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"Je vous donne un commandement nouveau : c'est de vous aimer les uns les autres.

 

Comme je vous ai aimés, vous aussi aimez-vous les uns les autres.

 

Ce qui montrera à tous les hommes que vous êtes mes disciples, c'est l'amour que vous aurez les uns pour les autres."

 

Evangile de Jésus-Christ selon  saint Jean 

   

 

Pentecôte

" Le Défenseur, l'Esprit Saint que le Père enverra en mon nom, lui, vous enseignera tout, et il vous fera souvenir de tout ce que je vous ai dit."

 

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean  

 

   

 

 El Papa es argentino. Jorge Bergoglio                 

Saint Père François

 

 

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1er mai 2011 Béatification de Jean-Paul II

Béatification du Serviteur de Dieu Jean-Paul II

 

 

  Béatification du Père Popieluszko

beatification Mass, in Warsaw, Poland

à Varsovie, 6 juin 2010, Dimanche du Corps et du Sang du Christ

 

 

presidential palace in Warsaw

Varsovie 2010

 

 

Basilique du Sacré-Cœur de Montmartre
Sanctuaire de l'Adoration Eucharistique et de la Miséricorde Divine

La miséricorde de Dieu est comme un torrent débordé. Elle entraîne les cœurs sur son passage.
(Saint Curé d'Ars)
 

 


Le côté du Christ a été transpercé et tout le mystère de Dieu sort de là. C’est tout le mystère de Dieu qui aime, qui se livre jusqu’au bout, qui se donne jusqu’au bout. C’est le don le plus absolu qui soit. Le don du mystère trinitaire est le cœur ouvert. Ce n’est pas une image, c’est une réalité. C’est la réalité la plus profonde qui soit, la réalité de l’amour.
Père Marie-Joseph Le Guillou




Dans le cœur transpercé
de Jésus sont unis
le Royaume du Ciel
et la terre d'ici-bas
la source de la vie
pour nous se trouve là.

Ce cœur est cœur divin
Cœur de la Trinité
centre de convergence
de tous les cœur humains
il nous donne la vie
de la Divinité.


Sainte Thérèse Bénédicte de la Croix
(Edith Stein)



Le Sacré-Cœur représente toutes les puissances d'aimer, divines et humaines, qui sont en Notre-Seigneur.
Père Marie-Eugène de l'Enfant Jésus

 



feuille d'annonces de la Basilique du Sacré-Coeur de Montmartre

 

 

 

 

 

 

 

     

The Cambrai Madonna

Notre Dame de Grâce

Cathédrale de Cambrai

 

 

 

Cathédrale Notre Dame de Paris 

   

Ordinations du samedi 27 juin 2009 à Notre Dame de Paris


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Solennité de l’Immaculée Conception de la Vierge Marie à Notre-Dame de Paris


NOTRE DAME DES VICTOIRES

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... ma vocation, enfin je l’ai trouvée, ma vocation, c’est l’Amour !

 

 

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SAINT PIERRE ET SAINT ANDRÉ

Saint Pierre et Saint André

 

BENOÎT XVI à CHYPRE 

 

Benedict XVI and Cypriot Archbishop Chrysostomos, Church of 

Salutation avec l'Archevêque Chrysostomos à l'église d' Agia Kyriaki Chrysopolitissa de Paphos, le vendredi 4 juin 2010

 

     

 

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Visite au mémorial de la Shoah, Yad Vashem




 






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SALVE REGINA

23 décembre 2011 5 23 /12 /décembre /2011 05:00

Détachés de nos intérêts, nous ne contesterons avec personne, nous ne nous brouillerons avec personne, nous ne romprons avec personne ; et, par une infaillible conséquence nous goûterons les douceurs de la société, nous jouirons des avantages de la pure et sincère charité : semblables aux premiers chrétiens, n'ayant tous qu'un cœur et qu'une âme, nous trouverons dans cette union mutuelle une béatitude anticipée, et comme un avant-goût de l'éternelle félicité.

BOURDALOUE

 

 

La paix avec le prochain est le fruit de la charité ; et la charité, selon saint Paul, est l'abrégé de la loi chrétienne. Il ne faut donc pas s'étonner si le même apôtre nous a marqué, comme un des caractères les plus essentiels de l'esprit chrétien, le soin de conserver la paix avec tous les hommes, puisqu'il est évident que fous les hommes sont compris sous le nom de prochain. Si fieri potest, quod ex vobis est, cum omnibus hominibus pacem habentes (Rom., XII, 18.) : si cela se peut, disait-il aux Romains en les instruisant et en les formant au christianisme, si cela se peut, et autant qu'il est en vous, vivez en paix avec tout le monde : voilà l'esprit de votre religion, et par où l'on reconnaîtra que vous êtes les disciples de Celui qui, dès son berceau, a été le prince et le Dieu de la paix.

 

Pesons bien ces paroles, qui sont substantielles : Si fieri potest, si cela se peut : l'impossibilité, dit saint Chrysostome, est la seule excuse légitime qui puisse devant Dieu nous disculper, quand nous ne vivons pas avec nos frères dans une paix et une union parfaite ; et, hors l'impuissance absolue, toute autre raison n'est qu'un vain prétexte dont nous nous flattons, mais qui ne servira qu'à nous confondre au jugement de Dieu. Quod ex vobis est, autant qu'il est en vous ; en sorte que nous puissions sincèrement protester à Dieu, que nous puissions nous rendre à nous-mêmes témoignage qu'il n'a jamais tenu à nous, jamais dépendu de nous que nous n'eussions avec nos frères cette paix solide fondée sur la charité, l'ayant ardemment désirée, l'ayant de bonne foi recherchée, ayant toujours été préparés et d'esprit et de cœur à ne rien épargner pour y parvenir. Cum omnibus, la paix avec tous, sans en excepter un seul : l'exclusion d'un seul suffit pour nous rendre prévaricateurs, et sujets à toutes les peines dont Dieu menace ceux qui troublent ou qui rompent la paix. Rompre la paix avec un seul, c'est, selon Dieu, quelque chose d'aussi mortel que de violer un seul commandement. La paix avec tous, un seul excepté, nous devient donc inutile pour le salut ; et ce seul que nous exceptons doit s'élever pour demander vengeance contre nous au dernier jour. Cum omnibus hominibus, la paix avec tous les hommes, même avec ceux qui y sont plus opposés et qui ne la veulent pas : les forçant par notre conduite à la vouloir, et, à l'exemple de David, gardant un esprit de paix avec les ennemis de la paix : Cum his qui oderunt pacem, eram pacificus (Psalm., CXIX, 7.).  Car, comme ajoute saint Chrysostome, vivre en paix avec des âmes pacifiques, avec des esprits modérés, avec des humeurs sociables, à peine serait-ce une vertu de philosophe et de païen ; beaucoup moins doit-elle passer pour une vertu surnaturelle et chrétienne. Le mérite de la charité, disons mieux, le devoir de la charité, est de conserver la paix avec des hommes difficiles, fâcheux, emportés : pourquoi ? parce qu'il peut arriver, et parce qu'en effet il arrive tous les jours que les plus emportés et les plus fâcheux, les plus difficiles et les plus chagrins, sont justement ceux avec qui nous devons vivre dans une plus étroite société, ceux dont il nous est moins possible de nous séparer, ceux à qui, dans l'ordre de Dieu, nous nous trouvons attachés par des liens plus indissolubles. Il faut donc, dit ce saint docteur, que, par rapport même à ces sortes d'esprits, nous ayons un principe de paix sur quoi puisse être solidement établie la tranquillité du commerce que la charité chrétienne doit maintenir entre eux et nous.

 

Or, quel est-il ce principe ? le voici : une sainte conformité avec Jésus-Christ naissant. Entrons dans son cœur, prenons-en les sentiments, tâchons à nous mettre dans les mêmes dispositions que lui, contemplons son étable et approchons de sa crèche. Remplissons-nous des vives lumières qu'il répand dans les âmes, et comprenons bien surtout deux choses : premièrement, c'est un Dieu qui, pour témoigner aux hommes sa charité, commence par se dépouiller pour eux de tous ses intérêts : secondement, c'est un Dieu qui, pour gagner nos cœurs, nous prévient, suivant le langage du Prophète, de toutes les bénédictions de sa douceur, et qui s'attendrit pour nous jusqu'à se revêtir, tout Dieu qu'il est, de notre humanité ; disons mieux, et dans un sens plus propre à mon sujet, jusqu'à devenir personnellement pour nous, comme parle l'Apôtre, la bénignité et l'humanité même : Apparuit benignitas et humanitas (Tit., III, 4.). Deux moyens qu'il nous présente pour entretenir une paix éternelle avec nos frères : désintéressement et douceur. Dépouillons-nous en faveur de nos frères de certains intérêts qui nous dominent ; soyons, à l'égard de nos frères, doux et humains : plus d'inimitiés alors, plus de divisions ; paix inviolable, paix inaltérable. Quel bonheur pour moi et quel avantage pour vous, si je pouvais, en finissant, vous persuader ces deux devoirs si indispensables dans la religion que nous professons, et si nécessaires dans tous les états de la vie. Ceci demande une réflexion toute nouvelle.

 

C'est, dis-je, un Dieu qui, par amour pour nous, et pour témoigner aux hommes son immense charité, se dépouille de tous ses intérêts ; qui, de maître qu'il était, se fait obéissant ; de grand qu'il était se fait petit ; de riche qu'il était se fait pauvre : Quoniam propter vos egenus factus est, cum esset dives (2. Cor., VIII, 9.). Et je prétends que ce désintéressement est le plus prompt et le plus infaillible moyen pour concilier les cœurs, et pour nous unir tous dans une paix solide et durable.

 

Car, comme raisonne saint Bernard, prétendre vivre en paix avec nos frères, sans qu'il nous en coûte rien, sans vouloir leur sacrifier rien, sans jamais leur céder en rien, sans nous incommoder pour eux, ni nous relâcher sur rien ; nous flatter d'avoir cette charité chrétienne qui est le lien de la paix, et cependant être toujours aussi entiers dans nos prétentions, aussi jaloux de nos droits, aussi déterminés à n'en rien rabattre, aussi vifs sur le point d'honneur, aussi attachés à nous-mêmes ; abus, mes chers auditeurs : ce n'est pas ainsi que le Dieu de la paix nous l'a enseigné. Il ne fallait point pour cela qu'il vînt au monde, ni qu'il nous servit de modèle : nous n'avions sans lui que trop d'exemples de cette charité intéressée. Il était inutile que ce Dieu fait homme nous apportât un commandement nouveau : de tout temps les hommes s'étaient aimés de la sorte les uns les autres, et cette prétendue charité était aussi ancienne que le monde ; mais aussi le monde, avec cette charité prétendue, n'avait jamais été ni ne pouvait jamais être en paix.

 

C'est l'intérêt, Chrétiens, qui nous divise. Otez la propre volonté, disait saint Bernard, il n'y aura plus d'enfer ; et moi je dis : Otez l'intérêt propre, ou plutôt la passion de l'intérêt propre, et il n'y aura plus parmi les hommes de dissensions, plus de querelles, plus de procès, plus de discordes dans les familles, plus de troubles dans les communautés, plus de factions dans les états : la paix avec la charité régnera partout. Elle régnera entre vous et ce parent, entre vous et ce frère, cette sœur ; entre vous et cet ami, ce voisin, ce concurrent. Dès que vous voudrez pour lui vous déporter de tel ou tel intérêt, qui fait contre vous son chagrin, dès là vous aurez avec lui la paix ; et souvent même, selon le monde, la paix que vous aurez avec lui vaudra mieux pour vous que l'intérêt qu'on vous disputait et à quoi vous renoncez. Détachés de nos intérêts, nous ne contesterons avec personne, nous ne nous brouillerons avec personne, nous ne romprons avec personne ; et, par une infaillible conséquence nous goûterons les douceurs de la société, nous jouirons des avantages de la pure et sincère charité : semblables aux premiers chrétiens, n'ayant tous qu'un cœur et qu'une âme, nous trouverons dans cette union mutuelle une béatitude anticipée, et comme un avant-goût de l'éternelle félicité.

 

Or, à la vue de Jésus-Christ, pouvons-nous avoir d'autres sentiments que ceux-là ? si nous sommes chrétiens, je dis de vrais chrétiens, nous faut-il un autre juge que ce Dieu-Sauveur, et un autre tribunal que la crèche où il est né, pour vider tous les différends qui naissent entre nous et nos frères ? Un chrétien, rempli des idées que lui inspire un mystère si touchant, voudrait-il appeler de ce tribunal, et aurait-il peine à remettre aujourd'hui tous ses intérêts entre les mains d'un Dieu qui ne vient au monde que pour y apporter la paix ? Voilà, mon cher auditeur, ce que je vous demande en son nom. Si votre frère n'a pas mérité ce sacrifice, souvent très léger, que vous lui ferez de votre intérêt, Jésus-Christ le mérite pour lui. Si votre frère est mal fondé dans ses prétentions, et s'il n'est pas juste que vous lui cédiez, au moins est-il juste que vous cédiez à Jésus-Christ. Ce que vous refusez à l'un, donnez-le à l'autre ; ce que vous ne voulez pas accordera votre frère, donnez-le à la charité et à Jésus-Christ : par là vous achèterez la paix, vous l'achèterez à peu de frais, et par là même vous la conserverez.

 

Mais peut-être s'agit-il de tout autre chose entre vous et le prochain ; peut-être, indépendamment de tout intérêt, ce qui vous divise n'est-ce de votre part qu'une fierté qui l'a choqué, qu'un emportement qui l'a irrité, qu'une parole aigre dont il s'est senti piqué, que des manières dures dont il s'est tenu offensé, qu'un air de hauteur avec lequel vous l'avez traité ? Si cela est, il ne dépend, pour le satisfaire, que de vous adoucir à son égard, que de lui donner certaines marques de votre estime, que de lui rendre certains devoirs, que de le prévenir par quelques démarches qui le ramèneront infailliblement et l'attacheront à vous. Je ne le puis, dites-vous ; j'y sens une opposition invincible, et je n'en viendrai jamais là.

 

Rentrez, encore une fois, rentrez, mon cher auditeur, dans l’étable de Bethléem : vous y verrez le Dieu de la paix incarné et humanisé, ou plutôt, vous y verrez dans sa personne la bénignité même incarnée, la grandeur même de Dieu humanisée. Je le répète, vous y verrez un Dieu qui, pour vous attirer à lui, n'a point dédaigné de vous rechercher ; qui, par une condescendance toute divine de son amour, s'est fait même comme une gloire de vous prévenir. S'il eût attendu que vous, pécheur, vous son ennemi et son ennemi déclaré, vous eussiez fait les premiers pas pour retourner à lui, où en étiez-vous, et quelle ressource vous restait pour le salut ? Cependant, malgré l'exemple de votre Dieu, vous vous faites et vous osez vous faire je ne sais quel point d'honneur de n'aller jamais au-devant de votre frère pour le rapprocher de vous et pour l'engager lui-même à revenir. Malgré la loi de la charité, et d'ailleurs même après avoir été l'agresseur, vous conservez contre lui de scandaleux et d'éternels ressentiments : n'est-ce pas renverser tous les principes du christianisme, et vous exposer à de terribles malédictions du ciel ?

 

Vous y verrez un Dieu qui, pour vous gagner, vous comble des bénédictions de sa douceur ; un Dieu qui, pour se rendre plus aimable, quitte tout l'appareil de la majesté, et qui s'humanise, non seulement jusqu'à paraître, mais jusqu'à devenir en effet homme comme vous ; un Dieu qui, sous la forme d'un enfant, vient s'attendrir sur vous de compassion, et pleurer, non pas ses misères, mais les vôtres. Car c'est ainsi, dit saint Pierre Chrysologue, qu'il a voulu naître, parce qu'il a voulu être aimé : Sic nasci voluit, qui voluit amari (Petr. Chrysol.). Parole touchante et digue de toutes nos réflexions ! c'est ainsi qu'il a voulu naître, parce qu'il a voulu être aimé. Il aurait pu naître, et il ne tenait qu'à lui de naître dans la pompe et dans l'éclat de la magnificence royale ; mais, en naissant de la sorte, il n'aurait été que respecté, que révéré, que redouté, et il voulait être aimé. Or, pour être aimé, il devait s'abaisser jusqu'à nous ; pour être aimé, il devait être semblable à nous ; pour être aimé, il devait souffrir comme nous. Et c'est pourquoi il a voulu naître dans l'état de faiblesse et d'abaissement où ce mystère nous le représente : Sic nasci voluit, qui voluit amari. Après cela, Chrétiens, affectez des airs dédaigneux et hautains envers les autres, traitez-les en esclaves, avec empire, avec dureté, et non pas en frères, avec patience, avec bonté ; rendez-vous inflexibles à leurs prières et insensibles à leurs besoins. N'est-ce pas démentir voire religion ? N'est-ce pas même violer les droits de  l'humanité ? Je serais infini, si j'entreprenais de développer ce point de morale dans toute son étendue.

