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"Je vous donne un commandement nouveau : c'est de vous aimer les uns les autres.
Comme je vous ai aimés, vous aussi aimez-vous les uns les autres.
Ce qui montrera à tous les hommes que vous êtes mes disciples, c'est l'amour que vous aurez les uns pour les autres."
Evangile de Jésus-Christ selon saint Jean
" Le Défenseur, l'Esprit Saint que le Père enverra en mon nom, lui, vous enseignera tout, et il vous fera souvenir de tout ce que je vous ai dit."
Évangile de Jésus Christ selon saint Jean
Saint Père François
1er mai 2011 Béatification de Jean-Paul II
Béatification du Serviteur de Dieu Jean-Paul II
Béatification du Père Popieluszko
à Varsovie, 6 juin 2010, Dimanche du Corps et du Sang du Christ
Varsovie 2010
Basilique du
Sacré-Cœur de Montmartre
Sanctuaire de l'Adoration Eucharistique et de la Miséricorde
Divine
La miséricorde de Dieu
est comme un torrent débordé. Elle entraîne les cœurs sur son passage.
(Saint Curé d'Ars)
Le côté du Christ a été transpercé et tout le mystère de Dieu sort de là. C’est tout le mystère de Dieu qui aime, qui se livre jusqu’au bout, qui se donne jusqu’au bout. C’est le don le plus
absolu qui soit. Le don du mystère trinitaire est le cœur ouvert. Ce n’est pas une image, c’est une réalité. C’est la réalité la plus profonde qui soit, la réalité de
l’amour.
Père Marie-Joseph Le
Guillou
Dans le cœur transpercé
de Jésus sont unis
le Royaume du Ciel
et la terre d'ici-bas
la source de la vie
pour nous se trouve là.
Ce cœur est cœur divin
Cœur de la Trinité
centre de convergence
de tous les cœur humains
il nous donne la vie
de la Divinité.
Sainte Thérèse Bénédicte de la Croix
(Edith Stein)
Le Sacré-Cœur représente toutes les puissances d'aimer, divines et humaines, qui sont en
Notre-Seigneur.
Père Marie-Eugène de l'Enfant
Jésus
feuille d'annonces de la Basilique du Sacré-Coeur de
Montmartre
Notre Dame de Grâce
Cathédrale Notre Dame de Paris
Ordinations du
samedi 27 juin 2009 à Notre Dame de Paris
la vidéo sur
KTO
Magnificat
Solennité de l’Immaculée Conception de la Vierge Marie à Notre-Dame de
Paris
NOTRE DAME DES VICTOIRES
Notre-Dame des
Victoires
... ma vocation, enfin je l’ai trouvée, ma vocation, c’est l’Amour !
SAINT PIERRE ET SAINT ANDRÉ
BENOÎT XVI à CHYPRE
Salutation avec l'Archevêque Chrysostomos à l'église d' Agia Kyriaki Chrysopolitissa de Paphos, le vendredi 4 juin 2010
Benoît XVI en Terre Sainte
Visite au chef de l'Etat, M. Shimon Peres
Visite au mémorial de la Shoah, Yad Vashem
Yahad-In Unum
Vicariat hébréhophone en Israël
Mgr Fouad Twal
Vierge de Vladimir
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Lorsque l’évangile du cinquième dimanche proclame la résurrection de Lazare, nous nous trouvons face au mystère ultime de notre existence : "Je suis la résurrection et la vie... le crois-tu ?" (Jn 11, 25-26).
A la suite de Marthe, le temps est venu pour la communauté chrétienne de placer, à nouveau et en conscience, toute son espérance en Jésus de Nazareth : "Oui Seigneur, je crois que tu es le Christ, le Fils de Dieu, qui vient dans le monde" (v.27).
La communion avec le Christ, en cette vie, nous prépare à franchir l’obstacle de la mort pour vivre éternellement en Lui.
La foi en la résurrection des morts et l’espérance en la vie éternelle ouvrent notre intelligence au sens ultime de notre existence : Dieu a créé l’homme pour la résurrection et la vie ; cette vérité confère une dimension authentique et définitive à l’histoire humaine, à l’existence personnelle, à la vie sociale, à la culture, à la politique, à l’économie.
Privé de la lumière de la foi, l’univers entier périt, prisonnier d’un sépulcre sans avenir ni espérance.
Benoît XVI
extrait du Message pour le Carême 2011
Que Ton Nom soit sanctifié
La première demande du Notre Père nous rappelle le deuxième commandement du Décalogue : "Tu n'invoqueras pas le nom du Seigneur ton Dieu pour le mal" (Ex 20, 7; cf. Dt 5, 11). Mais qu'est-ce donc que 'le nom de Dieu' ? Quand nous l'évoquons nous avons devant nous l'image de Moïse, qui voit dans le désert un buisson qui était en feu sans se consumer. Poussé par la curiosité, il s'approche pour voir de plus près ce mystérieux événement, mais alors une voix l'appelle du milieu du buisson, et cette voix lui dit : "Je suis le Dieu de ton père, Dieu d'Abraham, Dieu d'Isaac, Dieu de Jacob" (Ex 3, 6). Ce Dieu le renvoie en Égypte avec la mission de faire sortir d'Égypte le peuple d'Israël et de le conduire vers la Terre promise. Au nom de Dieu, Moïse doit demander au pharaon la délivrance d'Israël.
Mais dans le monde de l'époque, il y avait beaucoup de dieux. Moïse demande donc à Dieu son nom, le nom par lequel ce Dieu pourra justifier de son autorité particulière vis-à-vis des autres dieux. L'idée du nom de Dieu fait donc d'abord partie du monde polythéiste, où ce Dieu doit aussi se donner un nom. Mais le Dieu qui appelle Moïse est vraiment Dieu. Dieu au sens strict et vrai n'existe pas au pluriel. Par nature, Dieu est unique. C'est pourquoi il ne peut pas entrer dans le monde des dieux comme un parmi d'autres, et il ne peut pas avoir un nom parmi d'autres.
