l'Eglise : telle est la mission divinement imposée aux successeurs de Pierre sur le Siège Apostolique. Saint Léon a soutenu avec courage et éloquence la foi antique contre les novateurs ; saint Pie V a fait reculer l'invasion de la prétendue réforme, et arraché la chrétienté au joug de l'islamisme ; placé entre ces deux pontifes dans l'ordre des temps, saint Grégoire VII a sauvé la société du plus grand péril qu'elle eût encore éprouvé, et fait refleurir dans son sein les mœurs chrétiennes par la restauration de la liberté de l'Eglise.

 

Au moment où finissait le Xe siècle et commençait le XIe, l'Eglise de Jésus-Christ était en proie à l'une des plus terribles épreuves qu'elle ait rencontrées sur son passage en ce monde. Après le fléau des persécutions, après le fléau des hérésies, était arrivé le fléau de la barbarie. L'impulsion civilisatrice donnée par Charlemagne s'était arrêtée de bonne heure au IXe siècle, et l'élément barbare, plutôt comprimé que dompté, avait forcé ses digues. La foi demeurait encore vive dans les masses ; mais elle ne pouvait à elle seule triompher de la grossièreté des mœurs. Le désordre social provenant de l'anarchie que le système féodal avait déchaînée dans toute l'Europe, enfantait mille violences, et le droit succombait partout sous la force et la licence. Les princes ne rencontraient plus un frein dans la puissance de l'Eglise; car Rome elle-même asservie aux factions voyait trop souvent s'asseoir sur la chaire apostolique des hommes indignes ou incapables.

 

Cependant le XIe siècle avançait dans son cours, et le désordre semblait incurable. Les évêchés étaient devenus la proie de la puissance séculière qui les vendait, et les princes se préoccupaient surtout de rencontrer dans les prélats des vassaux disposés à les soutenir par les armes dans leurs querelles et leurs entreprises violentes. Sous un épiscopat en majeure partie simoniaque, comme l'atteste saint Pierre Damien, les mœurs du clergé du second ordre étaient tombées dans un affaissement lamentable ; et pour comble de malheur, l'ignorance, comme un nuage toujours plus sombre, s'en allait anéantissant de plus en plus la notion même du devoir. C'en était fait de l'Eglise et de la société, si la promesse du Christ de ne jamais abandonner son œuvre n'eût été inviolable.

 

Pour guérir tant de maux, pour faire pénétrer la lumière dans un tel chaos, il fallait que Rome se relevât de son abaissement, et qu'elle sauvât encore une fois la chrétienté. Elle avait besoin d'un Pontife saint et énergique qui sentît en lui-même cette force divine que les obstacles n'arrêtent jamais ; d'un Pontife dont l'action pût être longue et non passagère, et dont l'impulsion fût assez énergique pour entraîner ses successeurs dans la voie qu'il aurait ouverte. Telle fut la mission de saint Grégoire VII.

 

Cette mission, comme chez tous les hommes de la droite de Dieu, fut préparée dans la sainteté. Grégoire se nommait encore Hildebrand, lorsqu'il alla cacher sa vie dans le cloître de Cluny. Là seulement, et dans les deux mille abbayes confédérées sous la crosse de cet insigne monastère de France, on rencontrait le sentiment de la liberté de l'Eglise et la pure tradition monastique ; là était préparée depuis plus d'un siècle la régénération des mœurs chrétiennes, sous la succession des quatre grands abbés, Odon, Maïeul, Odilon et Hugues. Mais Dieu gardait encore son secret ; et nul n'eût découvert les auxiliaires de la plus sainte des réformes dans ces monastères qu'un zèle fervent avait attirés d'un bout de l'Europe à l'autre à cette alliance avec Cluny, par ce seul motif que Cluny était le sanctuaire des vertus du cloître.

 

Hildebrand chercha pour sa personne ce pieux asile, au sein duquel il espérait du moins fuir le scandale. L'illustre saint Hugues ne tarda pas à démêler le mérite du jeune Italien qui fut admis dans la grande abbaye française. Un évêque étranger se rencontra un jour avec le maître et le disciple. C'était Brunon de Toul, désigné par l'empereur Henri III pour être le Pontife de l'Eglise Romaine. Hildebrand s'émeut à la vue de ce nouveau candidat à la chaire apostolique, de ce pape que l'Eglise Romaine, qui seule a le droit d'élire son évêque, n'a pas élu, qu'elle ne connaît pas. Il ose dire à Brunon qu'il ne doit pas accepter les clefs du ciel de la main de César, que la conscience l'oblige à se soumettre humblement à l'élection canonique de la ville sainte. Brunon, qui fut saint Léon IX, accepte avec soumission l'avis du jeune moine, et tous deux ayant franchi les Alpes s'acheminent vers Rome. L'élu de César devint l'élu de l'Eglise Romaine ; mais Hildebrand n'eut plus la liberté de se séparer du nouveau Pontife. Il dut bientôt accepter le titre et les fonctions d'Archidiacre de l'Eglise Romaine.

 

Ce poste éminent l'eût élevé promptement sur la chaire apostolique, si Hildebrand eût eu une autre ambition que celle de briser les fers sous lesquels gémissait l'Eglise, et de préparer la reforme de la chrétienté. Mais cet homme de Dieu préféra user de son influence pour faire asseoir sur le siège de Pierre par la voie canonique et en dehors de la faveur impériale, une suite de Pontifes intègres et disposés à user de leur autorité pour l'extirpation des scandales. Après saint Léon IX, on vit passer successivement Victor II, Etienne IX, Nicolas II, et Alexandre II, tous dignes du suprême honneur. Mais il fallut enfin que celui qui avait été l'âme du pontificat sous cinq papes consentît à ceindre lui-même la tiare. Son grand cœur s'émut au pressentiment des luttes terribles qui l'attendaient ; mais ses résistances, ses tentatives pour se soustraire au lourd fardeau de la sollicitude de toutes les Eglises, demeurèrent infructueuses ; et sous le nom de Grégoire VII, le nouveau Vicaire du Christ fut révélé au monde. Il devait remplir toute l'étendue de ce nom qui signifie la Vigilance.

 

La force brute se dressait devant lui incarnée dans un prince audacieux et rusé, souillé de tous les crimes, et, comme un aigle ravisseur, tenant dans ses serres l'Eglise devenue sa proie. Dans les Etats de l'empire, nul évêque n'eût été souffert sur son siège, s'il n'eût reçu, par l'anneau et la crosse, l'investiture de César. Tel était Henri de Germanie, et à son exemple les autres princes anéantissaient par le même procédé toute liberté dans les élections canoniques. La double plaie de la simonie et de l'incontinence continuait à sévir sur le corps ecclésiastique. Les pieux prédécesseurs de Grégoire avaient fait reculer le mal par de généreux efforts ; mais aucun d'eux ne s'était senti la force de se mesurer corps à corps avec César, dont l'action désastreuse fomentait toutes ces corruptions. Un tel rôle, avec ses périls et ses angoisses, était réservé à Grégoire, et il n'y faillit pas.

 

Les trois premières années de son pontificat furent cependant assez pacifiques. Grégoire fit des avances paternelles à Henri. Il chercha, dans sa correspondance avec ce jeune prince, à le fortifier contre lui-même, en témoignant des espérances que les faits vinrent trop tôt démentir, en comblant des marques de sa confiance et de sa tendresse le fils d'un empereur qui avait bien mérité de l'Eglise. Henri crut devoir se contenir quelque temps, en face d'un pape dont il connaissait la droiture ; mais la digue céda enfin sous l'impétuosité du torrent, et l'adversaire du pouvoir spirituel se révéla tout entier. La vente des évêchés et des abbayes recommença au profit de César. Grégoire frappa d'excommunication les simoniaques, et Henri, bravant avec audace les censures de l'Eglise, persista à maintenir sur leurs sièges des hommes résolus à le suivre dans tous ses excès. Grégoire adressa au prince un solennel avertissement, lui enjoignant de rompre avec ces excommuniés, sous peine de voir arriver sur lui-même les foudres de l'Eglise. Henri, qui avait jeté le masque, se promettait de ne tenir aucun compte des menaces du Pontife, lorsque tout à coup la révolte de la Saxe, dont plusieurs des électeurs de l'Empire embrassaient la cause, vient l'inquiéter pour sa couronne. Il sent qu'une rupture avec l'Eglise peut, dans un tel moment, lui devenir fatale. On le voit alors s'adresser à Grégoire en le suppliant, solliciter de lui la sainte absolution, et abjurer sa conduite passée entre les mains de deux légats envoyés en Allemagne par le Pontife. Mais à peine ce monarque félon a-t-il triomphé pour un moment de la révolte saxonne, qu'il recommence la guerre contre l'Eglise. Il ose dans une assemblée d'évêques, dignes de lui, proclamer la déposition de Grégoire. Bientôt l'Italie le voit arriver à la tête de ses troupes, et sa venue donne à une foule de prélats le signal de la révolte contre un pape disposé à ne pas souffrir l'ignominie de leur vie.

 

C'est alors que Grégoire, dépositaire de ces clefs puissantes qui signifient le pouvoir de lier et de délier au ciel et sur la terre, prononce la terrible sentence qui déclare Henri privé de la couronne et ses sujets dégagés du serment de fidélité à sa personne. Le Pontife ajoute un anathème plus redoutable encore aux princes infidèles : il le déclare exclu de la communion de l'Eglise.

 

En s'opposant ainsi comme un rempart pour la défense de la société chrétienne menacée de toutes parts, Grégoire attirait sur lui l'effort de toutes les mauvaises passions ; et l'Italie était loin de lui offrir les garanties de fidélité sur lesquelles il eût eu droit de compter. César avait pour lui plus d'un prince dans la Péninsule, et les prélats simoniaques le regardaient comme leur défenseur contre le glaive de Pierre. Il était donc à prévoir que bientôt Grégoire n'aurait plus où mettre le pied dans toute l'Italie ; mais Dieu qui n'abandonne point son Eglise avait suscité un vengeur pour sa cause. A ce moment la Toscane et une partie de la Lombardie reconnaissaient pour souveraine la jeune et vaillante comtesse Mathilde. Cette noble femme se leva pour la défense du Vicaire de Dieu ; ses trésors, ses armées, elle les tint à la disposition du Siège Apostolique tant qu'elle vécut ; et ses domaines, elle les légua avant sa mort au Prince des Apôtres et à ses successeurs.