 

Quoi qu'il en soit, mes chers auditeurs, voilà la sainte et divine paix que nous devons capitalement désirer, et qui ne nous coûtera jamais trop, a quelque prix qu'elle vous puisse être vendue. La paix avec nos frères, et, sans exception, la paix avec tous les hommes : cum omnibus hominibus pacem habentes. Mais quel est notre aveuglement et le sujet de notre confusion ? le voici : dans les temps où Dieu nous afflige par le fléau de la guerre, nous lui demandons la paix ; et, dans le cours de la vie, nous ne travaillons a rien moins qu'à nous procurer la véritable paix. C'est-à-dire, nous demandons à Dieu une paix qui ne dépend pas de nous, une paix qui n'est pas de notre ressort, une paix pour la conclusion de laquelle nous ne pouvons rien ; et nous ne pensons pas à nous procurer celle qui est entre nos mains, celle dont nous sommes nous-mêmes les arbitres, celle dont Dieu nous a chargés, et dont il veut que nous lui soyons responsables. Nous faisons des vœux afin que les puissances de la terre s'accordent entre elles, pour donner au monde une paix que mille difficultés presque insurmontables semblent quelquefois rendre comme impossible ; et nous ne voulons pas finir de pitoyables différends dont nous sommes les maîtres, qu'il nous serait aisé de terminer, que notre seule obstination fomente ; et ces puissances de la terre si difficiles à réunir, sont souvent plutôt d'accord que nous ne le sommes les uns avec les autres. Cette paix entre les couronnes, malgré tous les obstacles qui s'y opposent, est plutôt conclue qu'un procès qui fait la ruine et la désolation de toute une famille n'est accommodé. Ah ! Seigneur, je ne serais pas un fidèle ministre de votre parole, si dans un jour aussi solennel que celui-ci, où les anges, vos ambassadeurs, nous ont annoncé et promis la paix, je ne vous demandais, au nom de tous mes auditeurs, cette paix si désirée, qui doit pacifier tout le monde chrétien ; cette paix dont dépend le bonheur de tant de nations ; cette paix pour laquelle votre Eglise s'intéresse tant et avec tant de raison ; cette paix que vous seul pouvez donner, et qui désormais ne peut être que l'ouvrage de votre providence miraculeuse et de votre absolue puissance. Je n'aurais pas, comme ministre de votre parole, le zèle que je dois avoir, si, à l'exemple de vos prophètes, je ne vous disais aujourd'hui : Da pacem, Domine, sustinentibus te, ut prophetœ tui fideles inveniantur : Donnez la paix, Seigneur, à votre peuple, afin que ce ne soit pas en vain que nous l'ayons engagé à apaiser votre colère pour l'obtenir. Donnez-lui la paix, puisqu'entre les prospérités, quoique humaines et temporelles, qu'il lui est permis d'espérer, la paix est celle qui vient plus immédiatement de vous et qui peut le plus contribuer à votre gloire.

 

Mais je serais, ô mon Dieu, encore plus prévaricateur de mon ministère, si préférablement à cette paix, toute nécessaire et toute importante qu'elle est, je ne vous demandais, pour moi et pour ceux qui m'écoutent, celle qui doit nous réconcilier avec vous, celle qui doit nous réconcilier avec nous-mêmes, celle qui doit nous réconcilier avec nos frères ; celle qui doit nous réconcilier avec vous, par une généreuse et sainte pénitence ; celle qui doit nous réconcilier avec nous-mêmes, par un vrai détachement et une sincère humilité ; celle qui doit nous réconcilier avec nos frères, par une tendre et cordiale charité. 

 

BOURDALOUE, SERMON SUR LA NATIVITÉ DE JÉSUS-CHRIST

 

 

Nativité, Martin Schongauer, 1480

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22 décembre 2011 4 22 /12 /décembre /2011 05:00

Apprenez de moi que je suis humble de cœur : Discite a me quia mitis sum et humilis corde. Ne regardons pas cette humilité de cœur comme une faiblesse : ç’a été la vertu d'un Dieu, et c'est la vertu des forts, la vertu des sages, la vertu des âmes sensées, et par-dessus tout la vertu des élus de Dieu.

BOURDALOUE

 

 

L'homme en était réduit à ce déplorable état d'être dans une continuelle guerre avec soi-même, et de ne pouvoir se donner la paix à soi-même : et ce qui semble bien étonnant, dans l'affreux désordre où il était tombé par le péché, il ne lui fallait pas moins un médiateur, pour le réconcilier avec lui-même que pour le réconcilier avec Dieu. Or de là je conclus que Jésus-Christ est donc encore, par cette même raison, le prince et le Dieu de la paix : princeps pacis, puisque dans le mystère de sa naissance, il nous apprend, et par les exemples qu'il nous donne et par les leçons qu'il nous fait, le secret inestimable d'entretenir la paix avec nous-mêmes, secret que nous avons tant d'intérêt à découvrir, et qu'il nous est si important de savoir, mais qu'il n'appartenait qu'à ce Dieu naissant de nous révéler.

 

En effet, jusque là les hommes l'avaient ignoré cet art tout divin : séduits et aveuglés par le dieu du siècle, ils s'étaient faussement persuadés que le plus sûr moyen de trouver la paix du cœur était de satisfaire ses désirs, de contenter son ambition, de rassasier sa cupidité, et pour cela d'être honoré et distingué dans le monde ; de s'enrichir, et de vivre dans l'abondance ; de se pousser, de s'élever, de s'agrandir. Ainsi l'avaient cru et le croyaient tant de mondains. Or, en raisonnant de la sorte, non seulement, dit l'Ecriture, ils s'étaient trompés, mais, en se trompant, ils s'étaient rendus malheureux : Contritio et in felicitas in viis eorum (Psalm., XIII, 3.) : pourquoi ? parce qu'en raisonnant de la sorte, Ils n'avaient pas connu le chemin de la paix : Et  viam pacis non cognoverunt (Ibid.). Au lieu du repos intérieur et du calme qu'ils se promettaient dans leur opulence et dans leur élévation, ils ne trouvaient que trouble, que chagrin, qu'affliction d'esprit : Contritio et infelicitas. Tel était le sort des partisans du monde : et plût au ciel, mes chers auditeurs, que ce ne fût pas encore aujourd'hui le vôtre !

 

Qu'a fait Jésus-Christ ? Il est venu nous enseigner le chemin de la paix, que nous cherchions et que nous ne connaissions pas. Lui-même, qui dans l'Evangile s'est appelé le chemin : Ego sum via (Joan., XIV, 6.), il est venu nous servir de guide, et nous montrer la route par où nous pouvons immanquablement arriver au terme de cette bienheureuse paix. Lui-même, qui s'est appelé et qui est en effet la vérité : Ego sum veritas (Ibid.), il est venu nous désabuser des erreurs grossières dont nous nous étions laissé prévenir à l'égard de cette paix. Lui-même , qui est la vie : Ego sum vita (Ibid.), il est venu nous faire goûter ce qui pouvait seul nous mettre en possession de cette paix. Tout cela comment ? en nous découvrant dans le mystère de ce jour les deux sources véritables de la paix avec nous-mêmes, savoir : l'humilité de cœur et la pauvreté de cœur ; et en détruisant dans ce même mystère les deux grands obstacles à cette paix tant désirée, et néanmoins si peu commune, qui sont notre orgueil d'une part, et de l'autre notre attachement aux biens de la terre : Veniens evangelizavit pacem.

 

Ne perdez rien d'une instruction si solide et si édifiante. Oui,  c'est dans  ce  mystère qu'un Dieu-Homme, en naissant parmi les hommes, nous prêche hautement, par son exemple, ce qu'il devait dans la suite établir pour fondement de toute sa doctrine : Discite a me, quia mitis sum et humilis corde, et invenietis requiem animabus vestris (Matth., XI, 29.) : Apprenez de moi que je suis humble de cœur, et tenez pour certain  que par là vous trouverez le repos de vos âmes. Oracle,  dit saint  Augustin, d'où devait dépendre, non seulement notre  sainteté,  mais notre félicité dans la vie. Car il est évident, mes Frères, que ce qui nous empêche tous les jours de trouver ce repos de l'âme si estimable, et sans quoi tous les autres biens de la vie nous deviennent inutiles, c'est l'opposition secrète que nous   avons à  l'humilité chrétienne. Reconnaissons-le avec douleur, et gémissons-en devant Dieu : ce qui fait perdre si souvent la paix à notre cœur, et ce qui nous met dans l'impuissance de la conserver, c'est l'orgueil dont nous sommes remplis, et qui nous enfle; cet orgueil, qui nous fait croire en tant d'occasions qu'on ne nous rend pas ce qui nous est dû, qu'on n'a pas pour nous assez d'égards, qu'on ne nous considère pas autant que nous le méritons. Car de là naissent les mélancolies et les tristesses, de là les désolations et les désespoirs, de là les aigreurs et les emportements : les tristesses, quand nous nous voyons maltraités ; les désespoirs, quand nous nous croyons  méprisés ;   les  emportements, quand nous nous prétendons insultés et outragés  : Dieu prenant plaisir, dit saint Chrysostome, à punir notre orgueil par notre orgueil même, et se servant de notre amour-propre pour nous faire souffrir, quand, par un excès de délicatesse et de sensibilité dont notre orgueil est le principe, nous ne voulons rien souffrir. Si nous étions humbles, et humbles de cœur, nous serions à couvert de tous ces chagrins. Au milieu des contradictions et des adversités, l'humilité nous tiendrait dans une situation tranquille. Quelque injustice qu'on pût nous faire et que l'on nous fît, l'humilité nous consolerait, l'humilité nous affermirait, l'humilité calmerait ces orages, réprimerait ces mouvements déréglés qui bouleversent une âme, si je puis ainsi m'exprimer, et qui lui causent de si grandes agitations.

 

Ah ! Chrétiens, méditons bien ce point important. Examinons bien, et demandons-nous à nous-mêmes pourquoi nous nous troublons si aisément ? pourquoi, au moindre soupçon d'un mépris souvent imaginaire, nous nous piquons si vivement ? pourquoi, sur un vain rapport d'une parole dite contre nous par imprudence et par légèreté, nous nous affligeons, nous nous alarmons, nous nous irritons ? Quare tristis es, anima mea, et quare conturbas me (Psalm., XLI, 6.) ? C'est la question que se faisait à lui-même le Prophète royal, et que peut se faire à toute heure l'homme superbe avec beaucoup plus de sujet : Pourquoi, mon âme, êtes-vous triste, et d'où vient que vous me troublez ? Nous n'en trouvons point d'autre raison que ce fond d'orgueil avec lequel nous sommes nés, et que nous avons toujours entretenu, bien loin de travailler à le détruire. Voilà, hommes du siècle qui m'écoutez, ce qui vous rend incapables de goûter cette paix qui, de votre aveu néanmoins, est, après votre salut, le souverain bien. Vous la désirez préférablement à tout, puisque vous ne désirez tout le reste que pour y parvenir. Cependant vous n'y parvenez jamais : ne vous en prenez qu'à vous-mêmes, à cette ambition qui vous possède, et à laquelle vous vous êtes comme livrés ; à cette ambition qui, malgré tant de biens dont Dieu vous a comblés dans la vie, vous empêche d'être jamais contents de ce que vous êtes, et vous pousse toujours à vouloir être ce que vous n'êtes pas ; à cette ambition qui, par la plus monstrueuse ingratitude envers la Providence, vous fait compter pour rien tout ce que vous avez, et toujours aspirer à ce que vous n'avez pas, jusques à vous fatiguer pour cela sans relâche, jusques à vous crucifier vous-mêmes ; à cette ambition, qui fait naître dans voire cœur tant de basses et de honteuses jalousies, qui des prospérités d'autrui vous fait de si amers sujets de douleur, qui vous jette en de si violents transports quand on s'oppose à vos desseins, qui vous inspire de si mortelles aversions quand on traverse vos entreprises. Je le répète, et je ne puis trop fortement vous l'imprimer dans l'esprit, c'est là que le mal réside, c'en est là le principe et la racine.

 

Quand vous aurez une bonne fois renoncé à cette  passion ; quand, par  une modération chrétienne et sage,  vous saurez vous tenir dans le rang où Dieu vous a placés ; quand, par une justice que vous ne vous rendez pas, et qu'il faudrait vous rendre, vous reconnaîtrez que Dieu n'en a que trop fait pour vous ; dès là vous posséderez ce trésor de la paix, que vous avez en vain cherché jusqu'à présent, parce que vous ne l'avez pas cherché où il est. C'est-à-dire, dès là vous bénirez Dieu dans votre condition, sans envier celle des autres. Dès là, soumis à Dieu, vous ne penserez plus qu'à vous sanctifier dans votre état, sans courir éternellement après un  fantôme que vous vous figurez comme un  bonheur parfait, mais dont la chimérique espérance ne sert qu'à vous tourmenter. Dès là, contents de votre fortune, vous en jouirez paisiblement et avec actions de grâces ; vous ne vous appliquerez qu'à en bien user, et vous ne craindrez rien autre chose que d'en faire un criminel abus. Dès là,   chargés de  l'établissement de vos familles, après avoir fait en chrétiens tout ce qui dépendra de  vous  pour y  pourvoir, vous vous en reposerez sur cette aimable Providence dans le sein de laquelle, comme dit l'Apôtre, nous devons jeter toutes nos inquiétudes, comptant et pouvant compter avec assurance que si nous lui sommes fidèles elle ne nous manquera pas : Omnem sollicitudinem vestram projicientes in eum (Petr., V,7.). Dès là, affranchis de la servitude et de l'esclavage du monde, vous attendrez tout de Dieu ; vous ne mettiez votre appui, votre confiance qu'en Dieu ; vous entrerez dans la sainte   et heureuse liberté des enfants de Dieu ; tous les nuages se dissiperont, toutes les tempêtes se calmeront ; et un moment de cette paix secrète, que votre orgueil a tant de fois troublée, vous dédommagera bien des faux avantages où il visait, et des vaines prétentions qui vous exposaient à de si fâcheux retours et à de si rudes combats. Or, voilà pourquoi Jésus-Christ vous dit aujourd'hui : Apprenez de moi que je suis humble de cœur : Discite a me quia mitis sum et humilis corde. Et ne regardons pas cette humilité de cœur comme une faiblesse : ç’a été la vertu d'un Dieu, et c'est la vertu des forts, la vertu des sages, la vertu des âmes sensées, et par-dessus tout la vertu des élus de Dieu. Apprenez-la de moi, (écoutez toujours votre maître), et apprenez-la de moi, puisqu'il n'y a que moi de qui vous puissiez l'apprendre, et que toute la philosophie n'a point été jusque là. Apprenez-la de moi qui ne suis venu que pour vous en faire des leçons, et qui, pour vous la mieux persuader, me suis humilié et anéanti moi-même. C'est-à-dire, apprenez de moi que ce sont deux choses incompatibles que la paix et l'orgueil ; que voire cœur, quoi que vous fassiez et quoi que le monde fasse pour vous, ne sera jamais content, tandis que la vanité, que l'ambition, que l'amour de la gloire y régnera : par conséquent, que pour trouver sur la terre le centre et le point de la félicité humaine, que pour avoir cette paix de l'âme, qui est par excellence le don de Dieu, il faut être humble, sincèrement humble, et solidement humble : Discite a me quia mitis sum et humilis corde, et invenietis requiem animabus vestris.

 

Car c'est là, mes Frères, dit saint Bernard, ce que la sagesse de Dieu incarnée a prétendu nous déclarer dans cet auguste mystère. Parce que nous sommes charnels, et, comme tels, accoutumés à ne rien comprendre que de charnel, le Verbe de Dieu a bien voulu lui-même se faire chair pour venir nous apprendre sensiblement, et, selon l'expression de ce Père, charnellement, que l'humilité est la seule voie qui conduit à ce repos du cœur si salutaire, et même absolument si nécessaire pour notre sanctification. Quand ce ne serait donc, conclu saint Bernard, que pour nous-mêmes, rendons-nous aujourd'hui dociles aux enseignements de ce Sauveur, et écoutons-le, ce Verbe divin : au moins dans l'état de sa chair : Quia nihil prœter carnem audire poteras, ecce Verbum caro factum est : audias illud, vel in carne (Bern.). Mais ce n'est pas assez.

 

Il nous fait encore, Chrétiens, une seconde leçon non moins importante. Car quelle est l'autre source de ces combats intérieurs et de ces guerres intestines qui nous déchirent si cruellement ? convenez-en avec moi ; c'est la cupidité, l'envie d'avoir, un malheureux et damnable attachement aux biens de la terre. Vous y cherchez les douceurs de la vie, et l'ardeur extrême qui vous brûle en fait le tourment de votre vie. En effet, quels soins empressés pour les acquérir ! quelles peines pour les conserver ! quelles frayeurs au moindre danger de les perdre ! quels désirs insatiables de les augmenter ! quels chagrins de n'en avoir pas assez pour satisfaire ou à vos prétendus besoins, ou à vos dépenses superflues ! quelle douleur, quel accablement, quelle consternation, quand malgré vous ils vous échappent des mains, et qu'une mauvaise affaire, qu'un accident imprévu vous les enlève ! quelle honte de tomber par là non seulement dans la disette, mais dans l'humiliation ! quel regret du passé ! quelles alarmes sur le présent ! quelles inquiétudes sur l'avenir, au milieu de tant de risques inévitables dans le commerce du monde, au milieu de tant de révolutions et de revers dont vous êtes témoins, et à quoi tous les jours vous vous trouvez vous-mêmes exposés !