Aussi, la réponse de Dieu est-elle à la fois refus et assentiment. Il dit simplement de lui-même "Je suis celui qui suis". II est, un point c'est tout. Cette réponse est à la fois un nom et une absence de nom. Il était donc tout à fait juste qu'en Israël, cette auto-désignation de Dieu, entendue sous le mot YHWH, n'ait pas été prononcée et qu'elle ne se soit pas dégradée pour devenir une sorte de nom idolâtrique. Il n'était donc pas juste que, dans les traductions récentes de la Bible, on écrive comme n'importe quel autre nom ce nom resté toujours mystérieux et imprononçable pour Israël, réduisant ainsi le mystère de Dieu, dont il n'y a ni images ni noms prononçables, et le ramenant dans la banalité d'une histoire générale des religions.
II n'en reste pas moins que Dieu n'a pas purement et simplement rejeté la demande de Moïse, et, afin de comprendre l'imbrication étrange du nom et de l'absence de nom, nous devons comprendre ce qu'est un nom. Nous pourrions simplement dire : le nom crée la possibilité de l'invocation, de l'appel. Il crée une relation. Quand Adam nomme les animaux, cela ne signifie pas qu'il exprime leur nature, mais qu'il les intègre dans son univers humain et qu'il fait en sorte de pouvoir les appeler. Partant de là, nous comprenons l'aspect positif du nom de Dieu : Dieu crée une relation entre lui et nous. Il fait en sorte qu'on puisse l'invoquer. Il entre en relation avec nous et il nous permet d'être en relation avec lui. Mais cela signifie qu'il entre, d'une façon ou d'une autre, dans notre monde humain. Il est devenu accessible et par là aussi vulnérable. Il prend le risque de la relation, le risque d'être avec nous.
Ce qui parvient à son accomplissement dans son incarnation s'origine dans le don du nom. Lors de l'étude de la prière sacerdotale de Jésus, nous verrons qu'en effet Jésus se présente alors comme le nouveau Moïse : "J'ai fait connaître ton nom aux hommes" (Jn 17, 6). Ce qui a commencé avec le Buisson ardent dans le désert du Sinaï s'accomplit avec le Buisson ardent de la croix. En son fils devenu homme, on peut dire que Dieu est désormais devenu vraiment accessible. Il fait partie de notre monde, il s'est en quelque sorte remis entre nos mains.
Nous comprenons alors ce que signifie la demande de sanctifier le nom de Dieu. Désormais, on peut abuser du nom de Dieu et ainsi souiller Dieu lui-même. Le nom de Dieu peut être récupéré, et alors l'image de Dieu est déformée. Plus Dieu se remet entre nos mains, plus nous pouvons obscurcir sa lumière. Plus il est proche, plus notre abus de lui peut le rendre méconnaissable.
Martin Buber disait qu'en voyant l'abus honteux qu'on faisait du nom de Dieu, on peut perdre tout courage de le nommer. Mais le taire serait plus encore un refus de son amour qui vient à notre rencontre. Buber affirmait que nous ne pourrions que ramasser, dans le plus grand respect, les lambeaux du nom sali et essayer de les purifier. Mais seuls, nous en sommes incapables. Nous ne pouvons que lui demander de ne pas laisser détruire dans ce monde la lumière de son nom.
Benoît XVI
Jésus de Nazareth
tome 1, chapitre V (extrait)
Moïse devant le Buison Ardent par Domenico Feti
" Ce qui a commencé avec le Buisson ardent dans le désert du Sinaï s'accomplit avec le Buisson ardent de la croix."
Notre Père qui es aux cieux
Nous commençons en nous adressant au Père. Dans son interprétation du Notre Père, Reinhold Schneider écrit : "Le Notre Père commence en nous apportant une grande consolation ; nous pouvons dire 'Père'. Ce mot contient toute l'histoire de la Rédemption. Nous pouvons dire 'Père', car le Fils était notre frère et nous a révélé le Père ; parce que, par l'action du Christ, nous sommes redevenus des enfants de Dieu". Pour l'homme d'aujourd'hui cependant, la grande consolation contenue dans le mot 'père' n'est pas aussi évidente, car l'expérience du 'père' est souvent soit totalement absente soit obscurcie par la défaillance des pères.
Ainsi, nous devons avant tout apprendre à partir de Jésus ce que 'père' signifie précisément. Quand Jésus parle, le père apparaît comme la source de tout bien, comme le critère de l'homme devenu juste ('parfait') : "Eh bien, moi je vous dis : aimez vos ennemis et priez pour ceux qui vous persécutent, afin d'être vraiment les fils de votre Père qui est dans les cieux, car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons" (Mt 5, 44). L'amour qui va "jusqu'au bout" (Jn 13, 1), que le Seigneur a accompli sur la croix en priant pour ses ennemis, nous montre la nature du Père. Il est cet Amour. Parce que Jésus accomplit cet amour, il est entièrement 'Fils', et il nous invite - à partir de ce critère - à devenir à notre tour des 'fils'.
Regardons maintenant un autre texte. Le Seigneur rappelle qu'aux enfants qui demandent du pain, les pères ne donnent pas une pierre, et il continue en disant : "Si donc, vous qui êtes mauvais, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus votre Père qui est aux cieux donnera-t-il de bonnes choses à ceux qui les lui demandent" (Mt 7, 11). Luc spécifie le 'bien' que donne le Père, en disant : "combien plus le Père céleste donnera-t-il l'Esprit-Saint à ceux qui le lui demandent" (Lc 11, 13). Cela veut dire que le don de Dieu est Dieu lui-même, le 'bien' qu'il nous donne, c'est lui-même. Ce passage manifeste de façon surprenante de quoi il s'agit dans la prière. Il ne s'agit pas de ceci ou de cela, il importe seulement que Dieu veuille vraiment se donner à nous : tel est le don de tous les dons, "la seule chose nécessaire" (Lc 10, 42). La prière est un chemin qui nous conduit progressivement à purifier nos désirs, à les corriger et à découvrir peu à peu ce qui nous fait vraiment défaut : Dieu et son Esprit.
