s'écriait le prophète Zacharie cinq siècles avant la naissance de notre Emmanuel.
Le même cri respectueux s'échappe de nos cœurs, lorsque, contemplant la gloire inénarrable de Jésus ressuscité, nos regards rencontrent les plaies dont son corps tout radieux est marqué. Ses mains, ses pieds portent la trace des clous, son côté celle du coup de lance ; et ces plaies sont profondes comme elles l'étaient lorsqu'il fut descendu de la croix. "Enfonce ici ton doigt", dit-il à Thomas, en lui présentant ses mains : "mets ta main dans l'ouverture de mon a côté".
Nous sortons de voir cette scène imposante où la vérité de la résurrection fut rendue plus sensible encore par l'incrédulité du disciple ; mais ce fait nous apprend en même temps que Jésus sortant du tombeau, huit jours auparavant, avait conservé sur sa chair glorifiée les stigmates de sa passion. Dès lors il devait les garder éternellement ; car aucun changement ne peut plus avoir lieu dans sa personne : il demeure ce qu'il est pour l'éternité. N'allons pas croire cependant que ces stigmates qui rappellent le Calvaire atténuent sa gloire en quoi que ce soit. S'il les conserve, c'est qu'il le veut ainsi ; et il le veut ainsi, parce que ces cicatrices, loin d'attester sa défaite et son infirmité, proclament au contraire sa force invincible et son triomphe. Il a vaincu la mort, et les plaies qu'il a reçues dans la lutte sont le souvenir de sa victoire. Il faut donc que le ciel le voie entrer au jour de son Ascension, éblouissant les regards des Anges par les rayons qui émanent de ses membres transpercés. A son exemple, ses martyrs, vainqueurs aussi de la mort, resplendiront d'un éclat tout spécial aux parties de leurs corps que les tortures ont sillonnées : telle est la doctrine des saints Pères.
Et ne doit-il pas, notre divin ressuscité, exercer du haut de son trône la sublime médiation pour laquelle il a revêtu notre chair, désarmant sans cesse la trop juste colère de son Père, intercédant pour nous, et faisant descendre sur la terre les grâces qui sauvent les hommes ? L'éternelle justice réclame ses droits, tout est à craindre pour les pécheurs ; mais l'Homme-Dieu interposant ses membres marqués du sceau de sa passion, arrête la foudre prête à éclater, et la miséricorde prévaut encore une fois sur la rigueur. Ô plaies sacrées, ouvrage de nos péchés , et devenues ensuite notre bouclier, après vous avoir vénérées sanglantes dans toute la componction de nos cœurs, nous vous adorons au ciel comme la noble parure de notre Emmanuel ; partout vous êtes notre espérance et notre sauvegarde.
Cependant un jour viendra où ces augustes stigmates, sans rien perdre de leur splendeur aux yeux des Anges, se révéleront aux hommes, et seront pour plusieurs un objet de confusion et d'épouvante. "Ils verront en ce jour Celui qu'ils ont transpercé", nous dit le Prophète. Les ineffables douleurs de la passion, les joies non pareilles de la résurrection, dédaignées, méconnues, foulées aux pieds, auront préparé la plus terrible vengeance, la vengeance d'un Dieu qui ne peut avoir été en vain crucifié, et qui ne peut être ressuscité en vain. On comprend alors ce cri d'effroi : "Montagnes, tombez sur nous ! rochers, couvrez-nous ! dérobez-nous la vue de ces plaies vengeresses qui n'envoient plus sur nous les rayons de la miséricorde, mais nous lancent aujourd'hui les éclairs d'un implacable courroux."
Ô plaies sacrées de notre divin ressuscité, en ce jour terrible soyez propices à tous ceux auxquels la Pâque a rendu la vie. Heureux ceux qui durant ces quarante jours eurent la faveur de vous contempler ! heureux serons-nous nous-mêmes, si nous vivons en vous aimant, en vous vénérant.
Empruntons les sentiments de saint Bernard, et disons avec lui :
" Quel plus sûr asile que les plaies du Sauveur pour celui qui est faible ? Pour moi, je m'y trouve d'autant plus en sécurité, qu'il est plus puissant pour sauver. Le monde frémit de rage, la chair fait sentir son poids, le démon tend ses embûches, je ne succombe pas, fondé que je suis sur la pierre ferme.
" Mon péché est grand ; ma conscience en est troublée, mais mon trouble n'ira pas jusqu'au désespoir ; car je me souviens des plaies du Seigneur. N'est-ce pas pour nos iniquités a qu'il a été blessé ? Ce qui me manque, je vais le prendre dans le Cœur même du Seigneur, source de miséricorde. Il est des ouvertures par lesquelles cette miséricorde jaillit jusque sur moi. En perçant ses mains et ses pieds, en ouvrant son côté, ils m'ont fourni le moyen de goûter combien le Seigneur est doux. Le Seigneur voulait faire la paix avec moi, et je ne le savais pas ; car quel est celui qui connaît les pensées du Seigneur ?
" Mais le fer en pénétrant les membres divins m'a donné l'intention du Seigneur. Et que vois-je et qu'entends-je ? c'est le clou lui-même, c'est la blessure elle-même qui me crient que Dieu est dans le Christ afin de se réconcilier avec le monde. Si le fer de la lance est allé jusqu'à son Cœur, c'était afin que ce Cœur sût compatir à mes misères. Par les ouvertures du corps de l'Homme-Dieu apparaissent les secrets de son Cœur, le grand mystère de bonté, les entrailles de la miséricorde de notre Dieu. Qui pouvait nous montrer mieux que ne l'ont fait vos blessures, Seigneur, à quel point vous êtes doux et miséricordieux ?"
Saint Bernard In Cantic. Serm. LXI
DOM GUÉRANGER
L'Année Liturgique