 

Le remède, c'est le détachement évangélique. Donnez-moi un homme pauvre de cœur, rien ne sera capable de l'altérer ; c'est-à-dire donnez-moi un homme vraiment détaché des biens sensibles, à quelque épreuve qu'il plaise à Dieu de le mettre, dans l'adversité comme dans la prospérité, dans l'indigence comme dans l'abondance, il jouira d'une paix profonde. Usant de ses biens comme n'en usant pas, et, selon la maxime de saint Paul, les possédant comme ne les possédant pas, il sera disposé à tous les événements. Tranquille comme Job, et inébranlable au milieu des calamités du monde, il se soutiendra par la grande pensée dont ce saint homme était pénétré, et qui conservait le calme dans son âme : Si bona suscepimus de manu Domini, mala quare non suscipiamus (Job II, 10.) ? si nous avons reçu les biens de la main du Seigneur, pourquoi, avec la même soumission, n'en recevrions-nous pas les maux ? Dans les disgrâces et dans les pertes, préparé comme Job à les supporter, il dira avec lui : Dominus dedit, Dominus abstulit (Ibid., I, 21.) : c'était le Seigneur qui me les avait donnés, ces biens ; c'est lui qui me les a ôtés : il ne m'est rien arrivé que ce qu'il a voulu ; que son nom soit à jamais béni : Sit nomen Domini benedictum (Ibid., I, 21.). Heureux état ! solide et ferme soutien ! ressource contre les malheurs de la vie, et qui ne peut jamais manquer !

 

Or, c'est ce que votre Sauveur vient aujourd'hui vous apprendre par un exemple bien plus propre encore à vous convaincre et à faire impression sur vos esprits, que celui de Job. C'est ce que vous prêche l’étable, la crèche, les langes de cet Enfant-Dieu : Hoc nobis prœdicat stabulum, hoc clamat prœsepe, hoc panni evangelizant (Bern.), C'est lui qui vous apprend que les pauvres de cœur sont heureux, et qu'il n'y a même dans la vie que les pauvres de cœur qui soient heureux et qui le puissent être : Beati pauperes spiritu (Matth., V, 3.) ; qu'une partie donc, mais une partie essentielle de notre béatitude sur la terre, est d'avoir le cœur libre et dégagé de l'attachement aux biens de la fortune. Il ne commence pas seulement à l'enseigner, mais à le persuader au monde. En effet, à peine a-t-il paru dans le monde avec toutes les marques de la pauvreté dont il est revêtu, que je vois des pauvres (ce sont les pasteurs), non seulement soumis et résignés, mais bénissant, mais glorifiant Dieu dans leur état ; des pauvres qui, touchés de ce qu'ils ont vu en Bethléem, s'en retournent, quoique pauvres, comblés de joie ; des pauvres contents de leur sort, et ne portant nulle envie aux riches de Jérusalem, parce qu'ils ont connu dans la personne de ce divin Enfant le bonheur et les prérogatives infinies de leur condition : Et reversi sunt pastores glorificantes et laudantes Deum (Luc, II, 20.). A peine a-t-il paru dans l'étable, que je vois des riches (ce sont les mages), qui, bien loin de mettre leur cœur dans leurs richesses, viennent mettre leurs richesses à ses pieds ; qui se font en sa présence un mérite de les mépriser, d’y renoncer, de s'en dépouiller. Les uns et les autres heureux, parce qu'en se conformant à ce Dieu pauvre, ils ont trouvé le chemin de la paix.

 

Crèche adorable de mon Sauveur, c'est toi qui me fais aujourd'hui goûter la pauvreté que j'ai choisie, c'est toi qui m'en découvres le trésor, c'est toi qui me la rends précieuse et vénérable, c'est toi qui me la fais préférer à tous les établissements et à toute l'opulence du monde. Confondez-moi, mon Dieu, si jamais ces sentiments, seuls dignes de vous, seuls dignes de ma profession, et si nécessaires enfin pour mon repos, sortaient de mon cœur. Vous les y avez conservés jusqu'à présent, Seigneur, et vous les y conserverez.

 

Cependant, cette paix avec nous-mêmes, tout avantageuse qu'elle est, ne suffit pas encore, si nous n'y joignons la paix avec le prochain : et c'est la troisième instruction que nous devons tirer de la naissance de Jésus-Christ, comme vous l'allez voir dans la dernière partie.

 

BOURDALOUE, SERMON SUR LA NATIVITÉ DE JÉSUS-CHRIST 

 

Nativité, Konrad von Soest, 1403

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21 décembre 2011 3 21 /12 /décembre /2011 05:00

Le fondement de notre paix avec Dieu a été cette justice que Dieu, usant de tous ses droits, a exercée contre le péché, en livrant son Fils pour nous. Or n'est-ce pas dès ce jour qu'il a commencé à le livrer, et pouvait-il le livrer d'une manière plus sensible qu'en le faisant naître dans l'état où la crèche nous le représente ?

BOURDALOUE

 

 

Et subito facta est cum angelo multitudo militiœ cœlestis laudantium Deum, et dicentium : Gloria in altissimis Deo, et in terra pax hominibus.

Au même instant que l'ange annonça aux pasteurs la naissance de Jésus-Christ, une troupe de la milice céleste se joignit à lui, et se mit à louer Dieu, en disant : Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix aux hommes sur la terre ! (Saint Luc, chap. II, 13.)

 

En deux paroles, voilà les deux fruits de la naissance du Sauveur : la gloire à Dieu, et la paix aux hommes. La gloire à Dieu, à qui elle est due par justice, et la paix aux hommes, à qui Dieu la donne par grâce. La gloire à Dieu, qui la possède comme un bien propre, et la paix aux hommes, qui la désirent comme le plus digne objet de leurs vœux. La gloire à Dieu, qui seul la mérite, parce qu'il est seul grand par lui-même ; et la paix aux hommes, qui doivent se mettre en état de l'obtenir, jusqu'à sacrifier tout pour l'avoir. C'est, dit saint Bernard, le partage le plus raisonnable, et même pour les hommes le plus favorable qui fut jamais.

 

Cependant, ajoute ce Père, on voit dans le monde des hommes qui ont peine à le goûter : et tel est l'ambitieux et le superbe. En effet, parce qu'il est superbe et ambitieux, ce partage fait par les anges, quoique favorable pour lui, ne le contente pas : Non placet ei angelica distributio, dans gloriam Deo, et pacem hominibus (Bernard). C'est-à-dire qu'aveuglé d'un injuste désir de s'élever au-dessus des autres, il ne se contente pas d'avoir la paix, mais qu'il veut encore avoir la gloire. Et quoique Dieu dans l'Ecriture se soit si hautement déclaré qu'il ne donnera sa gloire à personne : Gloriam meam alteri non dabo (Isai., XLII, 8.), il est assez téméraire pour répondre à Dieu dans son cœur : Et moi, sans attendre que vous me la donniez, je me l'attribuerai, et je l'usurperai : Et ego, inquit superbus, mihi illam, licet non dederis, usurpabo. (Bernard.)

 

Ayons, mes chers auditeurs, ce sentiment en horreur. Mieux instruits de nos véritables intérêts , tenons-nous-en au partage qui nous est offert dans l'Evangile : il nous est trop avantageux pour en souhaiter un autre. Disons à Dieu, comme David : Non nobis, Domine, non nobis, sed nomini tuo da gloriam (Psalm., CXIII, 1.) : ne nous donnez pas la gloire, Seigneur ; la gloire ne nous appartient pas. Réservez-la pour vous tout entière, parce qu'elle est tout entière pour vous et pour votre saint nom. Mais donnez-nous cette paix salutaire que vos anges nous font espérer, et que Jésus-Christ votre Fils vient lui-même nous apporter. Parlant de la sorte, nous parlerons en chrétiens. Ainsi, l'auguste mystère que nous célébrons étant pour nous, dans le dessein de Dieu, le mystère de la paix, considérons-le uniquement sous cette idée. Rapportons là toutes nos vues, et attachons-nous aux divines instructions que nous fournit sur ce point important la naissance d'un Dieu fait homme. Mais d'abord rendons nos devoirs à la plus pure des vierges, à cette vierge incomparable, qui, par un prodige inouï, toujours vierge, est devenue la mère de son Dieu, et félicitons-la avec l'Eglise de cette glorieuse maternité, qui a été le principe de notre salut. Ave, Maria.

 

Un enfant nous est né, disait Isaïe, parlant en prophète et annonçant par avance ce qui devait arriver dans la plénitude des temps : Parvulus natus est nobis (Isai., IX, 6.). Et cet enfant, ajoutait le prophète, sera appelé l'admirable, le Dieu fort, le père du siècle futur, mais surtout le prince de la paix : Et vocabitur admirabilis, Deus fortis, pater futuri saeculi, princeps pacis ( Ibid.). C'est aujourd'hui, Chrétiens, que nous voyons a la lettre l'oracle accompli. C'est aujourd'hui que l'enfant Jésus a vérifié dans sa personne cette prédiction, qui ne pouvait convenir qu'à lui et que, dès son berceau, il a fait voir qu'il était souverainement et par excellence le prince de la paix : Princeps pacis : comment cela ? parce que dans le mystère de ce jour il a commencé à faire l'office de médiateur et d'arbitre de la paix ; qu'il a paru dans le monde pour y établir les vrais principes de la paix ; qu'il s'est servi du ministère des esprits célestes pour annoncer à ses élus l'Evangile de la paix : car, selon la parole de l'Apôtre, la paix a été le bienheureux terme et la fin principale de sa mission : Veniens evangelizavit pacem (Ephes., II, 17.).

 

Comme il naissait pour faire régner la paix (appliquez-vous à cette pensée ; elle est de saint Chrysostome, et elle va éclaircir ma proposition), comme il naissait pour faire régner la paix, tout devait concourir à son dessein ; et en effet, par une singulière providence, tout y concourut. Et voilà pourquoi ce divin Enfant voulut naître sous le règne d'Auguste, qui fut de tous les règnes le plus tranquille ; tout l'univers, c'est-à-dire tout l'empire romain, se trouvant, par une espèce de miracle, dans une paix profonde, pour confirmer par cette circonstance ce qui était écrit du Messie, que l'abondance de la paix naîtrait avec lui : Orietur in diebus ejus justitia et abundantia pacis (Psalm., LXXI, 7.).

 

Mais, après tout, Chrétiens, cette paix extérieure et temporelle dont le monde jouissait alors n'était encore que pour servir de disposition à une autre paix bien plus avantageuse et bien plus sainte, que le Fils unique de Dieu nous apportait du ciel ; et c'est ici que j'entre dans le fond de notre mystère, et que je vous prie d'y entrer avec moi. Je m'explique. Maintenir la paix des nations, éteindre le feu des guerres et des dissensions qui les consument, pacifier les royaumes et les états, c'était, il est vrai, l'ouvrage de cette Providence générale qui préside au gouvernement du monde : mais rétablir la paix entre l'homme et Dieu, mais enseigner à l'homme le secret de conserver la paix avec soi-même, mais donner à l'homme des moyens sûrs et infaillibles pour entretenir une paix éternelle avec le prochain, c'était et ce devait être l'effet particulier, l'effet miraculeux de la sagesse de Dieu incarné, je veux dire de la naissance de Jésus-Christ et de sa venue au monde.

 

C'est donc lui, mes chers auditeurs, qui, par sa sainte nativité, et par toutes les circonstances qui l'accompagnent, nous procure aujourd'hui la paix avec Dieu, la paix avec nous-mêmes, et la paix avec nos frères : la paix avec Dieu, par la pénitence qu'il fait déjà pour nous dans ï'étable de Bethléem : c'est la première partie ; la paix avec nous-mêmes, par l'humilité et par le détachement des biens de la terre, qu'il nous prêche déjà si hautement, en choisissant une crèche pour son berceau : c'est la seconde partie ; la paix avec nos frères par la douceur, ou, pour mieux dire, par la tendre charité dont il est lui-même en naissant une leçon si vivante et si touchante, et dont il nous donne le plus parfait modèle : ce sera la conclusion : Veniens evangelizavit pacem ; venant au monde, il nous a annoncé la paix ; mais avec qui ? je le répète, avec Dieu, en se faisant notre victime par la réparation entière du péché ; avec nous-mêmes, en détruisant les deux principes de tous nos troubles intérieurs, l'orgueil et la cupidité; avec nos frères, en amollissant la dureté qui nous est si naturelle, ou du moins si ordinaire à leur égard, et en nous inspirant à son exemple la bénignité : Evangelizavit pacem. Oui, il a été, dès son entrée au monde, l'évangéliste et le prédicateur de cette triple paix, si désirable et si nécessaire pour nous ; de la paix avec Dieu, en nous apprenant à apaiser Dieu ; de la paix avec nous-mêmes, en nous apprenant à être humbles et pauvres de cœur ; de la paix avec le prochain, en nous apprenant à être doux et humains : c'est tout le sujet et le partage de ce discours. Je vous demande une favorable attention.

 

 C'est un principe de religion qui ne peut être contesté, et dont tout le monde convient : comme pécheurs, nous étions enfants de colère, et, en cette qualité, non seulement ennemis de Dieu, mais incapables par nous-mêmes de nous réconcilier avec Dieu. Il nous fallait donc un médiateur qui, venant au monde avec un pouvoir légitime, négociât et conclût entre Dieu et nous cette importante réconciliation ; c'est-à-dire qu'il nous fallait un médiateur qui, tout ensemble zélé pour nos intérêts et chargé des intérêts de Dieu, accordât l'homme et Dieu dans sa personne ; un médiateur en qui Dieu trouvât la plénitude de la satisfaction qui lui était due, et en qui l'homme trouvât la plénitude de la rémission et de la miséricorde dont nous avions besoin ; un médiateur qui, réunissant ces deux choses, pacifiât, comme dit saint Paul, le ciel et la terre, et qui, aux dépens de lui-même, sans aucun préjudice des droits de Dieu, nous remît en grâce avec Dieu. Or voilà, Chrétiens, ce que la foi nous découvre, et ce qui s'est heureusement accompli dans le mystère de ce jour ; car que voyons-nous dans l'étable de Bethléem ? comprenez bien cette vérité, sur quoi roule toute notre religion. Nous y voyons, dans la personne d'un Enfant-Dieu, la miséricorde de Dieu incarnée et humanisée, et au même temps, par le plus surprenant de tous les miracles, la justice de Dieu satisfaite dans la rigueur et authentiquement vengée. Miséricorde de Dieu, justice de Dieu : deux attributs dont la parfaite alliance devait produire la paix entre Dieu et l'homme, mais qui ne pouvaient être unis de la manière intime dont ils l'ont été, que dans le Verbe fait chair. Ecoutez-moi, et vous en allez être convaincus.

 

Nous voyons, dis-je, dans cet enfant, la miséricorde de Dieu incarnée et humanisée. C'est ce qui nous paraît d'abord dans son adorable naissance, dont saint Paul comprend en un mot tout le mystère, quand il dit que ce fut alors que se fit la première apparition du Dieu Sauveur, et que la grâce du Dieu Sauveur, qui auparavant était quelque chose d'impénétrable et d'incompréhensible, se rendit palpable et sensible : Apparuit gratia Dei Salvatoris nostri (Tit., II, 11.). Prenez garde, mes Frères, dit saint Chrysostome expliquant ce passage de l'Apôtre : il y avait des siècles entiers que Dieu, quoique offensé, las d'être en guerre avec les hommes, méditait de faire avec eux un traité de paix pour lequel il avait réservé tous les trésors de sa miséricorde et de sa grâce. Il y avait des siècles entiers que ce Dieu de gloire disait aux hommes, par un de ses prophètes : Ego cogito super vos cogitationes pacis, et non afflictionis (Jerem., XXIX, 11.) : j'ai sur vous des pensées de paix, et non de colère et de vengeance. Mais ces pensées de paix, ajoute saint Chrysostome, étaient alors toutes renfermées dans le cœur de Dieu. Ce n'étaient que des pensées, des vues, des projets, qui, ne sortant point hors de Dieu, demeuraient sans exécution. Dieu était plein de ces pensées, mais le temps n'était pas encore venu où il avait résolu de les manifester et de les produire. Comme Dieu de miséricorde, il avait des pensées de paix, et cependant on ne voyait partout que des effets de sa justice, et d'une justice rigoureuse. Aujourd'hui ces pensées de paix, suspendues depuis tant de siècles, et cachées dans le sein de Dieu, commencent à éclater aux yeux des hommes : pourquoi ? parce que Jésus-Christ, Dieu et homme, c'est-à-dire la grâce même et la miséricorde même, se fait voir à eux : Apparuit gratia Dei. Ce ne sont plus des pensées de paix, mais des chefs-d'œuvre consommés, mais des miracles, mais des prodiges de paix ; et Dieu ne dit plus simplement : Je conçois, je médite : Ego cogito ; mais : J'accomplis, j'exécute ce que j'avais promis aux pécheurs. Ainsi nous l'a-t-il fait entendre quand il a fait paraître, dans le mystère que célèbre aujourd'hui l'Eglise, son Verbe revêtu de notre chair, et quand il a donné au monde un rédempteur.