Quand le Seigneur enseigne qu'il faut découvrir la nature de Dieu le Père à partir de l'amour des ennemis et qu'il faut y trouver sa 'perfection' afin de devenir soi-même 'fils', alors la relation entre le Père et le Fils est évidente. Il est dès lors manifeste que, dans le reflet de la figure de Jésus, nous découvrons qui est Dieu et comment il est : Par le Fils, nous trouvons le Père. "Celui qui m'a vu, a vu le Père", dit Jésus lors de la Cène à Philippe, qui avait demandé : "montre-nous le Père" (Jn 14, 8-9). Seigneur, montre-nous le Père, répétons-nous sans cesse à Jésus, et la réponse est encore et toujours le Fils. Par lui, et seulement par lui, nous apprenons à connaître le Père. Ainsi se révèlent la mesure et le modèle de la vraie paternité. Le Notre Père ne projette pas une image humaine sur le ciel, mais il nous montre à partir du ciel - à partir de Jésus -comment nous devrions et comment nous pouvons devenir des hommes.
Cependant, en y regardant de plus près, nous pouvons maintenant constater que, d'après le message de Jésus, la paternité de Dieu comporte deux dimensions. Tout d'abord, Dieu est notre Père en tant qu'il est notre Créateur. Parce qu'il nous a créés, nous lui appartenons. L'être en tant que tel vient de lui, il est donc bon et il est participation de Dieu. Cela vaut tout particulièrement pour l'homme. Le verset 15 du Psaume 33 dit, dans sa traduction latine : "lui qui leur a modelé un même cœur est attentif à toutes leurs œuvres". L'idée que Dieu a créé chaque individu fait partie de l'image de l'homme contenue dans la Bible. Chaque homme est individuellement et comme tel voulu par Dieu. Il connaît chacun personnellement. En ce sens, déjà en vertu de la création, l'être humain est de manière spéciale 'fils' de Dieu, et Dieu est son véritable Père. Dire que l'homme est à l'image de Dieu est une autre manière d'exprimer cette idée.
Nous en arrivons ainsi à la deuxième dimension de la paternité de Dieu. De façon singulière, le Christ est "image de Dieu". À partir de là, les Pères de l'Eglise ont dit que Dieu, en créant l'homme "à son image", a d'emblée regardé vers Jésus et créé l'homme à l'image du "nouvel Adam", de l'Homme qui est le modèle de l'humanité. Mais surtout, Jésus est au sens propre "le Fils" - de la même substance que le Père. Il veut nous faire entrer tous dans son "être homme" et, par là, dans son "être fils", dans la pleine appartenance à Dieu.
Ainsi, la filiation est devenue un concept dynamique : nous ne sommes pas encore de manière achevée des fils de Dieu, mais nous devons le devenir et l'être de plus en plus à travers notre communion de plus en plus profonde avec Jésus. Être fils, c'est suivre le Christ. La parole qui qualifie Dieu comme Père devient alors pour nous un appel : vivre comme 'fils' et 'fille'. "Tout ce qui est à moi est à toi", dit Jésus au Père dans la prière sacerdotale (Jn 17, 10), et la même chose est dite par le père au frère aîné du fils prodigue (Lc 15, 31). Le terme de 'père' nous invite à vivre à partir de cette conscience. Dès lors est dépassée aussi la folie de la fausse émancipation qui se trouvait au début de l'histoire du péché de l'humanité. Car, en écoutant la parole du serpent, Adam veut devenir lui-même Dieu et se passer de Dieu. On voit qu'être 'fils' ne signifie pas être dépendant, mais se tenir dans la relation d'amour qui porte l'existence humaine en lui donnant sa grandeur et son sens.
Reste, pour finir, une question : Dieu, n'est-il pas aussi mère ? L'amour de Dieu est comparé à l'amour d'une mère : "De même qu'une mère console son enfant, moi-même je vous consolerai" (Is 66, 13). "Est-ce qu'une femme peut oublier son petit enfant, ne pas chérir le fils de ses entrailles ? Même si elle pouvait l'oublier, moi, je ne t'oublierai pas" (Is 49, 15). Le mystère de l'amour maternel de Dieu ressort de façon particulièrement impressionnante du mot hébreu rahamim, qui signifie en fait le sein maternel, mais qui finit par désigner la compassion de Dieu pour l'homme, la miséricorde de Dieu. Dans l'Ancien Testament, des organes du corps humain servent à maintes reprises à désigner des attitudes fondamentales de l'homme, mais aussi les dispositions de Dieu, tout comme le cœur ou le cerveau disent aujourd'hui encore quelque chose de notre propre existence. Ainsi, l'Ancien Testament présente les attitudes fondamentales de l'existence non pas en termes abstraits, mais dans le langage métaphorique du corps. Le sein maternel est l'expression la plus concrète pour signifier le lien intime entre deux existences et l'attention portée à la créature faible et dépendante qui, dans son corps et dans son âme, est totalement protégée dans le sein de sa mère. Le langage métaphorique du corps nous permet donc de comprendre plus profondément les dispositions de Dieu vis-à-vis des hommes qu'un langage conceptuel quel qu'il soit.
Si dans le langage formé à partir de la corporéité de l'homme, l'amour de la mère semble inscrit dans l'image de Dieu, il n'en reste pas moins que Dieu n'est jamais qualifié de mère ni invoqué comme mère, que ce soit dans l'Ancien ou dans le Nouveau Testament. Dans la Bible, le mot 'mère' n'est pas un titre de Dieu. Pourquoi ? Nous ne pouvons que tâtonner dans notre tentative de compréhension. Bien sûr, Dieu n'est ni homme ni femme, étant précisément le créateur de l'homme et de la femme. Les divinités mères, dont le peuple d'Israël tout comme l'Eglise du Nouveau Testament étaient entourées, montrent une image de la relation entre Dieu et le monde contraire à l'image de Dieu contenue dans la Bible. Elles englobent toujours, et sans doute nécessairement, des conceptions panthéistes qui font disparaître la différence entre le Créateur et la créature. L'existence des choses et des hommes apparaît nécessairement, à partir de ce point de départ, comme une émanation du sein maternel de l'Être qui, entrant dans le temps, se concrétise dans la diversité des réalités existantes.
