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"Je vous donne un commandement nouveau : c'est de vous aimer les uns les autres.

 

Comme je vous ai aimés, vous aussi aimez-vous les uns les autres.

 

Ce qui montrera à tous les hommes que vous êtes mes disciples, c'est l'amour que vous aurez les uns pour les autres."

 

Evangile de Jésus-Christ selon  saint Jean 

   

 

Pentecôte

" Le Défenseur, l'Esprit Saint que le Père enverra en mon nom, lui, vous enseignera tout, et il vous fera souvenir de tout ce que je vous ai dit."

 

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean  

 

   

 

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Saint Père François

 

 

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1er mai 2011 Béatification de Jean-Paul II

Béatification du Serviteur de Dieu Jean-Paul II

 

 

  Béatification du Père Popieluszko

beatification Mass, in Warsaw, Poland

à Varsovie, 6 juin 2010, Dimanche du Corps et du Sang du Christ

 

 

presidential palace in Warsaw

Varsovie 2010

 

 

Basilique du Sacré-Cœur de Montmartre
Sanctuaire de l'Adoration Eucharistique et de la Miséricorde Divine

La miséricorde de Dieu est comme un torrent débordé. Elle entraîne les cœurs sur son passage.
(Saint Curé d'Ars)
 

 


Le côté du Christ a été transpercé et tout le mystère de Dieu sort de là. C’est tout le mystère de Dieu qui aime, qui se livre jusqu’au bout, qui se donne jusqu’au bout. C’est le don le plus absolu qui soit. Le don du mystère trinitaire est le cœur ouvert. Ce n’est pas une image, c’est une réalité. C’est la réalité la plus profonde qui soit, la réalité de l’amour.
Père Marie-Joseph Le Guillou




Dans le cœur transpercé
de Jésus sont unis
le Royaume du Ciel
et la terre d'ici-bas
la source de la vie
pour nous se trouve là.

Ce cœur est cœur divin
Cœur de la Trinité
centre de convergence
de tous les cœur humains
il nous donne la vie
de la Divinité.


Sainte Thérèse Bénédicte de la Croix
(Edith Stein)



Le Sacré-Cœur représente toutes les puissances d'aimer, divines et humaines, qui sont en Notre-Seigneur.
Père Marie-Eugène de l'Enfant Jésus

 



feuille d'annonces de la Basilique du Sacré-Coeur de Montmartre

 

 

 

 

 

 

 

     

The Cambrai Madonna

Notre Dame de Grâce

Cathédrale de Cambrai

 

 

 

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Ordinations du samedi 27 juin 2009 à Notre Dame de Paris


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Solennité de l’Immaculée Conception de la Vierge Marie à Notre-Dame de Paris


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... ma vocation, enfin je l’ai trouvée, ma vocation, c’est l’Amour !

 

 

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SAINT PIERRE ET SAINT ANDRÉ

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Benedict XVI and Cypriot Archbishop Chrysostomos, Church of 

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SALVE REGINA

28 mai 2015 4 28 /05 /mai /2015 11:30

Nous prendrons pour objet de comparaison chez les anciens, dans les amours champêtres, l’idylle du Cyclope et de Galatée. Ce poème est un des chefs-d’œuvre de Théocrite ; celui de la Magicienne lui est peut-être supérieur par l’ardeur de la passion, mais il est moins pastoral.

 

Le Cyclope, assis sur un rocher, aux bords des mers de Sicile, chante ainsi ses déplaisirs, en promenant ses yeux sur les flots :

Charmante Galatée, pourquoi repousser les soins d’un amant, toi dont le visage est blanc comme le lait pressé dans mes corbeilles de jonc ; toi qui es plus tendre que l’agneau, plus voluptueuse que la génisse, plus fraîche que la grappe non encore amollie par les feux du jours. Tu te glisses sur ces rivages lorsque le doux sommeil m’enchaîne ; tu fuis lorsque le doux sommeil me fuit ; tu me redoutes comme l’agneau craint le loup blanchi par les ans. Je n’ai cessé de t’adorer depuis le jour que tu vins avec ma mère ravir les jeunes hyacinthes à la montagne : c’était moi qui te traçais le chemin. Depuis ce moment, après ce moment, et encore aujourd’hui, vivre sans toi m’est impossible. Et cependant te soucies-tu de ma peine ? au nom de Jupiter te soucies-tu de ma peine ?… Mais tout hideux que je suis, j’ai pourtant mille brebis dont ma main presse les riches mamelles et dont je bois le lait écumant. L’été, l’automne et l’hiver trouvent toujours des fromages dans ma grotte ; mes réseaux en sont toujours pleins. Nul Cyclope ne pourrait aussi bien que moi te chanter sur la flûte, ô vierge nouvelle ! Nul ne saurait avec autant d’art, la nuit, durant les orages, célébrer tous tes attraits.

 

Pour toi je nourris onze biches, qui sont prêtes à donner leurs faons. J’élève aussi quatre oursins, enlevés à leurs mères sauvages : viens, tu posséderas ces richesses. Laisse la mer se briser follement sur ses grèves ; tes nuits seront plus heureuses si tu les passes à mes côtés dans mon antre. Des lauriers et des cyprès allongés y murmurent ; le lierre noir et la vigne chargée de grappes en tapissent l’enfoncement obscur ; tout auprès coule une onde fraîche, source que l’Etna blanchi verse de ses sommets de neiges et de ses flancs couverts de brunes forêts. Quoi ! préférerais-tu encore les mers et leurs mille vagues ? Si ma poitrine hérissée blesse ta vue, j’ai du bois de chêne et des restes de feux épandus sous la cendre ; brûle même (tout me sera doux de ta main), brûle, si tu le veux, mon œil unique, cet œil qui m’est plus cher que la vie. Hélas ! que ma mère ne m’a-t-elle donné, comme au poisson, des rames légères pour fendre les ondes ! Oh ! comme je descendrais vers ma Galatée ! comme je baiserais sa main, si elle me refusait ses lèvres ! Oui, je te porterais ou des lis blancs, ou de tendres pavots à feuilles de pourpre ; les premiers croissent en été, et les autres fleurissent en hiver : ainsi je ne pourrais te les offrir en même temps…

 

C’était de la sorte que Polyphème appliquait sur la blessure de son cœur le dictame immortel des Muses, soulageant ainsi plus doucement sa vie que par tout ce qui s’achète au poids de l’or.

