Le grand Mystère de l'Alliance du Fils de Dieu avec son Eglise universelle, représentée dans l'Epiphanie par les
trois Mages, fut pressenti dans tous les siècles qui précédèrent la venue de l'Emmanuel. La voix des Patriarches et des Prophètes le fit retentir par avance ; et la Gentilité elle-même y répondit
souvent par un écho fidèle.
Dès le jardin des délices, Adam innocent s'écriait, à l'aspect de la Mère des vivants sortie de son côté : "C'est ici l'os de mes os, la chair de ma chair ; l'homme quittera son père et sa
mère, et s'attachera à son épouse ; et ils seront deux dans une même chair." La lumière de l'Esprit-Saint pénétrait alors l'âme de notre premier père ; et, selon les plus profonds interprètes des
mystères de l'Ecriture, Tertullien, saint Augustin, saint Jérôme, il célébrait l'Alliance du Fils de Dieu avec l'Eglise, sortie par l'eau et le sang de son côté ouvert sur la croix ; avec
l'Eglise, pour l'amour de laquelle il descendit de la droite de son Père, et s'anéantissant jusqu'à la forme de serviteur, semblait avoir quitté la Jérusalem céleste, pour habiter parmi nous dans
ce séjour terrestre.
Le second père dû genre humain, Noé, après avoir vu l'arc de la miséricorde annonçant au ciel le
retour des faveurs de Jéhovah, prophétisa sur ses trois fils l'avenir du monde. Cham avait mérité la disgrâce de son père ; Sem parut un moment le préféré : il était destiné à l'honneur de voir
sortir de sa race le Sauveur de la terre ; cependant, le Patriarche, lisant dans l'avenir, s'écria : "Dieu dilatera l'héritage de Japhet ; et il habitera sous les tentes de Sem." Et nous
voyons peu à peu dans le cours des siècles l'ancienne alliance avec le peuple d'Israël s'affaiblir, puis se rompre ; les races sémitiques chanceler, et bientôt tomber dans l'infidélité ; enfin le
Seigneur embrasser toujours plus étroitement la famille de Japhet, la gentilité occidentale, si longtemps délaissée, placer à jamais dans son sein le Siège de la religion, l'établir à la tête de
l'espèce humaine tout entière.
Plus tard, c'est Jéhovah lui-même qui s'adresse à Abraham, et lui prédit l'innombrable génération qui doit sortir de lui. "Regarde le ciel, lui dit-il ; compte les étoiles, si tu peux : tel
sera le nombre de tes enfants." En effet, comme nous l'enseigne l'Apôtre, plus nombreuse devait être la famille issue de la foi du Père des croyants, que celle dont il était la source par Sara ;
et tous ceux qui ont reçu la foi du Médiateur, tous ceux qui, avertis par l'Etoile, sont venus à lui comme à leur Seigneur, tous ceux-là sont les enfants d'Abraham.
Le Mystère reparaît de nouveau dans le sein même de l'épouse d'Isaac. Elle sent avec effroi deux fils se combattre dans ses entrailles. Rébecca s'adresse au Seigneur, et il lui est répondu
: "Deux peuples sont dans ton sein ; ils s'attaqueront l'un l'autre ; le second surmontera le premier, et l'aîné servira le plus jeune." Or, ce plus jeune, cet enfant indompté, quel est-il, selon l'enseignement de saint Léon et de l'Evêque d'Hippone, sinon ce peuple
gentil qui lutte avec Juda pour avoir la lumière, et qui, simple fils de la promesse, finit par l'emporter sur le fils selon la chair ?
C'est maintenant Jacob, sur sa couche funèbre, ayant autour de lui ses douze fils, pères des douze tribus d'Israël, assignant d'une manière prophétique le rôle à chacun dans l'avenir. Le préféré
est Juda ; car il sera le roi de ses frères, et de son sang glorieux sortira le Messie. Mais l'oracle finit par être aussi effrayant pour Israël, qu'il est consolant pour le genre humain tout
entier. "Juda, tu garderas le sceptre ; ta race sera une race de rois, mais seulement jusqu'au jour où viendra Celui qui doit être envoyé, Celui qui sera l'attente des
Nations."
Après la sortie d'Egypte, quand le peuple d'Israël entra en possession de la terre promise, Balaam s'écriait, la face tournée vers le désert tout couvert des tentes et des pavillons de Jacob
: "Je le verrai, mais non encore ; je le contemplerai, mais plus tard. Une Etoile sortira de Jacob ; une royauté s'élèvera au milieu d'Israël." Interrogé encore par le roi infidèle, Balaam
ajouta : "Oh ! qui vivra encore quand Dieu fera ces choses ? Ils viendront d'Italie sur des galères ; ils soumettront les Assyriens ; ils dévasteront les Hébreux, et enfin ils périront
eux-mêmes." Mais quel empire remplacera cet empire de fer et de carnage ? celui du Christ qui est l’Etoile, et qui seul est Roi à jamais.
