Une nouvelle joie nous arrive, au sein des tristesses du Carême. Hier, c'était le radieux Archange qui déployait
devant nous ses ailes ; aujourd'hui, c'est Joseph, l'époux de Marie, le père nourricier du Fils de Dieu, qui vient nous consoler par sa chère présence.
La Sainte Famille par Carlo Dolci
Dans peu de jours, l'auguste mystère de l'Incarnation va s'offrir à nos adorations : qui pouvait mieux nous initier à ses splendeurs, après l'Ange de l'Annonciation, que l'homme qui fut à la fois
le confident et le gardien fidèle du plus sublime de tous les secrets ?
Le Fils de Dieu descendant sur la terre pour revêtir l'humanité, il lui fallait une Mère ; cette Mère ne pouvait être que la plus pure des Vierges, et la maternité divine ne devait altérer en
rien son incomparable virginité. Jusqu'à ce que le Fils de Marie fût reconnu pour le Fils de Dieu, l'honneur de sa Mère demandait un protecteur : un homme devait donc être appelé à l'ineffable
gloire d'être l'Epoux de Marie. Cet heureux mortel, le plus chaste des hommes, fut Joseph.
Le ciel le désigna comme seul digne d'un tel trésor, lorsque de la verge qu'il tenait dans le temple poussa tout à coup une fleur, comme pour donner un accomplissement sensible à l'oracle prophétique d'Isaie : "Une branche sortira de la tige de Jessé, et une fleur
s'élèvera de cette branche". Les riches prétendants à la main de Marie furent écartés ; et Joseph scella avec la fille de David une alliance qui dépassait en amour et en pureté tout ce que les
Anges ont jamais connu dans le ciel. Ce ne fut pas la seule gloire de Joseph, d'avoir été choisi
pour protéger la Mère du Verbe incarné ; il fut aussi appelé à exercer une paternité adoptive sur le Fils de Dieu lui-même.
Pendant que le nuage mystérieux couvrait encore le Saint des saints, les hommes appelaient Jésus, fils de Joseph, fils du charpentier ; Marie, dans le temple, en présence des docteurs de la loi,
que le divin Enfant venait de surprendre par la sagesse de ses réponses et de ses questions, Marie adressait ainsi la parole à son fils : "Votre père et moi nous vous cherchions, remplis
d'inquiétude" ; et le saint Evangile ajoute que Jésus leur était soumis, qu'il était soumis à Joseph, comme il l'était à Marie.
Qui pourrait concevoir et raconter dignement les sentiments qui remplirent le cœur de cet homme que l'Evangile nous dépeint d'un seul mot, en l'appelant homme juste ? Une affection conjugale qui
avait pour objet la plus sainte et la plus parfaite des créatures de Dieu ; l'avertissement céleste donné par l'Ange qui révéla à cet heureux mortel que son épouse portait en elle le fruit du
salut, et qui l'associa comme témoin unique sur la terre à l'œuvre divine de l'Incarnation ; les joies de Bethléhem lorsqu'il assista à la naissance de l'Enfant, honora la
Vierge-Mère, et entendit les concerts angéliques ; lorsqu'il vit arriver près du nouveau-né
d'humbles et simples bergers, suivis bientôt des Mages opulents de l'Orient ; les alarmes qui vinrent si promptement interrompre tant de bonheur, quand, au milieu de la nuit, il lui
fallut fuir en Egypte avec l'Enfant et la Mère ; les rigueurs de cet exil, la pauvreté, le dénuement auxquels furent en proie le Dieu caché dont il était le nourricier, et l'épouse
virginale dont il comprenait de plus en plus la dignité sublime ; le retour à Nazareth, la vie humble et laborieuse qu'il mena dans cette ville, où tant de fois ses yeux attendris contemplèrent
le Créateur du monde partageant avec lui un travail grossier ; enfin, les délices de cette existence sans égale, au sein de la pauvre maison qu'embellissait la présence de la Reine des Anges, que
sanctifiait la majesté du Fils éternel de Dieu ; tous deux déférant à Joseph l'honneur de chef de cette famille qui réunissait autour de lui par les liens les plus chers le Verbe
incréé, Sagesse du Père, et la Vierge, chef-d'œuvre incomparable de la puissance et de la sainteté de Dieu ?