 

Cette idylle respire la passion. Le poète ne pouvait faire un choix de mots plus délicats ni plus harmonieux. Le dialecte dorique ajoute encore à ces vers un ton de simplicité qu’on ne peut faire passer dans notre langue. Par le jeu d’une multitude d’A et d’une prononciation large et ouverte, on croirait sentir le calme des tableaux de la nature et entendre le parler naïf d’un pasteur.

 

Observez ensuite le naturel des plaintes du Cyclope. Polyphème parle du cœur, et l’on ne se doute pas un moment que ses soupirs ne sont que l’imitation d’un poète. Avec quelle naïveté passionnée le malheureux amant ne fait-il point la peinture de sa propre laideur ? Il n’y a pas jusqu’à cet œil effroyable dont Théocrite n’ait su tirer un trait touchant : tant est vraie la remarque d’Aristote, si bien rendue par ce Despréaux, qui eut du génie à force d’avoir de la raison :

D’un pinceau délicat l’artifice agréable

Du plus affreux objet fait un objet aimable.

 

On sait que les modernes, et surtout les Français, ont peu réussi dans le genre pastoral. Cependant Bernardin de Saint-Pierre nous semble avoir surpassé les bucoliastes de l’Italie et de la Grèce. Son roman, ou plutôt son poème de Paul et Virginie, est du petit nombre de ces livres qui deviennent assez antiques en peu d’années pour qu’on ose les citer sans craindre de compromettre son jugement.

 

 

CHATEAUBRIAND, Génie du Christianisme ; Deuxième Partie - Poétique du Christianisme ; Livre 3 - Suite de la poésie dans ses rapports avec les hommes. Passions ; Chapitre VI - Amour champêtre. — Le Cyclope et Galatée

 

Galatée, Robert Le Lorrain

Galatée, Robert Le Lorrain

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22 mai 2015 5 22 /05 /mai /2015 11:00

Julie a été ramenée à la religion par des malheurs ordinaires : elle est restée dans le monde, et, contrainte de lui cacher sa passion, elle se réfugie en secret auprès de Dieu, sûre qu’elle est de trouver dans ce père indulgent une pitié que lui refuseraient les hommes. Elle se plaît à se confesser au tribunal suprême, parce que lui seul la peut absoudre, et peut-être aussi (reste involontaire de faiblesse !) parce que c’est toujours parler de son amour.

 

Si nous trouvons tant de charmes à révéler nos peines à quelque homme supérieur, à quelque conscience tranquille qui nous fortifie et nous fasse participer au calme dont elle jouit, quelles délices n’est-ce pas de parler de passions à l’Être impassible que nos confidences ne peuvent troubler, de faiblesse à l’Être tout-puissant qui peut nous donner un peu de sa force ! On conçoit les transports de ces hommes saints qui, retirés sur le sommet des montagnes, mettaient toute leur vie aux pieds de Dieu, perçaient à force d’amour les voûtes de l’éternité, et parvenaient à contempler la lumière primitive. Julie, sans le savoir, approche de sa fin, et les ombres du tombeau, qui commencent à s’entrouvrir pour elle, laissent éclater à ses yeux un rayon de l’excellence divine. La voix de cette femme mourante est douce et triste ; ce sont les derniers bruits du vent qui va quitter les forêts, les derniers murmures d’une mer qui déserte ses rivages.

 

La voix d’Héloïse a plus de force. Femme d’Abeilard, elle vit, et elle vit pour Dieu. Ses malheurs ont été aussi imprévus que terribles. Précipitée du monde au désert, elle est entrée soudaine, et avec tous ses feux, dans les glaces monastiques. La religion et l’amour exercent à la fois leur empire sur son cœur : c’est la nature rebelle toute vivante par la grâce, et qui se débat vainement dans les embrassements du ciel. Donnez Racine pour interprète à Héloïse, et le tableau de ses souffrances va mille fois effacer celui des malheurs de Didon par l’effet tragique, le lieu de la scène et je ne sais quoi de formidable que le christianisme imprime aux objets où il mêle sa grandeur.

 

Hélas ! tels sont les lieux où, captive, enchaînée,

Je traîne dans les pleurs ma vie infortunée.

Cependant, Abeilard, dans cet affreux séjour,

Mon cœur s’enivre encor du poison de l’amour.

Je n’y dois mes vertus qu’à ta funeste absence,

Et j’ai maudit cent fois ma pénible innocence.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

O funeste ascendant ! ô joug impérieux !

Quels sont donc mes devoirs, et qui suis-je en ces lieux ?

Perfide ! de quel nom veux-tu que l’on te nomme ?

Toi, l’épouse d’un Dieu, tu brûles pour un homme !

Dieu cruel, prends pitié du trouble où tu me vois,

A mes sens mutinés ose imposer tes lois.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Le pourras-tu ? grand Dieu ! mon désespoir, mes larmes,

Contre un cher ennemi te demandent des armes,

Et cependant, livrée à de contraires vœux,

Je crains plus tes bienfaits que l’excès de mes feux.

 

Il était impossible que l’antiquité fournit une pareille scène, parce qu’elle n’avait pas une pareille religion. On aura beau prendre pour héroïne une vestale grecque ou romaine, jamais on n’établira ce combat entre la chair et l’esprit, qui fait le merveilleux de la position d’Héloïse et qui appartient au dogme et à la morale du christianisme. Souvenez-vous que vous voyez ici réunies la plus fougueuse des passions et une religion menaçante qui n’entre jamais en traité avec nos penchants. Héloïse aime, Héloïse brûle ; mais là s’élèvent des murs glacés, là tout s’éteint sous des marbres insensibles, là des flammes éternelles ou des récompenses sans fin attendent sa chute ou son triomphe. Il n’y a point d’accommodement à espérer : la créature et le Créateur ne peuvent habiter ensemble dans la même âme. Didon ne perd qu’un amant ingrat. Oh ! qu’Héloïse est travaillée d’un tout autre soin ! il faut qu’elle choisisse entre Dieu et un amant fidèle dont elle a causé les malheurs ! Et qu’elle ne croie pas pouvoir détourner secrètement au profit d’Abeilard la moindre partie de son cœur : le Dieu de Sinaï est un Dieu jaloux, un Dieu qui veut être aimé de préférence ; il punit jusqu’à l’ombre d’une pensée, jusqu’au songe qui s’adresse à d’autres qu’à lui.