 

Mais en le donnant au monde, ce rédempteur, Dieu n'a-t-il point oublié ses propres intérêts ? en choisissant un moyen si extraordinaire et si étonnant pour mettre au jour ces pensées de paix qu'il avait éternellement conçues, n'a-t-il point fait avec nous une paix désavantageuse et peu honorable pour lui ? Ah ! Chrétiens, voilà ce que nous ne pouvons assez admirer ; et c'est ici qu'il est juste qu'éclairés, comme nous le sommes, des lumières de la foi, nous rendions hommage à la sagesse de notre Dieu. Non, poursuit saint Chrysostome, Dieu, en choisissant ce moyen, n'a point oublié ce qu'il se devait à lui-même, et la preuve en est évidente. Car, tandis que je vois, dans le divin enfant qui vient de naître, la miséricorde de Dieu incarnée et humanisée, je vois dans la même personne de cet enfant la justice de Dieu pleinement vengée. Tandis que j'y vois la grâce et la rémission du péché offerte à l'homme, j'y vois une victime de propitiation offerte à Dieu pour l'expiation du péché. Comme le péché est la seule cause de la guerre qui met entre Dieu et nous une si fatale division, je vois dans la crèche un Sauveur déjà sacrifié comme une hostie vivante pour abolir le péché qui nous a séparés de Dieu. Comme la pénitence est le capital et le plus essentiel article de notre paix avec Dieu, j'y vois un Homme-Dieu commençant déjà à faire pénitence pour nous, et nous apprenant à la faire nous-mêmes pour nous-mêmes.

 

Mystère adorable de paix que David, par un esprit de prophétie, avait prétendu nous marquer quand il avait dit : Misericordia et veritas obviaverunt sibi (Psalm., LXXXIV, 11.) : la miséricorde et la vérité, c'est-à-dire, dans le sens littéral du psaume, la miséricorde et la justice, se sont rencontrées ; et où  demandait saint Bernard, se sont-elles rencontrées ? Dans l'étable où est né Jésus-Christ ; disons plutôt, dans Jésus-Christ. Jusque là elles avaient tenu des routes toutes différentes et tout opposées, et rien n'était plus éloigné de la miséricorde que la justice. Aujourd'hui elles se rapprochent, et l'une vient heureusement à la rencontre de l'autre : Obviaverunt sibi. Jusque là,   l'une  avait  paru absolument contraire à l'autre, car le propre de la justice était de punir, et le propre de la miséricorde de pardonner. Ici le pardon et la punition se joignent ensemble : la punition qui tombe sur l'innocent, les souffrances de Jésus-Christ dans la crèche méritant le pardon aux hommes coupables, et le pardon qu'obtiennent les hommes coupables n'étant fondé, conformément aux décrets éternels de Dieu, que sur les souffrances de Jésus-Christ et sur la punition que subit l'innocent, et à laquelle il veut bien se soumettre. D'où  il s'ensuit, ce qu'ajoute le texte sacré dans une autre expression encore plus forte, que la justice et la paix se sont mutuellement baisées comme deux sœurs : Justitia et pax osculatœ sunt (Ibid.). Paroles que le même saint Bernard appliquait, et avec raison, à la naissance du Fils de Dieu, puisqu'il est certain que le fondement de notre paix avec Dieu a été cette justice vindicative que Dieu, usant de tous ses droits, a exercée contre le péché, en livrant son Fils pour nous. Or n'est-ce pas dès ce jour qu'il a commencé à le livrer, et pouvait-il le livrer d'une manière plus sensible qu'en le faisant naître dans l'état où la crèche nous le représente ?

 

Quelle est donc l'idée naturelle que nous devons avoir de ce mystère ? la voici, mes chers auditeurs, telle que l'a eue le grand Apôtre, et dans les mêmes termes qu'il l'exprimait : Deus erat in Christo, mundum reconcilians sibi (2 Cor., V, 9.) : Jésus-Christ était dans la crèche, et Dieu était dans Jésus-Christ réconciliant le monde avec soi. Pensée sublime, digne de saint Paul, et qui, pour être bien développée, demanderait un discours entier. Dieu était dans Jésus-Christ, réconciliant le monde avec soi et se réconciliant lui-même avec le monde : c'est-à-dire, Dieu était dans Jésus-Christ, recevant les satisfactions que Jésus-Christ lui faisait de tous les crimes du monde, et, en vue de ces satisfactions qu'il recevait de Jésus-Christ, oubliant, pardonnant, effaçant,  abolissant tous les crimes du monde.

 

Méditons ces paroles : Deus erat in Christo,   mundum reconcilians sibi ;   Jésus-Christ était dans la crèche, offrant à Dieu, comme souverain prêtre de la loi de grâce, le sacrifice de son humanité sainte, et Dieu était dans Jésus-Christ, acceptant ce sacrifice  pour réparation de toutes les impiétés, de tous les blasphèmes, de tous les sacrilèges, de tous les scandales, de toutes les profanations qui devaient se commettre dans le monde, à la honte du nom chrétien : Deus erat in Christo ; Jésus-Christ était dans la crèche, humilié et anéanti, et Dieu était dans Jésus-Christ, se dédommageant par là de tous les attentats que l'orgueil des hommes avait formés ou devait former contre sa gloire, de tout ce que leur ambition démesurée, de tout ce que leur extravagante vanité, de tout ce que leur maligne jalousie devait produire dans le monde d'injustice et de désordres : Deus erat in Christo ; Jésus-Christ était dans la crèche, rendant à son Père les premiers hommages de cette obéissance sans bornes qui devait bientôt s'étendre jusques à la mort, et jusques à la mort de la croix ; et Dieu était dans Jésus-Christ, vengé par là, mais hautement, de tous les mépris que les hommes devaient faire de sa loi, de tout ce que l'esprit d'indépendance, de tout ce que l'insolence du libertinage, de tout ce que la présomption du relâchement devait leur inspirer contre ses ordres, et au préjudice de la soumission qui lui est due : Deus erat in Christo ; Jésus-Christ était dans la crèche immolant sa chair virginale par les misères d'une extrême pauvreté, et Dieu était dans Jésus-Christ, se faisant justice par là de tout ce que la sensualité et la mollesse, de tout ce que l'excès du luxe, de tout ce que l'amour du plaisir, de tout ce que l'abus des commodités et des délices de la vie devait causer de dérèglement et de corruption dans les mœurs : je veux dire, de toutes les impudicités, de tous ces vices abominables que saint Paul défend de nommer,  de tous ces monstres de péchés qui déshonorent l'homme, et qui le dégradent jusqu'à le mettre au rang des bêtes : Deus erat in Christo ; en un mot, Jésus-Christ était dans la crèche faisant pénitence pour nous, et Dieu était dans Jésus-Christ, agréant cette pénitence, mais en même temps nous la proposant pour modèle, comme s'il nous eût dit à tous : Voyez, et faites de même : Inspice, et fac secundum exemplar (Exod., XXV, 40).

 

C'est, dis-je, à cette condition que Dieu était dans Jésus-Christ, nous réconciliant avec soi, et, par un effet réciproque de son amour, se réconciliant avec nous : Deus erat in Christo, mundum reconcilians sibi. Car, tout irrité qu'il était par la grièveté de nos offenses, comment aurait-il pu, reprend saint Bernard , n'être pas fléchi par la pénitence de ce Fils bien-aimé, dont il put bien dire dès lors ce qu'il devait déclarer solennellement dans la suite : Hic est Filius meus dilectus, in quo mihi complacui (Matth., III, 17.) ? de ce Fils qui, quoique naissant avec l'apparence de pécheur, était non seulement le Saint des Saints, mais la sainteté même ? de ce Fils qui, quoiqu'anéanti dans une crèche, était aussi puissant que lui, égal à lui, et, sans usurpation, Dieu comme lui ? Comment, encore une fois, aurait-il pu ne l'accepter pas, cette pénitence d'un Dieu ? et, satisfait par la pénitence d'un Dieu, comment aurait-il pu rejeter la nôtre ?

 

Tel est donc d'abord, mes chers auditeurs, le fruit précieux de la naissance d'un Dieu sauveur, notre paix avec Dieu par la pénitence. Mais du reste, ne nous y trompons pas, et, pour approfondir par rapport à nous cette même vérité, quand je dis par la pénitence, j'entends par une pénitence sincère, solide, efficace ; j'entends par une pénitence fervente, exacte , sévère : car il n'y a que celle-là seule qui soit capable de nous réconcilier avec Dieu et de pacifier nos consciences devant Dieu, parce qu'il n'y a que celle-là seule qui ait de la conformité avec la pénitence de l'Homme-Dieu. Une pénitence imparfaite, tiède, languissante ; une pénitence lâche, où le pécheur s'écoute, se flatte, se ménage ; une pénitence commode, et que l'on veut accorder avec toutes les douceurs de la vie ; une pénitence qui ne crucifie point la chair, qui n'humilie point l'esprit; une pénitence stérile et sans œuvres, c'est une pénitence vaine, et une pénitence vaine, bien loin d'apaiser Dieu, outrage Dieu ; bien loin de calmer nos consciences, les déchire de mille remords ; bien loin d'en faire cesser les inquiétudes, est elle-même le sujet des reproches intérieurs les plus piquants et des plus cruelles alarmes. Il nous faut, dit saint Chrysostome, une pénitence qui puisse être unie à celle de Jésus-Christ, une pénitence qui puisse être le supplément de celle de Jésus-Christ, une pénitence dont le pécheur puisse croire et se rendre témoignage qu'elle accomplit, comme parle l'Apôtre, ce qui manque aux souffrances de Jésus-Christ : or, pour cela, il faut qu'elle ait tous les caractères que je viens de marquer, sincérité, solidité, intégrité, sévérité, et qu'ainsi elle participe à toutes les qualités de la pénitence de Jésus-Christ.

 

Si telle a été la vôtre, et si, dans l'esprit de cette véritable pénitence, vous avez eu le bonheur d'approcher dignement des saints mystères, c'est, mes chers auditeurs, ce qui doit aujourd'hui vous consoler, et de quoi je dois vous féliciter. Vous êtes en paix avec Dieu ; vous avez trouvé grâce devant Dieu. Dieu a ratifié dans le ciel la sentence d'absolution que le ministre de son sacrement a prononcée sur la terre en votre faveur. On vous a dit, comme à ce paralytique de l'Evangile : Allez, ne péchez plus : Ecce sanus factus es, jam noli peccare (Joan., v, 14.) ; mais aussi vivez en repos sur tout le passé ; il vous est remis. Heureux état ! préférable à toutes les fortunes du monde ! je suis en paix avec Dieu. Dieu était mon ennemi, et j'étais ennemi de Dieu ; mais enfin voilà Dieu réconcilié avec moi, et me voilà réconcilié avec Dieu. Paix de Dieu, que le Saint-Esprit compare à un repas somptueux, à un repas délicieux, tant elle remplit l'âme d'une onction abondante et consolante. Paix de Dieu, souverainement désirable au pécheur, puisque par elle le pécheur rentre auprès de Dieu dans tous les droits de l'innocence et de la justice.

 

Que si néanmoins, mon cher auditeur, vous êtes assez malheureux pour n'avoir fait qu'une pénitence défectueuse, et pour être encore, malgré votre pénitence, dans le désordre du péché, écoutez ce que je vous annonce ; et, tout malheureux que vous êtes, ce que je vous annonce doit vous inspirer une humble et une généreuse confiance : Convertere ad Dominum Deum tuum (Lament.) ; convertissez-vous à votre Dieu. Faites pénitence ; et, en la faisant, conformez votre pénitence à la pénitence de l'enfant Jésus ; unissez votre pénitence à la pénitence de l'enfant Jésus. Touché de ce que lui ont coûté vos péchés, ressentez-les comme lui ; pleurez-les comme lui ; joignez vos larmes à ses larmes, votre douleur à sa douleur, et je vous réponds de la part de Dieu d'une prompte et d'une parfaite réconciliation.

 

Telle est la grâce qui vous est offerte. Serez-vous assez aveugles, assez insensés, assez réprouvés pour la refuser ? Cependant, outre la paix où nous rentrons avec Dieu, le mystère de Jésus-Christ naissant nous apprend encore à conserver la paix avec nous-mêmes ; et c'est le sujet de la seconde partie.

 

BOURDALOUE, SERMON SUR LA NATIVITÉ DE JÉSUS-CHRIST

 

Nativité, Altdorfer, 1513

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20 décembre 2011 2 20 /12 /décembre /2011 05:00

Pour se convertir efficacement, il ne suffit pas de se préserver du péché en évitant de le commettre, il faut l'expier après l'avoir commis.

BOURDALOUE

 

 

Ce n'est pas sans raison que les Pères ont considéré le péché, surtout quand l'habitude en est formée, comme une dangereuse maladie que la pénitence avait à combattre, et contre laquelle il était nécessaire qu'elle employât les plus souverains remèdes. En effet, dit saint Chrysostome, de là dépend la destinée ou bienheureuse ou malheureuse du pécheur : bienheureuse, si, touché du zèle de son salut, il se résout à user de ces remèdes salutaires que lui prescrit la pénitence ; malheureuse, si le dégoût qu'ils lui causent lui en donne de l'horreur, et si la répugnance qu'il sent à se vaincre les lui fait rejeter. Car il n'y a, ajoute ce Père, que des frénétiques qui, frappés d'un aveuglement encore plus déplorable que leur mal même, refusent de s'assujettir à ce qui les doit infailliblement guérir. Convenons donc, mes chers auditeurs, de deux obligations bien essentielles que la loi de Dieu nous impose, et qui regardent les deux sortes de remèdes que nous devons prendre contre le péché ; ceux-là pour nous en garantir, et ceux-ci pour nous en punir ; ceux-là pour n'y plus tomber, et ceux-ci pour l'expier ; les premiers, remèdes préservatifs ; et les seconds, si je puis ainsi parler, remèdes correctifs ; et, par un simple usage des uns et des autres, mettons-nous en état, sinon d'être absolument assurés de notre pénitence, au moins d'en avoir une certitude morale, et d'être bien fondés à croire qu'elle nous a fait rentrer en grâce avec Dieu, et qu'elle nous y doit conserver.

 

Il n'y a personne (et ceci regarde la première obligation) ; non, Chrétiens, il n'y a, j'ose le dire, personne qui, par les différentes épreuves qu'il en a faites, pour peu qu'elles aient été ou accompagnées ou suivies de réflexion, n'ait reconnu ce qui peut le préserver du péché, et ce qui est propre à le maintenir dans l'ordre. Je défie les âmes les plus volages et les moins attentives à leur conduite, de n'en pas demeurer avec moi d'accord. Car enfin, quelque dissipé, quelque inconsidéré , quelque emporté même, et quelque aveuglé que soit un pécheur, il ne l'est jamais tellement que, dans le cours de ses passions les plus déréglées, il n'observe encore malgré lui ses pas, ou plutôt ses égarements et ses chutes, et que, dans ses chutes, pour graves qu'elles soient, il ne se rende souvent au fond de son cœur ce témoignage secret : Si j'usais de telle et de telle précaution, le péché n'aurait plus tant d'empire sur moi, et je pourrais même entièrement par là le prévenir et l'arrêter. Or je dis, mes Frères, que la preuve convaincante d'une sincère conversion est de prendre dans la voie de Dieu ces précautions nécessaires, de suivre sur cela ses vues particulières et ses connaissances, d'être sur cela fidèle à soi-même, de s'écouter soi-même, et de ne rien négliger de tout ce qu'on juge avoir plus de vertu pour nous soutenir et pour nous défendre.

 

Ainsi, mon cher auditeur, vous avez cent fois éprouvé que le plus certain et le plus puissant préservatif contre la cupidité et l'amour du plaisir qui vous domine, est l'application et le travail ; que, assidu à un exercice qui attache l'esprit et qui le fixe, vous vous conservez sans peine, ou avec beaucoup moins de peine, dans l'innocence ; et que tandis que vos jours étaient, comme parle le Prophète, des jours pleins, c'est-à-dire des jours pleinement et utilement employés, le péché ne trouvait nulle entrée dans votre cœur ; vous le savez : cependant vous aimez le repos et la tranquillité ; votre penchant vous porte à une vie oisive et molle ; et ce fonds de paresse qui vous est naturel, et que vous entretenez, vous éloigne de tout ce qui gêne l'esprit et qui captive les sens. En quoi consiste par rapport à vous l'efficace de la pénitence ? c'est à vous prémunir de ce côté-là vous-même contre vous-même ; c'est à vous occuper, puisque le grand soutien de votre faiblesse est l'occupation ; à vous occuper par un esprit de religion, quand vous n'y seriez pas engagé d'ailleurs par d'autres intérêts et d'autres devoirs ; à vous occuper par un esprit de pénitence, car c'est une pénitence en effet très agréable à Dieu ; à vous occuper, sans rien rejeter, de tout ce qu'il y a de plus pénible et de plus fatigant dans l'emploi que la Providence vous a commis ; à vous charger de tout le fardeau, fût-il encore plus pesant, et en dussiez-vous être accablé : pourquoi ? parce qu'au moins êtes-vous par là réduit à l'état bienheureux de ce solitaire qui disait, au rapport de saint Jérôme : Je n'ai pas le loisir de vivre, et comment aurais-je le loisir de pécher ? Vivere mihi non licet, et quomodo fornicari licebit ? Bien  loin donc d'envisager cette vie laborieuse comme une servitude, rendez grâces à Dieu de vous avoir donné dans votre état un moyen si honnête et si raisonnable, si présent et si sûr, pour vous détourner du vice ; et de vous avoir fait trouver dans votre condition même un remède contre ces passions si vives que fomente l'oisiveté, et que le seul travail peut amortir.