A l'inverse, l'image du père était et reste toujours en mesure d'exprimer l'altérité du créateur et de la créature, la souveraineté de son acte créateur. C'est seulement en excluant les divinités mères que l'Ancien Testament a pu mûrir son image de Dieu, qui est pure transcendance. Même si nous ne pouvons pas fournir de justifications absolument convaincantes, la norme doit rester pour nous le langage de la prière de toute la Bible, et nous l'avons constaté, malgré les grandes images de l'amour maternel, le mot 'mère' ne figure pas parmi les titres de Dieu ; ce n'est pas un nom avec lequel nous pouvons nous adresser à Dieu. Ainsi nous prions comme Jésus nous l'a enseigné sur la base de l'Écriture Sainte, et non pas sur la base de notre inspiration ou de notre caprice. C'est la seule façon de prier comme il faut.
Pour finir, nous devons réfléchir sur le mot 'notre'. Seul Jésus pouvait dire de plein droit "mon Père", car lui seul est vraiment le Fils unique de Dieu, de la même substance que le Père. Nous tous, par contre, devons dire "notre Père". Seul le 'nous' des disciples nous permet de nommer Dieu Père, car c'est uniquement à travers la communion avec Jésus Christ que nous devenons vraiment 'fils de Dieu'. Ainsi, ce mot 'notre' nous interpelle : il exige que nous sortions de la clôture de notre 'je'. Il exige que nous entrions dans la communauté des autres fils de Dieu. Il exige que nous nous départions de tout ce qui nous est propre et qui nous sépare des autres. Il exige de nous que nous acceptions autrui, les autres, et que nous leur ouvrions notre oreille et notre cœur. Avec le mot 'notre', nous proclamons notre adhésion à l'Église vivante, dans laquelle le Seigneur voulait réunir sa nouvelle famille. Ainsi, le Notre Père est à la fois une prière très personnelle et pleinement ecclésiale. En disant le Notre Père, nous prions chacun de tout notre cœur, mais nous prions en même temps en communion avec la famille de Dieu, avec les vivants et les morts, avec les hommes de toutes conditions, de toutes les cultures et de toutes les races. Le Notre Père fait de nous une famille, au-delà de toutes les frontières.
À partir du 'notre', nous comprenons aussi le deuxième ajout : "qui es aux cieux". Par ces mots, nous ne plaçons pas Dieu, le Père, sur un quelconque astre lointain, mais nous énonçons que nous, tout en ayant des pères terrestres différents, nous provenons cependant tous d'un seul Père, qui est la mesure et l'origine de toute paternité. "Frères, je tombe à genoux devant le Père, qui est la source de toute paternité au ciel et sur la terre" dit saint Paul (Ep 3, 14). Et en arrière-fond, nous entendons la parole du Seigneur : "Ne donnez à personne sur terre le nom de père, car vous n'avez qu'un seul Père, celui qui est aux cieux" (Mt23, 9).
La paternité de Dieu est plus réelle que la paternité humaine, parce qu'en dernière instance nous tirons de lui notre être ; parce que, éternellement, il nous a pensés et voulus ; parce qu'il nous fait don de la vraie maison paternelle, celle qui est éternelle. Et si la paternité terrestre sépare, la paternité céleste réunit. Le mot ciel signifie donc cette autre dimension de la majesté de Dieu, dont nous venons tous et vers laquelle nous devons tous aller. La paternité "aux cieux" nous renvoie à ce 'nous' plus grand qui dépasse toutes les frontières, qui abat toutes les murailles et qui crée la paix.
Benoît XVI
Jésus de Nazareth
tome 1, chapitre V (extrait)
Le Retour du Fils Prodigue par Murillo
"Tout ce qui est à moi est à toi", dit Jésus au Père dans la prière sacerdotale (Jn 17, 10), et la même chose est dite par le père au frère aîné du fils prodigue (Lc 15, 31).
La troupe héroïque se mit en marche aux accents inspirés de la vierge, dont la puissance surhumaine dominait encore cette scène sublime.
Les deux confesseurs étaient conduits par le nouveau chrétien Maxime, escortés par des soldats dont le front était encore humide de la rosée baptismale. Les Actes ne nous disent pas si la vierge suivit son époux et son frère jusqu'au lieu du triomphe. Il est à croire qu'après les adieux d'une séparation qui ne devait pas durer un long temps, Cécile demeura dans Rome.
En peu d'heures elle allait être appelée à rendre les derniers honneurs aux martyrs du Christ que le glaive aurait immolés. Depuis l'ouverture de la persécution, ce pieux devoir marquait pour ainsi dire chacune de ses journées ; mais les martyrs dont elle allait bientôt recueillir et honorer la sainte dépouille, n'intéresseraient plus seulement sa foi ; ils devaient représenter les plus tendres affections de son coeur d'épouse et de soeur. Ce ne fut donc pas un sentiment de faiblesse ou de timidité qui retint la vierge dans la ville, au départ des deux jeunes héros. Que pouvait craindre Cécile sur la terre, elle qui, pour la garde de sa virginité, avait su braver le courroux d'un époux païen, et qui, sous peu de jours, défierait sur son tribunal le représentant de la loi romaine ?
Les martyrs et leur pieuse escorte s'acheminèrent vers la voie Àppienne. Le long des tombeaux dont le luxe accompagnait cette voie durant plusieurs milles, leur marche se dirigeait vers le pagus Triopius. Le souvenir de Pierre rencontrant en ces mêmes lieux le Christ chargé de sa croix, redoubla l'ardeur des deux frères. A droite et à gauche, derrière la haie somptueuse des mausolées, les cryptes chrétiennes étendaient silencieusement sous terre leurs vastes et profondes galeries, et les martyrs purent saluer en passant le lit de leur glorieux repos. En prenant sur la gauche pour descendre vers le pagus, ils laissaient à droite le tombeau de Caecilia Metella qui rappelait à Valérien le nom de l'épouse qu'il avait reçue du ciel, et à laquelle il devait bien plus que le bonheur d'ici-bas. C'était de quelques jours seulement qu'il la devançait, et bientôt elle se réunirait à lui pour jamais dans leur unique patrie. Les fureurs d'Almachius faisaient assez pressentir que l'heure approchait pour la noble vierge. Le seul désir de Valérien en ce monde, à cette heure suprême, était désormais de reposer non loin d'elle, après la victoire, dans la cité des martyrs, loin du faste profane de leurs aïeux.