 

Nous nous permettrons de relever ici une erreur de Colardeau, parce qu’elle tient de l’esprit de son siècle et qu’elle peut jeter quelque lumière sur le sujet que nous traitons. Son épître d’Héloïse a une teinte philosophique qui n’est point dans l’original de Pope. Après le morceau que nous avons cité, on lit ces vers :

 

Chères sœurs, de mes fers compagnes innocentes

Sous ces portiques saints colombes gémissantes,

Vous qui ne connaissez que ces faibles vertus

Que la religion donne… et que je n’ai plus ;

Vous qui, dans les langueurs d’un esprit monastique,

Ignorez de l’amour l’empire tyrannique ;

Vous, enfin, qui, n’ayant que Dieu seul pour amant,

Aimez par habitude et non par sentiment,

Que vos cœurs sont heureux, puisqu’ils sont insensibles !

Tous vos jours sont sereins, toutes vos nuits paisibles ;

Le cri des passions n’en trouble point le cours.

Ah ! qu’Héloïse envie et vos nuits et vos jours !

 

Ces vers, qui d’ailleurs ne manquent point d’abandon et de mollesse, ne sont point de l’auteur anglais. On en découvre à peine quelques traces dans ce passage, que nous traduisons mot à mot :

Heureuse la vierge sans tache qui oublie le monde et que le monde oublie ! L’éternelle joie de son âme est de sentir que toutes ses prières sont exaucées, tous ses vœux résignés. Le travail et le repos partagent également ses jours ; son sommeil facile cède sans effort aux pleurs et aux veilles. Ses désirs sont réglés, ses goûts toujours les mêmes ; elle s’enchante par ses larmes, et ses soupirs sont pour le ciel. La grâce répand autour d’elle ses rayons les plus sereins ; des anges lui soufflent tout bas les plus beaux songes. Pour elle l’époux prépare l’anneau nuptial ; pour elle de blanches vestales entonnent des chants d’hyménée ; c’est pour elle que fleurit la rose d’Eden, qui ne se fane jamais, et que les séraphins répandent les parfums de leurs ailes. Elle meurt enfin au son des harpes célestes, et s’évanouit dans les visions d’un jour éternel.

 

Nous sommes encore à comprendre comment un poète a pu se tromper au point de substituer à cette description un lieu commun sur les langueurs monastiques. Qui ne sent combien elle est belle et dramatique, cette opposition que Pope a voulu faire entre les chagrins et l’amour d’Héloïse, et le calme et la chasteté de la vie religieuse ? Qui ne sent combien cette transition repose agréablement l’âme agitée par les passions, et quel nouveau prix elle donne ensuite aux mouvements renaissants de ces mêmes passions ? Si la philosophie est bonne à quelque chose, ce n’est sûrement pas au tableau des troubles du cœur, puisqu’elle est directement inventée pour les apaiser. Héloïse philosophant sur les faibles vertus de la religion ne parle ni comme la vérité, ni comme son siècle, ni comme la femme, ni comme l’amour : on ne voit que le poète, et, ce qui est pire encore, l’âge des sophismes et de la déclamation.

 

C’est ainsi que l’esprit irréligieux détruit la vérité et gâte les mouvements de la nature. Pope, qui touchait à de meilleurs temps, n’est pas tombé dans la faute de Colardeau. Il conservait la bonne tradition du siècle de Louis XIV, dont le siècle de la reine Anne ne fut qu’une espèce de prolongement ou de reflet. Revenons aux idées religieuses, si nous attachons quelque prix aux œuvres du génie : la religion est la vraie philosophie des beaux-arts, parce qu’elle ne sépare point, comme la sagesse humaine, la poésie de la morale et la tendresse de la vertu.

 

Au reste, il y aurait d’autres observations intéressantes à faire sur Héloïse, par rapport à la maison solitaire où la scène se trouve placée. Ces cloîtres, ces voûtes, ces tombeaux, ces mœurs austères en contraste avec l’amour, en doivent augmenter la force et la tristesse. Autre chose est de consumer promptement sa vie sur un bûcher, comme la reine de Carthage ; autre chose de se brûler avec lenteur, comme Héloïse, sur l’autel de la religion.

 

Mais comme dans la suite nous parlerons beaucoup des monastères, nous sommes forcé, pour éviter les répétitions, de nous arrêter ici.

 

 

CHATEAUBRIAND, Génie du Christianisme ; Deuxième Partie - Poétique du Christianisme ; Livre 3 - Suite de la poésie dans ses rapports avec les hommes. Passions ; Chapitre V - Héloïse et Abeilard

 

Le Vœu d'Héloïse, Pedro Américo, Museu Nacional de Belas Artes, Rio de Janeiro

Le Vœu d'Héloïse, Pedro Américo, Museu Nacional de Belas Artes, Rio de Janeiro

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20 mai 2015 3 20 /05 /mai /2015 11:00

Nous changeons de couleurs : l’amour passionné, terrible dans la Phèdre chrétienne, ne fait plus entendre chez la dévote Julie que de mélodieux soupirs : c’est une voix troublée qui sort du sanctuaire de paix, un cri d’amour que prolonge, en l’adoucissant, l’écho religieux des tabernacles.

