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"Je vous donne un commandement nouveau : c'est de vous aimer les uns les autres.

 

Comme je vous ai aimés, vous aussi aimez-vous les uns les autres.

 

Ce qui montrera à tous les hommes que vous êtes mes disciples, c'est l'amour que vous aurez les uns pour les autres."

 

Evangile de Jésus-Christ selon  saint Jean 

   

 

Pentecôte

" Le Défenseur, l'Esprit Saint que le Père enverra en mon nom, lui, vous enseignera tout, et il vous fera souvenir de tout ce que je vous ai dit."

 

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean  

 

   

 

 El Papa es argentino. Jorge Bergoglio                 

Saint Père François

 

 

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1er mai 2011 Béatification de Jean-Paul II

Béatification du Serviteur de Dieu Jean-Paul II

 

 

  Béatification du Père Popieluszko

beatification Mass, in Warsaw, Poland

à Varsovie, 6 juin 2010, Dimanche du Corps et du Sang du Christ

 

 

presidential palace in Warsaw

Varsovie 2010

 

 

Basilique du Sacré-Cœur de Montmartre
Sanctuaire de l'Adoration Eucharistique et de la Miséricorde Divine

La miséricorde de Dieu est comme un torrent débordé. Elle entraîne les cœurs sur son passage.
(Saint Curé d'Ars)
 

 


Le côté du Christ a été transpercé et tout le mystère de Dieu sort de là. C’est tout le mystère de Dieu qui aime, qui se livre jusqu’au bout, qui se donne jusqu’au bout. C’est le don le plus absolu qui soit. Le don du mystère trinitaire est le cœur ouvert. Ce n’est pas une image, c’est une réalité. C’est la réalité la plus profonde qui soit, la réalité de l’amour.
Père Marie-Joseph Le Guillou




Dans le cœur transpercé
de Jésus sont unis
le Royaume du Ciel
et la terre d'ici-bas
la source de la vie
pour nous se trouve là.

Ce cœur est cœur divin
Cœur de la Trinité
centre de convergence
de tous les cœur humains
il nous donne la vie
de la Divinité.


Sainte Thérèse Bénédicte de la Croix
(Edith Stein)



Le Sacré-Cœur représente toutes les puissances d'aimer, divines et humaines, qui sont en Notre-Seigneur.
Père Marie-Eugène de l'Enfant Jésus

 



feuille d'annonces de la Basilique du Sacré-Coeur de Montmartre

 

 

 

 

 

 

 

     

The Cambrai Madonna

Notre Dame de Grâce

Cathédrale de Cambrai

 

 

 

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Ordinations du samedi 27 juin 2009 à Notre Dame de Paris


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Solennité de l’Immaculée Conception de la Vierge Marie à Notre-Dame de Paris


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... ma vocation, enfin je l’ai trouvée, ma vocation, c’est l’Amour !

 

 

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SAINT PIERRE ET SAINT ANDRÉ

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SALVE REGINA

5 juin 2015 5 05 /06 /juin /2015 11:00

Toute chose a deux faces. Des personnes impartiales pourront nous dire : " On vous accorde que le christianisme a fourni, quant aux hommes, une partie dramatique qui manquait à la mythologie ; que de plus il a produit la véritable poésie descriptive. Voilà deux avantages que nous reconnaissons, et qui peuvent à quelques égards justifier vos principes et balancer les beautés de la fable. Mais à présent, si vous êtes de bonne foi, vous devez convenir que les divinités du paganisme, lorsqu’elles agissent directement et pour elles-mêmes, sont plus poétiques et plus dramatiques que les divinités chrétiennes."

 

On pourrait en juger ainsi à la première vue. Les dieux des anciens partageant nos vices et nos vertus, ayant comme nous des corps sujets à la douleur, des passions irritables comme les nôtres, se mêlant à la race humaine et laissant ici-bas une mortelle postérité, ces dieux ne sont qu’une espèce d’hommes supérieurs, qu’on est libre de faire agir comme les autres hommes. On serait donc porté à croire qu’ils fournissent plus de ressources à la poésie que les divinités incorporelles et impassibles du christianisme ; mais en y regardant de plus près on trouve que cette supériorité dramatique se réduit à peu de chose.

 

Premièrement, il y a toujours eu dans toute religion, pour le poète et le philosophe, deux espèces de déités. Ainsi l’Etre abstrait dont Tertullien et saint Augustin ont fait de si belles peintures n’est pas le Jéhovah de David ou d’Isaïe ; l’un et l’autre sont fort supérieurs au Theos de Platon et au Jupiter d’Homère. Il n’est donc pas rigoureusement vrai que les divinités poétiques des chrétiens soient privées de toute passion. Le Dieu de l’Ecriture se repent, il est jaloux, il aime, il hait ; sa colère monte comme un tourbillon ; le Fils de l’Homme a pitié de nos souffrances ; la Vierge, les saints et les anges sont émus par le spectacle de nos misères ; en général le Paradis est beaucoup plus occupé des hommes que l’Olympe.

 

Il y a donc des passions chez nos puissances célestes, et ces passions ont cet avantage sur les passions des dieux du paganisme, qu’elles n’entraînent jamais après elles une idée de désordre et de mal. C’est une chose miraculeuse, sans doute, qu’en peignant la colère ou la tristesse du ciel chrétien, on ne puisse détruire dans l’imagination du lecteur le sentiment de la tranquillité et de la joie : tant il y a de sainteté et de justice dans le Dieu présenté par notre religion !

 

Ce n’est pas tout ; car si l’on voulait absolument que le Dieu des chrétiens fût un être impassible, on pourrait encore avoir des divinités passionnées aussi dramatiques et aussi méchantes que celles des anciens : l’enfer rassemble toutes les passions des hommes. Notre système théologique nous paraît plus beau, plus régulier, plus savant que la doctrine fabuleuse qui confondait hommes, dieux et démons. Le poète trouve dans notre ciel des êtres parfaits, mais sensibles, et disposés dans une brillante hiérarchie d’amour et de pouvoir ; l’abîme garde ses dieux passionnés et puissants dans le mal comme les dieux mythologiques ; les hommes occupent le milieu, touchant au ciel par leurs vertus, aux enfers par leurs vices ; aimés des anges, haïs des démons ; objet infortuné d’une guerre qui ne doit finir qu’avec le monde.

 

Ces ressorts sont grands, et le poète n’a pas lieu de se plaindre. Quant aux actions des intelligences chrétiennes, il ne nous sera pas difficile de prouver bientôt qu’elles sont plus vastes et plus fortes que celles des dieux mythologiques. Le Dieu qui régit les mondes, qui crée l’univers et la lumière, qui embrasse et comprend tous les temps, qui lit dans les plus secrets replis du cœur humain, ce Dieu peut-il être comparé à un dieu qui se promène sur un char, qui habite un palais d’or sur une montagne, et qui ne prévoit pas même clairement l’avenir ? Il n’y a pas jusqu’au faible avantage de la différence des sexes et de la forme visible que nos divinités ne partagent avec celles de la Grèce, puisque nous avons des saintes et des vierges, et que les anges de l’Ecriture empruntent souvent la figure humaine.