 

Au fort de ses succès, Henri eut donc à compter avec Mathilde. Cette princesse, qui balançait son influence en Italie, put soustraire à sa fureur le généreux Pontife. Par ses soins, Grégoire arriva sain et sauf à Canossa, forteresse inexpugnable près de Reggio. A ce moment même la fortune de Henri sembla vaciller. La Saxe relevait l'étendard de la révolte, et plus d'un feudataire de l'Empire se liguait avec les rebelles pour anéantir le tyran que l'Eglise venait de mettre au ban de la chrétienté. Henri eut peur pour la seconde fois, et son âme aussi perfide que lâche ne recula pas devant le parjure. Le pouvoir spirituel entravait ses plans sacrilèges : il osa penser qu'en lui offrant une satisfaction passagère, il pourrait le lendemain relever la tête. On le vit se présenter nu-pieds et sans escorte à Canossa, vêtu en pénitent et sollicitant avec de feintes larmes le pardon de ses crimes. Grégoire eut compassion de son ennemi, pour lequel Hugues de Cluny et Mathilde intercédaient à ses pieds. Il leva l'excommunication, et réintégra Henri au sein de l'Eglise ; mais il ne jugea pas à propos de révoquer encore la sentence par laquelle il l'avait privé des droits de souverain. Le Pontife annonça seulement l'intention de se rendre à la diète qui devait se tenir en Allemagne, de prendre connaissance des griefs que les princes de l'Empire avançaient contre Henri, et de décider alors selon la justice.

 

Henri accepta tout, prêta serment sur l'Evangile, et rejoignit son armée. L'espérance renaissait dans son cœur, à mesure qu'il s'éloignait de la redoutable forteresse dans les murs de laquelle il avait du sacrifier un instant son orgueil à son ambition. Il comptait sur l'appui des mauvaises passions, et son calcul jusqu'à un certain point ne fut pas trompé. Un tel homme devait finir misérablement ; mais Satan était trop intéressé à son succès pour ne pas lui venir en aide.

 

Cependant un rival s'élevait en Allemagne contre Henri : Rodolphe, duc de Souabe, appelé à la couronne dans une diète des électeurs de l'Empire. Grégoire, fidèle à ses principes de droiture, refusa d'abord de reconnaître cet élu, bien que son attachement à l'Eglise et ses nobles qualités le rendissent particulièrement recommandable. Le Pontife persistait dans son projet d'entendre dans l'assemblée des princes et des villes de l'Allemagne les griefs reprochés à Henri, de l'écouter lui-même, et de mettre fin aux troubles en prononçant un jugement équitable. Rodolphe insistait auprès du Pontife pour en obtenir la reconnaissance de ses droits ; Grégoire qui l'aimait eut le courage de résister à ses instances, et de remettre l'examen de sa cause à cette diète que Henri avait acceptée avec serment à Canossa, mais dont il craignait tant les résultats. Trois années se passèrent durant lesquelles la patience et la modération du Pontife furent constamment mises à l'épreuve par les délais de Henri, et par son refus d'assurer la sécurité de l'Eglise. Enfin le Pontife, dans l'impuissance de mettre un terme aux discussions armées qui ensanglantaient l'Allemagne et l'Italie, ayant constaté le mauvais vouloir de Henri et son parjure, lança de nouveau contre lui l'excommunication, et renouvela dans un concile tenu à Rome la sentence par laquelle il l'avait déclaré privé de la couronne. En même temps Grégoire reconnaissait l'élection de Rodolphe et accordait la bénédiction apostolique à ses adhérents.

 

La colère de Henri monta au comble, et sa vengeance ne garda plus de mesure. Parmi les prélats italiens les plus dévoués à sa cause, Guibert, archevêque de Ravenne, était le plus ambitieux et le plus compromis à l'égard du Siège Apostolique. Henri fit de ce traître un anti-pape, sous le nom de Clément III. Ce faux pontife ne manqua pas de partisans, et le schisme vint se joindre aux autres calamités qui pesaient déjà sur l'Eglise. C'était un de ces moments terribles où, selon l'expression de saint Jean, "il est donné à la bête de faire la guerre aux saints et de les  vaincre" (Apoc. XI, 7. ). Tout à coup la victoire se déclare en faveur de César. Rodolphe est tué dans une bataille en Allemagne, et les troupes de Mathilde sont défaites en Italie. Henri n'a plus qu'un vœu, celui d'entrer dans Rome, d'en chasser Grégoire et d'introniser son anti-pape sur la chaire de saint Pierre.

 

Au milieu de ce cataclysme effrayant d'où l'Eglise cependant devait sortir épurée et affranchie, quels étaient les sentiments de notre saint Pontife ? Il les décrit lui-même dans une lettre adressée à saint Hugues de Cluny : 

" Telles sont, lui dit-il, les angoisses auxquelles nous sommes en proie, que ceux-là même qui vivent avec nous, non seulement ne les peuvent plus souffrir, mais n'en supportent pas même la vue. Le saint roi David disait : En proportion de la douleur immense qui oppressait mon cœur, vos consolations, Seigneur, sont venues réjouir mon âme ; mais pour nous, bien souvent la vie est un ennui et la mort un vœu ardent. S'il arrive que Jésus, le tendre consolateur, vrai Dieu et vrai homme, daigne me tendre la main, sa bonté rend la joie à mon cœur affligé; mais pour peu qu'il se retire, mon trouble arrive à l'excès. En ce qui est de moi je meurs sans cesse ; en ce qui est de lui je vis par moments. Si mes forces défaillent tout à fait, je crie vers lui, je lui dis d'une voix gémissante : Si vous imposiez un fardeau aussi pesant à Moïse et à Pierre, ils en seraient, ce me semble, accablés. Que peut-il advenir de moi qui ne suis rien en comparaison d'eux ? Vous n'avez donc, Seigneur, qu'une chose à faire: c'est de  gouverner vous-même, avec votre Pierre, le pontificat qui m'est imposé ; autrement vous me verrez succomber, et le pontificat sera couvert de confusion en ma personne."

 

Ce cri de détresse qui s'échappe de l'âme du saint Pontife révèle son caractère tout entier. Le zèle pour les mœurs chrétiennes qui ne peuvent se conserver que par la liberté de l'Eglise, était le mobile de sa vie entière. Un tel zèle avait pu seul lui faire affronter cette situation terrible, dans laquelle il n'avait à recueillir en ce monde que les chagrins les plus cuisants. Et pourtant, Grégoire était ce père de la chrétienté qui, devançant ses successeurs, avait conçu dès les premières années de son pontificat la grande et courageuse pensée d'aller refouler l'islamisme jusqu'en Orient, et de briser par une descente chez le Sarrasin le joug des chrétiens opprimés. Il avait débuté dans ce projet par une lettre adressée à tous les fidèles. Il y montre l'ennemi du nom chrétien déjà sous les murs de Constantinople, et signalant sa férocité par d'horribles carnages :

" Si nous aimons Dieu, dit-il dans cette épître, si nous nous reconnaissons chrétiens, il nous faut gémir sur de tels désastres ; mais gémir ne suffit pas. L'exemple de notre Rédempteur et le devoir de la charité fraternelle nous imposent l'obligation de donner notre vie pour la délivrance de nos frères. Sachez donc que, rempli de confiance dans la miséricorde de Dieu et dans la puissance de son bras, nous faisons tout et nous préparons tout, afin de porter un prompt secours à l'empire chrétien."

 

Peu de temps après, il écrivait à Henri qui n'avait pas encore démasqué ses projets hostiles à l'Eglise :

" Mon avertissement aux chrétiens d'Italie et d'au delà des monts a été reçu avec faveur. Déjà plus de cinquante mille hommes se préparent, et s'ils peuvent compter sur moi comme chef de l'expédition et comme Pontife, ils marcheront à main armée contre les ennemis de Dieu, et avec le secours divin, ils iront jusqu'au sépulcre du Seigneur."

 

Ainsi le sublime vieillard ne reculait pas devant la pensée de se mettre lui-même à la tête de l'armée chrétienne :

" Une chose, dit-il, m'engage à exécuter ce projet : c'est l'état de l'Eglise de Constantinople qui s'écarte de nous sur le dogme du Saint-Esprit, et qui a besoin de rentrer en accord avec le Siège Apostolique. L'Arménie presque tout entière s'est éloignée de la foi catholique ; en un mot, la grande majorité des Orientaux ressent le besoin de connaître quelle est la foi de Pierre sur les diverses opinions qui ont cours chez eux. Le moment est venu d'user de la grâce que le miséricordieux Rédempteur a conférée à Pierre, en lui faisant ce commandement : J'ai prié pour toi, Pierre, afin que ta foi ne défaille pas ; confirme tes frères. Nos pères, dont notre désir est de suivre les traces, quoique indigne de leur succéder, ont plus d'une fois visité ces contrées pour y confirmer la foi catholique : nous donc aussi, nous nous sentons poussé, si le Christ nous ouvre la voie, à entreprendre cette expédition dans l'intérêt de la foi et pour aller au secours des chrétiens."

 

Dans sa loyauté accoutumée, Grégoire était allé jusqu'à compter sur le concours de Henri pour protéger l'Eglise durant son absence :

" Un tel projet, écrit-il à ce prince, demande un grand conseil et un secours puissant, si Dieu permet qu'il se réalise ; je viens donc te demander ce conseil et aussi ce secours, s'il t'est agréable. Si, par la faveur divine, je pars, après Dieu c'est à toi que je laisserai l'Eglise Romaine, afin que tu la gardes comme une mère sainte, et que tu protèges son honneur. Fais-moi savoir au plus tôt ce que tu auras décidé dans ta prudence aidée du conseil divin. Si je n'espérais pas de toi plus que d'autres ne croient, je t'aurais écrit ceci bien inutilement ; mais comme il peut se faire que tu ne te laisses pas aller à une entière confiance en l'affection que je te porte, je m'en remets à l'Esprit-Saint qui peut tout. Je le prie de te faire comprendre à sa manière l'attachement que j'éprouve pour toi, et de gouverner ton esprit, de façon à renverser les désirs des impies et à fortifier l'espérance des bons." (Data Romae, 7 idus decembris, indictione 13 (1074). ).

