La nuit suivante, le Christ apparut à Paul, et lui dit : " Sois ferme ; car il te faudra rendre de moi à Rome le même
témoignage que tu me rends en ce moment à Jérusalem."
Cependant la conjuration juive formée
contre la vie de l'apôtre allait éclater, lorsque Lysias, averti à temps, le fit partir, sous une forte escorte, pour Césarée, où il le renvoyait par-devant Félix, gouverneur de la Judée. Félix
était le frère de l'affranchi Pallas, affranchi lui-même, et comblé des faveurs de Claude. Il avait épousé Drusilla, sœur des princesses Marianne et Bérénice.
Félix reçut Paul avec intérêt, et ne dédaigna
pas d'avoir avec lui de fréquentes conférences. Drusilla, qui était juive, autant que pouvait être juive une fille d'Hérode Agrippa, rechercha aussi avec l'apôtre des entretiens intimes. Elle
voulut l'entendre parler du Christ et de sa doctrine ; mais ces relations furent stériles, et la malheureuse femme, après une vie peu honorable, périt en l'an 79, dans la célèbre éruption du
Vésuve, avec un fils qu'elle avait eu de Félix. Saint Luc rapporte que Paul parlant un jour devant Félix de la justice, de la chasteté et du jugement à venir, le gouverneur fut saisi de terreur,
et renvoya l'apôtre en lui disant : "Maintenant, retire-toi ; je te manderai quand il sera temps". Quant à la cause de Paul, Félix avait été à même de reconnaître, par les débats qui avaient
eu lieu en sa présence, que l'agitation de la Synagogue contre l'apôtre ne se calmerait pas de longtemps. Il le retint prisonnier à Césarée, où Paul demeura sous la garde de la puissance
publique.
Nous apprenons du livre des Actes qu'un certain
motif de cupidité n'était pas étranger non plus aux égards que Félix témoignait à son prisonnier, espérant qu'un jour ou l'autre les amis de celui-ci présenteraient une riche offrande pour sa
rançon.
La captivité de Paul à Césarée durait encore,
lorsque la mort de Claude, en l'année 54, ouvrit à Néron l'accès du trône impérial. Les débuts de l'élève de Burrhus et
de Sénèque semblèrent promettre à l'Empire un prince destiné à faire oublier par ses qualités les détestables Césars qui l'avaient précédé ; mais le fils d'Agrippine ne devait pas tarder à
démentir les espérances qu'avaient fait concevoir ses premiers jours. En attendant, la mort de Claude faisait tomber les édits arbitraires et tyranniques que son caprice avait produit ou qui
avaient été arrachés à son imbécillité. Celui de l'année 47, qui bannissait de Rome les juifs, était déjà plus ou moins oblitéré, et il est aisé de constater par les faits qu'il ne survécut pas à
son auteur. Le moment était donc favorable pour le retour de Pierre à Rome, dont il avait été absent, huit années entières.
Durant ce long intervalle l'apôtre, que nous
avons vu présider l'assemblée de Jérusalem dès les premiers temps qui suivirent son départ de Rome, semble avoir eu pour quartier général la ville d'Antioche, où d'abord il avait établi sa
résidence après le baptême de Cornélius. De là Pierre, désirant remplir à la lettre le précepte du Sauveur, paraît avoir rayonné dans les provinces d'Asie qu'il avait déjà évangélisées avant son
départ pour Rome ; il y fonda de nouvelles églises et confirma les anciennes. Cette action du prince des apôtres fut si efficace dans les contrées dont nous parlons, que les païens
eux-mêmes la constatèrent ; témoin Lucien, dans son Pseudomantis, qui atteste, au deuxième siècle, que le Pont est rempli
d'athées et de chrétiens. Ce n'est pas la dernière fois que l'on voit les chrétiens confondus avec les athées, les gentils ne pouvant pas autrement se rendre compte de l'abstention des chrétiens
à l'égard du culte des dieux et des déesses. Pline le Jeune, dans sa lettre à Trajan, attestait déjà que la Bithynie était remplie de chrétiens.
