
Saint Etienne par Luis de Morales
Saint Pierre Damien ouvre son Sermon sur la présente solennité par ces paroles :
« Nous tenons encore entre nos bras le Fils de la Vierge, et nous honorons par nos caresses l'enfance d'un Dieu.
Marie nous a conduits à l'auguste berceau ; belle entre les filles des hommes, bénie entre les femmes, elle nous a présenté Celui qui est beau entre tous les enfants des hommes, et plus qu'eux
tous, comblé de bénédictions. Elle soulève pour nous le voile des prophéties, et nous montre les desseins de Dieu accomplis. Qui de nous pourrait distraire ses yeux de la merveille d'un tel
enfantement ? Néanmoins, tandis que le nouveau-né nous accorde les baisers de sa tendresse, et nous tient dans l'étonnement par de si grands prodiges, tout à coup, Etienne, plein de grâce et de
force, opère des choses merveilleuses au milieu du peuple. Laisserons-nous donc le Roi pour tourner nos regards sur un de ses soldats ? Non certes, à moins que le Prince lui-même ne nous le
commande. Or, voici que le Roi, Fils de Roi, se lève lui-même, et vient assister au combat de son serviteur. Courons donc à un spectacle auquel il court lui-même, et considérons le porte-étendard des Martyrs.»
Ainsi, la divine Liturgie unit les joies de la Nativité du Seigneur avec l'allégresse que lui inspire le triomphe du premier des Martyrs ; et encore Etienne ne sera pas le seul à venir partager
les honneurs de cette glorieuse Octave. Après lui, nous célébrerons Jean, le bien-aimé Disciple ;
les Innocents de Bethléhem ; Thomas, le Martyr de la liberté de l'Eglise ; Sylvestre, le Pontife delà Paix. Mais, dans cette brillante escorte du Roi nouveau-né, la place d'honneur appartient à
Etienne, ce Proto-martyr qui, ainsi que le chante l'Eglise, "a rendu le premier au Sauveur la mort que le Sauveur a soufferte pour lui". Ainsi méritait d'être honoré le Martyre, ce
témoignage sublime qui acquitte avec plénitude envers Dieu les dons octroyés à notre race, et scelle par le sang de l'homme la vérité que le Seigneur a confiée à la terre.
Pour bien comprendre ceci, il est nécessaire de considérer le plan divin pour le salut du monde. Le Verbe de Dieu est envoyé afin d'instruire les hommes ; il sème sa divine parole, et ses œuvres
rendent témoignage de lui. Mais, après son Sacrifice, il remonte à la droite de son Père ; et son témoignage, pour être reçu par les hommes qui n'ont pas vu ni entendu ce Verbe de vie, a besoin
d'un témoignage nouveau. Or, ce témoignage nouveau, ce sont les Martyrs qui le donneront ; et ce ne sera pas simplement par la confession de leur bouche, mais par l'effusion de leur sang qu'ils
le rendront. L'Eglise s'élèvera donc par la Parole et le Sang de Jésus-Christ ; mais elle se soutiendra, elle traversera les âges, elle triomphera de tous les obstacles par le sang des Martyrs,
membres du Christ ; et ce sang se mêlera avec celui de leur Chef divin, dans un même Sacrifice.
Les Martyrs auront toute ressemblance avec leur Roi suprême. Ils seront, comme il l'a dit, "semblables à des agneaux au milieu des loups". Le monde sera fort contre eux ; devant lui, ils
seront faibles et désarmés ; mais, dans cette lutte inégale, la victoire des Martyrs n'en sera que
plus éclatante et plus divine. L'Apôtre nous dit que le Christ crucifié est la force et la sagesse de Dieu ; les Martyrs immolés, et cependant conquérants du monde, attesteront, d'un témoignage
que le monde même comprendra, que le Christ qu'ils ont confessé, et qui leur a donné la constance et la victoire, est véritablement la force et la sagesse de Dieu. Il est donc juste qu'ils soient
associés à tous les triomphes de l'Homme-Dieu, et que le cycle liturgique les glorifie, comme l'Eglise elle-même les honore en plaçant sous la pierre de l'autel leurs sacrés ossements, en sorte
que le Sacrifice de leur Chef triomphant ne soit jamais célébré sans qu'ils soient offerts avec lui dans l'unité de son Corps mystique.