 

Le pays des chimères est en ce monde le seul digne d’être habité ; et tel est le néant des choses humaines, que hors l’Etre existant par lui-même, il n’y a rien de beau que ce qui n’est pas. Une langueur secrète s’insinue au fond de mon cœur ; je le sens vide et gonflé, comme vous disiez autrefois du vôtre ; l’attachement que j’ai pour ce qui m’est cher ne suffit pas pour l’occuper : il lui reste une force inutile dont il ne sait que faire. Cette peine est bizarre, j’en conviens, mais elle n’est pas moins réelle. Mon ami, je suis trop heureuse, le bonheur m’ennuie. Ne trouvant donc rien ici-bas qui lui suffise, mon âme avide cherche ailleurs de quoi la remplir ; en s’élevant à la source du sentiment et de l’être, elle y perd sa sécheresse et sa langueur : elle y renaît, elle s’y ranime, elle y trouve un nouveau ressort, elle y puise une nouvelle vie ; elle y prend une autre existence, qui ne tient plus aux passions du corps, ou plutôt elle n’est plus en moi-même, elle est toute dans l’Etre immense qu’elle contemple ; et, dégagée un moment de ses entraves, elle se console d’y rentrer, par cet essai d’un état plus sublime qu’elle espère être un jour le sien.

En songeant à tous les bienfaits de la Providence, j’ai honte d’être sensible à de si faibles chagrins et d’oublier de si grandes grâces.

Quand la tristesse m’y suit malgré moi, quelques pleurs versés dans celui qui console soulagent mon cœur à l’instant. Mes réflexions ne sont jamais amères ni douloureuses, mon repentir même est exempt d’alarmes ; mes fautes me donnent moins d’effroi que de honte : j’ai des regrets et non des remords.

Le Dieu que je sers est un Dieu clément, un père ; qui me touche, c’est sa bonté : elle efface à mes yeux tous ses autres attributs ; elle est le seul que je conçois. Sa puissance m’étonne, son immensité me confond, sa justice… Il a fait l’homme faible ; puisqu’il est juste, il est clément. Le Dieu vengeur est le Dieu des méchants. Je ne puis ni le craindre pour moi ni l’implorer contre un autre. Ô Dieu de paix, Dieu de bonté ! c’est toi que j’adore : c’est de toi, je le sens, que je suis l’ouvrage, et j’espère te retrouver au jugement dernier tel que tu parles à mon cœur durant la vie.

 

Comme l’amour et la religion sont heureusement mêlés dans ce tableau ! Ce style, ces sentiments n’ont point de modèle dans l’antiquité. Il faudrait être insensé pour repousser un culte qui fait sortir du cœur des accents si tendres, et qui a, pour ainsi dire, ajouté de nouvelles cordes à l’âme.

 

Voulez-vous un autre exemple de ce nouveau langage des passions, inconnu sous le polythéisme. Ecoutez parler Clémentine ; ses expressions sont peut-être encore plus naturelles, plus touchantes et plus sublimement naïves que celles de Julie :

 

Je consens, monsieur, du fond de mon cœur (c’est très sérieusement, comme vous voyez), que vous n’ayez que de la haine, du mépris, de l’horreur pour la malheureuse Clémentine ; mais je vous conjure, pour l’intérêt de votre âme immortelle, de vous attacher à la véritable l’Église. Eh bien, monsieur, que me répondez-vous (en suivant de son charmant visage le mien, que je tenais encore tourné, car je ne me sentais pas la force de la regarder) ? Dites, monsieur, que vous y consentez ; je vous ai toujours cru le cœur honnête et sensible : dites qu’il se rend à la vérité. Ce n’est pas pour moi que je vous sollicite ; je vous ai déclaré que je prends le mépris pour mon partage : il ne sera pas dit que vous vous serez rendu aux instances d’une femme ; non, monsieur, votre seule conscience en aura l’honneur. Je ne vous cacherai point ce que je médite pour moi-même. Je demeurerai dans une paix profonde (elle se leva ici avec un air de dignité, que l’esprit de religion semblait encore augmenter), et lorsque l’ange de la mort paraîtra, je lui tendrai la main : Approche, lui dirai-je, ô toi, ministre de paix ! je te suis au rivage où je brûle d’arriver, et j’y vais retenir une place pour l’homme à qui je ne la souhaite pas de longtemps, mais auprès duquel je veux être éternellement assise.

 

Ah ! le christianisme est surtout un baume pour nos blessures quand les passions, d’abord soulevées dans notre sein, commencent à s’apaiser, ou par l’infortune, ou par la durée. Il endort la douleur, il fortifie la résolution chancelante, il prévient les rechutes, en combattant, dans une âme à peine guérie, le dangereux pouvoir des souvenirs ; il nous environne de paix et de lumière ; il rétablit pour nous cette harmonie des choses célestes que Pythagore entendait dans le silence de ses passions. Comme il promet toujours une récompense pour un sacrifice, on croit ne rien lui céder en lui cédant tout ; comme il offre à chaque pas un objet plus beau à nos désirs, il satisfait à l’inconstance naturelle de nos cœurs : on est toujours avec lui dans le ravissement d’un amour qui commence, et cet amour a cela d’ineffable, que ses mystères sont ceux de l’innocence et de la pureté.

 

 

CHATEAUBRIAND, Génie du Christianisme ; Deuxième Partie - Poétique du Christianisme ; Livre 3 - Suite de la poésie dans ses rapports avec les hommes. Passions ; Chapitre IV - Julie d’Etange ; Clémentine

 

Génie du christianisme - Julie d’Etange ; Clémentine
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19 mai 2015 2 19 /05 /mai /2015 11:00

Nous pourrions nous contenter d’opposer à Didon la Phèdre de Racine, plus passionnée que la reine de Carthage : elle n’est en effet qu’une épouse chrétienne.

 

La crainte des flammes vengeresses et de l’éternité formidable de notre enfer perce à travers le rôle de cette femme criminelle, et surtout dans la scène de la jalousie, qui, comme on le sait, est de l’invention du poète moderne. L’inceste n’était pas une chose si rare et si monstrueuse chez les anciens pour exciter de pareilles frayeurs dans le cœur du coupable. Sophocle fait mourir Jocaste, il est vrai, au moment où elle apprend son crime, mais Euripide la fait vivre longtemps après. Si nous en croyons Tertullien, les malheurs d’Oedipe n’excitaient chez les Macédoniens que les plaisanteries des spectateurs. Virgile ne place pas Phèdre aux enfers, mais seulement dans ces bocages de myrtes, dans ces champs des pleurs, lugentes campi, où vont errant ces amantes qui même dans la mort n’ont pas perdu leurs soucis :

Curae non ipsa in morte reliquunt.