 

Mais comment préférer une sainte, dont l’histoire blesse quelquefois l’élégance et le goût, à une naïade attachée aux sources d’un ruisseau ? Il faut séparer la vie terrestre de la vie céleste de cette sainte : sur la terre, elle ne fut qu’une femme ; sa divinité ne commence qu’avec son bonheur dans les régions de la lumière éternelle. D’ailleurs il faut toujours se souvenir que la naïade détruisait la poésie descriptive ; qu’un ruisseau représenté dans son cours naturel est plus agréable que dans sa peinture allégorique, et que nous gagnons d’un côté ce que nous semblons perdre de l’autre.

 

Quant aux combats, ce qu’on a dit contre les anges de Milton peut se rétorquer contre les dieux d’Homère : de l’une et de l’autre part ce sont des divinités pour lesquelles on ne peut craindre, puisqu’elles ne peuvent mourir. Mars renversé, et couvrant de son corps neuf arpents, Diane donnant des soufflets à Vénus sont aussi ridicules qu’un ange coupé en deux et qui se renoue comme un serpent. Les puissances surnaturelles peuvent encore présider aux combats de l’épopée ; mais il nous semble qu’elles ne doivent plus en venir aux mains, hors dans certains cas, qu’il n’appartient qu’au goût de déterminer : c’est ce que la raison supérieure de Virgile avait déjà senti il y a plus de dix-huit cents ans.

 

Au reste, il n’est pas tout à fait vrai que les divinités chrétiennes soient ridicules dans les batailles. Satan s’apprêtant à combattre Michel dans le paradis terrestre est superbe ; le Dieu des armées marchant dans une nuée obscure à la tête des légions fidèles n’est pas une petite image ; le glaive exterminateur se dévoilant tout à coup aux yeux de l’impie frappe d’étonnement et de terreur ; les saintes milices du ciel sapant les fondements de Jérusalem font presque un aussi grand effet que les dieux ennemis de Troie assiégeant le palais de Priam ; enfin, il n’est rien de plus sublime que le combat d’Emmanuel contre les mauvais anges dans Milton, quand, les précipitant au fond de l’abîme, le Fils de l’Homme retient à moitié sa foudre, de peur de les anéantir.

 

 

CHATEAUBRIAND, Génie du Christianisme ; Deuxième Partie - Poétique du Christianisme ; Livre 4 - Du merveilleux, ou de la poésie dans ses rapports avec les êtres surnaturels ; Chapitre IV - Si les divinités du paganisme ont poétiquement la supériorité sur les divinités chrétiennes

 

Pietà avec Saints (détail), Andrea del Sarto (Florence 1486 - 1530)

Pietà avec Saints (détail), Andrea del Sarto (Florence 1486 - 1530)

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4 juin 2015 4 04 /06 /juin /2015 11:00

Les Apôtres avaient à peine commencé de prêcher l’Évangile au monde qu’on vit naître la poésie descriptive. Tout rentra dans la vérité devant celui qui tient la place de la vérité sur la terre, comme parle saint Augustin. La nature cessa de se faire entendre par l’organe mensonger des idoles ; on connut ses fins, on sut qu’elle avait été faite premièrement pour Dieu, et ensuite pour l’homme. En effet, elle ne dit jamais que deux choses : Dieu glorifié par ses œuvres, et les besoins de l’homme satisfaits.

 

Cette découverte fit changer de face à la création ; par sa partie intellectuelle, c’est-à-dire par cette pensée de Dieu que la nature montre de toutes parts, l’âme reçut abondance de nourriture ; et par la partie matérielle du monde le corps s’aperçut que tout avait été formé pour lui. Les vains simulacres attachés aux êtres insensibles s’évanouirent, et les rochers furent bien plus réellement animés, les chênes rendirent des oracles bien plus certains, les vents et les ondes élevèrent des voix bien plus touchantes, quand l’homme eut puisé dans son propre cœur la vie, les oracles et les voix de la nature.

 

Jusqu’à ce moment la solitude avait été regardée comme affreuse ; mais les chrétiens lui trouvèrent mille charmes. Les anachorètes écrivirent de la douceur du rocher et des délices de la contemplation : c’est le premier pas de la poésie descriptive. Les religieux qui publièrent la vie des Pères du désert furent à leur tour obligés de faire le tableau des retraites où ces illustres inconnus avaient caché leur gloire. On voit encore dans les ouvrages de saint Jérôme et de saint Athanase des descriptions de la nature qui prouvent qu’ils savaient observer et faire aimer ce qu’ils peignaient.

 

Ce nouveau genre, introduit par le christianisme dans la littérature, se développa rapidement. Il se répandit jusque dans le style historique, comme on le remarque dans la collection appelée la Byzantine, et surtout dans les histoires de Procope. Il se propagea de même, mais il se corrompit, parmi les romanciers grecs du Bas-Empire et chez quelques poètes latins en Occident.

 

Constantinople ayant passé sous le joug des Turcs, on vit se former en Italie une nouvelle poésie descriptive, composée des débris du génie maure, grec et italien. Pétrarque, l’Arioste et le Tasse l’élevèrent à un haut degré de perfection ; mais cette description manque de vérité : elle consiste en quelques épithètes répétées sans fin, et toujours appliquées de la même manière. Il fut impossible de sortir d’un bois touffu, d’un antre frais ou des bords d’une claire fontaine. Tout se remplit de bocages d’orangers, de berceaux de jasmins et de buissons de roses.

 

Flore revint avec sa corbeille, et les éternels Zéphyrs ne manquèrent pas de l’accompagner ; mais ils ne retrouvèrent dans les bois ni les naïades ni les faunes ; et s’ils n’eussent rencontré les fées et les géants des Maures, ils couraient risque de se perdre dans cette immense solitude de la nature chrétienne. Quand l’esprit humain fait un pas, il faut que tout marche avec lui ; tout change avec ses clartés ou ses ombres : ainsi il nous fait peine à présent d’admettre de petites divinités là où nous ne voyons plus que de grands espaces. On aura beau placer l’amante de Tithon sur un char et la couvrir de fleurs et de rosée, rien ne peut empêcher qu’elle ne paraisse disproportionnée en promenant sa faible lumière dans ces cieux infinis que le christianisme a déroulés : qu’elle laisse donc le soin d’éclairer le monde à celui qui l’a fait.

 

Cette poésie descriptive italienne passa en France, et fut favorablement accueillie de Ronsard, de Lemoine, de Coras, de Saint-Amand et de nos vieux romanciers. Mais les grands écrivains du siècle de Louis XIV, dégoûtés de ces peintures, où ils ne voyaient aucune vérité, les bannirent de leur prose et de leurs vers, et c’est un des caractères distinctifs de leurs ouvrages, qu’on n’y trouve presque aucune trace de ce que nous appelons poésie descriptive.

 

Ainsi repoussée en France, la muse des champs se réfugia en Angleterre, où Spencer, Waller et Milton l’avaient déjà fait connaître. Elle y perdit par degrés ses manières affectées, mais elle tomba dans un autre excès. En ne peignant plus que la vraie nature, elle voulut tout peindre, et surchargea ses tableaux d’objets trop petits ou de circonstances bizarres. Thomson même, dans son chant de l’Hiver si supérieur aux trois autres, a des détails d’une mortelle longueur. Telle fut la seconde époque de la poésie descriptive.