Or, la liste glorieuse des Martyrs du Fils de Dieu commence à saint Etienne ; il y brille par son beau nom qui signifie le Couronné, présage divin de sa victoire. Il commande, sous le Christ,
cette blanche armée que chante l'Eglise, ayant été appelé le premier, avant les Apôtres eux-mêmes, et ayant répondu dignement à l'honneur de l'appel. Etienne a rendu un fort et courageux
témoignage à la divinité de l'Emmanuel ; et bientôt une grêle de pierres meurtrières a été lancée contre lui par les ennemis de Dieu, devenus les siens. Il a reçu cet affront, debout, sans
faiblir ; on eût dit, suivant la belle expression de saint Grégoire de Nysse, qu'une neige douce et silencieuse tombait sur lui à flocons légers, ou encore qu'une pluie de roses descendait
mollement sur sa tête. Mais, à travers ces pierres qui se choquaient entre elles en lui apportant la
mort, une clarté divine arrivait jusqu'à lui : Jésus, pour qui il mourait, se manifestait à ses regards ; et un dernier témoignage à la divinité de l'Emmanuel s'échappait avec force de la bouche
du Martyr.
Bientôt, à l'exemple de ce divin Maître, pour rendre son sacrifice complet, le Martyr répand sa dernière prière pour ses bourreaux ; il fléchit les genoux et demande que le péché ne leur soit pas
imputé. Ainsi tout est consommé ; et le type du Martyre est montré à la terre pour être imité et suivi dans toutes les générations, jusqu'à la consommation des siècles, jusqu'au dernier
complément du nombre des Martyrs. Etienne s'endort dans le Seigneur, et il est enseveli dans la paix, in pace, jusqu'à ce que sa tombe sacrée soit retrouvée, et que sa gloire se répande
de nouveau dans toute l'Eglise, par cette miraculeuse Invention, comme par une résurrection anticipée.
Etienne a donc mérité de faire la garde auprès du berceau de son Roi, comme le chef des vaillants champions de la divinité du céleste Enfant que nous adorons. Prions-le, avec l'Eglise, de nous
faciliter l'approche de l'humble couche où repose notre souverain Seigneur. Demandons-lui de nous initier aux mystères de cette divine Enfance que nous devons tous connaître et imiter dans le
Christ. Dans la simplicité de la crèche, il n'a point compté le nombre de ses ennemis, il n'a point tremblé en présence de leur rage, il n'a point fui leurs coups, il n'a point imposé silence à
sa bouche, il a pardonné à leur fureur ; et sa dernière prière a été pour eux.
O fidèle imitateur de l'Enfant de Bethléhem ! Jésus, en effet, n'a point foudroyé les habitants de cette cité qui refusa un asile à la Vierge-Mère, au moment où elle allait
enfanter le Fils de David. Il dédaignera d'arrêter la fureur d'Hérode qui bientôt le cherchera pour le faire périr
; il aimera mieux fuir en Egypte, comme un proscrit, devant la face de ce tyran vulgaire ; et c'est à travers toutes ces faiblesses apparentes qu'il montrera sa divinité, et que le Dieu-Enfant
sera le Dieu-Fort. Hérode passera, et sa tyrannie ; le Christ demeurera, plus grand dans sa crèche où il fait trembler un roi, que ce prince sous sa pourpre tributaire des Romains ; plus grand
que César-Auguste lui-même, dont l'empire colossal a pour destinée de servir d'escabeau à l'Eglise que vient établir cet Enfant si humblement inscrit sur les rôles de la ville de
Bethléhem.
Nous entendrons maintenant l'Eglise Grecque, et nous emprunterons quelques strophes à ses Menées, pour la louange du Protomartyr (XXVI Decembris, in magno Vespertino, et passim.)
Tu as paru tout rayonnant dans ton âme de la grâce de l'Esprit, et, dans ton visage, pareil à un Ange, ô Etienne !
La splendeur qui t'illuminait au dedans rejaillit sur ton corps, et ton âme laissa échapper aux regards l'éclat dont tu fus frappé, et les reflets de tes contemplations lumineuses, quand les
cieux te furent ouverts, ô chef glorieux des martyrs !
Ces pierres lancées sur toi comme les flocons de la neige, te servirent de degrés, et comme d'échelle pour monter aux parvis célestes ; t'élevant sur leur amas glorieux, tu as contemplé le
Seigneur assis à la droite du Père, t'offrant de sa vivifiante droite la couronne que ton nom présageait ; près de lui, tu assistes maintenant en vainqueur glorieux, prémices des
athlètes.
Illustre en prodiges et en miracles, et en la céleste doctrine, tu as livré aux flammes la chaire des impies ; par eux mis à mort et accablé de pierres, tu as demandé grâce pour tes bourreaux :
imitant même par tes paroles celles du Sauveur, entre les mains duquel tu as remis ton âme très sacrée, ô Etienne !
Le glorieux Etienne est présenté, en ce jour, au Seigneur Roi nouveau-né ; il n'est pas resplendissant de joyaux, mais tout fleuri par l'éclat de son sang. O amis des martyrs ! venez, cueillons
des fleurs, couronnons nos fronts et chantons tour à tour : Toi qui brilles en ton âme par l'éclat de la sagesse et delà charité, ô premier martyr du Christ Dieu ! demande pour nous la paix et
une grande miséricorde.