 

Moins de trois ans après avait lieu l'entrevue de Canossa ; mais au moment où Grégoire écrivait cette lettre à Henri, sa confiance dans l'expédition qu'il projetait était assez fondée, pour qu'il en fit part à la comtesse Mathilde :

" L'objet de mes pensées, écrit-il à la chevaleresque princesse, le désir que j'éprouve de passer la mer, pour venir au secours des chrétiens que les païens immolent comme un vil bétail, me cause de l'embarras vis-à-vis de plusieurs ; je crains d'être taxé par eux d'une certaine légèreté. Mais je n'ai aucune peine à te le confier, à toi, ma fille très chère, dont j'estime la prudence plus que tu ne saurais t'en rendre compte. Après avoir lu les lettres que j'envoie au delà des monts, si tu as un conseil à émettre, ou mieux encore à prêter un secours à la cause de Dieu ton créateur, fais en sorte d'y apporter tous tes soins ; car s'il est beau, comme on le dit, de mourir pour sa patrie, il est plus beau et plus glorieux encore de sacrifier la chair mortelle pour le Christ qui est l'éternelle vie. J'ai la confiance que beaucoup d'hommes de guerre nous viendront en aide dans cette expédition ; j'ai des raisons de penser que notre impératrice a l'intention de partir avec nous ; elle désire t'emmener avec elle. Ta mère demeurera dans ce pays, pour veiller à la défense des intérêts communs ; et toutes choses étant ainsi réglées, avec l'aide du Christ nous pourrions nous mettre en route. En venant ici pour satisfaire sa dévotion, l'impératrice, aidée de ton secours, pourra animer un grand nombre de personnes à cette sainte entreprise. Pour ce qui est de moi, honoré de la compagnie de si nobles sœurs, je passerai volontiers les mers, disposé à donner ma vie pour le Christ avec vous dont je désire n'être pas séparé dans la patrie éternelle. Adresse-moi promptement une réponse sur ce projet et sur ton arrivée à Rome, et daigne le Seigneur tout-puissant te bénir et te faire marcher de vertu en vertu, afin que la Mère universelle puisse se réjouir en toi durant de longues années !"

 

La pensée de Grégoire, à laquelle il se livrait avec tant d'enthousiasme, n'était pas uniquement un rêve généreux de sa grande âme ; c'était un pressentiment divin. Sa vie héroïque ne devait pas laisser place à une lointaine expédition ; il allait avoir à combattre un autre ennemi que le Sarrasin ; mais la croisade qu'il saluait avec tant d'ardeur n'était pas loin. Urbain II, son second successeur, comme lui moine de Cluny, devait sous peu d'années ébranler l'Europe chrétienne et la lancer sur l'ennemi commun. Mais puisque nous avons rencontré le nom de Mathilde, nous profiterons de cette occasion pour pénétrer plus intimement encore dans l'âme de notre grand Pontife. On verra comment cet illustre athlète de la liberté de l'Eglise savait unir à la hauteur et à la grandeur des vues la touchante sollicitude du plus humble prêtre pour l'avancement spirituel d'une âme :

" Celui-là seul qui pénètre le secret des cœurs, écrit-il à la pieuse princesse, peut connaître, et connaît mieux que moi encore, le zèle et la sollicitude que je porte à ton salut. Je me flatte que tu sais comprendre que je suis tenu à prendre soin de toi, en vue de tant de peuples pour l'intérêt desquels la charité m'a contraint de te retenir, lorsque tu songeais à les abandonner, afin de ne plus songer qu'au bien de ton âme. La charité, ainsi que je te l'ai dit souvent et que je te le dirai encore, d'après celui qui est la trompette du ciel, la charité ne cherche pas ce qui est de son intérêt. Mais comme entre les armes de défense que je t'ai fournies contre le prince du monde, la principale est de recevoir fréquemment le Corps du Seigneur, et de te livrer avec une entière confiance à la protection de sa Mère, dans cette lettre je veux te transcrire ce que le bienheureux Ambroise a pensé au sujet de la communion."

 

Le pieux Pontife insère ici deux passages du saint Docteur, qu'il fait suivre d'autres citations empruntées à saint Grégoire le Grand et à saint Jean Chrysostome sur le bienfait de la divine Eucharistie. Il continue ainsi :

" Nous devons donc, ô ma fille, recourir à ce merveilleux sacrement, aspirer à ce puissant remède. Je t'ai écrit cette lettre, ô fille du bienheureux Pierre, pour accroître encore ta foi et ta confiance, lorsque tu reçois le Corps du Seigneur. Tel est le trésor, tel est le bienfait, au-dessus de l'or et des pierres précieuses, que ton âme attend de moi dans son amour pour le Roi des cieux qui est ton père ; bien qu'il te fût possible d'obtenir par tes mérites quelque chose de meilleur en t'adressant à un autre ministre de Dieu. Quant à la Mère du Seigneur, à laquelle je t'ai confiée pour le passé, pour le présent et pour toujours, jusqu'à ce que nous puissions la contempler au ciel selon notre désir, je ne t'en entretiendrai pas aujourd'hui. Que pourrais-je dire qui fût digne de celle que le ciel et la terre ne cessent de combler de louanges, sans pouvoir atteindre à ce qu'elle mérite ? mais tiens ceci pour assuré, qu'autant elle est plus élevée, plus dévouée et plus sainte que toutes les autres mères, autant elle se montre miséricordieuse et tendre envers ceux et celles qui ont péché et qui s'en repentent. Renonce donc à toute inclination au péché, et prosternée devant elle, répands les larmes d'un cœur contrit et humilié. Tu la trouveras alors, je te le promets en toute assurance, plus empressée et plus affectueuse dans sa tendresse pour toi que ne saurait l'être une mère selon la chair." ( Datae Romae, 14 calendas martii (1074)

 

L'œil du Pontife que tant de sollicitudes ne pouvaient distraire de l'intérêt paternel qu'il portait à l'avancement d'une âme, allait chercher, malgré les distances, à travers la chrétienté, les hommes trop rares alors dont la sainteté et la doctrine devaient faire plus tard l'ornement et la lumière de l'Eglise. C'est ainsi que Grégoire avait découvert le grand Anselme, alors encore caché au fond de son abbaye du Bec. Du milieu de ses tribulations inouïes (1079), le Pontife adresse à l'Abbé cette lettre touchante :

" La bonne odeur de tes fruits, lui dit-il, s'est fait sentir jusqu'à nous. Nous en rendons à Dieu nos actions de grâces, et nous t'embrassons de cœur dans l'amour du Christ, assuré que nous sommes du succès que l'Eglise de Dieu retirera de tes études, et de l'aide que, par la miséricorde du Seigneur, lui apporteront, dans ses périls, tes prières jointes à celles qu'offrent au ciel ceux qui te ressemblent. Tu sais, mon frère, la puissance qu'exerce auprès de Dieu la prière du juste ; celle de plusieurs justes a plus de force encore ; il n'y a même pas lieu de douter qu'elle n'obtienne ce qu'elle implore. C'est l'autorité de la Vérité même qui nous oblige de le croire. C'est elle qui a dit : Frappez, et l'on vous ouvrira. Frappez avec simplicité, demandez avec simplicité, dans les choses qui lui sont agréables ; alors il vous sera ouvert, alors vous recevrez, et c'est en cette manière que la prière des justes sera exaucée. C'est pourquoi nous voulons que ta Fraternité et celle de tes moines s'adressent à Dieu par des prières assidues, afin qu'il daigne soustraire à l'oppression des hérétiques son Eglise et nous-même qui lui sommes préposé, quoique indigne, et que dissipant l'erreur qui aveugle nos ennemis, il les ramène au sentier de la vérité."

 

Mais l'œil de Grégoire ne s'arrêtait pas seulement sur des princesses comme Mathilde, sur des docteurs comme Anselme. Il savait découvrir jusque dans la mêlée l'humble et courageux blessé qui souffrait pour la cause de l'Eglise, et l'entourait d'une admiration et d'une tendresse qu'il n'eût pas éprouvée pour ces chefs dont la fidélité est au prix de la gloire. Qu'on lise cette lettre à un pauvre prêtre milanais que les simoniaques avaient mutilé d'une façon barbare :

" Si nous vénérons la mémoire des Saints qui sont morts après que leurs membres ont été tranchés par le fer, écrit-il à cet obscur soldat de l'Eglise, nommé Liprand, si nous célébrons les souffrances de ceux que ni le glaive, ni les souffrances n'ont pu séparer de la foi du Christ, toi à qui on a coupé le nez et les oreilles pour son nom, tu es plus digne de louanges encore d'avoir mérité une grâce qui, si elle est jointe à la persévérance, te donne une entière ressemblance avec les Saints. L'intégrité de ton corps n'existe plus ; mais l'homme intérieur qui se renouvelle de jour en jour, s'est développé en toi avec grandeur. Extérieurement les mutilations déshonorent ton visage ; mais l'image de Dieu, qui est le rayonnement de la justice, est devenue en toi plus gracieuse par ta blessure même, plus attrayante par la difformité qu'on a imprimée à tes traits. L'Eglise ne dit-elle pas elle-même dans le Cantique : Je suis noire, ô filles de Jérusalem. Si donc ta beauté intérieure n'a pas souffert de ces cruelles mutilations, ton caractère sacerdotal qui est saint, et qu'il faut reconnaître plutôt dans l'intégrité des vertus que dans celle des membres, n'en a pas été atteint davantage. N'a-t-on pas vu l'empereur Constantin baiser respectueusement au visage d'un évêque la cicatrice d'un œil qui avait été arraché pour le nom du Christ ? L'exemple des Pères et les anciennes écritures ne nous apprennent-ils pas qu'on maintenait les martyrs dans l'exercice du ministère sacré, même après la mutilation qu'ils avaient soufferte dans leurs membres ? Toi donc, martyr du Christ, sois plein d'assurance dans le Seigneur. Regarde-toi comme ayant fait un pas de plus dans ton sacerdoce. Il te fut conféré avec l'huile sainte ; aujourd'hui le voilà scellé de ton propre sang. Plus on t'a réduit, plus il te faut prêcher ce qui est bien, et semer cette parole qui produit cent pour un. Nous savons que les ennemis de la sainte Eglise sont tes ennemis et tes persécuteurs ; ne les crains pas, et ne tremble pas devant eux ; car nous gardons avec amour sous notre tutelle et sous celle du Siège Apostolique ta personne et tout ce qui t'appartient ; et s'il te devient nécessaire de recourir à nous, nous acceptons d'avance ton appel, disposé à te recevoir avec allégresse et grand honneur, lorsque tu viendras vers nous et vers ce saint Siège."