 

J'en dis autant de vous, qui n'ignorez pas et ne pouvez ignorer à combien de chutes et de rechutes votre fragilité tous les jours vous expose, et quel frein serait capable de vous retenir : que, contre les plus importunes ou les plus violentes attaques, vous trouveriez dans la fréquente confession un secours toujours prêt et presque toujours immanquable ; que , muni du sacrement et de la grâce qui y est attachée, on en est, et plus fort dans les occasions, et plus constant dans ses résolutions ; que plus vous vous en éloignez, plus vous vous affaiblissez, plus vous vous relâchez ; que, pour marcher dans la voie du salut avec persévérance, il vous faut un conducteur et un guide, un homme qui vous tienne la place de Dieu, et qui, par ses conseils, vous affermisse dans le bien ; que l'obligation de recourir à lui et de lui rendre compte de vous-même, est comme un lien qui arrête vos légèretés et vos inconstances ; en un mot, que c'est dans le sacré tribunal, et entre les mains de ses ministres, que Dieu, pour parler avec l'Apôtre, a mis ces armes dont nous devons nous revêtir, pour résister et pour tenir ferme au jour de la tentation. Vous en êtes instruit, hélas ! et vos propres malheurs ne vous l'ont que trop appris.

 

Cependant la confession vous gêne, surtout la confession fréquente ; cette loi que le ministre du Seigneur vous impose de vous présenter à lui de temps en temps, comme au médecin de votre âme, pour lui découvrir vos blessures, vous paraît une loi onéreuse, et vous avez de la peine à vous en faire un engagement. Si d'abord vous vous y êtes soumis, si vous l'avez acceptée, vous rétractez bientôt votre parole, et vous secouez enfin le joug. Puis-je présumer alors que votre pénitence ait eu cette bonne foi, cette sincérité qui la doit rendre valable devant Dieu ? Si cela était, dans le besoin pressant où vous vous trouvez, mon cher auditeur, vous seriez au moins disposé à vouloir guérir ; et, dans cette disposition, vous chercheriez le remède. Convaincu par vous-même de son utilité et de sa nécessité, sans attendre qu'on vous l'ordonnât, vous seriez le premier à vous le prescrire. Vous accompliriez à  la lettre et avec joie la condition que le prêtre, selon les règles de son ministère, a prudemment exigée de vous. Il vous verrait au jour marqué revenir à lui, pour reprendre auprès de lui de nouvelles forces. Vous vous feriez même de votre fidélité et de votre exactitude, non seulement un devoir, mais une consolation. Et que ne fait-on pas tous les jours pour un moindre intérêt ? Au retour d'une maladie dont vous craignez encore les suites, à quoi ne vous réduisez-vous pas ? de quoi ne vous abstenez-vous pas ? Est-il régime si rebutant, si mortifiant, que vous ne suiviez dans toute sa rigueur, et tel qu'il vous est prescrit ? avez-vous de la foi, si, lorsqu'il s'agit de votre salut, vous tenez une conduite tout opposée ? et raisonnez-vous en chrétiens, si vous n'observez pas pour votre âme ce que vous observez avec tant de soin, et même avec tant de scrupule, pour votre corps ?

 

Achevons, et disons un mot de la seconde obligation. Pour se convertir efficacement, il ne suffit pas de se préserver du péché en évitant de le commettre, il faut l'expier après l'avoir commis ; il faut exercer contre soi-même cette justice vindicative que Dieu exercera un jour contre le pécheur impénitent. Or voici, mes chers auditeurs, le dernier désordre qui, dans la plupart des chrétiens, rend la pénitence inutile et sans effet. Quelque usage que nous fassions du sacrement de la pénitence, nous ne nous corrigeons pas, parce qu'à mesure que nous péchons, nous ne nous punissons pas ; et, sans en chercher d'autre raison, nous vivons des années entières dans l'iniquité, parce que notre amour-propre nous inspire la mollesse, et qu'ennemi d'une vie austère, il nous entretient dans l'habitude d'une malheureuse impunité.

 

Si le châtiment du péché, je dis le châtiment volontaire, à quoi, comme arbitres et juges dans notre propre cause, nous nous condamnons, et qui est proprement par rapport à nous ce qui s'appelle pénitence ; si le châtiment du péché suivait de près le péché même ; si nous avions assez de zèle pour ne nous rien pardonner ; si, malgré notre délicatesse, autant de fois que nous oublions nos devoirs et pour chaque infidélité où nous tombons, nous avions le courage de nous imposer une peine et de nous mortifier, j'ose le dire, Chrétiens, il n'y aurait plus de vice qu'on ne déracinât, ni de passion qu'on ne surmontât.

 

Je ne prétends point pour cela que la pénitence soit une vertu servile, et qu'elle n'agisse que par la crainte. Car on peut, dit saint Augustin, se punir par amour, on peut se punir par zèle de sa perfection, on peut se punir pour venger Dieu, on peut se punir pour se régler soi-même ; et si c'est par crainte que l'on se punit, on peut se punir par une crainte filiale et qui procède de la charité, en s'obligeant, pour rentrer en grâce avec Dieu et pour lui payer le juste tribut d'une satisfaction qui l'honore, à faire telle ou telle œuvre de piété, à pratiquer telle ou telle austérité, à se retrancher tel ou tel plaisir permis, à se priver de telle ou telle commodité.

 

Aussi, quand l'Eglise autrefois punissait par des peines canoniques et proportionnées chaque espèce de péché, elle ne croyait pas ôter par là aux fidèles cet esprit d'adoption qu'ils avaient reçu dans la loi de grâce, ni leur imprimer cet esprit de servitude qui avait régné dans l’ancienne loi. Son intention, en observant cette sévérité de discipline, était de soutenir les uns et de ramener les autres, de seconder les efforts de ceux-ci clans leur conversion, et de maintenir ceux-là dans une sainte persévérance. Telles étaient les vues de l'Eglise ; et Dieu bénissant sa conduite, l'on voyait de là tant de chrétiens conserver sans peine la grâce de leur baptême, et l'on ne pouvait douter de la pénitence et de la douleur de ceux qui l'avaient perdue, quand, pour un seul péché mortel, ils jeûnaient des années entières, et se soumettaient sans résistance à des exercices aussi laborieux qu'humiliants. L'innocence florissait alors, et la pénitence était exemplaire, parce que le péché n'était point impuni. Mais aujourd'hui l'on en est quitte, et l'on en veut être quitte à bien moins de frais : et que s'ensuit-il ? c'est qu'aujourd'hui l'on pèche beaucoup plus hardiment ; que l'on demeure dans son péché beaucoup plus tranquillement, que l'on s'en repent beaucoup plus faiblement, que l'on y renonce beaucoup plus rarement, et que presque toutes nos pénitences sont vaines ou du moins très suspectes. Ces peines prescrites par l'Eglise ont été modérées ; et dès là l'inondation des vices a commencé, dès là la discipline s'est énervée, dès là le christianisme a changé de face. Tant il est vrai que le pécheur a besoin de ce secours, et qu'il ne faut point compter qu'il soit pleinement converti, tandis qu'abandonné à lui-même et à sa discrétion, disons plutôt à sa lâcheté, il n'aura que de l'indulgence pour lui-même, et ne cherchera qu'à s'épargner.

 

Or, faisons maintenant, Chrétiens, ce que faisait l'Eglise dans les premiers siècles, entrons dans les mêmes sentiments, remplissons-nous du même esprit, conformons-nous aux mêmes pratiques. Souvenons-nous que si l'Eglise s'est relâchée en quelque chose sur ce qui concerne l'usage de la pénitence, ç’a été sans préjudice des droits de Dieu, et que là-dessus elle n'a ni voulu ni pu se relâcher en rien ; que si elle a consenti à changer quelques règles qu'elle-même avait établies, elle n'a point touché à l'obligation essentielle de satisfaire à Dieu, qui n'est pas de son ressort. De là concluons qu'à le bien prendre, cette condescendance de l'Eglise ne doit point servir à autoriser notre lâcheté, parce qu'il est toujours vrai que plus nous nous ménagerons, et moins Dieu nous ménagera ; que plus nous nous flatterons, et moins Dieu nous pardonnera ; que moins nous nous punirons, et plus Dieu nous punira : car le droit de Dieu, et le même droit, subsistera toujours.

 

Ainsi, persuadés que le péché doit être puni en cette vie ou en l'autre, ou par la vengeance de Dieu, ou par la pénitence de l'homme : Aut a Deo vindicante, aut ab homine pœnitente, n'attendons pas que Dieu lui-même prenne soin d'en tirer toute la satisfaction qui lui est due. Prévenons les rigueurs de sa justice par la rigueur de notre pénitence. Armons-nous d'un saint zèle contre nous-mêmes, prenons les intérêts de Dieu contre nous-mêmes, vengeons Dieu aux dépens de nous-mêmes. Si ceux que Dieu nous a donnés ou que nous avons choisis pour médecins de nos âmes sont trop indulgents, suivant l'excellente maxime de saint Bernard, suppléons à leur indulgence par notre sévérité. S'ils ne sont pas assez rigides ni assez exacts, soyons-le pour eux et pour nous, puisque c'est personnellement de nous qu'il s'agit, et que nous devons plus que tout autre nous intéresser pour nous-mêmes : Si medicus clementior fuerit, tu age pro te ipso. Appliquons aux maux spirituels de nos âmes des remèdes spécifiques, et, selon la différence des péchés, employons pour les punir des moyens différents : la retraite et la séparation du monde, pour punir la licence des conversations ; le silence, pour punir la liberté et l'indiscrétion de la langue ; la modestie dans les habits et dans l'équipage, pour punir le luxe ; le jeûne, pour punir les excès de bouche et les débauches : le renoncement aux plaisirs innocents pour punir rattachement aux plaisirs criminels. Quis scit si convertatur, et ignoscat (Jonae., III, 9.) !

 

Qui sait si le Dieu des miséricordes ne se convertira pas à nous ? qui le sait ? ou plutôt, qui en peut douter, après la parole authentique qu'il nous en a donnée ? En un mot, mes chers auditeurs, retranchons la cause du péché, assujettissons-nous, quoi qu'il nous en coûte, aux remèdes du péché, et par là nous rentrerons dans le chemin du salut et de la gloire.

 

BOURDALOUE, SERMON POUR LE QUATRIÈME DIMANCHE DE L'AVENT

 

La Sagrada Forma, Claudio Coello, El Escorial, Sacristie

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19 décembre 2011 1 19 /12 /décembre /2011 05:00

Personne, dit le Sage, ne sait s'il est digne de haine ou d'amour ; c'est un des secrets que Dieu s'est réservé pour nous obliger à vivre dans une dépendance plus absolue de sa grâce.

BOURDALOUE

 

 

Comme il est évident que la pénitence est une partie de la justice, et que c'est ainsi que les Pères de l'Eglise nous ont fait concevoir cette vertu, l'ayant toujours considérée comme une volonté sincère dans le pécheur de se faire justice à lui-même, de la faire à Dieu, et, pour rendre à chacun ce qui lui est dû, de la faire encore au prochain si le prochain a été offensé, il s'ensuit qu'une des principales fonctions de la pénitence chrétienne est de réparer les effets du péché. Mais, supposant l'indispensable et l'incontestable nécessité de cette réparation, il s'agit, mes chers auditeurs, d'en bien comprendre l'étendue, parce que c'est de là que dépend l'exacte mesure de la pénitence. Or, pour cela, je m'attache à deux importantes maximes de l'Ecriture, qui doivent corriger en nous deux des plus visibles et des plus dangereux abus à quoi nous soyons sujets, lors même que nous voulons retourner à Dieu, et dans le projet et le plan de conversion que nous nous formons. Voici une instruction bien solide, et dont je vous prie de profiter.

 

Première maxime. Pour se convertir efficacement à Dieu, il ne suffit pas de faire pénitence, mais il faut faire de dignes fruits de pénitence. C'est ce que prêchait Jean-Baptiste , cet homme envoyé de Dieu pour préparer au Seigneur un peuple parfait. C'est ce qu'il enseignait aux Juifs qui venaient l'entendre dans le désert, et qui se présentaient à lui pour être baptisés. C'est la conclusion qu'il tirait et qu'il leur adressait à tous, quand il leur disait, avec ce zèle et cet esprit d'Elie dont il était rempli : Facite ergo fructus dignos pœnitentiœ (Luc, III, 8.). Car, comme remarque saint Grégoire, pape, par là ce divin précurseur déclarait que les fruits de la pénitence doivent être distingués de la pénitence même, comme la substance de l'arbre l'est de ses fruits. Par là il leur donnait à connaître que la pénitence ne se réduit pas uniquement à pleurer les péchés passés, mais à se mettre en état de ne les plus commettre dans l'avenir : Transacta flere, et illa deinceps non committere ; que pleurer les péchés passés, et même y renoncer pour toute la suite de la vie, c'est le fond et comme la racine de la pénitence ; mais qu'il doit naître de là des fruits de grâce et de salut, sans lesquels la pénitence ne peut être qu'un arbre stérile, et exposé à la malédiction. Par là il accomplissait dignement son ministère, soit à l'égard des pécheurs endurcis, en les obligeant à faire pénitence, soit à l'égard des pécheurs pénitents, en leur apprenant à faire de dignes fruits de pénitence : Atque ita generalem omnibus exhibebat doctrinam non pœnitentibus, ut pœnitentiam agerent ; pœnitentibus, ut dignos pœnitentia fructus facerent.

 

Or, quels sont, encore une fois, ces fruits salutaires, ces fruits de pénitence ? les voici : réparer les pernicieux effets du péché par des œuvres directement contraires au péché même, selon ses différentes espèces. Je  m'explique. Réparer les effets de l'usurpation ou d'une possession injuste, par la restitution ; réparer les effets de la médisance ou de la calomnie par le rétablissement de l'honneur et de la réputation ; réparer les effets de l'emportement et de l'outrage par l'humilité de la satisfaction ; réparer les effets de l'inimitié et de la haine  par  la sincérité  de la réconciliation. Voilà, dit saint Grégoire, les dignes fruits,les fruits proportionnés, les fruits nécessaires, les fruits non suspects de la pénitence. Tout ceci est essentiel : écoutez-moi.

 

Dignes fruits de pénitence, parce qu'il faut pour les produire que le pécheur fasse des efforts dont il n'y a que la vraie pénitence, je veux dire que la pénitence surnaturelle, et même la plus surnaturelle, qui soit capable. En effet, par quel autre motif que celui d'une pénitence très parfaite et toute surnaturelle, un riche avare pourra-t-il se résoudre à rendre un bien qu'il a injustement acquis ou injustement retenu, mais dont il ne peut plus se dépouiller sans déchoir du rang où il est, et dont la restitution lui devient par là quelque chose de plus triste et de moins supportable que la mort même ? par quel autre motif un homme hautain et fier pourra-t-il gagner sur lui de faire des démarches humiliantes pour satisfaire, aux dépens de son orgueil, à ceux qu'il a offensés ? et s'il est offensé lui-même, par quel autre motif lui persuadera-t-on d'étouffer le ressentiment de l'injure qu'il a reçue, et de se réconcilier de bonne foi avec son plus mortel ennemi ? Ce ne peut être là, Seigneur, que l'ouvrage de votre main, et un tel changement ne peut venir que de vous : la vertu de l'homme ne va point jusque-là. Il faut non seulement que votre grâce vienne à son secours, mais la plus puissante de vos grâces. Il faut qu'elle lui fasse concevoir et enfanter ces résolutions héroïques ; et sans elle, l'esprit corrompu du monde la ferait immanquablement avorter. C'est par cette grâce, ô mon Dieu, que vous triomphez des cœurs les plus rebelles et les plus durs ; c'est par elle que les hommes les plus violents et les plus féroces deviennent doux et traitables comme des agneaux ; par elle que l'usurpateur du bien d'autrui consent à se dessaisir de tout ce qui ne lui appartient pas, et quelquefois même encore de ce qui lui appartient, en rendant, comme Zachée, non seulement au double, mais au delà. Et si vous daignez aujourd'hui, Seigneur, donner bénédiction à ma parole, qui est la vôtre, c'est par un effet de celle pénitence victorieuse que l'on verra peut-être dans ce saint temps des miracles qu'on n'espérait plus, mais dont vos serviteurs vous béniront, et qui édifieront plus votre Eglise que les miracles mêmes par où elle s'est établie : je veux dire des injustices réparées, des calomnies rétractées, des querelles pacifiées, des inimitiés éteintes, des cœurs réunis ; dignes fruits, puisque le Saint-Esprit en est l'auteur, et que ce sont évidemment ceux que saint Paul appelle fruits de lumière, fruits de bonté, de justice, de vérité : Fructus enim lucis est in omni bonitate, et justitia, et veritate (Ephes., V, 9.).