Non, jamais aucun homme, en ce monde, ne pourra pénétrer toutes les grandeurs de Joseph. Pour les comprendre, il faudrait embrasser toute l'étendue du mystère avec lequel sa mission ici-bas le
mit en rapport, comme un nécessaire instrument. Ne nous étonnons donc pas que ce Père nourricier du Fils de Dieu ait été figuré dans l'Ancienne Alliance, et sous les traits d'un des plus augustes
Patriarches du peuple choisi. Saint Bernard a rendu admirablement ce rapport merveilleux : "Le premier Joseph, dit-il, vendu par ses frères, et en cela figure du Christ, fut conduit en
Egypte ; le second, fuyant la jalousie d'Hérode, porta le Christ en Egypte. Le premier Joseph,
gardant la foi à son maître, respecta l'épouse de celui-ci ; le second, non moins chaste, fut le gardien de sa Souveraine, de la Mère de son Seigneur, et le témoin de sa virginité. Au premier fut
donnée l'intelligence des secrets révélés par les songes ; le second reçut la confidence des mystères du ciel même. Le premier conserva les récoltes du froment, non pour lui-même, mais
pour tout le peuple ; le second reçut en sa garde le Pain vivant descendu du ciel, pour lui-même et pour le monde entier."
Le songe de Saint Joseph par
Rembrandt
Une vie si pleine de merveilles ne pouvait se terminer que par une mort digne d'elle. Le moment arrivait où Jésus devait sortir de l'obscurité de Nazareth et se manifester au monde. Désormais ses
œuvres allaient rendre témoignage de sa céleste origine : le ministère de Joseph était donc accompli. Il était temps qu'il sortît de ce monde, pour aller attendre, dans le repos du sein
d'Abraham, le jour où la porte des cieux serait ouverte aux justes. Près de son lit de mort veillait celui qui est le maître de la vie, et qui souvent avait appelé cet humble mortel du nom de
père ; son dernier soupir fut reçu par la plus pure des vierges, qu'il avait eu le droit de nommer son épouse. Ce fut au milieu de leurs soins et de leurs caresses que Joseph s'endormit d'un
sommeil de paix. Maintenant, l'époux de Marie, le père nourricier de Jésus, règne au ciel avec une gloire inférieure sans doute à celle de Marie, mais décoré de prérogatives auxquelles n'est
admis aucun des habitants de ce séjour de bonheur. C'est de là qu'il répand sur ceux qui l'invoquent
une protection puissante.
Dans quelques semaines, la sainte Eglise nous révélera toute l'étendue de cette protection ; une fête spéciale sera consacrée à honorer le Patronage de Joseph ; mais
désormais la sainte Eglise veut que la fête présente, élevée à l'honneur des premières solennités, devienne le monument principal de la confiance qu'elle
éprouve et qu'elle veut nous inspirer envers le haut pouvoir de l'époux de Marie.
Le huit décembre 1870, Pie IX, au milieu de la tempête qui jusqu'à cette heure mugit encore, s'est levé sur la nacelle apostolique, et a proclamé, à la face de la Ville et du
monde, le sublime Patriarche Joseph comme devant être honoré du titre auguste de Patron de l'Eglise universelle. Bénis soient l'année et le jour d'un tel décret, qui apparait comme un
arc-en-ciel sur les sombres nuages de l'heure présente ! Grâces soient rendues au Pontife qui a voulu que le 19 mars comptât à l'avenir entre les jours les plus solennels du
Cycle, et que la sainte Eglise, plus en butte que jamais à la rage de ses ennemis, reçût le droit de s'appuyer sur le bras de cet homme merveilleux à qui Dieu, au
temps des mystères évangeliques, confia la glorieuse mission de sauver de la tyrannie d'Hérode, et la Vierge-mère et le Dieu-homme à peine déclaré à la terre
!