 

Tel était Grégoire, unissant la simplicité du cloître aux plus graves sollicitudes de la papauté. Et quelles sollicitudes, si nous oublions pour un moment l'affreuse crise au milieu de laquelle il disparut ! Nous venons de parler du projet de la croisade, qui plus tard a suffi à lui seul pour immortaliser Urbain II ; mais que d'œuvres diverses, que d'interventions pastorales dans tout le monde chrétien, qui font des douze années de ce pontificat si agité l'une des époques où la papauté, présente partout, semble avoir déployé le plus d'activité et de vigilance ! Dans sa vaste correspondance, Grégoire ne se borne pas à diriger les affaires de l'Eglise dans l'Empire, en Italie, en France, en Angleterre, en Espagne ; il soutient les jeunes chrétientés du Danemarck, de la Suède, de la Norwège ; la Hongrie, la Bohême, la Pologne, la Servie, la Russie elle-même, reçoivent ses lettres remplies de sollicitude. Malgré la rupture du lien de communion entre Rome et Byzance, le Pontife ne cesse pas ses interventions ; il voudrait arrêter le schisme qui emporte l'Eglise grecque loin de son orbite. Sur la côte d'Afrique, sa vigilance soutient encore trois évêchés qui ont survécu a l'invasion sarrasine.

 

Dans le but d'unifier la chrétienté latine, il resserre le lien de la prière publique, abolissant en Espagne la liturgie gothique, et faisant reculer au delà des frontières de la Bohême la liturgie de Byzance qui allait l'envahir. Quelle carrière pour un seul homme ; mais aussi quel martyre était réservé à ce grand cœur ! Il nous faut reprendre le récit, un moment suspendu, des épreuves de notre Pontife. Par lui l'Eglise et la société devaient être sauvées ; mais comme son Maître divin, il devait boire l'eau du torrent pour relever ensuite la tête (Psalm. CIX ). Nous l'avons vu humilié dans ses défenseurs, le sort des armes lui étant devenu contraire ; nous l'avons vu menacé par son vainqueur, après l'avoir tenu sous ses pieds ; nous l'avons vu en butte a un anti-pape dont la cause est soutenue par d'indignes prélats ; mais, ce n'est là encore que le commencement des douleurs (MATTH. XXIV, 8.).

 

Henri marche sur la ville sainte en la compagnie du faux vicaire du Christ. Un incendie allumé par sa main sacrilège menace de dévorer le quartier du Vatican ; Grégoire envoie sa bénédiction sur son peuple éperdu, et tout aussitôt la flamme recule et s'éteint. Un moment l'enthousiasme gagne les Romains, si souvent ingrats envers le Pontife qui est à lui seul la vie et la gloire de Rome. Prêt à consommer le sacrilège, Henri hésite et tremble. Il laissera tomber dans la poussière l'ignoble fantôme qu'il a voulu opposer au véritable pape ; il ne demande plus qu'une chose aux Romains : que Grégoire consente à lui donner l'onction sainte, et lui, Henri de Germanie, désormais empereur, se montrera fils dévoué de l'Eglise. Cette prière est transmise à Grégoire par la cité tout entière : "Je connais trop la fourberie du roi, répond le noble Pontife. Qu'il satisfasse d'abord à Dieu et à l'Eglise qu'il a foulée aux pieds : je pourrai alors absoudre son repentir, et placer sur sa tête convertie la couronne impériale". Les instances des Romains ne purent obtenir d'autre réponse de l'inflexible gardien du droit de la chrétienté. Henri allait s'éloigner, lorsque tout à coup cette population mobile, gagnée par d'infâmes largesses venues de Byzance (car tous les schismes s'entendent contre la papauté), se détache de celui qui est son roi et son père, et vient déposer les clefs de la ville aux pieds du tyran qui apporte la servitude des âmes. Grégoire se voit alors réduit à chercher un asile dans le fort Saint-Ange, et la liberté de l'Eglise y est assiégée avec lui.

 

C'est de là, ou peut-être quelques jours avant de s'y enfermer, qu'il écrit, en l'année 1084, cette lettre sublime adressée à tous les fidèles, et qui est comme le testament de sa grande âme :

" Les princes des nations et les princes des prêtres se sont réunis contre le Christ, Fils du Dieu tout-puissant, et contre son apôtre Pierre, pour éteindre la religion chrétienne et propager partout l'hérétique perversité. Mais, par la miséricorde de Dieu, ils n'ont pu, malgré leurs menaces, leurs cruautés et leurs promesses de gloire mondaine, entraîner dans leur impiété ceux qui mettent leur confiance dans le Seigneur. D'iniques conspirateurs ont levé la main contre nous, uniquement parce que nous n'avons pas voulu couvrir du silence le péril de la sainte Eglise, ni tolérer ceux qui ne rougissent pas de réduire en servitude l'Epouse même de Dieu. En tout pays, la dernière des femmes peut se donner un époux à son gré avec l'appui des lois ; et voici qu'il n'est plus permis à la sainte Eglise, qui est l'Epouse de Dieu et notre mère, de demeurer unie à son Epoux, comme le demande la loi divine et comme elle le veut elle-même. Nous ne devons pas souffrir que les fils de cette Eglise soient asservis à des hérétiques, à des adultères, à des oppresseurs, comme si ceux-là étaient leurs pères. De là des maux de toute nature, des périls divers, des actes de cruauté inouïe, ainsi que vous pourrez l'apprendre de nos légats.

" Il a été dit au Prophète, comme le sait votre fraternité : Du sommet de la montagne, fais entendre des cris, et ne cesse pas. Poussé irrésistiblement, sans aucun respect humain, me mettant au-dessus de tout sentiment terrestre, j'évangélise à mon tour, je crie et je crie encore, et je vous annonce que la religion chrétienne, la vraie foi que le Fils de Dieu venu sur la terre nous a enseignée par nos pères, est menacée de se corrompre par l'envahissement de la puissance séculière, qu'elle tend à s'anéantir, à perdre sa couleur antique, exposée ainsi à la dérision non seulement de Satan, mais des sarrasins et des païens. Ces derniers du moins gardent leurs lois qui ne peuvent être utiles au salut des âmes, et qui n'ont point été garanties par des miracles comme la nôtre que le Roi éternel a attestée lui-même : ils les gardent et ils y croient. Nous chrétiens, enivrés de l'amour du siècle et trompés par une vaine ambition, nous faisons céder toute religion et toute honnêteté à la cupidité et à la superbe, nous semblons dépourvus de toute loi et comme insensés, n'ayant plus le souci qu'avaient nos pères du salut et de l'honneur de la vie présente et de la vie future, n'en faisant même pas l'objet de notre espérance. S'il s'en rencontre qui craignent encore Dieu, c'est uniquement de leur salut qu'ils s'occupent, et non de l'intérêt commun. Qui voit-on aujourd'hui se donner de la peine, exposer sa vie dans les fatigues par le motif de la crainte ou de l'amour du Dieu tout-puissant, tandis qu'on voit les soldats de la milice séculière braver tous les dangers pour leurs maîtres, pour leurs amis et même pour leurs sujets ? Des milliers d'hommes savent courir à la mort pour leurs seigneurs; mais s'agit-il du roi du ciel, de notre Rédempteur, loin de jouer ainsi sa vie, on recule devant l'inimitié de quelques hommes. S'il en est (et il en existe encore, par la miséricorde de Dieu, si peu que ce soit), s'il en est, disons-nous, quelques-uns qui, pour l'amour de la loi chrétienne, osent résister en face aux impies, non seulement ils ne trouvent pas d'appui chez leurs frères, on les taxe d'imprudence et d'indiscrétion, on les traite de fous.

" Nous donc qui sommes obligé par notre charge de détruire les vices dans les cœurs de nos frères et d'y implanter les vertus, nous vous prions et vous supplions dans le Seigneur Jésus qui nous a rachetés, de réfléchir en vous-mêmes, afin de bien comprendre pour quel motif nous avons à souffrir tant d'angoisses et de tribulations de la part des ennemis de la religion chrétienne. Du jour où, par la volonté divine, l'Eglise mère m'a établi, malgré ma grande indignité, et malgré moi, Dieu le sait, sur le trône apostolique, tous mes soins ont été pour que l'Epouse de Dieu, notre dame et mère, remontât à la dignité qui lui appartient, pour qu'elle se maintînt libre, chaste et catholique. Mais une telle conduite devait déplaire souverainement à l'antique ennemi ; c'est pourquoi il a armé contre nous ceux qui sont ses membres, et nous a suscité une opposition universelle. C'est alors que l'on a vu se diriger contre nous et contre le Siège Apostolique plus d'efforts violents qu'il n'en avait été tenté depuis les temps de Constantin le Grand. Mais que l'on ne s'en étonne pas ; il est naturel que plus le temps de l'Antéchrist approche, plus il mette d'acharnement à poursuivre l'anéantissement de la religion chrétienne."