David est inondé des pressentiments de ce grand jour. A chaque page, il célèbre la royauté de son fils selon la chair ; il nous le montre armé du sceptre, ceint de l'épée, sacré par le Père des siècles, étendant sa domination d'une mer à l'autre ; puis il amène à ses
pieds les Rois de Tharsis et des îles lointaines, les Rois d'Arabie et de Saba, les Princes d'Ethiopie. Il célèbre leurs offrandes d'or et leurs adorations.
Dans son merveilleux épithalame, Salomon vient ensuite décrire les délices de l'union céleste de l'Epoux divin avec l'Eglise ; et cette Epouse fortunée n'est point la Synagogue. Le Christ
l'appelle avec tendresse pour la couronner ; mais sa voix s'adresse à celle qui habitait au delà des confins de la terre du peuple de Dieu. "Viens, dit-il, ma fiancée, viens du Liban ;
descends des sommets d'Amana, des hauteurs de Sanir et d'Hermon ; sors des retraites impures des dragons, quitte les montagnes qu'habitent les léopards." Et cette fille de Pharaon ne se trouble
pas de dire : Je suis noire ; car elle peut ajouter qu'elle a été rendue belle par la grâce de son Epoux.
Le Prophète Osée se lève ensuite, et il dit au nom du Seigneur : "J'ai choisi un homme, et il ne m'appellera plus Baal désormais. J'ôterai de sa bouche ce nom de Baal, et il ne s'en
souviendra plus. Je m'unirai à toi pour jamais, homme nouveau ! Je sèmerai ta race par toute la terre ; j'aurai pitié de celui qui n'avait point connu la miséricorde ; à celui qui n'était pas mon
peuple, je dirai : mon peuple ! Et il me répondra : mon Dieu !"
A son tour, le vieux Tobie, du sein de la captivité, prophétisa avec magnificence ; mais la Jérusalem qui doit recevoir les Juifs délivrés par Cyrus, disparaît à ses yeux, à l'aspect d'une autre
Jérusalem plus brillante et plus belle. "Nos frères qui sont dispersés, dit-il, reviendront dans la terre d'Israël ; la maison de Dieu se rebâtira. Tous ceux qui craignent Dieu viendront s'y retirer ; les Gentils même laisseront leurs idoles, et viendront en Jérusalem, et ils
y habiteront, et tous les rois de la terre y fixeront leur séjour avec joie, accourus pour adorer le Roi d'Israël."
Et si les nations doivent être broyées, dans la justice de Dieu, pour leurs crimes, c'est pour arriver ensuite au bonheur d'une alliance éternelle avec Jéhovah. Car voici ce qu'il dit lui-même,
par son Prophète Sophonie : "Ma justice est de rassembler les nations, de réunir en faisceau les royaumes, et je répandrai sur elles mon indignation, et tout le feu de ma colère ; la terre
entière en sera dévorée. Mais ensuite je donnerai aux peuples une langue choisie, afin qu'ils invoquent tous le Nom du Seigneur, et qu'ils portent tous ensemble mon joug. Jusqu'au delà des
fleuves de l'Ethiopie, ils m'invoqueront; les fils de mes races dispersées viendront m'apporter des présents."
Le Seigneur avait déjà dénoncé ses oracles de miséricorde par la bouche d'Ezéchiel : "Un seul Roi commandera à tous, dit Jéhovah ; il n'y aura plus deux nations, ni deux royaumes. Ils ne se
souilleront plus avec leurs idoles ; dans les lieux mêmes où ils ont péché, je les sauverai ; ils seront mon peuple, et je serai leur Dieu. Il n'y aura qu'un Pasteur pour eux tous. Je ferai avec
eux une alliance de paix, un pacte éternel ; je les multiplierai, et mon sanctuaire sera au milieu d'eux à jamais."
C'est pourquoi Daniel, après avoir prédit les Empires que devait remplacer l'Empire Romain, ajoute : "Mais le Dieu du ciel suscitera à son tour un Empire qui jamais ne sera détruit, et dont le sceptre ne passera point à un autre peuple. Cet Empire envahira tous ceux qui
l’ont précédé ; et lui, il durera éternellement."
Quant aux ébranlements qui doivent précéder rétablissement du Pasteur unique, et de ce sanctuaire éternel qui doit s'élever au centre de la Gentilité, Aggée les prédit en ces termes
: "Encore un peu de temps, et j'ébranlerai le ciel, la terre et la mer ; je mêlerai toutes les nations ; et alors viendra le Désiré de toutes les nations."