 

D’Angleterre elle revint en France avec les ouvrages de Pope et du chantre des Saisons. Elle eut de la peine à s’y introduire, car elle fut combattue par l’ancien genre italique, que Dorat et quelques autres avaient fait revivre : elle triompha pourtant, et ce fut à Delille et à Saint-Lambert qu’elle dut la victoire. Elle se perfectionna sous la muse française, se soumit aux règles du goût, et atteignit sa troisième époque.

 

Disons toutefois qu’elle s’était maintenue pure, quoique ignorée, dans les ouvrages de quelques naturalistes du temps de Louis XIV, tels que Tournefort et le père Dutertre. Celui-ci à une imagination vive joint un génie tendre et rêveur ; il se sert même, ainsi que La Fontaine, du mot de mélancolie dans le sens où nous l’employons aujourd’hui. Ainsi le siècle de Louis XIV n’a pas été totalement privé du véritable genre descriptif, comme on serait d’abord tenté de le croire ; il était seulement relégué dans les lettres de nos missionnaires. Et c’est là que nous avons puisé cette espèce de style que nous croyons si nouveau aujourd’hui.

 

Au reste, les tableaux répandus dans la Bible peuvent servir à prouver doublement que la poésie descriptive est née parmi nous du christianisme. Job, les prophètes, l’Ecclésiastique, et surtout les Psaumes, sont remplis de descriptions magnifiques. Le Psaume Benedic, anima mea, est un chef-d’œuvre dans ce genre.

 

Mon âme, bénis le Seigneur ; Seigneur, mon Dieu, que vous êtes grand dans vos œuvres !

Vous répandez les ténèbres, et la nuit est sur la terre :

c’est alors que les bêtes des forêts marchent dans l’ombre, que les rugissements des lionceaux appellent la proie et demandent à Dieu la nourriture promise aux animaux.

Mais le soleil s’est levé, et déjà les bêtes sauvages se sont retirées.

L’homme alors sort pour le travail du jour, et accomplit son œuvre jusqu’au soir.

Comme elle est vaste, cette mer qui étend au loin ses bras spacieux ! Des animaux sans nombre se meuvent dans son sein, les plus petits avec les plus grands, et les vaisseaux passent sur ses ondes.

(traduction de La Harpe)

 

Horace et Pindare sont restés bien loin de cette poésie. Nous avons donc eu raison de dire que c’est au christianisme que Bernardin de Saint-Pierre doit son talent pour peindre les scènes de la solitude : il le lui doit parce que nos dogmes, en détruisant les divinités mythologiques, ont rendu la vérité et la majesté au désert ; il le lui doit parce qu’il a trouvé dans le système de Moïse le véritable système de la nature.

 

Mais ici se présente un autre avantage du poète chrétien : si sa religion lui donne une nature solitaire, il peut avoir encore une nature habitée. Il est le maître de placer des anges à la garde des forêts, aux cataractes de l’abîme, ou de leur confier les soleils et les mondes. Ceci nous ramène aux êtres surnaturels ou au merveilleux du christianisme.

 

 

CHATEAUBRIAND, Génie du Christianisme ; Deuxième Partie - Poétique du Christianisme ; Livre 4 - Du merveilleux, ou de la poésie dans ses rapports avec les êtres surnaturels ; Chapitre III - Partie historique de la Poésie descriptive chez les modernes

 

Paysage rocheux avec Saint Jérôme, Joachim Patenier (1480, Bouvignes - 1524, Anvers) Museum Mayer van den Bergh, Anvers

Paysage rocheux avec Saint Jérôme, Joachim Patenier (1480, Bouvignes - 1524, Anvers) Museum Mayer van den Bergh, Anvers

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3 juin 2015 3 03 /06 /juin /2015 11:00

Mais quoi ! dira-t-on, ne trouvez-vous rien de beau dans les allégories antiques ?

 

Il faut faire une distinction.

 

L’allégorie morale, comme celle des Prières dans Homère, est belle en tout temps, en tout pays, en toute religion : le christianisme ne l’a pas bannie. Nous pouvons, autant qu’il nous plaira, placer au pied du trône du souverain Arbitre les deux tonneaux du bien et du mal. Nous aurons même cet avantage, que notre Dieu n’agira pas injustement et au hasard, comme Jupiter : il répandra les flots de la douleur sur la tête des mortels, non par caprice, mais pour une fin à lui seul connue. Nous savons que notre bonheur ici-bas est coordonné à un bonheur général dans une chaîne d’êtres et de mondes qui se dérobent à notre vue ; que l’homme, en harmonie avec les globes, marche d’un pas égal avec eux à l’accomplissement d’une révolution que Dieu cache dans son éternité.

 

Mais si l’allégorie morale est toujours existante pour nous, il n’en est pas ainsi de l’allégorie physique. Que Junon soit l’air, que Jupiter soit l’éther, et qu’ainsi frère et sœur ils soient encore époux et épouse, où est le charme de cette personnification ? Il y a plus : cette sorte d’allégorie est contre les principes du goût, et même de la saine logique.

 

On ne doit jamais personnifier qu’une qualité ou qu’une affection d’un être, et non pas cet être lui-même : autrement ce n’est plus une véritable personnification, c’est seulement avoir fait changer de nom à l’objet. Je peux faire prendre la parole à une pierre, mais que gagnerai-je à appeler cette pierre d’un nom allégorique ? Or, l’âme, dont la nature est la vie, a essentiellement la faculté de produire ; de sorte qu’un de ses vices, une de ses vertus, peuvent être considérés ou comme son fils, ou comme sa fille, puisqu’elle les a véritablement engendrés. Cette passion, active comme sa mère, peut à son tour croître, se développer, prendre des traits, devenir un être distinct. Mais l’objet physique, être passif de son essence, qui n’est susceptible ni de plaisir ni de douleur, qui n’a que des accidents et point de passions et des accidents aussi morts que lui-même, ne présente rien qu’on puisse animer. Sera-ce la dureté du caillou, ou la sève du chêne, dont vous ferez un être allégorique ? Remarquez même que l’esprit est moins choqué de la création des dryades, des naïades, des zéphyrs, des échos, que de celle des nymphes attachées à des objets muets et immobiles : c’est qu’il y a dans les arbres, dans l’eau et dans l’air un mouvement et un bruit qui rappellent l’idée de la vie, et qui peuvent par conséquent fournir une allégorie comme le mouvement de l’âme. Mais, au reste, cette sorte de petite allégorie matérielle, quoiqu’un peu moins mauvaise que la grande allégorie physique, est toujours d’un genre médiocre, froid et incomplet ; elle ressemble tout au plus aux fées des Arabes et aux génies des Orientaux.

 

Quant à ces dieux vagues que les anciens plaçaient dans les bois déserts et sur les sites agrestes, ils étaient d’un bel effet sans doute, mais ils ne tenaient plus au système mythologique : l’esprit humain retombait ici dans la religion naturelle. Ce que le voyageur tremblant adorait en passant dans ces solitudes était quelque chose d’ignoré, quelque chose dont il ne savait point le nom, et qu’il appelait la divinité du lieu ; quelquefois il lui donnait le nom de Pan, et Pan était le Dieu universel. Ces grandes émotions qu’inspire la nature sauvage n’ont point cessé d’exister, et les bois conservent encore pour nous leur formidable divinité.

