
Dans le Valentinois, entre 1303 et 1309, la bienheureuse Béatrice d’Ornacieux, vierge, qui, saisie
d’un grand amour de la croix, vécut et mourut dans la plus grande pauvreté dans la Chartreuse d’Eymeu qu’elle avait fait construire.
Martyrologe romain
Le 11 décembre 1895, il s'est passé à Par-
ménie un fait que nous allons relater et qui ne peut
manquer d'intéresser les lecteurs, pèlerins ou tou-
ristes ; je veux dire l'ouverture de la châsse où
reposaient les reliques de la Bienheureuse Béatrix
d'Ornacieux et de ses deux compagnes Louise
Allemand et Marguerite de Sassenage.
Au XIIIe siècle, le mont de Parménie était occupé
par un couvent de Religieuses Chartreuses. A cette
époque il fallait être de bonne naissance pour en-
trer dans la sainte phalange des Vierges Char-
treuses dé Parménie. Les Religieuses de ce monas-
tère, d'après un vieux parchemin de l'époque, de-
vaient faire preuve de quatre degrés de noblesse du
côté paternel et du côté maternel. Imbus forcément
un peu des idées modernes, nous sommes surpris
d'abord, à l'énoncé d'une pareille condition. Et
cependant, quoi de plus naturel, au moyen âge, que
cette féminine et pieuse chevalerie au service de
Dieu ? Comme les autres, ces couvents aristocrati-
ques ont donné des saintes à l'Eglise. La Bienheu-
reuse Béatrix d'Ornacieux en est une des meilleures
preuves. Donc, ils ont eu leur raison d'être et l'on
conçoit, sans peine, quel sujet d'édification ils pou-
vaient offrir aux localités environnantes. Les prières
qui montaient de ces cloîtres vers Dieu ont pu peut-
être racheter bien des fautes de la noblesse.
Vers la fin du XIIIe siècle, une petite colonie de
Religieuses de Parménie alla fonder un nouveau
monastère à Eymeux, dans la Drôme. Au nombre
de celles qui furent choisies pour cette fondation,
figuraient : Béatrix d'Ornacieux, Louise Allemand
et Marguerite de Sassenage. C'est là que mourut
Béatrix, en 1303 ; c'est là aussi qu'elle fut enterrée,
à côté de ses compagnes Louise et Marguerite
qui l'avaient précédée dans la tombe. Après la
mort de Béatrix, de nombreux miracles s'opérèrent
autour de son cercueil, en faveur de ceux qui la
priaient. Ces miracles n'ont pas médiocrement
contribué à grandir la vénération des habitants du
pays pour sa mémoire qui, malgré les six siècles
écoulés, s'est conservée jusqu'à nos jours. Une
chapelle même va être élevée sur l'emplacement du
vieux monastère où elle mourut.
Plus tard, malgré les protestations des habi-
tants d'Eymeux, les ossements de la Bienheureuse
Béatrix et de ses compagnes furent transportés, du
lieu de leur sépulture, au monastère de Parménie,
par un moine Chartreux qui s'appelait Dom Roux de
Charris. Alors, ces reliques déposées dans un endroit
spécial du cimetière des Chartreuses, y demeurè-
rent jusqu'à l'année 1667. On conserve encore, dans
l'église de Parménie, la pierre carrée qui fermait ce
tombeau précieux. C'est a cette époque, c'est-à-dire
en 1667, que Mgr le Cardinal Le Camus, évêque de
Grenoble, les sortit du cimetière pour les placer
dans un petit caveau ménagé, à cette intention,
dans le mur intérieur de l'église, fermé par une pla-
que en marbre noir, avec cette inscription que tous
les visiteurs peuvent lire et que nous copions textuel-
lement :
ICI REPOSENT LES OSSEMENTS
DE BÉATRIX D'ORNACIEUX
RELIGIEUSE CHARTREUSIENNE DE PARMÉNIE
DÉCÉDÉE EN 1303
ET DE SES DEUX COMPAGNES
Malgré la terreur et les bandes sauvages de la
Révolution du siècle dernier qui portèrent partout
le ravage et la destruction ; malgré les schismati-
ques anticoncordataires qui, trente années durant,
furent maîtres de Parménie et de son église, les res-
tes précieux de la sainte restèrent intacts dans leur
caveau et — protection divine — entourés de res-
pect et d'honneur. Aussi le Souverain Pontife
Pie IX a-t-il consacré ce culte persévérant, par un
décret qui place Béatrix d'Ornacieux au nombre
des Bienheureuses.