 

Telle était à ce moment suprême l'indignation douloureuse du grand Pontife, presque seul contre tous, abattu par les revers, mais non vaincu De la forteresse où il avait abrité la majesté apostolique, il put entendre les impies vociférations du cortège qui conduisait à la basilique vaticane Henri, que son faux pape attendait à la Confession de saint Pierre. C'était le Dimanche des Rameaux 1085. Le sacrilège fut consommé. La veille, Guibert avait osé trôner dans la basilique de Latran ; et sous les palmes triomphales portées en l'honneur du Christ dont Grégoire était le vicaire, on vit l'intrus placer sur la tête du César excommunié la couronne de l'Empire chrétien ; mais Dieu préparait un vengeur à son Eglise. Au moment où le Pontife était serré dé plus près dans la forteresse qui lui servait d'abri, et qu'il semblait avoir tout à craindre de la fureur de son ennemi, Rome retentit tout à coup du bruit de l'arrivée du vaillant chef des Normands, Robert Guiscard. Cet homme de guerre est accouru pour mettre ses armes au service du Pontife assiégé, et pour délivrer Rome du joug des Allemands. Une panique soudaine s'empare du faux César et du faux pape ; l'un et l'autre prennent la fuite, et la cité parjure expie dans les horreurs d'un saccagement effroyable le crime de son odieuse trahison.

 

Le cœur de Grégoire fut accablé du désastre de son peuple. Impuissant à contenir la rage dévastatrice de ces barbares qui ne surent pas se borner à délivrer le Pontife, mais donnèrent carrière à toutes leurs cupidités au sein de celte ville qu'ils auraient dû châtier et non écraser ; menacé du retour de Henri qui comptait sur le ressentiment des Romains et se préparait à remplacer les Normands, lorsqu'ils auraient assouvi leurs convoitises, Grégoire sortit de Rome avec désolation, et, secouant la poussière de ses pieds, il alla demander asile au Mont-Cassin, et passer quelques heures dans ce sanctuaire du grand patriarche des moines. Le contraste des jours tranquilles de sa jeunesse abritée sous le cloître, avec les orages dont sa carrière apostolique n'avait cessé d'être agitée, dut se présenter à sa pensée. Errant, fugitif, abandonné, sauf d'une élite d'âmes fidèles et dévouées, il poursuivait sa douloureuse passion; mais son calvaire n'était pas éloigné, et le Seigneur ne devait pas tarder à le recevoir dans le repos de ses saints. Avant qu'il descendît de la sainte montagne, un fait merveilleux arrivé déjà plusieurs fois se manifesta de nouveau. Grégoire étant à l'autel et célébrant le saint Sacrifice, une blanche colombe parut tout à coup posée sur son épaule, et parlant à son oreille. Il ne fut pas difficile de reconnaître à ce symbole expressif l'action de l'Esprit-Saint qui dirigeait et gouvernait les pensées et les actes du saint Pontife.

 

On était dans les premiers mois de l'année 1085. Grégoire se rendit à Salerne, dernière station de sa vie si agitée. Ses forces l'abandonnaient de plus en plus. Il voulut cependant faire la dédicace de l'Eglise du saint évangéliste Matthieu dont le corps reposait dans cette ville, et d'une voix défaillante il adressa encore la parole au peuple. Ayant pris ensuite le Corps et le Sang du Sauveur, fortifié par ce puissant viatique, il reprit le chemin de sa demeure, et s'étendit sur la couche d'où il ne devait plus se relever. Image saisissante du Fils de Dieu sur la croix, comme lui dépouillé de tout et abandonné de la plupart des siens, ses dernières pensées furent pour la sainte Eglise qu'il laissait dans le veuvage. Il indiqua aux quelques cardinaux et évêques qui l'entouraient, les noms de ceux entre les mains desquels il verrait avec contentement passer sa laborieuse succession : Didier, Abbé du Mont-Cassin, qui fut après lui Victor III ; Othon de Châtillon, moine de Cluny, qui fut après Victor Urbain II ; et le fidèle légat Hugues de Die, que Grégoire avait fait archevêque de Lyon.

 

On interrogea le Pontife agonisant sur ses intentions relativement aux nombreux coupables qu'il avait dû frapper du glaive de l'excommunication. Là encore, comme le Christ sur la croix, il exerça miséricorde et justice : "Sauf, dit-il, le  roi Henri, et Guibert, l'usurpateur du Siège Apostolique, ainsi que ceux qui favorisent leur injustice et leur impiété, j'absous et bénis tous ceux qui ont foi en mon pouvoir comme étant celui des saints apôtres Pierre et Paul". Le souvenir de la pieuse et invincible Mathilde s'étant présenté à sa pensée, il confia cette fille dévouée de l'Eglise Romaine aux soins du courageux Anselme de Lucques, rappelant ainsi, comme le remarque le biographe de ce saint évêque, le don que Jésus expirant fit de Marie à Jean son disciple de prédilection. Trente années de luttes et de victoires furent pour l'héroïque comtesse le prix de cette bénédiction suprême.

 

La fin était imminente ; mais la sollicitude du père de la chrétienté survivait encore en Grégoire. Il appela l'un après l'autre ces hommes généreux qui entouraient sa couche, et leur fit prêter serment entre ses mains glacées de ne jamais reconnaître les droits du tyran, tant qu'il n'aurait pas donné satisfaction à l'Eglise. Il résuma sa dernière énergie dans une défense solennelle intimée à tous de reconnaître pour Pape celui qui n'aurait pas été élu canoniquement et selon les règles des saints Pères. Se recueillant ensuite en lui-même, et acceptant la divine volonté sur sa vie de pontife qui n'avait été qu'un sacrifice continuel, il dit : "J'ai aimé la justice et j'ai haï l'iniquité ;  c'est pour cela que je meurs en exil". Un des évêques qui l'entouraient répondit avec respect : "Vous ne pouvez, seigneur, mourir en exil, vous qui, tenant la place du Christ et des saints Apôtres, avez reçu les nations en héritage, et en possession l'étendue de la terre". Parole sublime que déjà Grégoire ne pouvait plus entendre ; car son âme s'était élancée au ciel, et recevait dès ce moment l'immortelle couronne des martyrs.

 

Grégoire était donc vaincu, comme le Christ lui-même fut vaincu par la mort ; mais le triomphe sur cette mort ne manqua pas plus au disciple qu'il n'avait manqué au Maître. La chrétienté abaissée en tant de manières se releva dans toute sa dignité ; et l'on peut même dire qu'un gage de cette résurrection fut donné par le ciel le jour même où Grégoire rendait à Salerne son dernier soupir. Ce même jour, vingt-cinq mai 1085, Alphonse VI entrait victorieux à Tolède, et arborait la croix dans la cité reconquise des Eugène et des Julien, après quatre siècles d'esclavage sous le joug sarrasin.

 

Mais il fallait à l'Eglise opprimée un continuateur de Grégoire, et le Dieu dont il fut le vicaire ne le lui refusa pas. Le martyre du grand Pontife fut comme une semence de Pontifes dignes de lui. De même qu'il avait préparé ses prédécesseurs, on peut dire que ses successeurs procédèrent de lui ; et les fastes de la papauté ne présentent nulle part dans toute leur teneur une suite de noms plus glorieuse que celle qui s'étend de Victor III, successeur immédiat de Grégoire, à Boniface VIII, en qui recommença pour de longs siècles le martyre que notre grand héros avait subi. Son âme était à peine affranchie des épreuves de cette vallée de larmes, et déjà la victoire se déclarait. Les ennemis de l'Eglise étaient abattus, la suppression des investitures éteignait la simonie et assurait l'élection canonique des Pasteurs ; la loi sacrée de la continence des clercs reprenait partout son empire.

 

Grégoire avait été l'instrument de Dieu pour la réforme de la société chrétienne ; et si son nom est demeuré béni des vrais enfants de l'Eglise, sa mission avait été trop belle et trop courageusement remplie pour qu'elle n'attirât pas sur lui la haine de l'enfer. Or, voici ce que le Prince de ce monde (JOHAN. XII, 31.) imagina contre lui dans sa rage. Non content d'avoir fait de Grégoire un objet d'exécration pour les hérétiques, il vint à bout de le rendre odieux aux faux catholiques, embarrassant pour les demi-chrétiens. Longtemps ces derniers, malgré le jugement de l'Eglise qui l'a placé sur ses autels, affectèrent de l'appeler insolemment Grégoire VII. Son culte fut proscrit par des gouvernements qui se disaient encore catholiques ; il fut prohibé par des mandements épiscopaux. Son pontificat et ses actes furent attaqués comme contraires à la religion chrétienne par le plus éloquent de nos orateurs sacrés. Il fut un temps où les lignes que nous consacrons à ce saint Pape, dans un livre destiné à nourrir chez les fidèles l'amour et l'admiration pour les héros de la sainteté que l'Eglise offre à leur culte, eût attiré sur nous la vindicte des lois. Les Leçons de l'Office d'aujourd'hui furent supprimées par le Parlement de Paris en 1729, avec défense de s'en servir, sous peine de saisie du temporel. Ces barrières sont tombées, ces scandales ont cessé. Par suite du rétablissement de la Liturgie romaine en France, chaque année le nom de saint Grégoire VII est proclamé dans nos Eglises, la louange qui honore les saints lui est publiquement décernée, et le divin Sacrifice est offert à Dieu pour la gloire d'un si illustre Pontife.

 

Il était temps pour notre honneur français qu'une telle justice fût rendue à qui la mérite. Lorsque depuis plus de soixante ans on entendait les historiens et les publicistes protestants de l'Allemagne combler d'éloges celui qui n'est pourtant à leurs yeux qu'un grand homme, mais en qui ils reconnaissent l'héroïque vengeur des droits de la société humaine ; lorsque les gouvernements réduits aux abois par l'envahissement toujours plus impérieux du principe démocratique, n'ont plus le loisir de céder à leurs anciennes jalousies contre l'Eglise ; lorsque l'Episcopat se serre toujours plus étroitement autour de la Chaire de saint Pierre, centre de vie, de lumière et de force : rien n'est plus naturel que de voir le nom immortel de saint Grégoire VII resplendir d'une gloire nouvelle, après l'éclipsé qui l'avait si longtemps dérobé aux regards d'un trop grand nombre de fidèles. Qu'il demeure donc, ce glorieux nom, jusqu'à la fin des siècles, comme l'un des astres les plus brillants du Cycle pascal, et qu'il verse sur l'Eglise de nos jours l'influence salutaire qu'il répandit sur celle du moyen âge !