 

Fruits proportionnés à quoi ? à l'offense. Autrement, la pénitence est non seulement défectueuse, mais odieuse ; non seulement réprouvée de Dieu, mais condamnée même du monde ; car le monde même veut ici de la proportion. Vous vous êtes enrichi aux dépens de la veuve et de l'orphelin, et vous vous en croyez quitte pour quelques bonnes oeuvres dont ni l'orphelin ni la veuve ne profiteront ; vous avez déchiré la réputation de votre frère, et, sans qu'il vous en coûte rien de plus, vous vous contentez de vous acquitter envers lui des simples devoirs d'une charité commune ; vous avez, pour perdre votre ennemi, exagéré et inventé, et toute votre pénitence se termine à gémir devant Dieu et à prier. Prière exécrable, dit le Sage ; et moi, appliquant cette expression à mon sujet, je dis pénitence exécrable, parce que celui qui la fait, en la faisant même, ne veut pas écouter la loi ni l'accomplir : c'est la raison qu'en apporte le Saint-Esprit : Qui declinat aures suas, ne audiat legem, oratio ejus fiet execrabilis (Prov., XXVIII. 9.). Non, non, mon cher auditeur, il n'en va pas comme vous le pensez : dans l'ordre inviolable et indispensable que Dieu a établi, la médisance ne se répare point par la prière, et l'injustice par l'aumône ; pour avoir devant Dieu le mérite d'une pénitence efficace, il y faut observer les proportions prescrites par le droit divin ; et, au lieu de se faire une pénitence selon son goût, ou même selon sa dévotion, il faut se faire une dévotion et une pénitence selon les règles de la droite conscience. Or, jamais une conscience droite ne vous permettra de rendre précisément à Dieu ce que vous avez enlevé au prochain, ni d'appliquer à la charité ce que vous devez à la justice : A Dieu, vous dira-t-elle, ce qui est à Dieu, et à César, ce qui est à César : voilà la loi éternelle et invariable qu'elle vous oblige à suivre.

 

Fruits nécessaires : car en vain imaginerions-nous des tempéraments et des accommodements, des explications et des tours ; malgré tous les tours et toutes les explications, malgré tous les accommodements et tous les tempéraments, il en faudra toujours revenir à la décision de saint Augustin, contre laquelle ni la cupidité, ni l'iniquité, ni le relâchement de la morale, ni la corruption des usages du monde, ne prescriront jamais. Si, pouvant restituer un bien dont la conscience est chargée, vous refusez de le rendre : quelque témoignage que vous puissiez donner d'un cœur contrit et pénitent, vous contrefaites la pénitence, mais vous ne la faites pas : Non agitur pœnitentia, sed fingitur ; et si c'est véritablement et sincèrement que vous la faites, poursuit ce saint docteur, le péché ne vous est pardonné qu'à condition que le dommage sera réparé : Si autem veraciter agitur, non remittitur peccatum, nisi restituatur ablatum. Or, ce qui est vrai des biens de la fortune l'est également de l'honneur. Allez, tant qu'il vous plaira, aux pieds des prêtres, confesser votre injustice ; prosternez-vous, humiliez-vous, accusez-vous : si cependant vous ne prenez pas et ne voulez pas prendre les mesures convenables pour rétablir ce que vous avez détruit, ou en supposant ce qui ne fut jamais, ou en révélant ce qui devait être éternellement caché dans les ténèbres, et ce qui l'aurait été sans la malignité de votre cœur, ou sans l'indiscrétion de votre langue, qu'est-ce que votre pénitence ? un fantôme, rien davantage ; que dis-je ? c'est un crime, c'est un sacrilège : Non remittitur peccatum, nisi restituatur ablatum.

 

Fruits certains et non suspects. En effet, on ne soupçonnera jamais un pécheur qui veut bien se soumettre à cette réparation, de n'être pas solidement converti ; c'est un gage dont les censeurs, même les plus rigides, je veux dire, dont les confesseurs les plus sévères ne sont pas en droit de se défier. Dans tous les autres fruits de la pénitence, il peut y avoir de l'ostentation et de l'hypocrisie ; mais ici, ni l'hypocrisie, ni l'ostentation n'est point à craindre ; car il n'arrive guère qu'un homme se détermine à quelque chose d'aussi mortifiant qu'il l'est de rendre ce qu'il pourrait garder, ou de se dédire de ce qu'il a témérairement et faussement avancé, quand il n'est converti qu'en apparence. Il faut l'être en effet pour se condamner ainsi soi-même, et pour ne se faire nulle grâce ; la pénitence alors ne peut donc être douteuse. Non pas, après tout, qu'on ait une assurance entière de son état : personne, dit le Sage, ne sait s'il est digne de haine ou d'amour ; c'est un des secrets que Dieu s'est réservés pour nous obliger à vivre dans une dépendance plus absolue de sa grâce. Mais, de toutes les remarques à quoi l'on peut reconnaître les vrais pénitents, la plus infaillible, c'est, sans contredit, cette généreuse réparation des effets et des suites du péché : réparation qui remet le calme dans une âme ; réparation qui nous affranchit des remords de la conscience ; réparation qui nous fait goûter cette bienheureuse paix où consiste, selon Tertullien, la félicité du pécheur justifié : Facite ergo fructus digns pœnitentiœ.

 

Mais, Chrétiens, quelle est l'illusion de notre siècle ! au lieu de juger de la pénitence par ses fruits, qui sont à toute épreuve, on en veut juger par des pratiques très équivoques, et qui souvent ont plus d'éclat que de solidité. Voici ma pensée : on voudrait voir, comme autrefois, les pécheurs humiliés sous la cendre, couverts de cilices, exténués de jeûnes : beaux dehors, mais, du reste, dehors trompeurs, si cependant, et avant toutes choses, on ne les oblige pas à satisfaire aux devoirs naturels de la charité et de la justice. Ces lois de police et de discipline, que l'Eglise, dans la suite du temps, a trouvé bon de mitiger, on les voudrait encore dans toute leur rigueur, et je les y voudrais moi-même ; mais à cette condition essentielle, que d'abord ces lois fondamentales, ces lois capitales, dont jamais ni l'Eglise, ni Dieu même n'ont dispensé, fussent observées; et c'est à quoi l'on ne pense pas. Cela veut dire que, par un esprit pharisaïque, on s'attache à l'écorce de la pénitence, tandis qu'on en laisse les fruits.

 

Seconde maxime de l'Ecriture : il ne suffit pas, dit saint Paul, de faire le bien devant Dieu pour glorifier Dieu, il faut encore le faire devant les hommes pour édifier les hommes : Providentes bona, non solum coram Deo, sed etiam coram hominibus (2 Cor , VIII, 21.). Ainsi parlait l'Apôtre ; et je dis, par la même règle : il ne suffit pas de faire pénitence devant Dieu, il faut encore la faire devant les hommes : on la fait devant Dieu en reconnaissant son péché, mais on la fait devant les hommes en réparant le scandale du péché, et en ôtant même jusqu'aux apparences du péché ; sans cela (c'est la décision expresse de saint Thomas et de tous les autres théologiens après lui), sans cela, point de pénitence.

 

Que ne puis-je, mes chers auditeurs, vous faire comprendre ce point de morale dans toute son étendue et dans toute sa force! Il faut que la pénitence répare le scandale du péché. Car, malheur à nous si nous tombions dans l'erreur des hérésiarques qui, corrompant la loi de Dieu sous ombre de la réformer, réduisent toute la pénitence à ne pécher plus ! Malheur à nous si nous venions à nous persuader que tout le mystère de notre justification fût compris dans ces paroles du Fils de Dieu mal entendues, quand il dit à cette femme adultère : Allez, et ne commettez plus la même faute : Vade, et jam amplius noli peccare (Joan., VIII, 11.) : en sorte que ce fût assez pour une âme criminelle de dire : J'ai quitté mon péché, sans qu'il lui en coûtât davantage. Plus vaine peut-être, reprend saint Grégoire, du témoignage qu'elle se rend de ne plus pécher, qu'elle n'est humble du souvenir d'avoir péché ; ou tranquille   et   contente   d'elle-même,   parce que son péché n'est plus, et prétendant à tous les droits de l'innocence des Justes, sans participer à l'humiliation des pécheurs. Abus, dit ce grand pape : le scandale du péché est une partie du péché ; et tandis que le scandale n'est point réparé, quoique le péché cesse, ou, pour parler plus clairement, quoique vous cessiez de le commettre, il n'est point absolument détruit. Il faut donc que la pénitence, après avoir pourvu à l'un, s'applique à l'autre ; et parce qu'elle ne le peut faire qu'aux dépens du pécheur même, règle admirable de saint Augustin, il faut, si c'est une pénitence efficace, qu'elle abolisse le péché dans la personne du pécheur, et qu'elle confonde le pécheur pour anéantir le péché ; autrement, poursuit ce Père, quel exemple tirera le prochain de votre conversion ? Et s'il est vrai que votre péché ait eu les suites funestes que vous déplorez vous-même ; s'il est vrai qu'en vous égarant vous en ayez égaré tant d'autres, n'est-il pas de l'ordre que vous serviez à les ramener, et n'est-ce pas une justice que vous leur rendiez ce que vous leur avez fait perdre, en les édifiant par votre pénitence autant que tous les avez scandalisés par les dérèglements de votre vie ?

 

Cependant, Chrétiens, ce n'est guère ainsi que l'on raisonne dans le siècle ; et n'est-il pas plein de ces âmes mondaines qui, jugeant selon les désirs de leur cœur, malgré tous les oracles du Saint-Esprit, se font une prudence, mais une prudence charnelle, de sauver du débris tout ce qu'elles peuvent en sauver ; de se réserver, dans l'état même de leur prétendue pénitence, tout ce qui peut servir ou de ressource ou de consolation à leur amour-propre, tous les agréments de la société, tout l'éclat de la prospérité, tout le luxe et le faste de la vanité, en un mot, tout l'extérieur du péché ? qui, non contentes de paraître toujours telles qu'elles ont été, et par conséquent de l'être toujours, puisqu'il n'est presque pas possible dans la pratique de séparer l'un de l'autre, et de retenir les apparences du péché sans en conserver le fond ; qui, dis-je, non contentes de tenir toujours au dehors la même conduite, et de suivre le même train de vie, veulent encore agir en cela par principe et par raison ? Or, c'est à ces âmes préoccupées et séduites que j'aurais bien aujourd'hui à représenter les conséquences de cette erreur, en leur opposant la vérité que je prêche ; car est-ce ainsi, leur dirais-je avec tout le zèle que Dieu m'inspire pour leur salut, est-ce ainsi que tant de fameux pénitents se sont convertis ? Quand, touchés de l'esprit de Dieu, ils sont entrés dans la voie de la pénitence, est-ce ainsi qu'ils y ont marché ? L'humilité, l'austérité, la retraite, n'est-ce pas le parti qu'ils ont généreusement et hautement embrassé ? Comment, dans l'ancienne loi, les Achab, les Nabuchodonosor, ont-ils paru devant Dieu et devant les hommes ? Ne se sont-ils pas montrés, ou plutôt n'ont-ils pas cherché à se montrer sous le sac et en posture de suppliants, pour rétablir, par une déclaration authentique, ce qu'ils avaient détruit par leurs exemples scandaleux ? A quoi se sont condamnés tant de pécheurs revenus à Dieu dans la loi de grâce ? où se sont-ils confinés ? dans des solitudes, dans des déserts, dans des monastères, faisant un divorce éclatant avec le monde, et, sans écouter le sang et la chair, se croyant obligés d'édifier le monde par le renoncement même au monde. Aurions-nous des Thaïs et des Pélagie, si illustres par leur pénitence, si cette maxime n'avait pas passé pour constante dans notre religion ? Quoi donc ? ces Saints se trompaient-ils ? était-ce ignorance dans eux, ou folie ? se chargeaient-ils inutilement d'un joug qu'ils ne devaient pas porter ? ne connaissaient-ils pas les voies de Dieu, et est-ce à nous seuls qu'ils les a révélées ?

 

Ah ! Chrétiens, concluons, au contraire, que, puisqu'ils marchaient dans des voies droites et saintes, notre égarement est d'en vouloir prendre de plus spacieuses et de plus larges, mais directement opposées au terme où la vraie pénitence doit nous conduire. Apprenons comme eux à faire cesser non seulement le mal, mais les apparences du mal ; et, pour cela, ne nous contentons pas de craindre Dieu, mais respectons encore le monde. Car le monde, tout profane qu'il est, mérite quelquefois d'être respecté ; et il ne le mérite jamais mieux que lorsqu'il condamne jusqu'aux apparences du péché, que lorsqu'il s'en scandalise, que lorsqu'il nous en fait des crimes. Si le monde nous paraît en cela un censeur sévère, édifions-nous de sa censure et de sa sévérité. S'il est injuste, profitons de son injustice. S'il est railleur et médisant, rendons grâces à Dieu de ce que sa médisance même sert à nous rendre plus vigilants, plus réguliers, plus chrétiens. Bénissons le ciel de ce que le monde, au milieu de sa corruption, a encore ce reste de zèle pour l'intégrité et la pureté des mœurs, et de ce que le vice n'a pas encore  prévalu jusqu'à pouvoir obtenir du monde que le monde l'approuvât. Si le monde nous paraît porter sur cela trop loin sa délicatesse, ne nous figurons pas si aisément que le monde ait tort ; et mettons plutôt tout le tort de notre part, de ne vouloir pas en croire le monde, même dans une chose où le jugement même du monde s'accorde si bien avec le jugement et la loi de Dieu. Ne respectons pas seulement les sages et les forts, mais, aussi bien que l'Apôtre, les imprudents et les faibles. Abstenons-nous comme lui, non seulement de ce qui est criminel et illicite, mais de ce qui nous semble innocent et permis. Pourquoi aurions-nous dans notre conduite plus de liberté que saint Paul ? Enfin, évitons tout ce qui donne lieu aux discours du monde, tout ce qui fonde le jugement téméraire, tout ce qui autorise et qui favorise le péché, tout ce qui l'autorise dans autrui, et tout ce qui le favorise dans nous.

 

Par là nous rendrons notre pénitence efficace ; et, après avoir retranché la matière et la cause du péché, après avoir réparé les suites et les effets du péché, il ne nous reste plus qu'à nous assujettir aux remèdes du péché : c'est le sujet de la dernière partie.

 

BOURDALOUE, SERMON POUR LE QUATRIÈME DIMANCHE DE L'AVENT

 

La Madeleine Pénitente, Philippe de Champaigne

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18 décembre 2011 7 18 /12 /décembre /2011 12:30

On aime ce qui est la matière et la cause du péché, mais on n'aime point dans le fond le péché même ; en un mot, on voudrait pouvoir se contenter, et ne pas pécher.

BOURDALOUE

 

 

Et venit in ornnem regionem Jordanis,prœdicans baptismum pœnitentiœ, in remissionem peccatorum.

Jean-Baptiste vint dans tout le pays qui est le long du Jourdain, prêchant le baptême de la pénitence pour la rémission des péchés. (Saint Luc, chap. III, 3.)

 

Quelque malheureuse que soit la condition de l'homme dans l'état du péché, si toute pénitence était véritable, ou s'il était toujours aisé de discerner la vraie pénitence de la pénitence imparfaite et fausse, le pécheur, dans son malheur même, aurait de quoi se consoler, parce qu'il pourrait au moins envisager la pénitence comme une ressource infaillible et comme un fonds certain de tranquillité et de paix. La grande misère du pécheur, dit saint Chrysostome, c'est qu'étant assuré comme il l'est de la réalité de son péché, il ne peut jamais être absolument assuré de la validité de sa pénitence. Ce qui rend son sort déplorable, c'est que bien souvent la pénitence qu'il a faite, ou qu'il a cru faire, ne doit pas moins le troubler que son péché même ; c'est que tous les oracles de l'Ecriture lui apprennent qu'il n'y a que la vraie et la parfaite pénitence qui sauve l'homme, et qu'au contraire il y en a cent autres, ou parce qu'elles sont fausses et vaines, ou parce qu'elles sont imparfaites et insuffisantes, qui ne le sauvent pas. S'il lui arrive de s'y tromper, si, faute de discernement, il vient, dans la pratique même de la pénitence, à prendre le faux pour le vrai, et à compter pour suffisant ce qui est défectueux, dès là il tombe dans l'abîme des plus infortunés pécheurs, puisque sa pénitence même, qui devait être sa justification et son salut, devient encore une des causes de sa condamnation et de sa perte. Voila, s'il entend bien sa religion, ce qui doit le faire trembler.

 

Voulez-vous, Chrétiens, calmer aujourd'hui vos consciences, autant qu'il est possible, sur un point si important ; et pour cela, voulez-vous savoir quelle est la véritable pénitence, ou, pour mieux dire, en quoi consiste le discernement juste que vous devez faire de la véritable pénitence ? C'est ce que je vais vous apprendre, et voici en peu de paroles tout mon dessein.