On fut bientôt arrivé au pagus. Sur l'une des inscriptions d'Hérode Atticus en l'honneur d'Annia Regilla, il était appelé Hospitalier, ainsi que nous l'avons dit plus haut ; mais aux chrétiens il n'avait alors à offrir que le glaive ou l'apostasie. Les prêtres de Jupiter attendaient avec l'encens.
Martyre de Valérien et Tiburce - Oratoire de Sainte Cécile, Église Saint-Jacques le Majeur à Bologne
Fresque de la vie de Sainte Cécile : scène 5 par Amico Aspertini
Tiburce et Valérien furent invités à rendre leurs hommages à l'idole. Ils refusèrent, se mirent à genoux et tendirent le cou aux bourreaux. Les soldats devenus chrétiens ne pouvant tirer le glaive sur des martyrs, d'autres bras s'offrirent, car il y avait là des exécuteurs en permanence, et ces deux têtes glorieuses reçurent du même coup la mort et la couronne de vie.
À ce moment, le ciel s'ouvrit aux yeux de Maxime, et il entrevit un instant la félicité des saints. Il fut aisé à cet officier chrétien d'Almachius de soustraire les corps des deux héros et de les consigner aux mains de Cécile, en qui il vénérait la mère spirituelle qui, la nuit précédente, l'avait présenté au baptême. Cécile, qui s'était rendue dans sa villa de la voie Appienne, attendait avec transport l'arrivée des dépouilles triomphales. Elle les reçut avec une tendre vénération ; mais l'hypogée chrétien des Caecilii n'était pas encore assez avancé pour leur offrir un asile convenable. De l'autre côté de la voie, au cimetière de Prétextat, non loin de la tombe de Januarius, un cubiculum pouvait les recevoir. Cécile jugea que les martyrs y reposeraient avec plus d'honneur, et ce fut là qu'elle ensevelit les corps de son époux et de son frère. Rien ne manqua à cette sépulture chrétienne, ni les larmes d'adieu et d'espérance, ni les parfums, ni la palme, ni la couronne, symboles de la plus éclatante victoire.
Les heureux témoins du martyre de Valérien et de Tiburce étaient rentrés dans Rome, pleins d'admiration pour le courage de ceux qui avaient été leurs initiateurs aux secrets de la vie éternelle, et tous aspiraient à les suivre au plus tôt. Maxime surtout se sentait brûler d'un feu divin, et il ne cessait de répéter qu'il avait entrevu l'aurore du jour éternel. "Au moment même où le glaive frappait les martyrs, disait-il en l'affirmant avec serment, j'ai vu les anges de Dieu resplendissants comme des soleils. J'ai vu l'âme de Valérien et celle de Tiburce sortir de leurs corps, semblables à de jeunes épouses parées pour la fête nuptiale. Les anges les recevaient dans leur sein, et, s'envolant vers le ciel, les emportaient avec eux". En disant ces paroles, il versait des larmes de joie et de désir. Beaucoup de païens se convertirent après l'avoir entendu ; ils renoncèrent aux idoles et se soumirent avec une foi sincère au Dieu unique, créateur de toutes choses.
La conversion du greffier Maxime parvint aux oreilles d'Almachius. Il en fut d'autant plus irrité que cette défection courageuse avait eu de nombreux imitateurs, non seulement dans la famille de Maxime, mais encore au dehors. Le sort de cet officier de la justice romaine fut bientôt décidé. Il n'eut pas la tête tranchée comme les deux patriciens ; le juge ordonna qu'il fût assommé avec des fouets armés de balles de plomb : c'était le supplice des personnes d'un rang inférieur.
Le martyr rendit généreusement à Dieu l'âme dont Valérien et Tiburce lui avaient révélé le prix et les destinées. Cécile voulut l'ensevelir de ses propres mains. Sur le sarcophage qu'elle lui destina, la vierge fit sculpter l'emblème du phénix, en souvenir de l'allusion que Tiburce avait empruntée de cet oiseau merveilleux, pour donner à Maxime l'idée de la résurrection de nos corps. Par ses ordres, ce tombeau fut placé au cimetière de Prétextat, dans la crypte où reposaient déjà Valérien et Tiburce.
La sensation que dut produire dans la haute société de Rome l'exécution des deux jeunes patriciens était de nature à inquiéter le Palatin, où l'on ne pouvait se dissimuler l'action du christianisme sur un grand nombre de membres de l'aristocratie. Après l'application d'une sentence de mort, avait lieu la confiscation des biens ; mais cette sentence de mort avait été à peine prévue. Pour la provoquer, il avait fallu l'attitude méprisante que Tiburce et Valérien avaient témoignée envers le paganisme ; un procès capital avait remplacé ce qui ne devait être qu'une solennelle1 remontrance. On ne jugea donc pas à propos de mettre immédiatement la main sur les biens personnels des deux martyrs. Le palais des Valerii au Transtévère, avec son riche mobilier, tentait l'avidité du fisc ; mais Cécile était héritière de la fortune de son époux. Le moyen efficace d'atteindre cette proie était d'amener la veuve du martyr à quelque démonstration hostile aux lois de l'Empire contre les chrétiens. On ne provoquerait pas Cécile à sacrifier aux dieux : son caractère était trop connu pour qu'on osât risquer une telle imprudence ; mais on pouvait essayer de la compromettre, en même temps qu'on emploierait les pièges de la légalité pour la dépouiller.