 

 

Nos joies pascales se sont accrues de votre triomphe, ô Grégoire ; car nous reconnaissons en vous l'image de celui qui, par sa résurrection glorieuse annoncée à tout l'univers, a relevé le monde qui s'affaissait sur lui-même. Votre pontificat avait été préparé dans les desseins de la divine sagesse comme une ère de régénération pour la société succombant sous l'effort de la barbarie. Votre courage fondé sur la confiance dans la parole de Jésus ne recula devant aucun sacrifice. Votre vie sur le Siège Apostolique ne fut qu'un long combat ; et pour avoir aimé la justice et haï l'iniquité, il vous fallut mourir dans l'exil. Mais en vous s'accomplissait l'oracle du Prophète sur votre Maître divin : Parce qu'il a donné sa vie à cause « du péché, il jouira d'une postérité nombreuse (ISAI. LIII, 10). Une suite glorieuse de trente-six papes s'avança dans la voie que votre sacrifice avait ouverte ; par vous l'Eglise fut libre, et la force s'inclina devant le droit. Après cette période triomphante, la guerre a été déclarée de nouveau, et elle dure encore. Les princes se sont insurgés contre la puissance spirituelle ; ils ont secoué le joug du vicaire de Dieu, et ils ont décliné le contrôle de toute autorité ici-bas. A leur tour les peuples se sont levés contre un pouvoir qui ne se rattache plus au ciel par un lien visible et sacré, et cette double insurrection met aujourd'hui la société aux abois. Ce monde est à Jésus-Christ, le Roi des rois, le Seigneur des seigneurs (I Tim. VI, 15.) ; à lui, à l'Homme-Dieu, toute puissance a été donnée au ciel et sur la terre (MATTH. XXVIII, 18.).

 

Grégoire, priez pour ce monde que vous avez sauvé de la barbarie, et qui est au moment d'y retomber. Les hommes de ce temps ne parlent que de liberté ; c'est au nom de cette prétendue liberté qu'ils ont dissous la société chrétienne ; et le seul moyen qui leur reste de maintenir quelque ordre au sein de tant d'éléments ennemis, le seul moyen, c'est la force. Vous aviez triomphé de la force, vous aviez rétabli les droits de l'esprit ; par vous la liberté des enfants de Dieu, la liberté du bien, était reconnue, et elle régna durant plusieurs siècles. Généreux Pontife, venez en aide à cette Europe que votre main ferme préserva autrefois d'une ruine imminente. Fléchissez le Christ que les hommes blasphèment, après l'avoir expulsé de son domaine, comme s'il ne devait pas y rentrer triomphant au jour de ses justices. Implorez sa clémence pour tant de chrétiens séduits, et entraînés par d'absurdes sophismes, par d'aveugles préjugés, par une éducation perfide, par des mots sonores et mal définis, et qui appellent voie du progrès celle qui les éloigne toujours plus de l'unique but que Dieu s'est proposé en créant l'homme et l'humanité.

 

De ce séjour tranquille où vous vous reposez après tant de combats, jetez, ô Grégoire, un regard sur la sainte Eglise qui poursuit sa marche pénible à travers mille entraves. Tout est contre elle : les débris d'anciennes lois inspirées par la réaction de la force contre l'esprit, les entraînements de l'orgueil populaire qui poursuit avec acharnement tout ce qui lui semble contraire à l'égalité des droits, la recrudescence de l'impiété qui a compris qu'il faut marcher sur l'Eglise pour monter jusqu'à Dieu. Au milieu de cette tempête, le rocher qui porte le siège immortel sur lequel vous avez tenu, ô Grégoire, la place de Pierre, est battu par les flots en furie. Priez pour le vicaire de Dieu. Comme vous, il a aimé la justice, il a détesté l'iniquité ; et nous craignons de le voir partir aussi pour l'exil. Détournez, ô saint Pontife, le fléau qui pèse sur Rome. Les sectateurs de Satan, ainsi que l'a annoncé Jean, Evangéliste et Prophète, sont montés de leurs antres ténébreux à la surface de la terre ; ils ont fait le siège du camp des saints et de la cité bien-aimée (Apoc. XX, 8. ).

 

Veillez, ô Grégoire, sur cette ville sainte qui fut votre épouse sur la terre. Déjouez des plans perfides, ranimez le zèle des enfants de l'Eglise, afin que, par leur courage et par leurs largesses, ils continuent de venir en aide à la plus sacrée des causes.

 

Priez, ô Pontife, pour l'ordre épiscopal dont le Siège Apostolique est la source. Fortifiez les oints du Seigneur dans la lutte qu'ils ont à soutenir contre les tendances d'une société qui a expulsé le Christ de ses lois et de ses institutions. Qu'ils soient revêtus de la force d'en haut, fidèles dans la confession de l'antique doctrine, empressés à prémunir les fidèles exposés à tant de séductions dans ce fatal naufrage des vérités et des devoirs. Dans un temps comme le nôtre, la force de l'Eglise n'est plus que dans les âmes ; ses appuis extérieurs ont disparu presque partout. Le divin Esprit, dont la mission est de soutenir ici-bas l'œuvre du Fils de Dieu, l'assistera jusqu'au dernier jour ; mais il veut pour instruments des hommes dégagés des préoccupations de la vie présente, résignés, s'il le faut, à l'impopularité, résolus à braver tout pour proclamer l'immuable enseignement de la Chaire suprême. Par la miséricorde divine, ils sont nombreux aujourd'hui dans la sainte Eglise, ô Grégoire, les pasteurs conformes à l'intention de celui que saint Pierre appelle le Prince des pasteurs (I Petr. V, 4.)

 

Priez, afin que tous, à votre exemple, aiment la justice et haïssent l'iniquité, aiment la vérité et haïssent l'erreur ; qu'ils ne craignent ni l'exil, ni la persécution, ni la mort ; car le disciple n'est pas au-dessus du maître (MATTH. X, 24.).

 

DOM GUÉRANGER
L'Année Liturgique
  

 

Scènes de la Vie du Christ par Giovanni da Rimini

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20 mai 2011 5 20 /05 /mai /2011 04:00

Dans une autre saison de l'année liturgique, lorsque nous apportions nos hommages et nos vœux au berceau de l'Enfant divin, une de nos journées fut consacrée à célébrer la gloire et à goûter la douceur de son nom. La sainte Eglise tressaillait de bonheur en prononçant ce nom chéri que son céleste Epoux a choisi de toute éternité, et le genre humain respirait à l’aise, en songeant que le grand Dieu qui pourrait s'appeler le Juste et le Vengeur, consentait à se nommer désormais le Sauveur.

 

Le pieux Bernardin de Sienne, que nous fêtons aujourd'hui, nous apparut alors portant dans ses mains et élevant aux regards des hommes ce nom béni entouré de rayons. Il invitait toute la terre à vénérer avec amour et confiance cette appellation sacrée sous laquelle se révèle divinement toute l'économie de notre salut. L'Eglise attentive acceptait ce signe sacré ; elle encourageait ses fidèles à recevoir des mains de l'homme de Dieu un bouclier si puissant contre les traits de l'esprit des ténèbres, à goûter surtout un nom qui nous apprend jusqu'à quel excès Dieu a aimé le monde ; et lorsque le saint nom de Jésus eut enfin conquis par son adorable beauté tous les cœurs chrétiens, elle lui consacra une des plus touchantes solennités du Temps de Noël.

 

Aujourd'hui le noble enfant de saint François a reparu, et ses mains tiennent toujours la glorieuse effigie du nom sacré. Mais ce n'est plus l'appellation prophétique de l'Enfant nouveau-né, le doux nom que la Vierge-mère murmurait avec tendresse et respect, penchée sur son berceau ; c'est un nom qui retentit plus fort que tous les tonnerres, c'est le trophée de la plus éclatante des victoires, c'est la prophétie accomplie en son entier. Le nom de Jésus promettait au genre humain un Sauveur ; Jésus a sauvé le genre humain en mourant et en ressuscitant pour lui ; il est maintenant Jésus dans toute la plénitude de son nom. Parcourez la terre, et dites-nous en quel lieu ce nom n'est pas connu ; dites-nous quel autre nom a jamais réuni les hommes en une seule famille.

 

Les chefs des prêtres ont voulu arrêter l'essor de ce nom victorieux, l'étouffer dans Jérusalem ; ils ont dit aux Apôtres : "Nous vous défendons d'enseigner en ce nom" ; et c'est pour leur répondre que Pierre a prononcé cette forte sentence qui résume toute l'énergie de la sainte Eglise : "Mieux vaut obéir à Dieu qu'aux hommes". Autant eût valu essayer d'arrêter le soleil dans son cours ; et lorsque bientôt la puissance romaine s'est mise en devoir de mettre obstacle par ses édits à la marche triomphante de ce nom devant lequel tout genou doit fléchir, elle s'est vue réduite à l'impuissance. Au bout de trois siècles le nom de Jésus planait sur le monde romain tout entier.

 

Armé de ce signe sacré, Bernardin parcourut au XVe siècle les villes de l'Italie armées les unes contre les autres, et souvent même divisées jusque dans leur propre sein. Le nom de Jésus entre ses mains devenait l'arc-en-ciel de la paix ; tout genou fléchissait, tout cœur ulcéré et vindicatif s'apaisait, tout pécheur courait aux sources du pardon, dans tous les lieux où Bernardin avait arboré ce puissant symbole. Les trois lettres qui représentent ce nom à jamais béni devenaient familières à tous les fidèles ; on les sculptait, on les gravait, on les peignait partout ; et la catholicité acquérait pour jamais une expression nouvelle de sa religion et de son amour envers le Sauveur des hommes.

 

Prédicateur inspiré, Bernardin a laissé de nombreux écrits qui révèlent en lui un docteur de premier ordre dans la science de Dieu. Il nous serait agréable, si l'espace nous le permettait, de le laisser exposer ici les grandeurs du mystère de la Pâque ; donnons du moins son sentiment sur l'apparition du Sauveur ressuscité à sa sainte mère. Le lecteur catholique verra avec joie l'unité de doctrine sur ce point si important régner entre l'école franciscaine représentée par saint Bernardin, et l'école dominicaine dont nous avons produit le témoignage à la fête de saint Vincent Ferrier.