 

J'appelle véritable pénitence, pénitence sûre, celle que le saint précurseur, Jean-Baptiste, prêchait aux peuples qui le venaient chercher dans le désert, quand il leur disait : Faites donc de dignes fruits de pénitence : Facite ergo fructus dignos pœnitentiœ (Matth., III, 8.). Il ne se contentait pas qu'ils fissent pénitence ; mais, pour pouvoir compter sur leur pénitence, il voulait qu'ils en jugeassent par les fruits. Car la pénitence n'est solide, ni recevable au tribunal de Dieu, qu'autant qu'elle est efficace : et peut-elle être autrement efficace que par les fruits qu'elle produit ? Facile fructus dignos pœnitentiœ. Je les réduis à trois, et je dis, après tous les Pères de l'Eglise, que la pénitence efficace est celle qui retranche la cause du péché, celle qui répare les effets du péché, celle qui assujettit le pécheur au remède du péché. Trois caractères qui font d'une part la perfection de la pénitence, et de l'autre la sûreté morale du pécheur pénitent ; trois caractères que je vous prie de bien remarquer, et qui vont partager ce discours. Retrancher généreusement ce qui est la cause ou la matière du péché. Réparer pleinement ce qui a été l'effet et la suite du péché. S'assujettir fidèlement à ce qui doit être le remède du péché. Si votre pénitence, mon cher auditeur, est accompagnée de ces trois conditions, vous pouvez, sans être téméraire et présomptueux, faire fond sur elle : mais qu'une de ces trois conditions lui manque, c'est assez pour la rendre inutile, ou même criminelle.

 

Remplissez-nous, mon Dieu, de votre esprit, de cet esprit de zèle qui animait Jean-Baptiste, c'est ce que je vous demande pour moi ; de cet esprit de componction qui touchait les Juifs, et qui les disposait à profiter des grandes vérités qui leur étaient annoncées par ce fidèle ministre ; c'est ce que je vous demande, non point seulement pour moi, mais pour toutes les personnes qui m'écoutent. Adressons-nous encore à Marie. Ave, Maria.

 

Je fonde la première proposition sur deux principes également incontestables, et dont notre seule expérience doit nous convaincre, pour peu que nous ayons soin de nous étudier nous-mêmes, et de discerner les mouvements de notre cœur. Car voici d'abord ce que nous y devons reconnaître, et c'est une observation qu'a faite avant moi saint Augustin. Quelque corrompue, dit ce Père, que soit la nature de l'homme, depuis le péché et par le péché, on n'aime point, après tout, le péché comme péché. Il n'appartient qu'aux démons d'être disposés de la sorte ; et on pourrait même douter s'ils portent jusque-là leur obstination et leur malice. On aime ce qui est la matière et la cause du péché, mais on n'aime point dans le fond le péché même : c'est-à-dire on aime le plaisir que Dieu défend, mais non pas parce qu'il le défend. On aime le profit de l'usure, qui est injuste ; mais on l'aime parce qu'il est commode, et non pas parce qu'il est injuste. On aime la vengeance , qui est criminelle ; mais on l'aime parce qu'on croit que l'honneur y est engagé, et non pas parce qu'elle est criminelle.

 

Je dis plus : on voudrait, s'il était possible, pouvoir séparer l'un de l'autre ; et, par une précision dont le libertin s'accommoderait volontiers, on voudrait que ce qu'on aime ne fût pas défendu de Dieu ; on voudrait que Dieu ne s'offensât pas du plaisir que l'on recherche en satisfaisant sa passion ; en un mot, on voudrait pouvoir se contenter, et ne pas pécher. Mais parce que ces deux choses sont inséparables, et que dans la conjoncture où je suppose le pécheur, le désir qu'il a de se contenter l'emporte par-dessus la crainte qu'il a de pécher ; de là vient, dit saint Augustin, que sans aimer le péché, que haïssant même le péché, il pèche toutefois dans la satisfaction qu'il se procure : pourquoi ? parce qu'il aime au moins ce qu'il sait et ce qu'il ne peut ignorer être la cause ou la matière du péché. Or, cela suffit pour le rendre malgré lui-même transgresseur et prévaricateur de la loi de Dieu.

 

Voilà le premier principe ; et prenez garde, Chrétiens : ce n'est donc point précisément par la haine du péché, considéré comme péché, qu'il faut distinguer les pécheurs efficacement convertis d'avec ceux qui ne le sont pas ; puisqu'il est certain que les plus endurcis pécheurs, tandis qu'ils ont un reste de religion, conservent encore, ou du moins peuvent conserver cette haine du péché. Ce n'est point, dis-je, par cette haine générale, par cette haine spéculative du péché, qu'il faut juger du mérite de la pénitence, puisqu'on sait bien qu'il n'en coûte rien au pécheur pour haïr le péché de la sorte, et que la pénitence la plus vaine peut avoir cela de commun avec la pénitence la plus solide.

 

Mais par où devons-nous commencer à faire dans nous-mêmes le discernement de la vraie pénitence, et de ce que j'appelle ici détestation sincère et efficace du péché ? Ecoutez-moi, Chrétiens, et jugez-vous. En voici l'induction pratique. C'est par le retranchement actuel et effectif de ce que nous reconnaissons être en nous la cause du péché, de ce qui fomente, et qui fait subsister dans nous ce corps de péché, que Dieu veut que nous détruisions en nous convertissant à lui : Ut destruatur in vobis corpus peccati (Rom., VI, 6.). C'est par le renoncement à mille choses agréables, qui font dans l'idée de l'homme charnel la douceur de la vie, mais qui sont aussi par là même le poison mortel de nos âmes et l'aiguillon du péché. C'est par la fuite des objets qui excitent dans nos cœurs ces pernicieux désirs, que la concupiscence, selon l'Ecriture, ne peut concevoir sans enfanter le péché : Deinde concupiscentia cum conceperit, parit peccatum (Jac, I, 15.). C'est par l'exacte fidélité à éviter des entretiens dont nous savons bien que la scandaleuse licence corrompt la pureté des mœurs, puisque c'est de là que viennent les premières plaies, et souvent les plus incurables que nous fait le péché. C'est par la sévère, mais salutaire, mais nécessaire détermination à nous interdire des sociétés et des commerces qui sont pour nous comme les liens du péché ; des représentations et des spectacles dont l'unique effet est d'émouvoir les passions les plus vives, et de répandre dans l'imagination et dans les sens les plus dangereuses semences du péché ; des assemblées où l'esprit impur est comme dans son règne, et en possession de tendre à l'innocence les pièges les plus inévitables du péché ; des lectures où notre damnable curiosité est si souvent et si justement punie par les malignes impressions qu'elles laissent du péché. C'est par le sacrifice entier et sans réserve de ces amitiés dont nous nous apercevons bien, que la tendresse malheureuse, quoique couverte d'un voile de pudeur, n'est au fond qu'un raffinement de sensualité, et qu'un déguisement de péché. C'est par le prompt et éternel divorce avec cette personne dont les artifices, aussi bien que les charmes, et souvent bien plus que les charmes, sont les amorces fatales du péché. C'est par la sainte violence que chacun de nous doit se faire sur tout cela, puisque ce sont là, dans la pensée de l'Apôtre, les armes de l'iniquité et du péché : Arma iniquitatis peccato (Rom.,VI, 13.). En un mot, c'est par cette circoncision évangélique qui, ne s'arrêtant pas à la surface, ni au changement extérieur de l'homme, dépouille l'homme de ce qu'il a dans le cœur de plus intime, de ce qui est en lui l'origine du péché.

 

Oui, c'est par là que le chrétien doit mesurer l'efficace et la vertu de sa pénitence ; et s'il est dans l'obligation d'approcher de ce sacrement que Jésus-Christ a institué pour la réconciliation des pécheurs, c'est par là qu'il doit commencer à accomplir le grand précepte de l'Apôtre : Probet autem seipsum homo (1 Cor., XI, 28) : Que l'homme s'éprouve lui-même, et autant qu'il le peut, dans cette vie ; qu'il s'assure de lui-même. Or il le peut par là, reprend saint Chrysostome ; et moi j'ajoute qu'il ne le peut que par là.

 

Supprimez toutes les paroles inutiles, et convertissez-vous solidement : Tollite verba , et convertimini (Osée., XIV, 13.). Ainsi parlaient les prophètes, exhortant à la pénitence le peuple de Dieu ; et c'est, pécheur à qui je parle, le ministère dont je m'acquitte aujourd'hui. Vous détestez, dites-vous, votre péché ; vous y renoncez, du moins le croyez-vous ainsi. Mais peut-être vous flattez-vous dans le témoignage que vous vous rendez ; et votre contrition prétendue n'est rien moins devant Dieu que ce qu'elle vous paraît. Peut-être êtes-vous plus touché de la honte de votre péché que de sa malice ; du remords et du trouble qu'il vous cause, que de l'injure qu'il fait à Dieu ; de l'embarras où il vous jette, que de la disgrâce de Dieu qu'il vous attire : si cela est, contrition toute humaine. Peut-être votre erreur vient-elle de ce que vous confondez les grâces de la pénitence qui sont en vous, avec la pénitence qui n'y est pas ; les désirs de conversion que Dieu vous inspire, avec votre conversion même, dont vous êtes encore bien éloigné : c'est-à-dire, peut-être vous croyez-vous changé et converti, lorsque vous souhaitez seulement de l'être : si cela est, contrition apparente. Mais voulez-vous sortir de cette incertitude ? voulez-vous bien connaître ce que vous êtes ? Tollite verba : sans vous arrêter aux paroles toujours équivoques, toujours suspectes, voici la règle que vous devez prendre. Entrons dans le détail ; il n'y aura rien qui ne convienne à la chaire.

 

Vous êtes un homme du monde, un homme distingué par votre naissance, mais dont les affaires (ce qui n'est aujourd'hui que trop commun) sont dans la confusion et dans le désordre. Que ce soit par un malheur ou par votre faute, ce n'est pas là, maintenant, de quoi il s'agit. Or, dans cet état, ce qui vous porte à mille péchés, c'est une dépense qui excède vos forces, et que vous ne soutenez que parce que vous ne voulez pas vous régler, et par une fausse gloire que vous vous faites de ne pas déchoir. Car de là les injustices, de là les duretés criantes envers de pauvres créanciers que vous désolez ; envers de pauvres marchands aux dépens de qui vous vivez ; envers de pauvres artisans que vous faites languir ; envers de pauvres domestiques dont vous retenez le salaire. De là ces frivoles et trompeuses promesses de vous acquitter ; ces abus de votre crédit, et ces chicanes infinies pour éloigner un paiement ou pour l'éluder. De là ces dettes éternelles qui, en ruinant les autres, vous damnent vous-même. Retranchez cette dépense ; et si vous voulez que je sois bien persuadé de la vérité de votre contrition, ayant peu, passez-vous de peu. Ne vous mesurez pas par ce que vous êtes, mais par ce que vous pouvez. Otez-moi ce luxe d'habits, cette superfluité de train, cette vanité d'équipage, cette curiosité de meubles. Réduit à la disette et à une triste indigence, supportez-la, mais supportez-la en chrétien ; et puisqu'il le faut, faites-vous-en un mérite et une vertu. Sans cela, en vain pleurez-vous votre péché : en vain formez-vous mille repentirs, ou plutôt en vain les témoignez-vous ; ces repentirs, ce sont des paroles, et Dieu vous demande des effets : Tollite verba, et convertimini.

 

Vous aimez le jeu, et ce qui perd votre conscience, c'est ce jeu-là même ; un jeu sans mesure et sans règle ; un jeu qui n'est plus pour vous un divertissement, mais une occupation, mais une profession, mais un trafic, mais une attache et une passion, mais, si j'ose ainsi parler, une rage et une fureur ; un jeu dont on peut bien dire, à la lettre, que c'est un abîme qui attire un autre abîme, ou même cent autres abîmes : Abyssus abyssum invocat (Psalm., XLI, 8.). Car de là viennent ces innombrables péchés qui en sont les suites, de là l'oubli de vos devoirs, de là le dérèglement de votre maison, de là le pernicieux exemple que vous donnez à vos enfants ; de là la dissipation de vos revenus ; de là ces tricheries indignes, et, s'il m'est permis d'user d'un terme plus fort, ces friponneries que cause l'avidité du gain ; de là ces emportements, ces jurements, ces désespoirs dans la perte ; de là souvent, et plus que de la fragilité du sexe, ces honteuses ressources où l'on se voit forcé d'avoir recours ; de là cette disposition à tout, et peut-être au crime, pour trouver de quoi fournir au jeu. Retranchez ce jeu ; et parce qu'il est bien plus aisé de le quitter absolument que de le modérer, quittez-le : faites-en une déclaration publique ; donnez à Dieu une preuve de la sincérité de votre contrition, en coupant la racine du mal ; et, pour vous assurer vous-même que vous ne voulez plus pécher, imposez-vous la loi de ne plus jouer. Sans cela, vous aurez beau dire comme le publicain de l'Evangile : Seigneur, soyez-moi propice ; je reconnais mon péché ; votre voix est la voix de Jacob, mais vos mains sont les mains d'Esaü : Tollite verba, et convertimini.

 

Enfin, examinez-vous devant Dieu, et, juge équitable de vous-même, défait de toute prévention, voyez ce qui sert de sujet au péché ; mais voyez-le préparé et résolu à n'en excepter rien, à n'en retenir rien dans le sacrifice que vous en devez faire. Voilà par où vous connaîtrez si vous êtes pénitent. Attaquer le péché, non en idée, mais en substance ; en saper le fondement et le renverser, c'est ce que saint Paul appelle courir, non pas au hasard, mais à dessein d'arriver au terme : Sic curro, non quasi... aerem verberans (1 Cor., IX, 26.) ; c'est ce qu'il appelle combattre, non pas en donnant des coups perdus, ni en frappant l'air, mais en faisant tomber l'ennemi que vous poursuivez, et en remportant sur lui une pleine victoire. Je passe au second principe.

 

On n'est pas toujours maître de ses pensées, ni des premiers mouvements de son cœur ; mais on est toujours responsable de ses actions et de sa conduite : et quand on vient, par exemple, à succomber dans une occasion dangereuse d'où la loi de Dieu nous obligeait de sortir, mais où, malgré la loi de Dieu néanmoins, l'on est demeuré, on n'a jamais droit alors de dire : Je n'ai pu me défendre de ce péché; mais on doit dire : Je ne l'ai pas voulu, ou je ne l'ai que très faiblement et peu sincèrement voulu. Appliquez-vous.

 

Je l'avoue, Chrétiens, un pécheur converti de bonne foi, dans l'état même de sa conversion, peut encore avoir des faiblesses, et, tout converti qu'il est, il peut déplorer sa misère avec le même sujet et dans le même esprit que saint Paul, en disant comme cet apôtre : Sentio aliam legem in membris meis repugnantem legi mentis meae, et captivantem sub leqe peccati (Rom., VII, 23.) : Infortuné que je suis ! je sens dans moi-même une loi qui me tient captif sous le joug du péché, et qui combat contre la loi de ma raison. Mais remarquez, dit saint Chrysostome (réflexion admirable et édifiante pour ceux qui m'écoutent), remarquez que quand saint Paul parlait de la sorte, il protestait au même temps, avec une sainte confiance, qu'il n'avait rien d'ailleurs à se reprocher : Nihil mihi conscius sum (I Cor., IV, 4.) ; qu'il était fidèle à la grâce ; qu'il marchait dans la voie du salut, non seulement avec circonspection, mais avec tremblement ; qu'il traitait rudement son corps ; qu'il le châtiait et le réduisait en servitude : Castigo corpus meum, et in servitutem redigo (Ib., IX, 27.). Or, ce témoignage de sa fidélité, de sa vigilance, de son austérité de vie, de son attention sur soi-même, le mettait à couvert de toute illusion. Lorsqu'il se plaignait de la révolte de ses passions, et qu'il gémissait dans la douleur de se voir réduit à un état si humiliant, c'était une douleur sincère et pleine de bonne foi. Mais le langage hypocrite, c'est de parler comme saint Paul, et de se conduire comme le mondain. Le langage hypocrite, c'est de se plaindre de sa faiblesse, et cependant de l'exposer à des tentations où toute la force, toute la vertu même des Saints suffirait à peine pour résister. Le langage hypocrite, c'est de gémir sur la violence de ses passions, et toutefois de se précipiter aveuglément dans des périls où l'on sait que les passions même les plus modérées ne pourraient presque se contenir ; c'est de s'écrier : In felix ego homo (Rom.,VII,24.) ! Malheur à moi, d'être né si sensuel et si fragile ! et, malgré cet aveu, de rechercher contre l'ordre de Dieu des occasions où la fragilité, de simple malheur qu'elle était, devient un crime, ou du moins la source de tous les crimes. Telle est l'hypocrisie de la pénitence ; et c'est par là, mes chers auditeurs, que vous en devez juger.