Il faudrait citer tous les Prophètes pour donner tous les traits du grand spectacle promis au monde par le Seigneur au jour où, se ressouvenant des peuples, il devait les appeler aux pieds de son
Emmanuel. L'Eglise nous a fait entendre Isaïe dans l'Epître de la Fête, et le fils d'Amos a surpassé ses frères.
Si maintenant nous prêtons l'oreille aux voix qui montent vers nous du sein de la Gentilité, nous entendons ce cri d'attente, l'expression de ce désir universel qu'avaient annoncé les Prophètes
hébreux. La voix des Sibylles réveilla l'espérance au cœur des peuples ; jusqu'au sein de Rome même, le Cygne de Mantoue consacre ses plus beaux vers à reproduire leurs consolants oracles
: "Le dernier âge, dit-il, l'âge prédit par la Vierge de Cumes est arrivé ; une nouvelle série des temps va s'ouvrir ; une race nouvelle descend du ciel. A la naissance de cet Enfant, l'âge
de fer suspend son cours ; un peuple d'or s'apprête à couvrir la terre. Les traces de nos crimes seront effacées ; et les terreurs qui assiégeaient le monde se
dissiperont."
Et comme pour répondre aux vains scrupules de ceux qui craignent de reconnaître, avec saint Augustin et tant d'autres saints Docteurs, la voix des traditions antiques s'énonçant par la bouche des Sibylles : Cicéron, Tacite, Suétone, philosophes et historiens gentils,
viennent nous attester que le genre humain, dans leurs temps, attendait un Libérateur ; que ce Libérateur devait sortir, non seulement de l'Orient, mais de la Judée ; que les destinées d'un
Empire qui devait renfermer le monde entier étaient sur le point de se déclarer.
Ils partageaient cette universelle attente de votre arrivée, ô Emmanuel, ces Mages aux yeux desquels vous fîtes apparaître l'Etoile ; et c'est pour cela qu'ils ne perdirent pas un instant, et se
mirent tout aussitôt en route vers le Roi des Juifs dont la naissance leur était annoncée.
Tant d'oracles s'accomplissaient en eux ; mais s'ils en recevaient les prémices, nous en possédons le plein effet. L'alliance est conclue, et nos âmes, pour l'amour desquelles vous êtes descendu
du ciel, sont à vous ; l'Eglise est sortie de votre flanc divin, avec le sang et l'eau ; et tout ce que vous faites pour cette Epouse prédestinée, vous l'accomplissez en chacun de ses enfants
fidèles. Fils de Japhet, nous avons dépossédé la race de Sem qui nous fermait ses tentes ; le droit d'aînesse dont jouissait Juda nous a été déféré. Notre nombre, de siècle en siècle, tend à
égaler le nombre des étoiles. Nous ne sommes plus dans les anxiétés de l'attente ; l'astre s'est levé, et la Royauté qu'il annonçait ne cessera jamais de répandre sur nous ses bienfaits. Les Rois
de Tharsis et des îles, les Rois d'Arabie et de Saba, les Princes de l'Ethiopie sont venus, portant des présents ; mais toutes les générations les ont suivis. L'Epouse, établie dans tous ses
honneurs, ne se souvient plus des sommets d'Amana, ni des hauteurs de Sanir et d'Hermon, où elle
gémissait dans la compagnie des léopards ; elle n'est plus noire , mais elle est belle , sans taches, ni rides, et digne de l'Epoux divin. Elle a oublié Baal pour jamais ; elle parle avec amour
la langue que Jéhovah lui a donnée. L'unique Pasteur paît l'unique troupeau ; le dernier Empire poursuit ses destinées jusqu'à l'éternité.
C'est vous, ô divin Enfant, qui venez nous apporter tous ces biens et recevoir tous ces hommages. Croissez, Roi des rois, sortez bientôt de votre silence. Quand nous aurons goûté les leçons de
votre humilité, parlez en maître ; César-Auguste règne depuis assez longtemps ; assez longtemps Rome païenne s'est crue éternelle. Il est temps que le trône de la force cède la place au trône de
la charité, que la Rome nouvelle s'élève sur l'ancienne.
Les nations frappent à la porte et demandent leur Roi ; hâtez le jour où elles n'auront plus à venir vers vous, mais où votre miséricorde doit les aller chercher par la prédication apostolique.
Montrez-leur Celui à qui toute puissance a été donnée au ciel et sur la terre ; montrez-leur la Reine que vous leur avez choisie. De l'humble demeure de Nazareth, du pauvre réduit de Bethléhem,
que l'auguste Marie s'élève bientôt, sur les ailes des Anges, jusqu'au trône de miséricorde, du haut duquel elle protégera tous les peuples et toutes les
générations.
DOM GUÉRANGER
L'Année Liturgique

Adoration des Mages par
Ghirlandaio