Le christianisme était aisé à rencontrer dans Rome pour une personne du rang de Pomponia Graecina, que sa douleur
persévérante éloignait pour toujours des agitations mondaines.
Pierre, le chef des chrétiens, était
l'ami et l'hôte des Cornelii ; les Cornelii étaient, comme nous l'avons vu, unis aux Caecilii, avec lesquels les Pomponii étaient liés par une alliance qui datait déjà d'un siècle. Il est permis
de penser aussi que le nom de Jésus avait pu arriver de bonne heure aux oreilles de Pomponia, et ouvrir son cœur à la grâce qui l'attendait. Son oncle, Pomponius Flaccus, frère de Graecinus,
était légat de Syrie durant les années où eurent lieu à Jérusalem les événements desquels est sorti le salut du monde. Il dut avoir connaissance des faits relatifs à Jésus de Nazareth, faits dont
la renommée fut si grande dans la province qui lui était confiée, que la relation officielle en fut envoyée à Tibère, ainsi que le rappelle saint Justin dans son Apologie adressée aux empereurs.
Il est assez naturel que de tels événements aient préoccupé plus ou moins les membres de la famille de Pomponia, et que son passage au christianisme en ait été rendu plus facile encore. Quoi
qu'il en soit, la suite de notre récit montrera avec quelle fermeté l'illustre matrone sut constamment affirmer sa foi. En conservant le deuil de Julie jusqu'à sa mort, durant quarante années
entières, non seulement elle conquit aux yeux de la société romaine une rare considération, comme l'atteste Tacite, mais
elle se créait une précieuse indépendance à l'égard du public païen, étant exempte désormais de paraître en mille occasions où la corruption des mœurs et la superstition idolâtrique auraient
donné à sa présence une signification que sa qualité de chrétienne devait repousser. Nous verrons néanmoins que, malgré l'isolement que cherchait Pomponia Grascina, la persécution vint un jour
l'atteindre.
Elle avait été mariée à Aulus Plautius, sénateur
et homme de guerre. Les Plautii figurent sur les fastes consulaires dès l'an de Rome 397, et une fille de M. Plautius Silvanus avait été fiancée à Claude, avant son avènement à l'empire. Dès
l'année 43, qui laissa de si douloureux souvenirs à Pomponia Graecina, Plautius, son mari, partait pour la célèbre expédition de Bretagne, qui lui mérita, à son retour, en l'année 47,
les honneurs d'une solennelle ovation. Les deux époux avaient étendu leur affection sur les membres d'une famille d'origine plébéienne et étrangère à Rome, les Flavii, qui, après
s'être essayés dans les charges civiles et militaires, devaient bientôt s'asseoir sur le trône et devenir une dynastie impériale. Cette bienveillance porta Plautius, partant pour la Bretagne, à
placer dans le cadre des officiers de son armée les deux frères Vespasien et Sabinus, ainsi que le jeune Titus, fils de Vespasien.
Mais là ne s'arrêta pas l'intérêt de la noble
famille romaine envers les nouveaux venus, et tandis qu'Aulus Plautius s'occupait de les avancer dans la carrière mondaine qui s'ouvrait comme naturellement devant eux, Pomponia Graecina
travaillait avec succès à leur inoculer le christianisme, dont elle avait goûté de si bonne heure les consolations.
Eusèbe, saint Jérôme et Photius racontent que Philon entreprit un second voyage à Rome pour voir et entendre Pierre. Il est
difficile que cette tradition n'ait pas quelque fondement. Chez un juif moitié philosophe comme Philon, il ne serait pas étonnant que le bruit occasionné dans la Synagogue par le christianisme,
eût excité quelque désir de connaître un homme qui passait pour le chef d'une nouvelle école d'interprétation des Ecritures. Saint Jérôme remarque la bienveillance avec laquelle le philosophe
grec parle des thérapeutes d'Alexandrie, dans lesquels on a plus d'une raison de reconnaître des chrétiens, disciples de saint Marc. Photius raconte que des auteurs antérieurs à lui étaient allés
jusqu'à dire que Philon, non seulement avait traité familièrement avec Pierre, mais qu'il avait reçu le baptême, et qu'ensuite son orgueil l'avait fait tomber dans l'apostasie. Nous ne donnons
ces détails qu'afin de ne rien omettre de ce qui se rapporte au premier séjour de Pierre à Rome.