L'appréhension d'avoir à se mesurer avec cette jeune veuve dont l'énergie et l'indépendance chrétienne n'étaient ignorées de personne, fut cause que plusieurs mois s'écoulèrent avant que Cécile eût reçu aucune citation à comparaître devant Almachius, à qui le Palatin laissait le soin de terminer cette odieuse affaire.
Dans sa prévoyance, Cécile profita du répit qui lui était donné, pour distribuer aux pauvres les richesses mobilières qu'elle trouvait sous sa main. A la veille de son départ pour le ciel, elle voulait, selon l'Evangile, envoyer devant elle ses trésors. Quant à la maison qu'elle avait habitée avec Valérien, sa pieuse ambition était, en imitant Praxède et Pudentienne, d'en faire un nouveau Titre pour le service de l'église romaine.
Almachius, qui sentait le besoin de réparer son honneur compromis en pleine audience par les rudes répliques de Tiburce et de Valérien, imagina d'abord de tendre un piège à Cécile, en cherchant à provoquer de sa part, sans publicité, un acte de complaisance envers l'idolâtrie, espérant s'en couvrir comme d'un succès.
DOM GUÉRANGER
SAINTE CÉCILE ET LA SOCIÉTÉ ROMAINE AUX DEUX PREMIERS SIÈCLES (pages 166 à 173)
Alors qu'en Matthieu le Notre Père est introduit par une courte catéchèse sur la prière en général, en Luc nous le trouvons dans un autre contexte, lorsque Jésus est sur le chemin de Jérusalem. Luc introduit la prière du Seigneur par cette remarque : "Un jour, quelque part, Jésus était en prière. Quand il eut terminé, un de ses disciples lui demanda : Seigneur, apprends-nous à prier" (Lc 11, 1).
Le contexte est donc la rencontre avec Jésus en prière, qui éveille chez les disciples le désir qu'il leur enseigne à prier. C'est très caractéristique pour Luc, qui a accordé à Jésus en prière une place particulière dans son Évangile. L'agir de Jésus dans son ensemble procède de sa prière, il est porté par elle. Ainsi, des événements essentiels de son chemin, dans lesquels se révèle progressivement son mystère, se présentent comme des événements de prière. La confession de foi de Pierre, lorsque ce dernier reconnaît Jésus en tant que Dieu Saint, est placée dans le contexte de la rencontre avec Jésus en prière (Lc 9, 18-21). La transfiguration de Jésus est également un événement de prière (9, 28-36).
Il est donc significatif que Luc place le Notre Père dans le contexte de la prière personnelle de Jésus lui-même. Il nous fait ainsi participer à sa prière ; il nous conduit à l'intérieur du dialogue intime de l'amour trinitaire ; il hisse pour ainsi dire nos détresses humaines jusqu'au cœur de Dieu. Cependant, cela signifie aussi que les paroles du Notre Père nous indiquent le chemin de la prière intérieure ; elles représentent des orientations fondamentales pour notre existence ; elles veulent nous conformer à l'image du Fils. La signification du Notre Père dépasse la simple communication de paroles de prière. Le Notre Père veut former notre être, il veut nous mettre dans les mêmes dispositions que Jésus.
Pour l'interprétation du Notre Père, cela signifie deux choses. D'abord, il est très important d'écouter aussi précisément que possible la parole de Jésus telle qu'elle nous est transmise dans l'Écriture. Nous devons, dans la mesure du possible, chercher vraiment à connaître les pensées que Jésus voulait nous transmettre par ces paroles. Mais nous ne devons pas perdre de vue que le Notre Père vient de sa propre prière, du dialogue du Fils avec son Père. Cela veut dire qu'il plonge dans une grande profondeur, au-delà des mots. Il englobe toute l'étendue de l'humanité de tous les temps, c'est la raison pour laquelle une interprétation purement historique, si nécessaire soit-elle, ne pourra pas le sonder.
Grâce à leur union intime avec le Seigneur les grands priants de tous les siècles ont pu descendre dans les profondeurs au-delà des mots, ils peuvent donc continuer à nous faire accéder à la richesse cachée de la prière. Et chacun de nous, grâce à sa relation personnelle avec Dieu, peut se sentir accueilli et gardé dans cette prière. Avec sa mens, son propre esprit, il doit sans cesse aller à la rencontre de la vox, la parole venant du Fils vers nous ; il doit s'ouvrir à elle et se laisser guider par elle. Ainsi, le cœur de chacun s'ouvrira et il verra comment le Seigneur veut à ce moment prier avec lui.
Le Notre Père nous est transmis par Luc sous une forme plus brève, et par Matthieu dans la forme reçue par l'Eglise, qui continue à l'utiliser dans sa prière. La discussion sur l'antériorité de telle ou telle forme n'est pas superflue, mais elle n'est pas décisive. Dans l'une comme dans l'autre version, nous prions avec Jésus, et nous sommes reconnaissants du fait que la forme matthéenne des sept demandes développe clairement ce qui, chez Luc, semble suggéré en partie seulement.
Avant d'entrer dans l'interprétation détaillée regardons maintenant brièvement la structure du Notre Père tel qu'il nous est transmis par Matthieu. Elle se compose d'abord d'une invocation initiale et de sept demandes. Trois d'entre elles sont formulées à la deuxième personne du singulier, quatre à la première personne du pluriel. Dans les trois premières demandes, il s'agit de Dieu lui-même dans ce monde ; dans les quatre demandes suivantes, il s'agit de nos espérances, de nos besoins et de nos difficultés. On pourrait comparer la relation entre les deux sortes de demandes du Notre Père avec la relation entre les deux tables du Décalogue, qui sont en fait des développements des deux parties du commandement principal — l'amour de Dieu et l'amour du prochain — nous conduisant à entrer dans le chemin de l'amour.
Ainsi, dans le Notre Père est affirmé d'abord le primat de Dieu, dont découle naturellement la question de la juste façon d'être homme. Ici, il s'agit également d'abord du chemin de l'amour, qui est en même temps le chemin de la conversion. Afin qu'il puisse demander de la bonne façon, l'homme doit se tenir dans la vérité. Et la vérité, c'est d'abord Dieu, le Royaume de Dieu.