 

Aussi la Phèdre d’Euripide, comme celle de Sénèque, craint-elle plus Thésée que le Tartare. Ni l’une ni l’autre ne parle, comme la Phèdre de Racine :

 

Moi jalouse ! et Thésée est celui que j’implore !

Mon époux est vivant : et moi je brûle encore !

Pour qui ? quel est le cœur où prétendent mes vœux ?

Chaque mot sur mon front fait dresser mes cheveux.

Mes crimes désormais ont comblé la mesure :

Je respire à la fois l’inceste et l’imposture.

Mes homicides mains, promptes à me venger,

Dans le sang innocent brûlent de se plonger.

Misérable ! et je vis ! et je soutiens la vue

De ce sacré soleil dont je suis descendue !

J’ai pour aïeul le père et le maître des dieux ;

Le ciel, tout l’univers est plein de mes aïeux :

Où me cacher ? Fuyons dans la nuit infernale.

Mais que dis-je ! mon père y tient l’urne fatale ;

Le sort, dit-on, l’a mise en ses sévères mains :

Minos juge aux Enfers tous les pâles humains.

Ah ! combien frémira son ombre épouvantée

Lorsqu’il verra sa fille à ses yeux présentée,

Contrainte d’avouer tant de forfaits divers

Et des crimes peut-être inconnus aux Enfers !

Que diras-tu, mon père, à ce spectacle horrible ?

Je crois voir de ta main tomber l’urne terrible ;

Je crois te voir cherchant un supplice nouveau,

Toi-même de ton sang devenir le bourreau !

Pardonne. Un dieu cruel a perdu ta famille :

Reconnais sa vengeance aux fureurs de ta fille.

Hélas ! du crime affreux dont la honte me suit

Jamais mon triste cœur n’a recueilli le fruit.

 

Cet incomparable morceau offre une gradation de sentiments, une science de la tristesse, des angoisses et des transports de l’âme, que les anciens n’ont jamais connus. Chez eux on trouve, pour ainsi dire, des ébauches de sentiments, mais rarement un sentiment achevé : ici, c’est tout le cœur :

C’est Vénus tout entière à sa proie attachée !

et le cri le plus énergique que la passion ait jamais fait entendre est peut-être celui-ci :

Hélas ! du crime affreux dont la honte me suit

Jamais mon triste cœur n’a recueilli le fruit.

 

Il y a là-dedans un mélange des sens et de l’âme, de désespoir et de fureur amoureuse, qui passe toute expression. Cette femme, qui se consolerait d’une éternité de souffrance si elle avait joui d’un instant de bonheur, cette femme n’est pas dans le caractère antique : c’est la chrétienne réprouvée, c’est la pécheresse tombée vivante dans les mains de Dieu ; son mot est le mot du damné.

 

 

CHATEAUBRIAND, Génie du Christianisme ; Deuxième Partie - Poétique du Christianisme ; Livre 3 - Suite de la poésie dans ses rapports avec les hommes. Passions ; Chapitre III - La Phèdre de Racine

 

Phèdre et Hippolyte, Baron Pierre-Narcisse Guérin, Grand Palais, Paris

Phèdre et Hippolyte, Baron Pierre-Narcisse Guérin, Grand Palais, Paris

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16 mai 2015 6 16 /05 /mai /2015 11:00

Ce que nous appelons proprement amour parmi nous est un sentiment dont l’antiquité a ignoré jusqu’au nom.

 

Ce n’est que dans les siècles modernes qu’on a vu se former ce mélange des sens et de l’âme, cette espèce d’amour dont l’amitié est la partie morale. C’est encore au christianisme que l’on doit ce sentiment perfectionné ; c’est lui qui, tendant sans cesse à épurer le cœur, est parvenu à jeter de la spiritualité jusque dans le penchant qui en paraissait le moins susceptible. Voilà donc un nouveau moyen de situations poétiques que cette religion si dénigrée a fourni aux auteurs mêmes qui l’insultent : on peut voir dans une foule de romans les beautés qu’on a tirées de cette passion demi-chrétienne. Le caractère de Clémentine, par exemple, est un chef-d’œuvre dont la Grèce n’offre point de modèle. Mais pénétrons dans ce sujet, et avant de parler de l’amour champêtre considérons l’amour passionné.

 

Cet amour n’est ni aussi saint que la piété conjugale, ni aussi gracieux que le sentiment des bergers ; mais, plus poignant que l’un et l’autre, il dévaste les âmes où il règne. Ne s’appuyant point sur la gravité du mariage ou sur l’innocence des mœurs champêtres, ne mêlant aucun autre prestige au sien, il est à soi-même sa propre illusion, à sa propre folie, sa propre substance. Ignorée de l’artisan trop occupé et du laboureur trop simple, cette passion n’existe que dans ces rangs de la société où l’oisiveté nous laisse surchargés du poids de notre cœur avec son immense amour-propre et ses éternelles inquiétudes.

 

Il est si vrai que le christianisme jette une éclatante lumière dans l’abîme de nos passions, que ce sont les orateurs de l’Église qui ont peint les désordres du cœur humain avec le plus de force et de vivacité. Quel tableau Bourdaloue ne fait-il point de l’ambition ! Comme Massillon a pénétré dans les replis de nos âmes et exposé au jour nos penchants et nos vices ! "C’est le caractère de cette passion, dit cet homme éloquent en parlant de l’amour, de remplir le cœur tout entier : on ne peut plus s’occuper que d’elle ; on en est possédé, enivré ; on la retrouve partout ; tout en retrace les funestes images ; tout en réveille les injustes désirs : le monde, la solitude, la présence, l’éloignement, les objets les plus indifférents, les occupations les plus sérieuses, le temple saint lui-même, les autels sacrés, les mystères terribles en rappellent le souvenir."