 

Enfin, il est si vrai que l’allégorie physique, ou les dieux de la fable, détruisaient les charmes de la nature, que les anciens n’ont point eu de vrais peintres de paysage, par la même raison qu’ils n’avaient point de poésie descriptive. Or, chez les autres peuples idolâtres qui ont ignoré le système mythologique cette poésie a plus ou moins été connue ; c’est ce que prouvent les poèmes sanskrits, les contes arabes, les Edda, les chansons des nègres et des sauvages. Mais comme les nations infidèles ont toujours mêlé leur fausse religion (et par conséquent leur mauvais goût) à leurs ouvrages, ce n’est que sous le christianisme qu’on a su peindre la nature dans sa vérité.

 

 

CHATEAUBRIAND, Génie du Christianisme ; Deuxième Partie - Poétique du Christianisme ; Livre 4 - Du merveilleux, ou de la poésie dans ses rapports avec les êtres surnaturels ; Chapitre II - De l’Allégorie

 

Allégorie de la Vertu, Simon Vouet

Allégorie de la Vertu, Simon Vouet

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2 juin 2015 2 02 /06 /juin /2015 17:00

Nous avons fait voir dans les livres précédents que le christianisme en se mêlant aux affections de l’âme a multiplié les ressorts dramatiques. Encore une fois, le polythéisme ne s’occupait point des vices et des vertus ; il était totalement séparé de la morale. Or, voilà un côté immense que la religion chrétienne embrasse de plus que l’idolâtrie. Voyons si dans ce qu’on appelle le merveilleux elle ne le dispute point en beauté à la mythologie même.

 

Nous ne nous dissimulons pas que nous avons à combattre ici un des plus anciens préjugés de l’école. Les autorités sont contre nous, et l’on peut nous citer vingt vers de l’Art poétique qui nous condamnent :

Et quel objet enfin à présenter aux yeux, etc.

C’est donc bien vainement que nos auteurs déçus, etc.

Quoi qu’il en soit, il n’est pas impossible de soutenir que la mythologie si vantée, loin d’embellir la nature, en détruit les véritables charmes, et nous croyons que plusieurs littérateurs distingués sont à présent de cet avis.

 

Le plus grand et le premier vice de la mythologie était d’abord de rapetisser la nature et d’en bannir la vérité. Une preuve incontestable de ce fait, c’est que la poésie que nous appelons descriptive a été inconnue de l’antiquité ; les poètes mêmes qui ont chanté la nature, comme Hésiode, Théocrite et Virgile, n’en ont point fait de description dans le sens que nous attachons à ce mot. Ils nous ont sans doute laissé d’admirables peintures des travaux, des mœurs et du bonheur de la vie rustique ; mais quant à ces tableaux des campagnes, des saisons, des accidents du ciel, qui ont enrichi la muse moderne, on en trouve à peine quelques traits dans leurs écrits.

 

Il est vrai que ce peu de traits est excellent, comme le reste de leurs ouvrages. Quand Homère a décrit la grotte du Cyclope, il ne l’a pas tapissée de lilas et de roses ; il y a planté, comme Théocrite, des lauriers et de longs pins. Dans les jardins d’Alcinoüs, il fait couler des fontaines et fleurir des arbres utiles ; il parle ailleurs de la colline battue des vents et couverte de figuiers, et il représente la fumée des palais de Circé s’élevant au-dessus d’une forêt de chênes.

 

Virgile a mis la même vérité dans ses peintures. Il donne au pin l’épithète d’harmonieux, parce qu’en effet le pin a une sorte de doux gémissement quand il est faiblement agité ; les nuages, dans les Géorgiques, sont comparés à des flocons de laine roulés par les vents, et les hirondelles, dans l’Enéide, gazouillent sous le chaume du roi Evandre ou rasent les portiques des palais. Horace, Tibulle, Properce, Ovide, ont aussi crayonné quelques vues de la nature ; mais ce n’est jamais qu’un ombrage favorisé de Morphée, un vallon où Cythérée doit descendre, une fontaine où Bacchus repose dans le sein des naïades.

 

L’âge philosophique de l’antiquité ne changea rien à cette manière. L’Olympe, auquel on ne croyait plus, se réfugia chez les poètes, qui protégèrent à leur tour les dieux qui les avaient protégés. Stace et Silius Italicus n’ont pas été plus loin qu’Homère et Virgile en poésie descriptive ; Lucain seul avait fait quelque progrès dans cette carrière, et l’on trouve dans la Pharsale la peinture d’une forêt et d’un désert qui rappelle les couleurs modernes.

 

Enfin les naturalistes furent aussi sobres que les poètes, et suivirent à peu près la même progression. Ainsi Pline et Columelle, qui vinrent les derniers, se sont plus attachés à décrire la nature qu’Aristote. Parmi les historiens et les philosophes, Xénophon, Tacite, Plutarque, Platon et Pline le jeune, se font remarquer par quelques beaux tableaux.

 

On ne peut guère supposer que des hommes aussi sensibles que les anciens eussent manqué d’yeux pour voir la nature et de talent pour la peindre si quelque cause puissante ne les avait aveuglés. Or cette cause était la mythologie, qui, peuplant l’univers d’élégants fantômes, ôtait à la création sa gravité, sa grandeur et sa solitude. Il a fallu que le christianisme vînt chasser ce peuple de faunes, de satyres et de nymphes, pour rendre aux grottes leur silence et aux bois leur rêverie. Les déserts ont pris sous notre culte un caractère plus triste, plus grave, plus sublime : le dôme des forêts s’est exhaussé. les fleuves ont brisé leurs petites urnes, pour ne plus verser que les eaux de l’abîme du sommet des montagnes : le vrai Dieu, en rentrant dans ses œuvres, a donné son immensité à la nature.

 

Le spectacle de l’univers ne pouvait faire sentir aux Grecs et aux Romains les émotions qu’il porte à notre âme. Au lieu de ce soleil couchant, dont le rayon allongé tantôt illumine une forêt, tantôt forme une tangente d’or sur l’arc roulant des mers ; au lieu de ces accidents de lumière qui nous retracent chaque matin le miracle de la création, les anciens ne voyaient partout qu’une uniforme machine d’opéra.

 

Si le poète s’égarait dans les vallées du Taygète, au bord du Sperchius, sur le Ménale aimé d’Orphée, ou dans les campagnes d’Elore, malgré la douceur de ces dénominations, il ne rencontrait que des faunes, il n’entendait que des dryades ; Priape était là sur un tronc d’olivier, et Vertumme avec les zéphyrs menait des danses éternelles. Des sylvains et des naïades peuvent frapper agréablement l’imagination, pourvu qu’ils ne soient pas sans cesse reproduits ; nous ne voulons point

Chasser les tritons de l’empire des eaux,

Oter à Pan sa flûte, aux Parques leurs ciseaux

 

Mais, enfin, qu’est-ce que tout cela laisse au fond de l’âme ? qu’en résulte-t-il pour le cœur ? quel fruit peut en tirer la pensée ? Oh ! que le poète chrétien est plus favorisé dans la solitude où Dieu se promène avec lui ! Libres de ce troupeau de dieux ridicules qui les bornaient de toutes parts, les bois se sont remplis d’une Divinité immense. Le don de prophétie et de sagesse, le mystère et la religion, semblent résider éternellement dans leurs profondeurs sacrées.