 

" De ce que l'histoire évangélique ne donne aucun détail sur la visite que le Christ fit à sa mère pour la consoler, après qu'il fut ressuscité, on ne saurait conclure que le très miséricordieux Jésus, source de toute grâce et de toute consolation, si empressé à réjouir les siens par sa présence, aurait oublié sa mère qu'il savait avoir été si pleinement abreuvée des amertumes de sa Passion. Mais il a plu à la providence de Dieu de ne pas nous manifester cette particularité par le texte même de l'Evangile, et cela pour trois raisons.

" En premier lieu, à cause de la fermeté de la foi qui était en Marie. La certitude qu'avait la Vierge-mère de la résurrection de son fils ne fut ébranlée en rien, même pas par le doute le plus léger. On le croira aisément, si l'on veut réfléchir à la grâce très particulière dont fut remplie la mère du Christ-Dieu, la reine des Anges, la maîtresse de l'univers. Le silence de l'Ecriture à ce sujet en dit plus que l'affirmation même aux âmes vraiment éclairées. Nous avons appris à connaître Marie lors de la visite de l'Ange, au moment où l'Esprit-Saint la couvrit de son ombre ; nous l'avons retrouvée au pied de la croix, mère de douleurs, se tenant près de son fils mourant. Si donc l'Apôtre a pu dire : "En proportion de ce que vous aurez eu part aux souffrances, vous participerez aux consolations" ; calculez d'après cela la mesure selon laquelle la Vierge-mère dut être associée aux joies de la résurrection. On doit donc tenir pour certain que son très doux fils ressuscité l'a consolée avant tous les autres. C'est ce que la sainte Eglise Romaine semble vouloir exprimer en célébrant à Sainte-Marie-Majeure la Station du jour de Pâques. Autrement si, de ce que les Evangélistes n'en disent rien, vous vouliez conclure que son fils ressuscité ne lui est pas apparu en premier lieu, il faudrait aller jusqu'à dire qu'il ne s'est pas du tout montré à elle, puisque les mêmes Evangélistes, dans les diverses apparitions qu'ils rapportent, n'en signalent pas une seule qui la concerne. Une telle conclusion aurait quelque chose d'impie.

" En second lieu, le silence de l'Evangile s'explique par l'infidélité des hommes. Le but de l'Esprit-Saint, en dictant les Evangiles, était de décrire celles des apparitions qui pouvaient enlever tout doute aux hommes charnels au sujet de la croyance en la résurrection du Christ. La qualité de mère eût diminué à leurs yeux le témoignage de Marie ; et c'est pour ce motif qu'elle n'a pas été alléguée, bien qu'il ne pût y avoir, assurément, parmi tous les êtres nés ou à naître, si l'on en excepte l'humanité de son fils, aucune créature dont l'assertion méritât mieux d'être admise par toute âme vraiment pieuse. Mais il fallait que le texte évangélique ne nous produisît que des témoignages qui fussent de nature à être émis en présence de tout le monde ; quant à l'apparition de Jésus à sa mère, l'Esprit-Saint l'a laissée à ceux qui sont éclairés de sa lumière.

" En troisième lieu, ce silence s'explique par la sublimité même de l'apparition. Après la résurrection, les Evangiles ne disent plus rien sur la mère du Christ, par cette raison que ses relations de tendresse avec son fils furent désormais tellement sublimes, tellement ineffables, qu'il n'y aurait pas de termes pour les exprimer. Il est deux sortes de visions : l'une purement corporelle, et faible en proportion ; l'autre qui a son siège principal dans l'âme, et qui ne convient qu'aux âmes déjà transformées. Admettez, si vous voulez, que Madeleine a eu part avant les autres à la vision purement corporelle, pourvu que vous reconnaissiez que la Vierge a vu avant elle, et d'une manière bien autrement sublime, son fils ressuscité, qu'elle l'a reconnu, et qu'elle a joui tout d'abord de ses délicieux embrassements dans son âme plus encore que dans son corps.

(Sermo LII Dominica in resurrectione, art. III.).

 

Lisons maintenant, dans les Leçons trop abrégées de l'Office de saint Bernardin, le récit de ses vertus : 

Bernardin Albizesca, issu d'une noble famille de Sienne, donna dès son enfance des marques éclatantes de sainteté. Elevé dans des habitudes honnêtes par ses parents qui étaient vertueux, il négligea les jeux de l'enfance, et dès ses premières études sur la grammaire on le vit se livrer aux Œuvres de la piété, au jeune, à l'oraison, et particulièrement au culte de la très sainte Vierge. La charité envers les pauvres éclatait en lui. Après quelques années, dans le but de mieux pratiquer encore toutes ces vertus, il voulut être du nombre des confrères qui servent Dieu à Sienne dans l'hôpital de Notre-Dame de la Scala, d'où sont sortis plusieurs personnages célèbres par leur sainteté. Il s'y exerça avec une ferveur et une charité incroyables à la mortification de son corps et au soin des malades, durant une peste qui sévissait cruellement sur la ville. Entre autres vertus, il garda inviolablement la chasteté, malgré les dangers que pouvait lui susciter la rare beauté de ses traits ; et tel fut le respect qu'il inspira, que les plus licencieux n'auraient osé prononcer un mot déshonnête en sa présence.

 

Après une grave maladie qu'il avait endurée avec la plus héroïque patience pendant quatre mois, il conçut le dessein d'embrasser la vie religieuse. Afin de s'y disposer, il loua une petite maison à l'extrémité de la ville, où il vécut inconnu, menant la vie la plus austère, et priant Dieu continuellement de lui faire connaître le parti qu'il devait prendre. L'inspiration divine lui fit préférer l'Ordre de Saint-François, où il excella en humilité, en patience et en toutes les autres vertus religieuses. Le gardien du couvent ayant remarqué cette haute vertu, et connaissant d'ailleurs la science à laquelle ce religieux était arrivé dans les saintes lettres, lui imposa le devoir de la prédication. Le saint accepta humblement cet emploi, bien qu'il s'y reconnût peu propre, à cause de la faiblesse et de l'enrouement de sa voix, mais ayant imploré le secours de Dieu, il se trouva délivré miraculeusement de cet obstacle.

 

A cette époque, un débordement de crimes était répandu en Italie, et de sanglantes factions y foulaient aux pieds toutes les lois divines et humaines. Bernardin parcourut les villes et les villages au nom de Jésus qu'il avait toujours à la bouche et dans le cœur, et vint à bout par ses discours et ses exemples de rétablir presque partout la piété et les bonnes mœurs qui avaient disparu. Plusieurs villes considérables le demandèrent au pape pour leur évêque; mais Bernardin refusa constamment cette dignité par une humilité invincible. Enfin cet homme de Dieu, après d'immenses fatigues, après de grands et nombreux miracles, ayant composé des écrits remplis de piété et de doctrine, et vécu soixante-six ans, termina sa vie par une sainte mort à Aquila, ville de l'Abruzze. Il éclata par de nouveaux miracles ; et, six ans après sa mort, le pape Nicolas V le mit au nombre des Saints.

 

Qu'ils sont beaux, ô Bernardin, les rayons qui forment nom de Jésus ! Que leur lumière est douce, au moment où le Fils de Dieu reçoit ce nom sauveur, le huitième jour après sa naissance ! Mais quel œil mortel pourrait supporter leur éclat, lorsque Jésus opère notre salut, non plus dans l'humilité et la souffrance, mais par le triomphe de sa résurrection ? C'est au milieu des splendeurs pascales du nom de Jésus que vous nous apparaissez, ô Bernardin ! Ce nom que vous avez aimé et glorifié vous associe désormais à son immortelle victoire.

 

Maintenant donc répandez sur nous, plus abondamment encore que vous ne le faisiez sur la terre, les trésors d'amour, d'admiration et d'espérance dont ce divin nom est la source, et purifiez les yeux de notre âme, afin que nous puissions un jour contempler avec vous ses magnificences.

 

Apôtre de la paix, l'Italie, dont vous avez si souvent apaisé les factions, a droit de vous compter au rang de ses protecteurs. Voyez-la en ces jours livrée en proie aux ennemis du Sauveur des hommes, rebelle à la voix de la sainte Eglise, et tristement abandonnée à son sort. Ne vous souviendrez-vous pas que c'est dans son sein que vous avez pris naissance, qu'elle fut docile à votre voix, et que longtemps votre mémoire lui fut chère ? Intervenez en sa faveur ; arrachez-la à ceux qui l'oppriment, et montrez qu'au défaut des armées de la terre, les milices célestes peuvent toujours sauver les villes et les provinces.

 

Illustre fils du grand patriarche d'Assise, l'Ordre séraphique vous vénère comme l'une de ses principales colonnes. Vous avez ravivé dans son sein l'observance primitive ; continuez du haut du ciel à protéger l'œuvre commencée par vous ici-bas. La famille de saint François est l'un des plus fermes appuis de la sainte Eglise ; faites-la fleurir toujours, soutenez-la dans les tempêtes, multipliez-la en proportion des besoins du peuple fidèle ; car vous êtes le second père de cette famille sacrée, et vos prières sont puissantes auprès du Rédempteur dont vous avez confessé le nom glorieux sur la terre.

 

DOM GUÉRANGER
L'Année Liturgique

  

Madone à l'Enfant avec Saint Antoine et Saint Bernardin de Sienne

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19 mai 2011 4 19 /05 /mai /2011 15:00

A côté de Léon, l'insigne Docteur, Jésus ressuscité appelle en ce jour l'humble Pierre Célestin, Pontife suprême comme Léon, mais à peine assis sur la chaire apostolique, qu'il en est descendu pour retourner au désert. Entre tant de héros dont est formée la chaîne des Pontifes romains, il devait s'en rencontrer à qui fût donnée la charge de représenter plus spécialement la noble vertu d'humilité ; et c'est à Pierre Célestin que la grâce divine a dévolu cet honneur.

