L'austère réformateur des mœurs chrétiennes au XIe siècle, le précurseur du saint pontife Grégoire VII, Pierre Damien en un mot,
paraît aujourd'hui sur le Cycle. A lui revient une partie de la gloire de cette magnifique régénération qui s'accomplit en ces jours où le jugement dut commencer par la maison de Dieu. Dressé à
la lutte contre les vices sous une sévère institution monastique, Pierre s'opposa comme une digue au torrent des désordres de son temps, et contribua puissamment à préparer, par l'extirpation des
abus, deux siècles de foi ardente qui rachetèrent les hontes du Xe siècle. L'Eglise a reconnu tant de science, de zèle et de noblesse, dans les écrits du saint Cardinal, que, par un jugement
solennel, elle l'a placé au rang de ses Docteurs.Apôtre de la pénitence, Pierre Damien nous appelle à la conversion, dans
les jours où nous sommes ; écoutons-le et montrons-nous dociles à sa voix.
Nous lirons d'abord le récit de ses actions dans
les Leçons de l'Office que l'Eglise lui a consacré :
Pierre, né à Ravenne, de parents aisés, étant encore à la mamelle, fut rejeté par sa mère qui était mécontente d'avoir
un grand nombre d'enfants. Il fut recueilli demi-mort et soigné par une personne de la maison, qui le rendit à la mère, après l'avoir rappelée aux sentiments de l'humanité. Ayant
perdu ses parents, il se vit réduit à une dure servitude, sous la tutelle d'un de ses frères qui le traita comme un vil esclave. Ce fut alors qu'il donna un rare exemple
de religion envers Dieu, et de piété filiale. Ayant trouvé par hasard une pièce de monnaie, au lieu de l'employer à soulager sa propre indigence, il la porta à un prêtre, lui demandant
d'offrir le divin Sacrifice pour le repos de l'âme de son père. Un autre de ses frères nommé Damien, dont on dit qu'il a tiré son nom, l'accueillit avec bonté, et
l'instruisit dans les lettres. Pierre y fit de si rapides progrès, qu'il devint l'objet de l'admiration des maîtres eux-mêmes. Son habileté et sa réputation dans les
sciences libérales l'ayant fait connaître, il les enseigna lui-même avec honneur. Dans cette nouvelle situation, afin de soumettre les sens à la raison, il portait un cilice sous des
habits recherchés, se livrant avec ardeur aux jeûnes, aux veilles et aux oraisons. Etant dans l'ardeur de la jeunesse, et se sentant vivement pressé des aiguillons de la chair, il allait la nuit
éteindre ces flammes rebelles dans les eaux glacées d'un fleuve ; puis il se mettait en marche pour visiter les sanctuaires en vénération, et récitait le Psautier tout entier. Il soulageait les
pauvres avec un zèle assidu, et les servait de ses propres mains dans des repas qu'il leur donnait fréquemment.
Désirant mener une vie plus parfaite, il entra
dans le monastère d'Avellane, au diocèse de Gubbio, de l'Ordre des moines de Sainte-Croix de Fontavellane, fondé par le bienheureux Ludolphe, disciple de saint Romuald. Peu après, envoyé par son
Abbé à l'abbaye de Pomposia, puis à celle de Saint-Vincent de Petra-Pertusa, il édifia ces deux monastères par ses prédications saintes , par son enseignement distingué et par sa manière de
vivre. A la mort de son Abbé, la communauté d'Avellane le rappela pour le mettre à sa tête ; et il développa d'une manière si remarquable cette famille monastique par les nouvelles maisons qu'il
créa, et par les saintes institutions qu'il lui donna, qu'on le regarde avec raison comme le second père de cet Ordre et son principal ornement. Plusieurs monastères d'institut différent, des
chapitres de chanoines, des populations entières, éprouvèrent les salutaires effets du zèle de Pierre Damien. Il rendit de nombreux services au diocèse d'Urbin ; il secourut l'évêque Theuzon dans
une cause importante, et l'aida par ses conseils et par ses travaux dans la bonne administration de son évêché. La contemplation des choses divines, les macérations du corps et les autres traits
d'une sainteté consommée élevèrent à un si haut point sa réputation, que le pape Etienne IX, malgré la résistance du saint, le créa Cardinal de la sainte Eglise Romaine et Evêque d'Ostie. Pierre
éclata dans ces hautes dignités par des vertus et des œuvres en rapport avec la sainteté du ministère épiscopal.