 

Pénétrez dans ces forêts américaines aussi vieilles que le monde : quel profond silence dans ces retraites quand les vents reposent ! quelles voix inconnues quand les vents viennent à s’élever ! Etes-vous immobile, tout est muet ; faites-vous un pas, tout soupire. La nuit s’approche, les ombres s’épaississent : on entend des troupeaux de bêtes sauvages passer dans les ténèbres ; la terre murmure sous vos pas ; quelques coups de foudre font mugir les déserts ; la forêt s’agite, les arbres tombent, un fleuve inconnu coule devant vous. La lune sort enfin de l’Orient ; à mesure que vous passez au pied des arbres, elle semble errer devant vous dans leur cime et suivre tristement vos yeux. Le voyageur s’assied sur le tronc d’un chêne pour attendre le jour ; il regarde tour à tour l’astre des nuits, les ténèbres, le fleuve ; il se sent inquiet, agité, et, dans l’attente de quelque chose d’inconnu, un plaisir inouï, une crainte extraordinaire font palpiter son sein comme s’il allait être admis à quelque secret de la Divinité : il est seul au fond des forêts, mais l’esprit de l’homme remplit aisément les espaces de la nature, et toutes les solitudes de la terre sont moins vastes qu’une seule pensée de son cœur.

 

Oui, quand l’homme renierait la Divinité, l’être pensant, sans cortège et sans spectateur, serait encore plus auguste au milieu des mondes solitaires que s’il y paraissait environné des petites déités de la fable ; le désert vide aurait encore quelques convenances avec l’étendue de ses idées, la tristesse de ses passions et le dégoût même d’une vie sans illusion et sans espérance.

 

Il y a dans l’homme un instinct qui le met en rapport avec les scènes de la nature. Eh ! qui n’a passé des heures entières assis, sur le rivage d’un fleuve, à voir s’écouler les ondes ! Qui ne s’est plu, au bord de la mer, à regarder blanchir l’écueil éloigné ! Il faut plaindre les anciens, qui n’avaient trouvé dans l’Océan que le palais de Neptune et la grotte de Protée ; il était dur de ne voir que les aventures des tritons et des néréides dans cette immensité des mers, qui semble nous donner une mesure confuse de la grandeur de notre âme, dans cette immensité qui fait naître en nous un vague désir de quitter la vie pour embrasser la nature et nous confondre avec son auteur.

 

 

CHATEAUBRIAND, Génie du Christianisme ; Deuxième Partie - Poétique du Christianisme ; Livre 4 - Du merveilleux, ou de la poésie dans ses rapports avec les êtres surnaturels ; Chapitre I - Que la Mythologie rapetissait la nature ; que les Anciens n’avaient point de poésie proprement dite descriptive

 

Dans la forêt, Caspar David Friedrich

Dans la forêt, Caspar David Friedrich

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1 juin 2015 1 01 /06 /juin /2015 11:00

Il reste à parler d’un état de l’âme qui, ce nous semble, n’a pas encore été bien observé : c’est celui qui précède le développement des passions, lorsque nos facultés, jeunes, actives, entières, mais renfermées, ne se sont exercées que sur elles-mêmes, sans but et sans objet. Plus les peuples avancent en civilisation, plus cet état du vague des passions augmente ; car il arrive alors une chose fort triste : le grand nombre d’exemples qu’on a sous les yeux, la multitude de livres qui traitent de l’homme et de ses sentiments rendent habile sans expérience. On est détrompé sans avoir joui ; il reste encore des désirs, et l’on n’a plus d’illusions. L’imagination est riche, abondante et merveilleuse ; l’existence pauvre, sèche et désenchantée. On habite avec un cœur plein un monde vide, et sans avoir usé de rien on est désabusé de tout.

 

L’amertume que cet état de l’âme répand sur la vie est incroyable ; le cœur se retourne et se replie en cent manières, pour employer des forces qu’il sent lui être inutiles. Les anciens ont peu connu cette inquiétude secrète, cette aigreur des passions étouffées qui fermentent toutes ensemble : une grande existence politique, les jeux du gymnase et du Champ-de-Mars, les affaires du Forum et de la place publique, remplissaient leurs moments et ne laissaient aucune place aux ennuis du cœur.

 

D’une autre part, ils n’étaient pas enclins aux exagérations, aux espérances, aux craintes sans objets, à la mobilité des idées et des sentiments, à la perpétuelle inconstance, qui n’est qu’un dégoût constant ; dispositions que nous acquérons dans la société des femmes. Les femmes, indépendamment de la passion directe qu’elles font naître chez les peuples modernes, influent encore sur les autres sentiments. Elles ont dans leur existence un certain abandon qu’elles font passer dans le nôtre ; elles rendent notre caractère d’homme moins décidé, et nos passions, amollies par le mélange des leurs, prennent à la fois quelque chose d’incertain et de tendre.

 

Enfin, les Grecs et les Romains, n’étendant guère leurs regards au delà de la vie et ne soupçonnant point des plaisirs plus parfaits que ceux de ce monde, n’étaient point portés comme nous aux méditations et aux désirs par le caractère de leur culte. Formée pour nos misères et pour nos besoins, la religion chrétienne nous offre sans cesse le double tableau des chagrins de la terre et des joies célestes, et par ce moyen elle fait dans le cœur une source de maux présents et d’espérances lointaines, d’où découlent d’inépuisables rêveries. Le chrétien se regarde toujours comme un voyageur qui passe ici-bas dans une vallée de larmes et qui ne se repose qu’au tombeau. Le monde n’est point l’objet de ses vœux, car il sait que l’homme vit peu de jours, et que cet objet lui échapperait vite.

 

Les persécutions qu’éprouvèrent les premiers fidèles augmentèrent en eux ce dégoût des choses de la vie. L’invasion des barbares y mit le comble, et l’esprit humain en reçut une impression de tristesse et peut-être même une teinte de misanthropie qui ne s’est jamais bien effacée. De toutes parts s’élevèrent des couvents, où se retirèrent des malheureux trompés par le monde et des âmes qui aimaient mieux ignorer certains sentiments de la vie que de s’exposer à les voir cruellement trahis. Mais de nos jours, quand les monastères ou la vertu qui y conduit ont manqué à ces âmes ardentes, elles se sont trouvées étrangères au milieu des hommes. Dégoûtées par leur siècle, effrayées par leur religion, elles sont restées dans le monde sans se livrer au monde : alors elles sont devenues la proie de mille chimères ; alors on a vu naître cette coupable mélancolie qui s’engendre au milieu des passions, lorsque ces passions, sans objet, se consument d’elles-mêmes dans un cœur solitaire.