 

Arraché au repos de sa solitude pour être élevé sur le trône de saint Pierre et tenir dans ses mains tremblantes les formidables clefs qui ouvrent et ferment le ciel, le saint ermite a regardé autour de lui ; il a considéré les besoins de l'immense troupeau du Christ, et sondé ensuite sa propre faiblesse. Oppressé sous le fardeau d'une responsabilité qui embrasse la race humaine tout entière, il s'est jugé incapable de supporter plus longtemps un tel poids ; il a déposé la tiare, et imploré la faveur de se cacher de nouveau à tous les regards humains dans sa chère sollicitude. Ainsi le Christ, son Maître, avait d'abord enfoui sa gloire dans une obscurité de trente années, et plus tard sous le nuage sanglant de sa Passion et sous les ombres du sépulcre. Les splendeurs de la divine Pâque ont tout à coup dissipé ces ténèbres, et le vainqueur de la mort s'est révélé dans tout son éclat. Mais il veut que ses membres aient part à son triomphe, et que la gloire dont ils brilleront éternellement soit, comme la sienne, en proportion de leur empressement à s'humilier dans les jours de cette vie mortelle.

 

Quelle langue pourrait décrire l'auréole qui entoure le front de Pierre Célestin, en retour de cette obscurité au sein de laquelle il a cherché l'oubli des hommes avec plus d'ardeur que d'autres ne recherchent leur estime et leur admiration ? Grand sur le trône pontifical, plus grand au désert, sa grandeur dans les cieux dépasse toutes nos pensées.

 

Pour le louer, la sainte Eglise lui a consacré les lignes suivantes, aussi simples que la vie du Pontife anachorète : 

Pierre, nommé Célestin, du nom qu'il prit lorsqu'il fut créé pape, naquit de parents honnêtes et catholiques à Isernia dans les Abruzzes. A peine entré dans l'adolescence, il se retira au désert pour garantir son âme des séductions du monde. Il la nourrissait dans cette solitude par la contemplation, et réduisait son corps en servitude, portant sur sa chair une chaîne de fer. Il institua sous la règle de Saint-Benoît la congrégation connue depuis sous le nom de Célestins.

 

L'Eglise Romaine ayant été longtemps sans pasteur, il fut choisi à son insu pour occuper la chaire de saint Pierre, et on le tira de son désert où il ne pouvait plus demeurer caché davantage, comme on place la lumière sur le chandelier. Un événement si peu ordinaire ravit tout le monde de joie et d'admiration. Mais lorsque Pierre, élevé à cette dignité sublime, sentit que la multitude des affaires préoccupant son esprit, il pouvait à peine vaquer comme auparavant à la méditation des choses célestes, il renonça volontairement à la charge et à la dignité. Il reprit donc son ancien genre de vie, et s'endormit dans le Seigneur, par une mort précieuse, qui fut rendue plus glorieuse encore par l'apparition d'une croix lumineuse que l'on vit briller dans les airs au-dessus de l'entrée de sa cellule.

 

Pendant sa vie et après sa mort, il éclata par un grand nombre de miracles qui, ayant été soigneusement examinés, portèrent Clément V à l'inscrire au nombre des Saints, onze ans après sa mort.

 

Vous avez obtenu l'objet de votre ambition, ô Célestin ! il vous a été accordé de descendre les degrés du trône apostolique, et de rentrer dans le calme de cette vie cachée qui avait si longtemps fait toutes vos délices. Jouissez des charmes de l'obscurité que vous aviez tant aimée ; elle vous est rendue avec tous les trésors de la contemplation, dans le secret de la face de Dieu. Mais cette obscurité n'aura qu'un temps, et quand l'heure sera venue, la Croix que vous avez préférée à tout se dressera lumineuse à la porte de votre cellule, vous invitant à prendre part au triomphe pascal de celui qui est descendu du ciel pour nous apprendre que quiconque s'abaisse sera élevé.

 

Votre nom, ô Célestin, brillera jusqu'au dernier jour du monde sur la liste des Pontifes romains ; vous êtes l'un des anneaux de cette chaîne qui rattache la sainte Eglise à Jésus son fondateur et son époux ; mais une plus grande gloire vous est réservée, celle de faire cortège à ce divin Christ ressuscité. La sainte Eglise, qui un moment s'est inclinée devant vous pendant que vous teniez les clefs de Pierre, vous rend depuis des siècles et vous rendra jusqu'au dernier jour l'hommage de son culte, parce qu'elle reconnaît en vous un des élus de Dieu, un des princes de la céleste cour.

 

Et nous aussi, ô Célestin ! nous sommes appelés à monter là où vous êtes, à contempler éternellement comme vous le plus beau des enfants des hommes, le vainqueur de la mort et de l'enfer. Mais une seule voie peut nous y conduire : celle que vous avez vous-même suivie, la voie de l'humilité. Fortifiez en nous cette vertu, ô Célestin ! et allumez-en le désir dans nos cœurs.

 

Substituez le mépris de nous-mêmes à l'estime que nous avons trop souvent le malheur d'en faire. Rendez-nous indifférents à toute gloire mondaine, fermes et joyeux dans les abaissements , afin qu'ayant "bu l'eau du torrent", comme notre Maître divin, nous puissions un jour, comme lui et avec vous, "relever notre tête" et entourer éternellement le trône de notre commun libérateur. 

 

DOM GUÉRANGER
L'Année Liturgique
 

 

Saint Celestin V par Bartolomeo Romano 

Au château de Fumone, près d’Alatri dans le Latium, en 1296, la naissance au ciel de saint Pierre Célestin. Alors qu’il menait une vie d’ermite dans les Abruzzes, la renommée de sa simplicité et de ses miracles le firent élire comme pontife romain à l’âge de quatre-vingts ans. Il prit le nom de Célestin V, mais il abdiqua la même année, préférant revenir à sa solitude. Il termina sa vie, enfermé dans un château, entièrement isolé du monde.  
Martyrologe romain

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19 mai 2011 4 19 /05 /mai /2011 10:00

Un touchant souvenir du premier âge de l'Eglise Romaine se rattache à ce jour. Une vierge chrétienne, la noble Pudentienne, l'a illustré par son trépas. Fille d'un riche Romain nommé Pudens, de la famille de ce premier Pudens que mentionne saint Paul dans la deuxième Epître à Timothée (II Tim. IV, 21.), elle eut le bonheur, ainsi que sa sœur Praxède,  d'être initiée dès le berceau à la foi chrétienne, et toutes deux consacrèrent à Jésus-Christ leur virginité.

 

A la mort de leur père, les deux sœurs distribuèrent aux pauvres leur opulent héritage, et consacrèrent leur vie tout entière aux bonnes œuvres. L'Eglise était à la veille de la persécution d'Antonin. Pudentienne, à peine âgée de seize ans, mais déjà mûre pour le ciel, prit son vol vers l'Epoux divin au fort de la tempête. Sa sœur lui survécut assez longtemps ; nous la retrouverons sur le Cycle de la sainte Eglise au 21 juillet.

 

La maison de Pudentienne, déjà consacrée, du temps de son aïeul, par le séjour de saint Pierre, fut mise par la vierge elle-même à la disposition du saint pape Pie Ier, et les divins Mystères y furent célébrés. Depuis lors elle est regardée comme l'un des plus augustes sanctuaires de Rome, et dans le cours du Carême la Station nous y a appelés le Mardi de la troisième semaine.

 

Pudentienne est une tendre fleur que l'Eglise Romaine offre aujourd'hui au divin Ressuscité. Les siècles n'ont point épuisé son parfum ; et, pure comme son nom, sa mémoire demeurera chère aux enfants de l'Eglise jusqu'au dernier jour du monde.

 

L'éloge que la sainte Liturgie lui consacre n'est, pour ainsi dire, qu'un simple souvenir ; mais ce souvenir est immortel : 

La vierge Pudentienne , fille de Pudens, sénateur romain, ayant perdu ses parents, se consacra tout entière, avec un zèle admirable, aux exercices de la piété chrétienne. D'accord avec sa sœur Praxède, elle distribua aux pauvres l'argent qu'elle avait retiré de la vente de son patrimoine, et s'appliqua avec zèle au jeûne et à l'oraison.

 

Par ses soins, toute sa famille, composée de quatre-vingt-seize personnes, reçut le baptême des mains du pape Pie. L'empereur Antonin ayant défendu par un édit aux chrétiens de pratiquer publiquement leur religion, le pontife célébrait les saints Mystères en présence des fidèles dans la maison de Pudentienne.

 

Elle recevait les chrétiens avec une grande charité, et leur fournissait les choses nécessaires à la vie. Elle mourut dans la pratique de  tous ces devoirs de la piété, et fut ensevelie dans le tombeau de son père, au cimetière de Priscille, sur la Voie Salaria, le quatorze des calendes de juin.

 

Semblable à la colombe de l'Arche, qui ne trouva pas où poser son pied sur le sol encore empreint de la colère de Dieu, vous avez pris votre vol, ô Pudentienne ! et vous êtes venue vous réfugier dans le sein de Jésus votre Pasteur et votre Epoux. Ainsi, au dernier jour du monde, les âmes des élus, revêtues de leurs corps glorieux, imiteront le vol de l'aigle, et se rendront autour de Jésus avec la rapidité que le roi des airs met à fondre sur sa proie. Ces âmes fuiront la terre profanée, de même que vous avez fui les abominations de Rome païenne qui s'enivrait du sang des martyrs. Nous saluons votre départ, ô vierge, dans un sentiment d'espérance pour nous-mêmes ; nous saluons votre arrivée près de l'Epoux, dans le désir de nous y rencontrer un jour avec vous.

 

Détachez-nous de tout ce qui passe ; faites-nous aimer de plus en plus cette vie nouvelle que la Pâque a répandue en nous ; faites, par vos prières, que nous n'ayons plus d'attrait pour cette autre vie inférieure qui n'est pas celle de Jésus ressuscité.

 

Fille de la sainte Eglise de Rome, intercédez aussi pour votre mère. Aux jours de Léon XIII elle souffre comme aux jours de Pie Ier. Après avoir régné longtemps sur les nations chrétiennes, elle est abandonnée et désavouée aujourd'hui par des peuples qui lui doivent tout, et qui tournent contre elle ses propres bienfaits. Soyez-lui en aide, ô Pudentienne ! et subvenez à votre auguste mère. 

 

DOM GUÉRANGER
L'Année Liturgique
 

 

Basilica Santa Pudenziana 1

BASILIQUE SAINTE PUDENTIENNE DE ROME 

 

Basilica Santa Pudenziana 2

 

Santa Pudenziana

SAINTE PUDENTIENNE

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