Il serait impossible de déterminer avec certitude les
autres régions que Pierre évangélisa dans le cours de cette période ; mais nous savons par une lettre du pape saint Agapet (535) qu'il fonda des églises dans la Thrace. Enfin le moment arriva où
il dut songer à revoir les contrées de l'Occident. Rome en particulier avait besoin de lui. Pierre apprenait que l'ivraie était semée dans le champ qu'il avait cultivé. L'hérésiarque Simon le
Mage, qu'autrefois il avait confondu à Samarie, et qui, en diverses circonstances, s'était attaché à ses pas, après avoir essayé de répandre ses impies systèmes et ses pratiques impures dans les
chrétientés de l'Orient, venait d'aborder à Rome. Son but était d'y faire des prosélytes à son hérésie, qui réunissait en faisceau un christianisme tronqué, un débris de la mythologie grecque,
avec les rêveries panthéistiques de l'Orient. Plus tard, ces éléments se condensèrent, et formèrent la prétendue gnose, qui couvrit tant d'ignobles mystères. Simon avait tout préparé, et il se promettait, en employant quelques termes chrétiens et en flattant
la curiosité superstitieuse par l'appât d'initiations secrètes, d'attirer à sa suite un nombre plus ou moins grand des disciples de Pierre, dont il se posait comme le rival. Pierre ne voulait
être que le vicaire du Christ : Simon se donnait pour la vertu même de Dieu. Pierre venait purifier les mœurs du genre humain, en relevant la famille et en faisant revivre la dignité de la femme
: Simon traînait après lui sa prostituée Hélène, à laquelle il faisait rendre, comme à lui-même, les honneurs divins. Au reste, il avait plus d'une ressource : indépendamment de l'appel qu'il
faisait aux passions honteuses, les sciences occultes lui étaient familières. Dès longtemps les esprits infernaux le trompaient, en secondant ses désirs pervers ; mais le jour devait venir où il
serait trahi par eux sous les yeux mêmes de Pierre.
En attendant, la majesté de l'apôtre, l'énergie divine qu'il avait reçue en sa qualité de pêcheur d'hommes, la pureté et la
sagesse de son enseignement neutralisèrent les résultats que le faux apostolat de Simon avait pu produire, et s'il parvint à séduire quelques chrétiens, c'est qu'ils étaient de ceux dont parle
saint Jean, qui montrent assez par leur défection "qu'ils n'étaient pas des nôtres". (I Johan., II.)
Pierre put se réjouir, en rentrant à Rome, de l'avancement de son œuvre dans cette immense ville. Si la renommée de la foi
romaine avait retenti déjà aux oreilles de Paul, la réalité qui frappa les regards de Pierre lui révéla mieux encore la vigueur que l'Esprit-Saint conférait toujours plus à cette nouvelle église,
appelée à être le centre de toutes les autres. Sur la partie juive, Aquila et Priscille étaient en mesure de le renseigner et de lui faire connaître les nouvelles conquêtes au sein
d'Israël. Ils purent lui dire que la lettre de Paul avait amené la pacification entre les deux peuples, en rappelant à tout chrétien, de quelque origine qu'il fût, l'humilité envers Dieu et
le devoir de la charité envers des frères également redevables de leur adoption à la miséricorde céleste.
Quant à la nombreuse fraction de l'église romaine
appartenant d'origine à la gentilité, le nom de Cornélius continuait d'être sa gloire. La joie de Pudens et de la noble Priscille dut être au comble, lorsqu'ils eurent de nouveau à exercer
l'hospitalité envers l'envoyé du ciel. Il est indubitable qu'à son second séjour de Rome, Pierre fixa son domicile permanent au Viminal. Le quartier juif du Transtévère, où s'étaient élevées les
agitations qui avaient amené l'édit de Claude, n'offrait pas à l'apôtre la sécurité qu'il trouvait dans le centre aristocratique de Rome.
Durant son absence, l'heureuse famille de Cornelius avait été favorisée de la fécondité, et les parents purent présenter aux bénédictions du prince des apôtres un jeune Pudens, que nous ne
tarderons pas à faire connaître.
DOM
GUÉRANGER
SAINTE CÉCILE ET LA SOCIÉTÉ ROMAINE AUX DEUX
PREMIERS SIÈCLES (pages 78 à 84)
SAINTE CÉCILE - Santa Cecilia in Trastevere, Rome