 

 

CHATEAUBRIAND, Génie du Christianisme ; Deuxième Partie - Poétique du Christianisme ; Livre 3 - Suite de la poésie dans ses rapports avec les hommes. Passions ; Chapitre IX - Du vague des Passions

 

La Mélancolie, Constance Charpentier (1767, Paris - 1849, Paris), Musée de Picardie, Amiens

La Mélancolie, Constance Charpentier (1767, Paris - 1849, Paris), Musée de Picardie, Amiens

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30 mai 2015 6 30 /05 /mai /2015 11:00

Non contente d’augmenter le jeu des passions dans le drame et dans l’épopée, la religion chrétienne est elle-même une sorte de passion, qui a ses transports, ses ardeurs, ses soupirs, ses joies, ses larmes, ses amours du monde et du désert.

 

Nous savons que le siècle appelle cela le fanatisme ; nous pourrions lui répondre par ces paroles de Rousseau : "Le fanatisme, quoique sanguinaire et cruel, est pourtant une passion grande et forte, qui élève le cœur de l’homme et qui lui fait mépriser la mort, qui lui donne un ressort prodigieux, et qu’il ne faut que mieux diriger pour en tirer les plus sublimes vertus ; au lieu que l’irréligion, et en général l’esprit raisonneur et philosophique, attache à la vie, effémine, avilit les âmes, concentre toutes les passions dans la bassesse de l’intérêt particulier, dans l’abjection du moi humain, et sape ainsi à petit bruit les vrais fondements de toute société : car ce que les intérêts particuliers ont de commun est si peu de chose qu’il ne balancera jamais ce qu’ils ont d’opposé."

 

Mais ce n’est pas encore là la question : il ne s’agit à présent que d’effets dramatiques. Or, le christianisme considéré lui-même comme passion fournit des trésors immenses au poète. Cette passion religieuse est d’autant plus énergique qu’elle est en contradiction avec toutes les autres, et que pour subsister il faut qu’elle les dévore. Comme toutes les grandes affections, elle a quelque chose de sérieux et de triste ; elle nous traîne à l’ombre des cloîtres et sur les montagnes. La beauté que le chrétien adore n’est pas une beauté périssable ; c’est cette éternelle beauté pour qui les disciples de Platon se hâtaient de quitter la terre. Elle ne se montre à ses amants ici-bas que voilée ; elle s’enveloppe dans les replis de l’univers comme dans un manteau ; car, si un seul de ses regards tombait directement sur le cœur de l’homme, il ne pourrait le soutenir : il se fondrait de délices.

 

Pour arriver à la jouissance de cette beauté suprême, les chrétiens prennent une autre route que les philosophes d’Athènes : ils restent dans ce monde afin de multiplier les sacrifices et de se rendre plus dignes, par une longue purification, de l’objet de leurs désirs.

 

Quiconque, selon l’expression des Pères, n’eut avec son corps que le moins de commerce possible et descendit vierge au tombeau, celui-là, délivré de ses craintes et de ses doutes, s’envole au lieu de vie, où il contemple à jamais ce qui est vrai, toujours le même et au-dessus de l’opinion. Que de martyrs cette espérance de posséder Dieu n’a-t-elle point faits ! Quelle solitude n’a point entendu les soupirs de ces rivaux qui se disputaient entre eux l’objet des adorations des séraphins et des anges ! Ici c’est un Antoine qui élève un autel au désert, et qui pendant quarante ans s’immole inconnu des hommes ; là c’est un saint Jérôme qui quitte Rome, traverse les mers, et va, comme Elie, chercher une retraite au bord du Jourdain. L’enfer ne l’y laisse pas tranquille, et la figure de Rome, avec tous ses charmes, lui apparaît pour le tourmenter. Il soutient des assauts terribles, il combat corps à corps avec ses passions. Ses armes sont les pleurs, les jeûnes, l’étude, la pénitence et surtout l’amour. Il se précipite aux pieds de la beauté divine, il lui demande de le secourir. Quelquefois, comme un forçat, il charge ses épaules d’un lourd fardeau, pour dompter une chair révoltée et éteindre dans les sueurs les infidèles désirs qui s’adressent à la créature.

 

Massillon, peignant cet amour, s’écrie : " Le Seigneur tout seul lui paraît bon, véritable, fidèle, constant dans ses promesses, aimable dans ses ménagements, magnifique dans ses dons, réel dans sa tendresse, indulgent même dans sa colère, seul assez grand pour remplir toute l’immensité de notre cœur, seul assez puissant pour en satisfaire tous les désirs, seul assez généreux pour en adoucir toutes les peines, seul immortel, et qu’on aimera toujours ; enfin le seul qu’on ne se repent jamais que d’avoir aimé trop tard."

 

L’auteur de l’Imitation de Jésus-Christ a recueilli chez saint Augustin et dans les autres Pères ce que le langage de l’amour divin a de plus mystique et de plus brûlant.

" Certes, l’amour est une grande chose, l’amour est un bien admirable, puisque lui seul rend léger ce qui est pesant, et qu’il souffre avec une égale tranquillité les divers accidents de cette vie : il porte sans peine ce qui est pénible, et il rend doux et agréable ce qui est amer.

" L’amour de Dieu est généreux, il pousse les âmes à de grandes actions, et les excite à désirer ce qu’il y a de plus parfait.

" L’amour tend toujours en haut, et il ne souffre point d’être retenu par les choses basses.

" L’amour veut être libre et dégagé des affections de la terre, de peur que sa lumière intérieure ne se trouve offusquée et qu’il ne se trouve ou embarrassé dans les biens, ou abattu par les maux du monde.

" Il n’y a rien, ni dans le ciel ni sur la terre, qui soit ou plus doux, ou plus fort, ou plus élevé, ou plus étendu, ou plus agréable, ou plus plein, ou meilleur que l’amour, parce que l’amour est né de Dieu, et que s’élevant au-dessus de toutes les créatures, il ne peut se reposer qu’en Dieu.

" Celui qui aime est toujours dans la joie : il court, il vole, il est libre, et rien ne le retient ; il donne tout pour tous et possède tout en tous, parce qu’il se repose dans ce bien unique et souverain qui est au-dessus de tout et d’où découlent et procèdent tous les biens.

" Il ne s’arrête jamais aux dons qu’on lui fait, mais il s’élève de tout son cœur vers celui qui les lui donne.

" Il n’y a que celui qui aime qui puisse comprendre les cris de l’amour, et ces paroles de feu qu’une âme vivement touchée de Dieu lui adresse lorsqu’elle lui dit : Vous êtes mon Dieu, vous êtes mon amour, vous êtes tout à moi et je suis toute à vous.

" Étendez mon cœur afin qu’il vous aime davantage, et que j’apprenne, par un goût intérieur et spirituel, combien il est doux de vous aimer, de nager et de se perdre, pour ainsi dire, dans cet océan de votre amour.

" Celui qui aime généreusement, ajoute l’auteur de l’Imitation, demeure ferme dans les tentations et ne se laisse point surprendre aux persuasions artificieuses de son ennemi."

 

Et c’est cette passion chrétienne, c’est cette querelle immense entre les amours de la terre et les amours du ciel, que Corneille a peint dans cette scène de Polyeucte (car ce grand homme, moins délicat que les esprits du jour, n’a pas trouvé le christianisme au-dessous de son génie) :

 

Polyeucte :

Si mourir pour son prince est un illustre sort,

Quand on meurt pour son Dieu, quelle sera la mort !

 

Pauline :

Quel Dieu ?