Saint Joseph avec l'Enfant Jésus par Guido
Reni
Nous vous louons, nous vous glorifions, heureux Joseph. Nous saluons en vous l'Epoux de la Reine du ciel, le Père nourricier de notre Rédempteur. Quel mortel obtint jamais de pareils titres ? et
cependant ces titres sont les vôtres, et ils ne sont que la simple expression des grandeurs qu'il a
plu à Dieu de vous conférer. L'Eglise du ciel admire en vous le dépositaire des plus sublimes faveurs ; l'Eglise de la terre se réjouit de vos honneurs, et vous bénit pour les bienfaits que vous
ne cessez de répandre sur elle.
Royal fils de David, et en même temps le plus humble des hommes, votre vie semblait devoir s'écouler dans cette obscurité qui faisait vos délices ; mais le Seigneur voulut vous associer au plus
sublime de ses actes. Une noble Vierge, de même sang que vous, fait l'admiration du ciel, et deviendra la gloire et l'espérance de la terre ; cette Vierge vous est destinée pour épouse.
L'Esprit-Saint doit se reposer en elle comme dans son tabernacle le plus pur ; c'est à vous, homme chaste et juste, qu'il a résolu de la confier comme un inestimable dépôt. Devenez donc l'Epoux
de celle "dont le Seigneur lui-même a convoité la beauté".
Le Fils de Dieu vient commencer ici-bas une vie d'homme ; il vient sanctifier la famille, ses liens et ses affections. Votre oreille mortelle l'entendra vous nommer son Père ; vos yeux le
verront obéir à vos commandements. Quelles furent, ô Joseph, les émotions de votre cœur, lorsque, pleinement instruit des grandeurs de votre Epouse et de la divinité de votre Fils adoptif, il
vous fallut remplir le rôle de chef, dans cette famille au sein de laquelle le ciel et la terre se réunissaient ! Quel souverain et tendre respect pour Marie, votre Epouse !
quelle reconnaissance et quelles adorations pour Jésus, votre enfant soumis ! O mystère de Nazareth ! un Dieu habite parmi les hommes, et il souffre d'être appelé le Fils
de Joseph !
Daignez, ô sublime ministre du plus grand de tous les bienfaits, intercéder en notre faveur auprès du Dieu fait homme. Demandez-lui pour nous l'humilité qui vous a fait parvenir à tant de
grandeur, et qui sera en nous la base d'une conversion sincère. C'est par l'orgueil que nous avons péché, que nous nous sommes préférés à Dieu ; il nous pardonnera cependant, si nous lui
offrons "le sacrifice d'un cœur contrit et humilié". Obtenez-nous cette vertu, sans laquelle il n'est pas de véritable pénitence. Priez aussi, ô Joseph, afin que nous soyons chastes. Sans la
pureté du cœur et des sens, nous ne pouvons approcher du Dieu de toute sainteté, qui ne souffre près de lui rien d'impur ni de souillé. Par sa grâce, il veut faire de nos corps des temples de son
Saint-Esprit : aidez-nous à nous maintenir à cette élévation, à la rétablir en nous, si nous l'avions perdue.
Enfin, ô fidèle époux de Marie, recommandez-nous à notre Mère. Si elle daigne seulement jeter un regard sur nous en ces jours de réconciliation, nous sommes sauvés : car elle est la Reine de la
miséricorde, et Jésus son fils, Jésus qui vous appela son père, n'attend, pour nous pardonner, pour convertir notre cœur, que le suffrage de sa Mère.
Obtenez-le pour nous, ô Joseph ! rappelez à Marie Bethléhem, l'Egypte, Nazareth, où son courage s'appuya sur votre dévouement ; dites-lui que nous vous aimons, que nous vous honorons aussi : et
Marie daignera reconnaître par de nouvelles bontés envers nous les hommages que nous rendons à celui qui lui fut donné par le ciel pour être son protecteur et son appui.
DOM GUÉRANGER
L'Année Liturgique