
Sainte Clotilde à l'église Notre-Dame des Andelys
par Dom Guéranger
C'est Clotilde qui conduit les Francs au baptistère de Reims, et présente à Rémi le fier Sicambre transformé
beaucoup moins par les exhortations du saint évêque, que par la vertu des prières de la femme forte élue de Dieu pour enlever cette riche dépouille à l'enfer.
Quelle virile énergie, quel dévouement à Dieu nous révèlent les démarches de cette noble fille du roi détrôné des Burgondes, qui, sous l'œil soupçonneux de l'usurpateur meurtrier de sa famille,
attend l'heure du ciel dans l'exercice de la charité et le silence de l'oraison : jusqu'à ce que, le moment venu enfin, ne prenant conseil que de l'Esprit-Saint et d'elle-même, elle s'élance pour
conquérir au Christ cet époux, qu'elle ne connaît pas encore, avec une vaillance qui dépasse celle des guerriers formant son escorte !
La force et la beauté sont véritablement sa parure au jour des noces ; le cœur de Clovis a bientôt compris que les conquêtes réservées à cette épouse, l'emporteront sur le butin ravi
jusque-là par ses armes. Clotilde, au reste, a trouvé sur les rives de la Seine son œuvre préparée ; depuis cinquante ans, Geneviève est debout, défendant Paris contre l'invasion des hordes
païennes, et n'attendant que le baptême du roi des Francs pour lui ouvrir ses portes.
Toutefois, lorsque dans cette même nuit de Noël qui vit Notre-Dame donner au monde l'Enfant divin, Clotilde a
enfanté pour Marie à l'Eglise son peuple premier-né, l'œuvre est loin d'être achevée ; il
s'agit de faire maintenant de ce peuple nouveau, dans les labeurs d'une lente éducation, la nation très chrétienne.
L'élue de Dieu et de Notre-Dame ne défaille point à sa tâche maternelle. Que de larmes pourtant il lui faudra verser encore ! que d'angoisses sur des fils dont la violence de race semble
indomptable, livrés par l'exubérance même de leur riche nature à la fougue des passions qui les pousse en aveugles aux crimes les plus atroces ! Les petits-fils qui grandissaient près d'elle,
massacrés dans un infâme guet-apens par des oncles perfides ; des guerres fratricides, promenant la dévastation sur tout ce territoire de la vieille Gaule qu'elle avait purgé du paganisme et de
l'hérésie ; et, comme pour compenser l'amertume des discordes intestines par une autre douleur du moins plus glorieuse , sa fille chérie , Clotilde la jeune, mourant
d'épuisement à la suite des sévices endurés pour sa foi de la part d'un époux arien : tout montre assez à la reine des Francs que si le ciel l'a choisie pour être
leur mère, il entend lui en laisser la peine aussi bien que l'honneur. Ainsi le Christ traite les siens, quand ils ont sa confiance.
Clotilde l'a compris : depuis longtemps déjà, veuve de son époux, privée de l'assistance de Geneviève qui a suivi de près Clovis au tombeau, elle s'est retirée près du sépulcre de son
glorieux précurseur, le thaumaturge des Gaules, pour y continuer avec l'aide de Martin, dans le secret de la prière et l'héroïsme de la foi qui soutint son enfance, la préparation du
nouveau peuple à ses grandes destinées.
Travail immense, auquel une seule vie ne pourrait suffire ! Mais la vie de Clotilde, qui ne doit point voir
s'achever la transformation tant désirée, ne se clora pas qu'elle n'ait, à Tours, serré dans ses
bras Radegonde, son illustre belle-fille ; investie de sa sublime maternité dans une étreinte suprême, elle l'envoie poursuivre près de la tombe d'Hilaire, cet autre vrai père de la patrie,
l'intercession toute-puissante qui fera la nation.
Puis, lorsque Radegonde elle-même, sa tâche de souffrance et d'amour accomplie, devra quitter la terre, Bathilde bientôt paraîtra, consommant l'œuvre en ce siècle septième, dont on a pu dire
qu'il sembla comme celui où, prêt enfin pour sa mission, "le Franc fut fiancé à l'Eglise et armé chevalier de Dieu."
Clotilde, Radegonde, Bathilde, mères de la France, se présentent à nous reconnaissables toutes les trois aux mêmes
traits pour leurs fils : préparées toutes trois, dès le début de la vie, au dévouement qu'exige leur grande mission, par les mêmes épreuves, la captivité, l'esclavage, par le massacre ou la perte
des leurs ; toutes trois ne portant sur le trône que l'indomptable amour du Christ-Roi et le désir de lui donner leur peuple ; toutes trois enfin déposant le diadème au plus tôt, afin de pouvoir,
prosternées devant Dieu dans la retraite et la pénitence, atteindre plus sûrement l'unique but de leur ambition maternelle et royale. Héritières d'Abraham en toute vérité, elles ont trouvé dans
sa foi la fécondité qui les rendit mères des multitudes que si longtemps notre sol, arrosé de leurs larmes, produisit sans compter pour le ciel.
in L'ANNÉE LITURGIQUE

Sainte Clotilde au porche de Saint Germain l'Auxerrois