 

Polyeucte :

Tout beau, Pauline, il entend vos paroles ;

Et ce n’est pas un Dieu comme vos dieux frivoles,

Insensibles et sourds, impuissants, mutilés,

De bois, de marbre ou d’or, comme vous le voulez ;

C’est le Dieu des chrétiens, c’est le mien, c’est le vôtre,

Et la terre et le ciel n’en connaissent point d’autre.

 

Pauline :

Adorez-le dans l’âme et n’en témoignez rien.

 

Polyeucte :

Que je sois tout ensemble idolâtre et chrétien !

 

Pauline :

Ne feignez qu’un moment, laissez partir Sévère,

Et donnez lieu d’agir aux bontés de mon père.

 

Polyeucte :

Les bontés de mon Dieu sont bien plus à chérir :

Il m’ôte des dangers que j’aurais pu courir

Et, sans me laisser lieu de tourner en arrière,

Sa faveur me couronne, entrant dans la carrière ;

Du premier coup de vent il me conduit au port,

Et sortant du baptême il m’envoie à la mort.

Si vous pouviez comprendre et le peu qu’est la vie,

Et de quelles douceurs cette mort est suivie !

Seigneur, de vos bontés il faut que je l’obtienne,

Elle a trop de vertu pour n’être pas chrétienne ;

Avec trop de mérite il vous plut la former

Pour ne vous pas connaître et ne vous pas aimer,

Pour vivre des enfers esclave infortunée,

Et sous leur triste joug mourir comme elle est née !

 

Pauline :

Que dis-tu, malheureux ! qu’oses-tu souhaiter ?

 

Polyeucte :

Ce que de tout mon sang je voudrais acheter.

 

Pauline :

Que plutôt !…

 

Polyeucte :

C’est en vain qu’on se met en défense :

Ce Dieu touche les cœurs lorsque moins on y pense.

Ce bienheureux moment n’est pas encore venu ;

Il viendra, mais le temps ne m’en est pas connu.

 

Pauline :

Quittez cette chimère, et m’aimez.

 

Polyeucte :

Je vous aime

Beaucoup moins que mon Dieu, mais bien plus que moi-même.

 

Pauline :

Au nom de cet amour, ne m’abandonnez pas.

 

Polyeucte :

Au nom de cet amour, daignez suivre mes pas.

 

Pauline :

C’est peu de me quitter, tu veux donc me séduire ?

 

Polyeucte :

C’est peu d’aller au ciel, je veux vous y conduire.

 

Pauline :

Imaginations !

 

Polyeucte :

Célestes vérités !

 

Pauline :

Etrange aveuglement !

 

Polyeucte :

Eternelles clartés !

 

Pauline :

Tu préfères la mort à l’amour de Pauline !

 

Polyeucte :

Vous préférez le monde à la bonté divine.

 

Voilà ces admirables dialogues, à la manière de Corneille, où la franchise de la repartie, la rapidité du tour et la hauteur des sentiments ne manquent jamais de ravir le spectateur. Que Polyeucte est sublime dans cette scène ! Quelle grandeur d’âme, quel divin enthousiasme, quelle dignité ! La gravité et la noblesse du caractère chrétien sont marquées jusque dans ces vous opposés aux tu de la fille de Félix : cela seul met déjà tout un monde entre le martyr Polyeucte et la païenne Pauline.

 

Enfin, Corneille a déployé la puissance de la passion chrétienne dans ce dialogue admirable et toujours applaudi, comme parle Voltaire. Félix propose à Polyeucte de sacrifier aux faux dieux ; Polyeucte le refuse.

 

Félix :

Enfin ma bonté cède à ma juste fureur :

Adore-les, ou meurs !

 

Polyeucte :

Je suis chrétien.

 

Félix :

Impie !

Adore-les, te dis-je, ou renonce à la vie !

 

Polyeucte :

Je suis chrétien.

 

Félix :

Tu l’es ? Ô cœur trop obstiné !

Soldats, exécutez l’ordre que j’ai donné.

 

Pauline :

Où le conduisez-vous ?

 

Félix :

A la mort.

 

Polyeucte :

A la gloire !

 

Ce mot, je suis chrétien, deux fois répété, égale les plus beaux mots des Horaces. Corneille, qui se connaissait si bien en sublime, a senti que l’amour pour la religion pouvait s’élever au dernier degré d’enthousiasme, puisque le chrétien aime Dieu comme sa souveraine beauté et le ciel comme sa patrie.

 

Qu’on essaye maintenant de donner à un idolâtre quelque chose de l’ardeur de Polyeucte. Sera-ce pour une déesse impudique qu’il se passionnera, ou pour un dieu abominable qu’il courra à la mort ? Les religions qui peuvent échauffer les âmes sont celles qui se rapprochent plus ou moins du dogme de l’unité d’un Dieu ; autrement, le cœur et l’esprit partagés entre une multitude de divinités ne peuvent aimer fortement ni les unes ni les autres. Il ne peut, en outre, y avoir d’amour durable que pour la vertu. La passion dominante de l’homme sera toujours la vérité ; quand il aime l’erreur, c’est que cette erreur, au moment qu’il y croit, est pour lui comme une chose vraie. Nous ne chérissons pas le mensonge, bien que nous y tombions sans cesse ; cette faiblesse ne nous vient que de notre dégradation originelle : nous avons perdu la puissance en conservant le désir, et notre cœur cherche encore la lumière que nos yeux n’ont plus la force de supporter.

 

La religion chrétienne, en nous rouvrant, par les mérites du Fils de l’homme, les routes éclatantes que la mort avait couvertes de ses ombres, nous a rappelés à nos primitives amours. Héritier des bénédictions de Jacob, le chrétien brûle d’entrer dans cette Sion céleste vers qui monte ses soupirs. Et c’est cette passion que nos poètes peuvent chanter, à l’exemple de Corneille ; source de beautés que les anciens temps n’ont point connue et que n’auraient pas négligée les Sophocle et les Euripide.

 

 

CHATEAUBRIAND, Génie du Christianisme ; Deuxième Partie - Poétique du Christianisme ; Livre 3 - Suite de la poésie dans ses rapports avec les hommes. Passions ; Chapitre VIII - La Religion chrétienne considérée elle-même comme passion

 

Génie du christianisme - La Religion chrétienne considérée elle-même comme passion
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29 mai 2015 5 29 /05 /mai /2015 11:00

Le vieillard, assis sur la montagne, fait l’histoire des deux familles exilées ; il raconte les travaux, les amours, les soucis de leur vie :

 

Paul et Virginie n’avaient ni horloges, ni almanachs, ni livres de chronologie, d’histoire et de philosophie. Les périodes de leur vie se réglaient sur celles de la nature. Ils connaissaient les heures du jour par l’ombre des arbres ; les saisons par le temps où elles donnent leurs fleurs ou leurs fruits, et les années par le nombre de leurs récoltes. Ces douces images répandaient les plus grands charmes dans leurs conversations. "Il est temps de dîner, disait Virginie à la famille : les ombres des bananiers sont à leurs pieds", ou bien "La nuit s’approche : les tamarins ferment leurs feuilles. — Quand viendrez-vous nous voir ? lui disaient quelques amies du voisinage. — Aux cannes de sucre, répondait Virginie. — Votre visite nous sera encore plus douce et plus agréable" reprenaient ces jeunes filles. Quand on l’interrogeait sur son âge et sur celui de Paul : "Mon frère, disait-elle, est de l’âge du grand cocotier de la fontaine, et moi de celui du plus petit. Les manguiers ont donné douze fois leurs fruits, et les orangers vingt-quatre fois leurs fleurs, depuis que je suis au monde". Leur vie semblait attachée à celle des arbres, comme celle des faunes et des dryades. Ils ne connaissaient d’autres époques historiques que celles de la vie de leurs mères, d’autre chronologie que celle de leurs vergers, et d’autre philosophie que de faire du bien à tout le monde et de se résigner à la volonté de Dieu.