Par sa doctrine, ses légations et toute sorte de
travaux, il fut d'un secours merveilleux à l'Eglise Romaine et aux Souverains Pontifes, dans des temps très difficiles. Il combattit jusqu'à la mort avec un zèle intrépide l'hérésie Simoniaque et
celle des nicolaïtes. Après avoir purgé de ce double fléau l'Eglise de Milan, il la réconcilia avec l'Eglise Romaine. Il s'opposa courageusement aux antipapes Benoît et Cadalous. Il retint Henri
IV, roi de Germanie, qui était sur le point de divorcer injustement avec son épouse. La ville de Ravenne fut ramenée par lui à l'obéissance au Pontife Romain, et rétablie dans la jouissance des
choses saintes. Il mit la réforme chez les chanoines de Vellétri. Dans la province d'Urbin, presque toutes les Eglises épiscopales éprouvèrent ses services ; celle de Gubbio, qu'il administra
pendant quelque temps, fut par lui soulagée d'un grand nombre de maux ; quant aux autres, il les soigna toujours autant qu'il lui fut possible, comme si elles eussent été confiées à sa garde.
S'étant démis du cardinalat et de la dignité épiscopale, il ne relâcha rien de son empressement à soulager le prochain.
Il fut le propagateur du jeûne du Vendredi, en l'honneur du mystère de la Croix de Jésus-Christ, et du petit Office de la Mère
de Dieu, ainsi que de son culte le jour du Samedi.
Il étendit par son zèle l'usage de la discipline volontaire, pour l'expiation des péchés qu'on a commis. Enfin, après une vie
tout éclatante de sainteté, de doctrine, de miracles et de grandes actions, lorsqu'il revenait de la légation de Ravenne, son âme s'envola vers le Christ, à Faënza, le huit des calendes de mars.
Son corps, gardé dans cette ville chez les Cisterciens, est honoré d'un grand nombre de miracles, du concours et de la vénération des peuples. Plus d'une fois les habitants de Faënza ont éprouvé
son secours dans les calamités ; et pour ce motif, leur ville l'a choisi pour patron auprès de Dieu. Son Office et sa Messe, qui se célébraient déjà comme d'un Confesseur Pontife dans plusieurs
diocèses et dans l'Ordre des Camaldules, ont été étendus à l'Eglise universelle, de l'avis de la Congrégation des Rites sacrés, par le pape Léon XII, qui a ajouté la qualité de Docteur.
Le zèle de la maison du Seigneur consumait votre
âme, ô Pierre ! C'est pourquoi vous fûtes donné à l'Eglise dans un temps où la malice des hommes lui avait fait perdre une partie de sa beauté. Rempli de l'esprit d'Elie, vous osâtes entreprendre
de réveiller les serviteurs du Père de famille qui, durant leur fatal sommeil, avaient laissé l'ivraie prévaloir dans le champ. Des jours meilleurs se levèrent pour l'Epouse du Christ ; la vertu
des promesses divines qui sont en elle se manifesta ; mais vous, ami de l'Epoux, vous avez la gloire d'avoir puissamment contribué à rendre à la maison de Dieu son antique éclat.
Des influences séculières avaient asservi le Sanctuaire ; les princes de la terre s'étaient dit : Possédons-le comme notre
héritage ; et l'Eglise, qui surtout doit être libre, n'était plus qu'une vile servante aux ordres des maîtres du monde.
Dans cette crise lamentable, les vices auxquels la faiblesse humaine est si facilement entraînée avaient souillé le temple : mais le Seigneur se souvint de celle à laquelle il s'est donné. Pour
relever tant de ruines, il daigna employer des bras mortels ; et vous fûtes choisi des premiers, ô Pierre, pour aider le Christ dans l'extirpation de tant de maux.
En attendant le jour où le sublime Grégoire devait prendre les Clefs dans ses mains fortes et fidèles, vos exemples et vos
fatigues lui préparaient la voie. Maintenant que vous êtes arrivé au terme de vos travaux, veillez sur l'Eglise de Dieu avec ce zèle que le Seigneur a couronné en vous.
Du haut du ciel, communiquez aux pasteurs cette vigueur apostolique sans laquelle le mal ne cède pas.
Maintenez pures les mœurs sacerdotales qui sont le sel de la terre.
Fortifiez dans les brebis le respect, la fidélité et l'obéissance envers ceux qui les conduisent dans les pâturages du
salut.
Vous qui fûtes non seulement l'apôtre, mais l'exemple de la pénitence chrétienne, au milieu d'un siècle corrompu, obtenez que
nous soyons empressés à racheter, par les œuvres satisfactoires, nos péchés et les peines qu'ils ont méritées.
Ranimez dans nos âmes le souvenir des souffrances de notre Rédempteur, afin que nous trouvions dans sa douloureuse Passion une
source continuelle de repentir et d'espérance.
Accroissez encore notre confiance en Marie, refuge des pécheurs, et donnez-nous part à la tendresse filiale dont vous vous
montrâtes animé pour elle, au zèle avec lequel vous avez publié ses grandeurs.
DOM GUÉRANGER
L'Année Liturgique