En 1840, les Religieuses Chartreuses du mo-
nastère de Sainte-Croix de Beauregard désirèrent
posséder, chez elles, une partie des reliques de
Béatrix et de ses compagnes. Alors, la châsse qui
lés contenait fut, avec la permission de l'autorité
diocésaine, emportée de Parménie chez les moniales
de Beauregard. Là, ainsi que le constate le procès-
verbal que nous avons entre les mains, en pré-
sence du R. P. Zozime, capucin et gardien de Par-
ménie, de Dom Jean-Louis Retournaz, vicaire, et
Dom Basile, son coadjuteur au couvent de Beaure-
gard, en présence de MM. David père et fils, doc-
teurs-médecins, à Voiron, et d'autres personnes
qui ont signé ledit procès-verbal, la châsse fut ou-
verte :
« Après la constatation que les trois corps
« étaient renfermés dans la caisse, les os ont été
« partagés d'une manière aussi égale que possible
« et chaque portion mise respectivement dans deux
« boîtes, dont l'une, celle qui les contenait tous
« avant l'opération, a été envoyée à Parménie, et
« l'autre placée au chapitre des Religieuses de
« Beauregard. (Procès-verbal.)
La partie rapportée à Parménie a été remise
dans son caveau, fermé de nouveau par la plaque
de marbre apposée primitivement par Mgr Le Ca-
mus.
Désireux, à leur tour, de posséder quelques
ossements de celle qui fut une des gloires de leur
Ordre, comme elle en est aujourd'hui la protectrice,
les RR. PP. de la Grande-Chartreuse s'adressèrent
aux Religieux Olivetains qui sont aujourd'hui les
gardiens du pèlerinage de Parménie et du tombeau
de la Bienheureuse Béatrix. Ceux-ci ne pouvaient
résister à un désir aussi pieux et aussi légitime.
Aussi, après en avoir obtenu l'autorisation de Mgr
Fava, évoque de Grenoble, la châsse de Béatrix fut
de nouveau sortie de son tombeau.
Le 11 décembre 1895, les PP. Olivetains, accom-
pagnés de M. le Curé d'Izeaux, de son vicaire et de
plusieurs autres témoins réunis dans l'église, après
avoir reconnu l'authenticité des sceaux qui fermaient
la châsse contenant les reliques de la Bienheureuse
Béatrix d'Ornacieux et de ses compagnes, ont pro-
cédé à l'ouverture de cette châsse.
Tous les Religieux et témoins ont pu constater
que ces ossements, malgré leur vétusté de six siè-
cles, étaient dans un parfait état de conservation et
ils ont consigné cetto constatation dans un procès-
verbal signé par eux et portant le sceau de la Con-
grégation Olivetaine.
Alors, après avoir fait, dans ces ossements vé-
nérables, une large part pour le couvent de la
Grande-Chartreuse, les Pères Olivetains ont déposé
ce qui restait dans une châsse plus riche, d'une
forme plus élégante que l'ancienne et enfin fermée
par une épaisse glace. Cette disposition permettra
désormais aux pieux et nombreux pèlerins de Par-
ménie, de pouvoir contempler les saintes reliques
qui demeureront toujours exposées à la vénéra-
tion des fidèles dans l'église du monastère Olive-
tain.
Dans leur générosité, les PP. de Parménie
n'ont point voulu oublier la paroisse d'Ornacieux où
est née la Bienheureuse et où se trouvant encore
quelques ruines du vieux manoir de ses aïeux, ni la
paroisse d'Eymeux, dans la Drôme, où elle rendit sa
belle âme à Dieu, dans l'antique monastère dont on
peut aussi visiter, avec intérêt, quelques ruines de
ses fondations. C'est pourquoi ils ont fait une petite
part de ces précieuses reliques qu'ils destinent aux
églises de ces deux paroisses.
En terminant ce compte rendu d'une cérémonie
qui, bien que faite dans l'intimité d'un monastère,
n'en est pas moins touchante ni moins intéressante,
que le lecteur me permette de finir par quelques
lignes que j'emprunte à l'historien de la Bienheu-
reuse Béatrix d'Ornacieux :
« Quelle gloire, s'écrie-t-il, couronne les saints,
« et comme, devant elle, pâlissent les lauriers des
« grands hommes de l'histoire profane ! La gloire
« de la sainteté est toujours ancienne et toujours
« nouvelle. Voilà bientôt six siècles que les puis-
« sants seigneurs d'Ornacieux ont complètement
« disparu avec leurs annales de famille ; on ne parle
« plus d'eux dans leur ancien domaine ; au village
« même qui porte encore leur nom, on sait à peine
« s'ils ont existé. Seule, une fille de leur race, mais
« une sainte, voit aujourd'hui sa tombe glorieuse,
« son nom toujours vivant, toujours béni, en dépit
« des six siècles tourmentés par les innombrables
« révolutions qui, en France, ont tout confondu,
« bouleversé et détruit. »
Un Missionnaire
N.-D. de Parménie et ses pèlerinages depuis la fermeture de l'église (édition de
1897)
Gallica