Quelquefois, seul avec elle (Virginie), il (Paul) lui disait au retour de ses travaux : "Lorsque je suis fatigué, ta vue me délasse. Quand du haut de la montagne je t’aperçois au fond de ce vallon, tu me parais au milieu de nos vergers, comme un bouton de rose.

Quoique je te perde de vue à travers les arbres, je n’ai pas besoin de te voir pour te retrouver : quelque chose de toi que je ne puis dire reste pour moi dans l’air où tu passes, sur l’herbe où tu t’assieds.

Dis-moi par quel charme tu as pu m’enchanter. Est-ce par ton esprit ? Mais nos mères en ont plus que nous deux. Est-ce par tes caresses ? Mais elles m’embrassent plus souvent que toi. Je crois que c’est par ta bonté. Tiens, ma bien-aimée, prends cette branche fleurie de citronnier, que j’ai cueillie dans la forêt. Tu la mettras la nuit près de ton lit. Mange ce rayon de miel je l’ai pris pour toi au haut d’un rocher, mais auparavant repose-toi sur mon sein, et je serai délassé."

Virginie lui répondait : " Ô mon frère ! les rayons de soleil au matin, au haut de ces rochers, me donnent moins de joie que ta présence.

Tu me demandes pourquoi tu m’aimes ? Mais tout ce qui a été élevé ensemble s’aime. Vois nos oiseaux : élevés dans les mêmes nids, ils s’aiment comme nous ; ils sont toujours ensemble comme nous. Ecoute comme ils s’appellent et se répondent d’un arbre à un autre. De même, quand l’écho me fait entendre les airs que tu joues sur ta flûte, j’en répète les paroles au fond de ce vallon.

Je prie Dieu tous les jours pour ma mère, pour la tienne, pour toi, pour nos pauvres serviteurs ; mais quand je prononce ton nom, il me semble que ma dévotion augmente. Je demande si instamment à Dieu qu’il ne t’arrive pas de mal ! Pourquoi vas-tu si loin et si haut me chercher des fruits et des fleurs ? N’en avons-nous pas assez dans le jardin ! Comme te voilà fatigué ! tu es tout en nage". Et avec son petit mouchoir blanc elle lui essuyait le front et les joues, et elle lui donnait plusieurs baisers.

 

Ce qu’il nous importe d’examiner dans cette peinture, ce n’est pas pourquoi elle est supérieure au tableau de Galatée (supériorité trop évidente pour n’être pas reconnue de tout le monde), mais pourquoi elle doit son excellence à la religion, et en un mot comment elle est chrétienne.

 

Il est certain que le charme de Paul et Virginie consiste en une certaine morale mélancolique, qui brille dans l’ouvrage, et qu’on pourrait comparer à cet éclat uniforme que la lune répand sur une solitude parée de fleurs. Or, quiconque a médité l’Evangile doit convenir que ses préceptes divins ont précisément ce caractère triste et tendre. Bernardin de Saint-Pierre, qui dans ses Etudes de la Nature cherche à justifier les voies de Dieu et à prouver la beauté de la religion, a dû nourrir son génie de la lecture des livres saints. Son églogue n’est si touchante que parce qu’elle représente deux familles chrétiennes exilées, vivant sous les yeux du Seigneur, entre sa parole dans la Bible et ses ouvrages dans le désert. Joignez-y l’indigence et ces infortunes de l’âme dont la religion est le seul remède, et vous aurez tout le sujet du poème. Les personnages sont aussi simples que l’intrigue : ce sont deux beaux enfants dont on aperçoit le berceau et la tombe, deux fidèles esclaves et deux pieuses maîtresses. Ces honnêtes gens ont un historien digne de leur vie : un vieillard demeuré seul dans la montagne, et qui survit à ce qu’il aima, raconte à un voyageur les malheurs de ses amis, sur les débris de leurs cabanes.

 

Ajoutons que ces bucoliques australes sont pleines du souvenir des Ecritures. Là c’est Ruth, là Séphora, ici Eden et nos premiers pères : ces sacrées réminiscences vieillissent pour ainsi dire les mœurs du tableau, en y mêlant les mœurs de l’antique Orient. La messe, les prières, les sacrements, les cérémonies de l’Église, que l’auteur rappelle à tous moments, augmentent aussi les beautés religieuses de l’ouvrage. Le songe de madame de La Tour n’est-il pas essentiellement lié à ce que nos dogmes ont de plus grand et de plus attendrissant ? On reconnaît encore le chrétien dans ces préceptes de résignation à la volonté de Dieu, d’obéissance à ses parents, de charité envers les pauvres, en un mot dans cette douce théologie que respire le poème de Bernardin de Saint-Pierre. Il y a plus ; c’est en effet la religion qui détermine la catastrophe : Virginie meurt pour conserver une des premières vertus recommandées par l’Evangile. Il eût été absurde de faire mourir une Grecque pour ne vouloir pas dépouiller ses vêtements. Mais l’amante de Paul est une vierge chrétienne, et le dénouement, ridicule sous une croyance moins pure, devient ici sublime.

 

Enfin, cette pastorale ne ressemble ni aux idylles de Théocrite, ni aux églogues de Virgile, ni tout à fait aux grandes scènes rustiques d’Hésiode, d’Homère et de la Bible ; mais elle rappelle quelque chose d’ineffable, comme la parabole du bon Pasteur, et l’on sent qu’il n’y a qu’un chrétien qui ait pu soupirer les évangéliques amours de Paul et de Virginie.

 

On nous fera peut-être une objection : on dira que ce n’est pas le charme emprunté des livres saints qui donne à Bernardin de Saint-Pierre la supériorité sur Théocrite, mais son talent pour peindre la nature. Eh bien, nous répondrons qu’il doit encore ce talent, ou du moins le développement de ce talent, au christianisme ; car cette religion, chassant de petites divinités des bois et des eaux, a seule rendu au poète la liberté de représenter les déserts dans leur majesté primitive.

 

C’est ce que nous essayerons de prouver quand nous traiterons de la mythologie ; à présent nous allons continuer notre examen des passions.

 

 

CHATEAUBRIAND, Génie du Christianisme ; Deuxième Partie - Poétique du Christianisme ; Livre 3 - Suite de la poésie dans ses rapports avec les hommes. Passions ; Chapitre VII - Paul et Virginie

 

Paul et Virginie, Pharamond Blanchard (1805, La Guillotière - 1873, Paris)

Paul et Virginie, Pharamond Blanchard (1805, La Guillotière - 1873, Paris)

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