Avant tout, nous devons sortir de nous-mêmes et nous ouvrir à Dieu. Rien ne sera à sa place tant que nous ne serons pas à notre juste place par rapport à Dieu. Le Notre Père commence donc avec Dieu et il nous conduit, à partir de lui, sur les voies de "l'être homme". Pour finir, nous descendons jusqu'à l'ultime menace pour l'homme guetté par le Malin. Ici, peut surgir en nous l'image du dragon de l'Apocalypse, qui mène la guerre contre les hommes "qui observent les commandements de Dieu et qui gardent le témoignage pour Jésus".
Mais le commencement reste toujours présent : nous savons que Notre Père est auprès de nous, qu'il nous tient dans sa main, qu'il nous sauve. Le père Hans Peter Kolvenbach parle dans son livre d'exercices spirituels d'un starets orthodoxe qui ne pouvait s'empêcher "de faire réciter le Notre Père en commençant par le dernier mot, afin qu'on devienne digne de clore la prière avec les paroles initiales : Notre Père. De cette manière, déclarait-il, on prend le chemin pascal : on commence dans le désert avec la tentation, on retourne en Égypte, on parcourt à nouveau le chemin de l'Exode, par les stations du Pardon et de la manne de Dieu, pour arriver grâce à la volonté de Dieu dans la Terre promise, le Royaume de Dieu, où il nous communique le mystère de son Nom : Notre Père."
Les deux chemins, l'ascendant et le descendant, peuvent ensemble nous rappeler que le Notre Père est toujours une prière de Jésus et qu'elle s'éclaire à partir de la communion avec lui. Nous prions le Père qui est aux cieux, que nous connaissons à travers son Fils. Jésus se tient toujours derrière les demandes, comme nous le verrons dans les explications détaillées.
Et enfin, le Notre Père étant une prière de Jésus, c'est une prière trinitaire. Nous prions le Père avec Jésus et par le Saint-Esprit.
Benoît XVI
Jésus de Nazareth
tome 1, chapitre V (extrait)
La Transfiguration par Fra Angelico
" La transfiguration de Jésus est également un événement de prière."
Durant cette exécution, qui avait lieu en dehors du prétoire, les passions s'agitaient au dedans. Quelle serait la fin de cette cause, que l'inhabile magistrat avait menée avec tant d'imprudence ?
Au lieu de deux jeunes gens qu'il n'avait voulu qu'intimider, il avait en face deux chrétiens, dignes, par leur mâle courage, d'être comparés aux plus héroïques martyrs qu'il venait d'envoyer à la mort. Laisserait-il se retirer, après un châtiment passager, ces hommes qui avaient insulté les divinités de l'Empire, bravé les lois, et défié un représentant de la puissance publique jusque sur son siège; ou sévirait-il contre eux jusqu'à la peine capitale ? Un conseil perfide, qui faisait appel à sa cupidité, fixa les incertitudes d'Almachius. Tarquinius, son assesseur, lui dit en particulier : "Finis-en avec eux : l'occasion est bonne. Si tu mets du retard, ils continueront de distribuer leurs richesses aux pauvres jusqu'à ce qu'elles soient épuisées, et, quand ils auront été enfin punis de la peine capitale, tu ne trouveras plus rien."
Almachius comprit ce langage. Ses intérêts pouvaient être mêlés jusqu'à un certain point avec ceux du fisc ; il résolut donc de ne pas laisser échapper la proie. Les deux frères furent de nouveau amenés devant lui, Valérien, le corps ensanglanté par les verges, et Tiburce, saintement jaloux que son frère lui eût été préféré dans l'honneur de souffrir pour le Christ. La sentence fut immédiatement rendue ; elle était commune aux deux jeunes patriciens, et portait qu'ils seraient conduits au pagus Triopius, situé sur la voie Appienne, entre la troisième et la quatrième borne milliaire. Au bord de la route, s'élevait le temple de Jupiter, qui servait comme d'entrée au pagus. Valérien et Tiburce seraient invités à brûler de l'encens devant l'idole, et, s'ils refusaient de le faire, ils auraient la tête tranchée.
C'en était fait : les deux frères, entraînés par la soldatesque, se mettaient en marche pour le lieu de leur martyre. Ils allaient s'éloigner de Rome, sans qu'il eût été donné à Valérien de revoir un instant son épouse, à Tiburce de prendre congé de sa soeur ; tant était rapide le mouvement qui les emportait l'un et l'autre vers la patrie des anges. Cécile n'avait pas été présente à l'interrogatoire des deux confesseurs ; mais l'ardeur de ses prières les avait assistés devant le juge, et ils s'étaient montrés dignes d'elle et de leur baptême. Dieu, cependant, qui voulait que la vierge survécût à leur départ pour le ciel, ménageait, à ce moment même, une entrevue pleine de consolation pour les trois amis.
Maxime, greffier d'Almachius, avait été désigné pour accompagner les martyrs au lieu de l'épreuve. C'était à lui de rendre compte au juge de l'issue du drame. Il devait ramener libres Tiburce et Valérien, s'ils sacrifiaient aux dieux, ou certifier leur exécution, s'ils persistaient dans la profession du christianisme. A la vue de ces deux jeunes hommes qui marchaient d'un pas si léger vers le supplice, et s'entretenaient ensemble avec une joie tranquille et une ineffable tendresse, Maxime ne put retenir ses larmes, et leur adressant la parole : "Ô noble et brillante fleur de la jeunesse romaine ! s'écria-t-il ; ô frères unis par un amour si tendre ! vous vous obstinez donc dans le mépris des dieux, et, au moment de perdre toutes choses, vous courez à la mort comme à un festin !"