 

" C’est un désordre, s’écrie le même orateur dans la Pécheresse, d’aimer pour lui-même ce qui ne peut être ni notre bonheur, ni notre perfection, ni par conséquent notre repos ; car aimer, c’est chercher la félicité dans ce qu’on aime ; c’est vouloir trouver dans l’objet aimé tout ce qui manque à notre cœur ; c’est l’appeler au secours de ce vide affreux que nous sentons en nous-mêmes et nous flatter qu’il sera capable de le remplir ; c’est le regarder comme la ressource de tous nos besoins, le remède de tous nos maux, l’auteur de nos biens.

 

Mais cet amour des créatures est suivi des plus cruelles incertitudes : on doute toujours si l’on est aimé comme l’on aime ; on est ingénieux à se rendre malheureux et à former à soi-même des craintes, des soupçons, des jalousies ; plus on est de bonne foi, plus on souffre ; on est le martyr de ses propres défiances vous le savez, et ce n’est pas à moi à venir vous parler ici le langage de vos passions insensées."

 

Cette maladie de l’âme se déclare avec fureur aussitôt que paraît l’objet qui doit en développer le germe. Didon s’occupe encore des travaux de sa cité naissante : la tempête s’élève et apporte un héros. La reine se trouble, un feu secret coule dans ses veines : les imprudences commencent ; les plaisirs suivent ; le désenchantement et le remords viennent après eux. Bientôt Didon est abandonnée ; elle regarde avec horreur autour d’elle, et ne voit que des abîmes. Comment s’est-il évanoui, cet édifice de bonheur dont une imagination exaltée avait été l’amoureux architecte ? palais de nuages que dore quelques instants un soleil prêt à s’éteindre ! Didon vole, cherche, appelle Enée :

Dissimulare etiam sperasti ?.

Perfide ! espérais-tu me cacher tes desseins et t’échapper clandestinement de cette terre ? Ni notre amour, ni cette main que je t’ai donnée, ni Didon prête à étaler de cruelles funérailles, ne peuvent arrêter tes pas !

 

Quel trouble, quelle passion, quelle vérité dans l’éloquence de cette femme trahie ! Les sentiments se pressent tellement dans son cœur, qu’elle les produit en désordre, incohérents et séparés, tels qu’ils s’accumulent sur ses lèvres. Remarquez les autorités qu’elle emploie dans ses prières. Est-ce au nom des dieux, au nom d’un sceptre, qu’elle parle ? Non : elle ne fait pas même valoir Didon dédaignée ; mais, plus humble et plus aimante, elle n’implore le fils de Vénus que par des larmes, que par la propre main du perfide. Si elle y joint le souvenir de l’amour, ce n’est encore qu’en l’étendant sur Enée : par notre hymen, par notre union commencée, dit-elle :

Per connubia nostra, per inceptos hymenaeos.

 

Elle atteste aussi les lieux témoins de son bonheur, car c’est une coutume des malheureux d’associer à leurs sentiments les objets qui les environnent ; abandonnés des hommes, ils cherchent à se créer des appuis en animant de leurs douleurs les êtres insensibles autour d’eux. Ce toit, ce foyer hospitalier, où naguère elle accueillit l’ingrat, sont donc les vrais dieux pour Didon. Ensuite, avec l’adresse d’une femme, et d’une femme amoureuse, elle rappelle tour à tour le souvenir de Pygmalion et celui de Iarbe, afin de réveiller ou la générosité ou la jalousie du héros troyen. Bientôt, pour dernier trait de passion et de misère, la superbe souveraine de Carthage va jusqu’à souhaiter qu’un petit Enée, parvulus Aeneas, reste au moins auprès d’elle pour consoler sa douleur, même en portant témoignage à sa honte ! Elle s’imagine que tant de larmes, tant d’imprécations, tant de prières, sont des raisons auxquelles Enée ne pourra résister dans ces moments de folie, les passions, incapables de plaider leur cause avec succès, croient faire usage de tous leurs moyens lorsqu’elles ne font entendre que tous leurs accents.

 

 

CHATEAUBRIAND, Génie du Christianisme ; Deuxième Partie - Poétique du Christianisme ; Livre 3 - Suite de la poésie dans ses rapports avec les hommes. Passions ; Chapitre II - Amour passionné. — Didon

 

Vénus apparaissant à Énée, Pierre de Cortone, Musée du Louvre, Aile Denon, 1er étage, salle 13

Vénus apparaissant à Énée, Pierre de Cortone, Musée du Louvre, Aile Denon, 1er étage, salle 13

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15 mai 2015 5 15 /05 /mai /2015 11:00

De l’examen des caractères nous venons à celui des passions. On sent qu’en traitant des premiers il nous a été impossible de ne pas toucher un peu aux secondes, mais ici nous nous proposons d’en parler plus amplement.

 

S’il existait une religion qui s’occupât sans cesse de mettre un frein aux passions de l’homme, cette religion augmenterait nécessairement le jeu des passions dans le drame et dans l’épopée ; elle serait plus favorable à la peinture des sentiments que toute institution religieuse qui, ne connaissant point des délits du cœur, n’agirait sur nous que par des scènes extérieures. Or, c’est ici le grand avantage de notre culte sur les cultes de l’antiquité : la religion chrétienne est un vent céleste qui enfle les voiles de la vertu et multiplie les orages de la conscience autour du vice.

 

Les bases de la morale ont changé parmi les hommes, du moins parmi les hommes chrétiens, depuis la prédication de l’Évangile. Chez les anciens, par exemple, l’humilité passait pour bassesse, et l’orgueil pour grandeur ; chez les chrétiens, au contraire, l’orgueil est le premier des vices, et l’humilité une des premières vertus. Cette seule transmutation de principes montre la nature humaine sous un jour nouveau, et nous devons découvrir dans les passions des rapports que les anciens n’y voyaient pas.

 

Donc pour nous la racine du mal est la vanité, et la racine du bien la charité, de sorte que les passions vicieuses sont toujours un composé d’orgueil, et les passions vertueuses un composé d’amour.