Le succès de sa prédication exigeait qu'un lieu fût
déterminé pour la célébration des mystère chrétiens, un centre de réunion où juifs et gentils pussent se rassembler sans trop éveiller l'attention. Les anciens Itinéraires des pèlerins de Rome,
les premiers Martyrologes et d'autres documents signalent, comme ayant servi à cette destination, un hypogée situé à la campagne, entre la voie Nomentane et la voie Salaria, et il y est désigné
sous le nom de cimetière Ostrianum. Souvent une dénomination plus étendue sert à le distinguer des autres cimetières de ces deux voies ; ainsi il est appelé cimetière Ubi Petrus baptizabat,
cimetière Ad nymphas Sancti Petri, ou Fontis Sancti Petri.
Les hypogées funéraires n'étaient pas rares dans la campagne romaine, et ils devenaient une nécessité pour les chrétiens,
auxquels leur religion ne permettait pas de brûler les corps des défunts, comme faisaient les païens. Les juifs de Rome possédaient déjà plusieurs cryptes disposées pour les sépultures de leurs
frères, et quant à l'ancienne Rome, on sait que les Cornelii, fidèles à l'usage antique, ne brûlaient pas les corps des membres de leur famille. Cornélius Sylla fut le premier qui convoita les
honneurs du bûcher.
Le cimetière Ostrianum dut donc être le premier asile funéraire de la petite communauté chrétienne, qui se multipliait de jour
en jour autour de Pierre ; car la mort n'attend pas toujours que les sociétés soient devenues nombreuses pour faire
sentir ses droits. Une fontaine, comme on en rencontre dans plusieurs des catacombes ouvertes depuis, était disposée pour l'administration du baptême, et le point central de Rome chrétienne
restait ainsi enveloppé de mystère, tout en demeurant accessible aux initiés.
Là était établie, dans son humble majesté, la
Chaire souveraine du vicaire du Christ, et ce n'est point une figure de langage que nous employons ici. L'autorité d'enseigner la parole divine fut, dès l'origine de l'Eglise, symbolisée dans un
siège particulier, sur lequel s'asseyait l'apôtre pour parler aux fidèles. Cette Chaire était conservée avec le respect le plus profond, et celui qui était appelé à succéder au fondateur d'une
Eglise devait solennellement y prendre séance, montrant ainsi par un signe sensible que son enseignement serait le même que celui de son prédécesseur. C'est ainsi qu'au rapport d'Eusèbe, la
Chaire de l'apôtre saint Jacques le Mineur était encore gardée à Jérusalem au quatrième siècle. La Chaire de saint Marc, transportée plus tard à Venise, où elle est dans le trésor de l'église
patriarcale, se conservait aussi à Alexandrie, selon le même historien, après la paix de Constantin.
Celle de saint Pierre, établie au cimetière
Ostrianum, y fut vénérée jusqu'au temps de saint Grégoire le Grand, comme le monument du premier séjour de l'apôtre à
Rome. Des lampes brûlaient par honneur devant elle, et sur la liste des huiles saintes envoyées par le même saint Grégoire à la reine Théodelinde, liste topographique des sanctuaires de Rome
souterraine, rédigée par le prêtre Jean sur un papyrus conservé encore à Monza, on lit ces paroles correspondant à l'une des fioles : OLEVM DE SEDE VBI PRIVS SEDIT SANCTVS PETRVS. La vénération
de l'Eglise romaine pour cette première Chaire du prince des apôtres fut telle, qu'on lui consacra une fête particulière au 18 janvier de chaque année. Cette fête tomba par la suite en désuétude,
sans doute après que la Chaire qu'elle avait pour objet eut disparu, et il ne restait plus au calendrier liturgique d'autre fête de la Chaire de saint Pierre que celle, non moins importante, du
22 février, lorsque Paul IV, en 1558, rétablit l'antique solennité du 18 janvier, sous le nom de Chaire de saint Pierre à Rome. Nous aurons à parler plus loin de la seconde Chaire qui se rapporte
au second séjour de l'apôtre dans cette ville.
Pierre ne devait pas, en effet, jouir longtemps, à Rome, de la tranquillité qui lui eût permis de donner par lui-même à l'Eglise
tous les développements que faisaient présager des commencements si heureux.
DOM
GUÉRANGER
SAINTE CÉCILE ET LA SOCIÉTÉ ROMAINE AUX DEUX
PREMIERS SIÈCLES (pages 47 à 52)
SAINTE CÉCILE - Santa Cecilia in Trastevere, Rome