 

Vous êtes faible, j'en conviens : la loi du péché règne en vous ; la concupiscence vous domine ; vous portez dans vous-même et avec vous-même votre ennemi, qui est votre chair. Mais voilà pourquoi je prétends que vous vous jouez de Dieu, si, dans le moment que vous pleurez votre péché, vous n'en voulez pas retrancher l'occasion. Voilà pourquoi je soutiens que vous mentez au Saint-Esprit, et qu'il y a dans votre pénitence une contradiction énorme, si, vous confessant faible d'une part, vous n'en êtes pas de l'autre plus circonspect et plus vigilant. Car, avec quel front pouvez-vous dire comme David, en gémissant et en pleurant : J'ai péché contre le Seigneur : Peccavi Domino (2 Reg., XII, 13.), tandis que vous vous obstinez à ne pas éloigner de vous un danger prochain, où, sans commettre d'autre péché, vous péchez déjà et contre le Seigneur, et contre vous-même, en risquant votre conscience et votre salut ? Comment pouvez-vous alléguer à Dieu l'infirmité de votre âme, et vous servir de ce motif pour toucher sa miséricorde : Quoniam infirmus sum, sana animam meam (Psalm., VI, 3.) tandis qu'à cette Infirmité vous joignez encore l'infidélité et la malignité ? Je dis infidélité et malignité de demander à Dieu qu'il vous guérisse, et de ne vouloir pas vous préserver de ce qui vous tue ; de reconnaître que vous êtes malade, et d'agir comme si vous jouissiez d'une pleine santé ; d'appeler le ciel à témoin de votre douleur, et de ne vous résoudre jamais, en vertu de cette même douleur, à rien sacrifier ni à vous séparer de rien, n'est-ce pas, encore une fois, vouloir imposer à Dieu et aux hommes ?

 

Non, non, mon cher auditeur, tandis que vous en usez de la sorte, il n'y a dans votre pénitence que dissimulation et que mensonge ; et il ne vous est plus permis, en vous plaignant comme saint Paul, de vous appliquer ces paroles qui ne peuvent vous convenir : Non quod volo bonum, hoc ago ; sed quod odi malum, hoc facio (Rom., VII, 19.). Car, au lieu que cet homme apostolique était inconsolable de ce qu'il ne faisait pas le bien qu'il voulait, et de ce qu'il faisait le mal qu'il ne voulait pas, par une opposition extrême de vous à lui, tandis que vous persévérez dans l'occasion du péché, vous voulez tout le mal que vous faites, et vous ne voulez nullement le bien que vous ne faites pas. L'efficace de la pénitence consiste donc à sortir généreusement de l'occasion pour vaincre le péché, et non pas à vouloir vaincre le péché en demeurant dans l'occasion : et c'est ici où j'aurais besoin de tout le zèle des prophètes pour confondre l'aveuglement et l'endurcissement des pécheurs.

 

Car voici, Chrétiens, où le relâchement des mœurs nous a conduits. On traite un confesseur d'homme difficile et scrupuleux, on se rebute de lui, et on le quitte lorsque, fidèle à son ministère, il suspend, pour ceux qui refusent d'éviter certaines occasions, la grâce de l'absolution. Mais quand la suspendra-t-il donc, et quelle preuve plus évidente peut-il avoir de la mauvaise disposition avec laquelle un mondain se présente à ce sacrement, que de le trouver résolu à retourner toujours dans les mêmes compagnies, et à fréquenter les mêmes lieux où tant de fois son innocence a fait naufrage ? Si jamais il peut et il doit user du pouvoir qu'il a reçu de lier les consciences, n'est-ce pas alors ? Il voit, et vous le voyez vous-même, que l'affreuse continuité de tant de rechutes roule uniquement sur une occasion que vous lui marquez, et il ne peut gagner sur vous de vous en détacher. S'il consentait, malgré cet obstacle, à vous délier et à vous absoudre, bien loin que vous dussiez louer sa lâche condescendance et l'approuver, n'en seriez-vous pas scandalisé, ou ne devriez-vous pas l'être ? et de dispensateur qu'il est des mystères de Dieu, n'en deviendrait-il pas le dissipateur ?

 

A Dieu ne plaise, Chrétiens, que je prétende par là autoriser les sévérités indiscrètes que l'on voudrait quelquefois, et peut-être sans fondement, imputer aux ministres de Jésus-Christ dans l'administration de la pénitence ! Mais à Dieu ne plaise aussi que j'autorise jamais les dangereuses et criminelles facilités de quelques ministres à ce divin tribunal ! Or, y en aurait-il jamais eu de plus dangereuse et même de plus criminelle, que de réconcilier et d'admettre à la participation des sacrements un pécheur obstiné à ne pas sortir de certaines occasions ? Ce sont, dites-vous, des occasions qu'il n'est pas en votre pouvoir de quitter ; et moi je réponds que vous les quitteriez dès aujourd'hui, si de là dépendait l'avancement de votre fortune temporelle, et si par là vous sauviez tel et tel intérêt que vous avez à ménager dans le monde. Ces occasions, ajoutez-vous, sont des liens que vous ne pouvez rompre sans éclat, et par conséquent sans scandale : et moi je vous dis que le grand scandale est de ce que vous ne les rompez pas ; et que, scandale pour scandale, s'il était vrai que vous en fussiez réduits là,  encore vaudrait-il mieux essuyer le scandale salutaire qui fait cesser le péché et qui sauve votre âme, que de soutenir comme vous faites le scandale mortel qui vous perd, et qui est le surcroît du péché même.

 

Mais Dieu dans ces occasions me protégera, et j'ai en lui cette confiance. Confiance réprouvée, dit saint Chrysostome, qui n'aboutit qu'à tenter Dieu et qu'à fomenter l'impénitence de l'homme ; confiance outrageuse à Dieu, et qui ne sert qu'à endurcir le pécheur. Ah ! mon Dieu, que ne prêche-t-on éternellement cette vérité ! que ne la prêche-t-on et à temps et à contre-temps! que ne la prêche-t-on partout et sans égard, puisque c'est de là que dépend la conversion, la réformation, la sanctification du monde chrétien !

 

Quoi qu'il en soit, mes chers auditeurs, ne comptez pas sur votre pénitence ; et, quelque fervente qu'elle vous paraisse d'ailleurs, tenez-la pour vaine, si elle ne va, non plus seulement à retrancher la matière et la cause du péché, mais encore à réparer les effets du péché : c'est la seconde partie.

 

BOURDALOUE, SERMON POUR LE QUATRIÈME DIMANCHE DE L'AVENT 

 

Profane Love (Vanity), by Tiziano

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16 décembre 2011 5 16 /12 /décembre /2011 05:00

L'aumône profite tout à la fois et au pénitent qui la fait, et au pauvre qui la reçoit.

BOURDALOUE

 

 

Qui habet duos tunicas, det non habenti ; et qui habet escas, similiter faciat.

Que celui qui a deux habits, en donne un à celui qui n'en a point ; et que celui qui a de quoi manger en use de même. (Luc, II, 11.)

 

Est-il rien de plus opposé aux sentiments humains que la dureté des riches envers les pauvres ; et comment un homme, pour peu qu'il écoute la nature, peut-il voir dans la souffrance et la misère un homme comme lui, sans en être ému de compassion, et sans prendre soin de le soulager ? Obligation indispensable dans tous les temps, depuis la naissance du monde ; mais obligation plus particulière encore et plus étroite dans la loi nouvelle, qui est une loi de charité. C'est le sujet important que nous allons traiter ; et pour réunir dans un même dessein les plus puissants motifs qui nous engagent à la pratique de l'aumône, nous la considérerons tout ensemble et comme un devoir d'obéissance, et comme un devoir de reconnaissance, et comme un devoir de pénitence.

 

Il faut obéir à Dieu, il faut reconnaître les bienfaits de Dieu, il faut apaiser la colère de Dieu. Or voilà ce que nous faisons par l'aumône. Devoir d'obéissance par rapport au commandement de Dieu, qui nous l'ordonne : premier point. Devoir de reconnaissance par rapport à la bonté de Dieu, qui nous gratifie de ses dons : second point. Devoir de pénitence par rapport à la justice de Dieu, qui nous menace de ses châtiments : troisième point. Puissions-nous mériter ainsi l'éloge que le Prophète donnait au juste : Il a répandu ses biens ; il en a fait part aux pauvres : ses bonnes œuvres subsisteront toujours, et il en recevra la récompense dans les siècles des siècles (Psalm., CXI, 9.).

 

Premier point. — Devoir d'obéissance : car l'aumône est un commandement de Dieu. Commandement que Dieu a pu faire, commandement que Dieu a dû faire, commandement que Dieu a fait. Reprenons.

 

1° Commandement que Dieu a pu faire. Il est maître de nos biens, ou plutôt ce ne sont pas proprement nos biens, mais les biens de Dieu, qui nous les a donnés, et dont nous sommes seulement à son égard comme les dépositaires et les économes. C'est par grâce que nous les avons reçus : or, le maître qui dispense ses grâces à qui il lui plaît, peut y apposer aussi telle condition qu'il lui plaît. D'où il s'ensuit qu'il était libre à Dieu, en confiant au riche ses trésors, de le choisir seulement comme ce sage et fidèle administrateur dont il est dit dans l'Evangile, que le père de famille l'a établi sur toute sa maison, afin qu'il fournisse à chacun, quand il le faut, de quoi se nourrir (Matth., XXIV, 45.).

 

2° Ce n'est pas assez : commandement que Dieu a dû faire. Où serait sa providence, cette providence universelle, s'il n'avait pas pourvu à la subsistance des pauvres ? Or les deux voies d'y pourvoir étaient, ou de mettre entre les hommes une égalité parfaite de condition et de facultés, tellement qu'il n'y eût point de pauvres sur la terre ; ou, supposé cette inégalité que Dieu, dans le conseil de sa sagesse, a jugée plus convenable au gouvernement du monde, de porter une loi qui obligeât les uns d'assister les autres, et de suppléer à ce qui leur manque. Sans cela que feraient tant de misérables et de nécessiteux ? à quoi auraient-ils recours ? Dieu n'est-il pas leur père ? Ne sont-ils pas ses créatures, son ouvrage, et leur a-t-il donné l'être et la vie pour les laisser périr de calamités et de besoins ?

 

De là donc enfin commandement que Dieu non seulement a pu faire, non seulement a dû faire, mais qu'il a fait ; et en voici la preuve incontestable. C'est que l'Ecriture, surtout l'Evangile, nous apprend que parmi les titres de damnation qui doivent être produits contre les réprouvés, un des plus formels, ce sera l'oubli des pauvres et le défaut de l'aumône. Par conséquent, disent les théologiens, il y a un commandement de l'aumône,  puisque Dieu ne nous damnera que pour une offense mortelle, et que, sans l'infraction d'un précepte, il n'y a point d'offense mortelle et digne de la réprobation. De détruire ici toutes les explications qu'on vient faire de ce précepte, tous les prétextes qu'on oppose à ce précepte, tous les détours qu'on prend pour éluder ce précepte, c'est ce que nous n'entreprendrons pas ; mais souvenez-vous, riches, que Dieu ne se laisse point tromper, et que, malgré toutes vos explications, malgré tous vos prétextes et tous vos détours, vous n'en serez pas moins frappés de ses anathèmes, et rejetés éternellement de sa présence.

 

Second point. — Devoir de reconnaissance. Reconnaissance envers Dieu, et reconnaissance envers Jésus-Christ, Sauveur des hommes et Fils de Dieu.

 

Reconnaissance envers Dieu. Sans parler de toutes les autres grâces dont les riches lui sont redevables, n'est-ce pas de sa libéralité qu'ils tiennent les biens  qu'ils possèdent ? n'est-ce pas lui qui, dans le partage de ses dons temporels, les a distingués ? et s'ils vivent dans l'abondance, tandis qu'une multitude presque innombrable d'indigents ressentent toutes les rigueurs de la pauvreté et de la disette, n'a-ce pas été de sa part une pure faveur ? Or il est juste de lui en témoigner la reconnaissance qui lui est due; et celle qu'il nous demande, c'est que nous fassions retourner vers lui ses bienfaits, et que nous en usions pour l'entretien des pauvres, qui sont ses enfants. Tout méprisables qu'ils paraissent selon le monde, il les aime, et il veut que nous l'aimions dans eux ; il veut que nous acquittions envers eux sa providence, qui en est chargée.

 

Excellent motif de l'aumône : Je rends a Dieu ce qu'il m'a donné ! Dans l'ancienne loi, on lui offrait solennellement les prémices des fruits de la terre, et il les recevait dans son temple et à son autel, par le  ministère de ses   prêtres ; mais sans cet appareil ni cette solennité, je lui offre encore les mêmes prémices et les mêmes fruits. Le temple où je les porte, c'est cet hôpital, c'est cette prison, c'est cette pauvre famille que je visite ; et les prêtres qui les reçoivent  au  nom  du  Seigneur,  ce sont ces malades, ce sont ces captifs, ce sont ces orphelins ; c'est cette veuve, ce père, cette mère, qui tous me tiennent la place de Dieu, et dont je deviens la ressource et le soutien. Est-il pour une âme charitable une pensée plus touchante et plus consolante ?

 

Reconnaissance envers Jésus-Christ, Fils de Dieu et Sauveur des hommes. Dans un mot cette qualité de Sauveur nous fait comprendre tout ce que nous lui devons ; et si nous le comprenons, est-il possible que nous ne nous sentions pas brûlés d'un désir ardent de lui marquer nous-mêmes notre amour ? Or, ce qu'il dit à saint Pierre, il nous le dit, quoique dans un autre sens : Si vous m'aimez, paissez mes brebis (Joan., XI, 17.).  C'est trop peu : non seulement les pauvres sont ses brebis, mais il les appelle ses frères, mais il ne dédaigne pas de les compter pour ses membres. De sorte que tout ce qui est fait à un pauvre, et au plus petit des pauvres, il l'accepte comme étant fait à lui-même. Sommes-nous chrétiens, si des rapports aussi étroits que ceux-là entre Jésus-Christ et les pauvres n'excitent pas notre charité ? Que pouvons-nous refuser à un Dieu Sauveur ? Or, tout ce que nous refusons à ses frères et à ses membres, c'est à lui que nous le refusons. Après cela ne craignons-nous point qu'il ne retire de nous sa main libérale, et qu'il ne nous ferme le sein de sa miséricorde ? Rien n'est plus capable de tarir la source des grâces divines, que notre ingratitude.

 

Troisième point. — Devoir de pénitence. Ou nous sommes dans l'état actuel du péché, et il en faut sortir par la pénitence ; ou nous sommes rentrés dans l'état de la grâce, mais il faut expier nos péchés passés par la pénitence : or, un des moyens les plus efficaces pour l'un et pour l'autre, c'est l'aumône.

 

Moyen efficace pour sortir de l'état du péché : car il faut pour cela une grâce de pénitence, et cette grâce, nous ne pouvons plus sûrement l'obtenir que par les œuvres de la charité chrétienne envers les pauvres. C'est ainsi que les Pères entendent ce beau témoignage du saint homme Tobie en faveur de l'aumône, où il dit en termes si exprès et si précis, que l'aumône délivre de la mort de l'âme, qu'elle efface les péchés, qu'elle fait trouver grâce auprès de Dieu, quelle conduit à la vie éternelle (Tob., IV, 11). Comment cela ? non pas, répond saint Augustin, que le pécheur soit réconcilié avec Dieu, ni que ses péchés lui soient remis du moment qu'il a fait l'aumône, mais parce que ses aumônes lui attirent du ciel de puissants secours pour se relever de ses chutes par une solide conversion, et pour se remettre dans le chemin du salut.

 

La grâce est le fruit de la prière ; et, selon l'oracle du Saint-Esprit, l'aumône prie pour nous, et sa voix monte jusqu'au trône de Dieu pour le fléchir. Aussi est-ce une maxime constante parmi les maîtres de la morale et les docteurs les plus notaires dans la conduite des âmes, qu'à quelques excès qu'un homme soit abandonné, on peut toujours espérer de lui dans l'avenir un retour salutaire, tant qu'au milieu de ses désordres on le voit porté à faire du bien aux pauvres. Tôt ou tard Dieu récompense la miséricorde par la miséricorde.

 

Moyen efficace pour expier les péchés passés. Car, après être revenu à Dieu, il faut satisfaire à la justice de Dieu, il faut dès cette vie acquitter les dettes dont nous sommes chargés devant Dieu, et par là prévenir les rigoureux châtiments qui nous sont réservés après la mort, puisqu'en ce monde ou en l'autre le péché doit être puni.

 

Or, entre les œuvres pénales et satisfactoires, il n'en est point de plus agréable à Dieu ni de plus recevable à son tribunal que l'aumône, et cela à raison de son utilité. En effet, les autres œuvres de pénitence ne sont profitables et utiles qu'au pénitent même qui les pratique ; au lieu que l'aumône profite tout à la fois et au pénitent qui la fait, et au pauvre qui la reçoit. Sur quoi l'aveuglement des riches est bien déplorable quand ils négligent un moyen si présent que Dieu leur met dans les mains, et qu'ils perdent le plus grand avantage de leurs richesses ; car voilà à quoi elles sont bonnes, et ce ne sont plus alors des richesses d'iniquité, mais une rançon pour racheter toutes les iniquités de la vie, et pour échapper au souverain Juge, qui n'en remet la peine qu'autant que nous nous l'imposons nous-mêmes. Tout autre usage des biens temporels est, ou criminel, ou vain, ou du moins passager ; mais de s'en servir pour rendre à Dieu le devoir d'une humble obéissance, pour marquer à Dieu les sentiments d'une vive reconnaissance, pour se rapprocher de Dieu par la grâce et par une solide pénitence, c'est là l'usage chrétien qui les sanctifie, et qui, de richesses périssables, en fait les gages d'une bienheureuse immortalité.

 

BOURDALOUE, SERMON SUR L'AUMONE

 

La Charité Céleste, Simon Vouet, Musée du Louvre

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