 

Faites l’application de ce principe, vous en reconnaîtrez la justesse.

 

Pourquoi les passions qui tiennent au courage sont-elles plus belles chez les modernes que chez les anciens ? pourquoi avons-nous donné d’autres proportions à la valeur et transformé un mouvement brutal en une vertu ? C’est par le mélange de la vertu chrétienne directement opposée à ce mouvement, l’humilité. De ce mélange est née la magnanimité, ou la générosité poétique, sorte de passion (car les chevaliers l’ont poussée jusque-là) totalement inconnue des anciens.

 

Un de nos plus doux sentiments, et peut-être le seul qui appartienne absolument à l’âme (les autres ont quelque mélange des sens dans leur nature ou dans leur but), c’est l’amitié. Et combien le christianisme n’a-t-il point encore augmenté les charmes de cette passion céleste, en lui donnant pour fondement la charité ? Jésus-Christ dormit dans le sein de Jean ; et sur la croix, avant d’expirer, l’amitié l’entendit prononcer ce mot digne d’un Dieu : Mater, ecce filius tuus ; discipule, ecce mater tua.

" Mère, voilà ton fils ; disciple, voilà ta mère. "

 

Le christianisme, qui a révélé notre double nature et montré les contradictions de notre être, qui a fait voir le haut et le bas de notre cœur, qui lui-même est plein de contrastes comme nous, puisqu’il nous présente un Homme-Dieu, un Enfant maître des mondes, le créateur de l’univers sortant du sein d’une créature, le christianisme, disons-nous, vu sous ce jour des contrastes, est encore par excellence la religion de l’amitié. Ce sentiment se fortifie autant par les oppositions que par les ressemblances. Pour que deux hommes soient parfaits amis, ils doivent s’attirer et se repousser sans cesse par quelque endroit ; il faut qu’ils aient des génies d’une même force, mais d’une différente espèce ; des opinions opposées, des principes semblables ; des haines et des amours diverses, mais au fond la même sensibilité ; des humeurs tranchantes, et pourtant des goûts pareils ; en un mot, de grands contrastes de caractère et de grandes harmonies de cœur.

 

Cette chaleur que la charité répand dans les passions vertueuses leur donne un caractère divin. Chez les hommes de l’antiquité l’avenir des sentiments ne passait pas le tombeau, où il venait faire naufrage. Amis, frères, époux, se quittaient aux portes de la mort, et sentaient que leur séparation était éternelle ; le comble de la félicité pour les Grecs et pour les Romains se réduisait à mêler leurs cendres ensemble : mais combien elle devait être douloureuse, une urne qui ne renfermait que des souvenirs ! Le polythéisme avait établi l’homme dans les régions du passé ; le christianisme l’a placé dans les champs de l’espérance. La jouissance des sentiments honnêtes sur la terre n’est que l’avant-goût des délices dont nous serons comblés. Le principe de nos amitiés n’est point dans ce monde : deux êtres qui s’aiment ici-bas sont seulement dans la route du ciel, où ils arriveront ensemble, si la vertu les dirige. De manière que cette forte expression des poètes : exhaler son âme dans celle de son ami, est littéralement vraie pour deux chrétiens, en se dépouillant de leur corps, ils ne font que se dégager d’un obstacle qui s’opposait à leur union intime, et leurs âmes vont se confondre dans le sein de l’Éternel.

 

Ne croyons pas toutefois qu’en nous découvrant les bases sur lesquelles reposent les passions le christianisme ait désenchanté la vie. Loin de flétrir l’imagination en lui faisant tout toucher et tout connaître, il a répandu le doute et les ombres sur les choses inutiles à nos fins ; supérieur en cela à cette imprudente philosophie qui cherche trop à pénétrer la nature de l’homme et à trouver le fond partout. Il ne faut pas toujours laisser tomber la sonde dans les abîmes du cœur : les vérités qu’il contient sont du nombre de celles qui demandent le demi-jour et la perspective. C’est une imprudence que d’appliquer sans cesse son jugement à la partie aimante de son être, de porter l’esprit raisonnable dans les passions. Cette curiosité conduit peu à peu à douter des choses généreuses ; elle dessèche la sensibilité et tue, pour ainsi dire, l’âme ; les mystères du cœur sont comme ceux de l’antique Égypte : le profane qui cherchait à les découvrir sans y être initié par la religion était subitement frappé de mort.

 

 

CHATEAUBRIAND, Génie du Christianisme ; Deuxième Partie - Poétique du Christianisme ; Livre 3 - Suite de la poésie dans ses rapports avec les hommes. Passions ; Chapitre I - Que le Christianisme a changé les rapports des passions en changeant les bases du vice et de la vertu

 

Thomas Killigrew and William, Lord Croft, van Dyck, Royal Collection, Windsor

Thomas Killigrew and William, Lord Croft, van Dyck, Royal Collection, Windsor

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11 mai 2015 1 11 /05 /mai /2015 11:00

Montrons à présent que ces vertus du chevalier, qui élèvent son caractère jusqu’au beau idéal, sont des vertus véritablement chrétiennes.

 

Si elles n’étaient que de simples vertus morales imaginées par le poète, elles seraient sans mouvement et sans ressort. On en peut juger par Enée, dont Virgile a fait un héros philosophe.

 

Les vertus purement morales sont froides par essence : ce n’est pas quelque chose d’ajouté à l’âme, c’est quelque chose de retranché de la nature ; c’est l’absence du vice plutôt que la présence de la vertu.

 

Les vertus religieuses ont des ailes, elles sont passionnées. Non contentes de s’abstenir du mal, elles veulent faire le bien : elles ont l’activité de l’amour, et se tiennent dans une région supérieure et un peu exagérée. Telles étaient les vertus des chevaliers.

 

La foi ou la fidélité était leur première vertu ; la fidélité est pareillement la première vertu du christianisme.

 

Le chevalier ne mentait jamais. — Voilà le chrétien.

 

Le chevalier était pauvre et le plus désintéressé des hommes. — Voilà le disciple de l’Évangile.