Tu as dignement été appelé en aide aux apôtres du Christ, et tu as administré en diacre fidèle, ô Etienne, vraiment digne de ton nom ! Comme le Christ , tu as passé à travers le
sang.
Aussi brillant que le soleil, ô homme portant Dieu ! tu t'es levé à l'orient, lançant de toutes parts les rayons de ton témoignage, de ton grand courage et de ta résistance
généreuse.
Celui qui, né d'une Vierge-Mère, est venu habiter parmi nous, le premier des martyrs l'a contemplé dans les cieux, debout dans l'immuable divinité et dans la gloire du
Père.
Hier, le Seigneur, revêtu de notre chair, est venu habiter parmi nous ; aujourd'hui, le serviteur a quitté sa demeure de chair ; aujourd'hui, le serviteur est lapidé, et ainsi achève sa course le
Proto-martyr et divin Etienne.
Une étoile resplendissante a brillé aujourd'hui en la Nativité du Christ ; c'est Etienne, premier martyr, qui illumine de ses clartés la terre entière.
Tu as dépassé tous termes de louanges, ô Etienne ! et tu portes vraiment et ineffablement tes palmes de victoire ; et aucun esprit mortel ne peut tresser une couronne digne de ta
gloire.
Tu as été le premier entre les diacres, le premier entre les martyrs, ô très saint Etienne ! car tu as ouvert la voie aux saints, et tu as conduit au Seigneur d'innombrables martyrs : c'est
pourquoi le ciel t'a été ouvert, et Dieu s'est montré à tes regards ; supplie-le de sauver nos âmes.
Nous nous unissons à ces éloges que vous envoient tous les siècles chrétiens, ô vous le premier et le prince des Martyrs ! Nous vous félicitons d'avoir été choisi par la sainte Eglise pour
assister, au poste d'honneur, près du berceau du souverain Seigneur de toutes choses. Qu'elle est glorieuse, la confession que vous avez rendue, au milieu des cailloux meurtriers qui brisaient
vos membres généreux ! Qu'elle est éclatante, la pourpre qui vous couvre comme un triomphateur ! Qu'elles sont lumineuses, les cicatrices de ces blessures que vous reçûtes pour le Christ !
Qu'elle est nombreuse et brillante, l'armée des Martyrs qui vous suit comme son chef, et qui continue ses glorieux enrôlements jusqu'à la consommation des siècles !
Nous ne terminerons pas cette seconde journée de l'Octave de Noël sans nous arrêter auprès du berceau de notre Emmanuel, sans contempler ce divin Fils de Marie. Déjà deux jours se sont écoulés
depuis que sa Mère l'a couché dans l'humble crèche ; et ces deux jours valent plus pour le salut du monde que les milliers d'années qui ont précédé la naissance de cet Enfant. L'œuvre de notre
rédemption avance, et les vagissements du nouveau-né, ses pleurs commencent à réparer nos crimes. Considérons donc aujourd'hui, dans cette fête du premier des Martyrs, les larmes qui mouillent
les joues enfantines de Jésus, et qui sont les premiers indices de ses douleurs. "Il pleure, cet Enfant, dit saint Bernard ; mais non comme les autres enfants, ni pour la même raison. Les
enfants des hommes pleurent de besoin et de faiblesse ; Jésus pleure de compassion et d'amour pour nous." Recueillons chèrement ces larmes d'un Dieu qui s'est fait notre frère, et qui ne pleure
que sur nos maux. Apprenons à déplorer le mal du péché qui vient attrister, par les souffrances
prématurées du tendre Enfant que le ciel nous envoie, la douce allégresse que sa venue nous a causée.
Marie aussi voit ces larmes, et son cœur de mère en est troublé. Elle pressent déjà qu'elle a mis au jour un homme de douleurs ; bientôt elle le saura mieux encore. Unissons-nous à elle pour
consoler le nouveau-né par l'amour de nos cœurs. C'est le seul bien qu'il soit venu chercher à travers tant d'humiliations ; c'est pour cet amour qu'il est descendu du ciel, qu'il a accompli
toutes les merveilles dont nous sommes environnés. Aimons-le donc de toute la plénitude de nos âmes, et prions Marie de lui faire agréer le don de notre cœur.
Le Psalmiste a chanté, et il a dit : Le Seigneur est grand et digne de toute louange ; ajoutons avec saint Bernard : Le Seigneur est petit, et digne de tout amour !
DOM GUÉRANGER
L'Année Liturgique

Vierge à l'Enfant par Rogier van der Weyden