Tiburce lui répondit : "Si nous n'étions pas assurés que la vie qui doit succéder à celle-ci durera toujours, penses-tu donc que nous montrerions tant d'allégresse à celte heure ? — Et quelle peut être cette autre vie ? dit Maxime. — Comme le corps est recouvert par les vêtements, reprit Tiburce, ainsi l'âme est revêtue du corps ; et de même que l'on dépouille le corps de ses vêtements, ainsi en sera-t-il de l'âme à l'égard du corps. Le corps, dont l'origine grossière est la terre, sera rendu à la terre ; il sera réduit en poussière pour ressusciter, comme le phénix, à la lumière qui doit se lever. Quant à l'âme, si elle est pure, elle sera transportée dans les délices du paradis, pour y attendre, au sein des plus enivrantes félicités, la résurrection du corps."
Ce discours inattendu fit une vive impression sur Maxime. C'était la première fois qu'il entendait un langage opposé au matérialisme, dans lequel l'ignorance païenne avait plongé sa vie tout entière. Il fit un mouvement vers cette lumière nouvelle qui se révélait à lui : "Si j'avais la certitude de cette vie future dont tu me parles, répondit-il à Tiburce, je sens que moi aussi je serais disposé à mépriser la vie présente". Alors Valérien, plein d'une sainte ardeur que lui communiquait l'Esprit divin, s'adressa ainsi à Maxime : Puisqu'il ne te faut plus que la preuve de la vérité que nous t'avons annoncée, reçois la promesse que je te fais en ce moment. A l'heure où le Seigneur va nous faire la grâce de déposer le vêtement de notre corps pour la confession de son nom, il daignera t'ouvrir les yeux, afin que tu voies la gloire dans laquelle nous entrerons. Une seule condition est mise à cette faveur, c'est que tu te repentes de tes erreurs passées. — J'accepte, dit Maxime, et je me dévoue aux foudres du ciel, si, dès l'heure même, je ne confesse pas le Dieu unique qui fait succéder une autre vie à celle-ci. C'est maintenant à vous de tenir votre promesse, et de m'en faire voir l'effet."
Par cette réponse, Maxime offrait déjà son nom à la milice chrétienne ; mais les deux frères ne voulaient pas quitter la terre avant qu'il eût obtenu, sous leurs yeux, le bienfait de la régénération. Ils lui dirent donc : "Persuade aux gens qui doivent nous immoler de nous conduire à ta maison ; ils nous y garderont à vue ; ce n'est que le retard d'un jour. Nous ferons venir celui qui doit te purifier, et, dès cette nuit, tu verras déjà ce que nous t'avons promis". Maxime ne balança pas un instant. Tous les calculs de la vie présente, ses craintes et ses espérances, n'étaient déjà plus rien à ses yeux. Il conduisit à sa maison les martyrs avec l'escorte qui les accompagnait, et tout aussitôt Tiburce et Valérien commencèrent à lui expliquer la doctrine chrétienne. La famille du greffier, les soldats eux-mêmes, assistaient à la prédication des deux apôtres, et tous, divinement éclairés par leur langage si vrai et si solennel, voulurent croire en Jésus-Christ.
Cécile avait été avertie de ce qui se passait par un message de Valérien. Ses ferventes prières avaient sans doute contribué à obtenir du ciel une si grande effusion de grâces ; mais il s'agissait de consommer l'oeuvre divine dans ces hommes si rapidement conquis à la foi chrétienne. Cécile disposa toutes choses avec cette vigueur et cette sagesse qu'elle savait mettre en tout, et, quand la nuit fut arrivée, elle entra dans la maison de Maxime, suivie de plusieurs prêtres qu'elle amenait avec elle.
Le langage des anges pourrait seul rendre la douceur de l'entrevue que la bonté de Dieu avait préparée pour les deux époux, sur la route de la patrie céleste. Les roses prophétiques de la couronne de Valérien allaient bientôt s'épanouir au soleil de l'éternité ; celles qui ornaient le front de Cécile devaient, quelques jours encore, exhaler leur parfum sur la terre. Il dut leur être doux de repasser ensemble la suite des desseins de Dieu sur eux, et les voies que la grâce leur avait fait parcourir, depuis l'entretien mystérieux de la chambre nuptiale, jusqu'à ce moment où Valérien n'avait plus qu'à saisir la palme qui s'offrait à lui. Tiburce, le favori des anges, la seconde conquête de Cécile, ne pouvait manquer de mêler à ces colloques suprêmes toute l'effusion de son âme tendre et dévouée.
Mais les deux frères, mais la vierge, ne perdaient pas de vue cette moisson fortunée qui avait surgi tout a coup sur le chemin du martyre ; le moment pressait de la recueillir pour les greniers du Père céleste. Sous les yeux de Cécile, de son époux et de son frère, au milieu des vives actions de grâces qu'ils rendaient au Seigneur, Maxime et sa famille, tous les soldats, professèrent solennellement la foi chrétienne, et les prêtres répandirent sur leurs têtes l'eau qui purifie et renouvelle les âmes. Cette maison du greffier d'Almachius était devenue un temple, et tous ceux qui l'habitaient, durant ces heures dérobées au ciel, n'avaient entre eux qu'un coeur et qu'une âme.
Cependant la nuit avait achevé son cours, et l'aurore paraissait au ciel. C'était le jour du martyre pour Valérien et pour Tiburce, le 18 des calendes de mai (14 avril). Un silence solennel mit fin aux transports que la foi faisait naître dans ces coeurs unanimes. La voix de Cécile le rompit tout à coup, donnant par ces paroles du grand Paul le signal du départ : "Allons, s'écria-t-elle, soldats du Christ, rejetez les oeuvres de ténèbres, et revêtez-vous des armes de la lumière. Vous avez dignement combattu, vous avez achevé votre course, vous avez gardé la foi. Marchez à la couronne de vie ; le juste juge vous la donnera, à vous et à tous ceux qui se réjouissent de son avènement."
La troupe héroïque se mit en marche aux accents inspirés de la vierge, dont la puissance surhumaine dominait encore cette scène sublime.
DOM GUÉRANGER
SAINTE CÉCILE ET LA SOCIÉTÉ ROMAINE AUX DEUX PREMIERS SIÈCLES (pages 160 à 165)