 

Le chevalier s’en allait à travers le monde, secourant la veuve et l’orphelin. — Voilà la charité de Jésus-Christ.

 

Le chevalier était tendre et délicat. Qui lui aurait donné cette douceur, si ce n’était une religion humaine qui porte toujours au respect pour la faiblesse ? Avec quelle bénignité Jésus-Christ lui-même ne parle-t-il pas aux femmes dans l’Évangile !

 

Agamemnon déclare brutalement qu’il aime autant Briséis que son épouse, parce qu’elle fait d’aussi beaux ouvrages.

 

Un chevalier ne parle pas ainsi.

 

Enfin le christianisme à produit l’honneur ou la bravoure des héros modernes, si supérieure à celle des héros antiques.

 

La véritable religion nous enseigne que ce n’est pas par la force du corps que l’homme se doit mesurer, mais par la grandeur de l’âme. D’où il résulte que le plus faible des chevaliers ne tremble jamais devant un ennemi ; et, fût-il certain de recevoir la mort, il n’a pas même la pensée de la fuite.

 

Cette haute valeur est devenue si commune, que le moindre de nos fantassins est plus courageux que les Ajax, qui fuyaient devant Hector, qui fuyait à son tour devant Achille. Quant à la clémence du chevalier chrétien envers les vaincus, qui peut nier qu’elle découle du christianisme ?

 

Les poètes modernes ont tiré une foule de traits nouveaux du caractère chevaleresque. Dans la tragédie il suffit de nommer Bayard, Tancrède, Nemours, Couci ; Nérestan apporte la rançon de ses frères d’armes, et se vient rendre prisonnier parce qu’il ne peut satisfaire à la somme nécessaire pour se racheter lui-même. Les belles mœurs chrétiennes ! Et qu’on ne dise pas que c’est une pure invention poétique : il y a cent exemples de chrétiens qui se sont remis entre les mains des Infidèles ou pour délivrer d’autres chrétiens, ou parce qu’ils ne pouvaient compter l’argent qu’ils avaient promis.

 

On sait combien le caractère chevaleresque est favorable à l’épopée. Qu’ils sont aimables, tous ces chevaliers de la Jérusalem, ce Renaud si brillant, ce Tancrède si généreux, ce vieux Raymond de Toulouse, toujours abattu et toujours relevé ! On est avec eux sous les murs de Solyme ; on croit entendre le jeune Bouillon s’écrier, au sujet d’Armide : "Que dira-t-on à la cour de France quand on saura que nous avons refusé notre bras à la beauté ?" Pour juger de la différence qui se trouve entre les héros d’Homère et ceux du Tasse, il suffit de jeter les yeux sur le camp de Godefroi et sur les remparts de Sion. D’un côté sont les chevaliers, et de l’autre les héros antiques. Soliman même n’a tant d’éclat que parce que le poète lui a donné quelques traits de la générosité du chevalier : ainsi le principal héros infidèle emprunte lui-même sa majesté du christianisme.

 

Mais c’est dans Godefroi qu’il faut admirer le chef-d’œuvre du caractère héroïque. Si Enée veut échapper à la séduction d’une femme, il tient les yeux baissés : Immota tenebat lumina ; il cache son trouble ; il répond des choses vagues : "Reine, je ne nie point tes bontés, je me souviendrai d’Elise", Meminisse Elisae.

 

Ce n’est pas de cet air que le capitaine chrétien repousse les adresses d’Armide : il résiste, car il connaît les fragiles appas du monde ; il continue son vol vers le ciel, comme l’oiseau rassasié qui ne s’abat point où une nourriture trompeuse l’appelle.

Qual saturo augel, che non si cali

Ove il cibo mostrando altri l’invita

 

Faut-il combattre, délibérer, apaiser une sédition, Bouillon est partout grand, partout auguste. Ulysse frappe Thersite de son sceptre, et arrête les Grecs prêts à rentrer dans leurs vaisseaux : ces mœurs sont naïves et pittoresques. Mais voyez Godefroi se montrant seul à un camp furieux qui l’accuse d’avoir fait assassiner un héros. Quelle beauté noble et touchante dans la prière de ce capitaine plein de la conscience de sa vertu ! comme cette prière fait ensuite éclater l’intrépidité du général, qui désarmé et tête nue se présente à une soldatesque effrénée !

 

Au combat, une sainte et majestueuse, valeur, inconnue aux guerriers d’Homère et de Virgile, anime le guerrier chrétien. Enée, couvert de ses armes divines, et debout sur la poupe de sa galère, qui approche du rivage rutule, est dans une attitude héroïque. Agamemnon, semblable au Jupiter foudroyant, présente une image pleine de grandeur : cependant Godefroi n’est inférieur ni au père des Césars ni au chef des Atrides, dans le dernier chant de la Jérusalem.

 

Le soleil vient de se lever ; les armées sont en présence, les bannières se déroulent aux vents, les plumes flottent sur les casques ; les habits, les franges, les harnais, les armes, les couleurs, l’or et le fer étincellent aux premiers feux du jour. Monté sur un coursier rapide, Godefroi parcourt les rangs de son armée ; il parle, et son discours est un modèle d’éloquence guerrière. Sa tête rayonne, son visage brille d’un éclat inconnu, l’ange de la victoire le couvre invisiblement de ses ailes. Bientôt il se fait un profond silence ; les légions se prosternent en adorant celui qui fit tomber Goliath par la main d’un jeune berger.

 

Soudain la trompette sonne, les soldats chrétiens se relèvent, et, pleins de la fureur du Dieu des armées, ils se précipitent sur les bataillons ennemis.

 

 

CHATEAUBRIAND, Génie du Christianisme ; Deuxième Partie - Poétique du Christianisme ; Livre 2 - Poésie dans ses rapports avec les hommes. Caractères ; Chapitre XII - Suite du Guerrier

 

Godefroid de Bouillon, statue de Louis-Eugène Simonis, Place Royale, Bruxelles

Godefroid de Bouillon, statue de Louis-Eugène Simonis, Place Royale, Bruxelles

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