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"Je vous donne un commandement nouveau : c'est de vous aimer les uns les autres.

 

Comme je vous ai aimés, vous aussi aimez-vous les uns les autres.

 

Ce qui montrera à tous les hommes que vous êtes mes disciples, c'est l'amour que vous aurez les uns pour les autres."

 

Evangile de Jésus-Christ selon  saint Jean 

   

 

Pentecôte

" Le Défenseur, l'Esprit Saint que le Père enverra en mon nom, lui, vous enseignera tout, et il vous fera souvenir de tout ce que je vous ai dit."

 

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean  

 

   

 

 El Papa es argentino. Jorge Bergoglio                 

Saint Père François

 

 

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1er mai 2011 Béatification de Jean-Paul II

Béatification du Serviteur de Dieu Jean-Paul II

 

 

  Béatification du Père Popieluszko

beatification Mass, in Warsaw, Poland

à Varsovie, 6 juin 2010, Dimanche du Corps et du Sang du Christ

 

 

presidential palace in Warsaw

Varsovie 2010

 

 

Basilique du Sacré-Cœur de Montmartre
Sanctuaire de l'Adoration Eucharistique et de la Miséricorde Divine

La miséricorde de Dieu est comme un torrent débordé. Elle entraîne les cœurs sur son passage.
(Saint Curé d'Ars)
 

 


Le côté du Christ a été transpercé et tout le mystère de Dieu sort de là. C’est tout le mystère de Dieu qui aime, qui se livre jusqu’au bout, qui se donne jusqu’au bout. C’est le don le plus absolu qui soit. Le don du mystère trinitaire est le cœur ouvert. Ce n’est pas une image, c’est une réalité. C’est la réalité la plus profonde qui soit, la réalité de l’amour.
Père Marie-Joseph Le Guillou




Dans le cœur transpercé
de Jésus sont unis
le Royaume du Ciel
et la terre d'ici-bas
la source de la vie
pour nous se trouve là.

Ce cœur est cœur divin
Cœur de la Trinité
centre de convergence
de tous les cœur humains
il nous donne la vie
de la Divinité.


Sainte Thérèse Bénédicte de la Croix
(Edith Stein)



Le Sacré-Cœur représente toutes les puissances d'aimer, divines et humaines, qui sont en Notre-Seigneur.
Père Marie-Eugène de l'Enfant Jésus

 



feuille d'annonces de la Basilique du Sacré-Coeur de Montmartre

 

 

 

 

 

 

 

     

The Cambrai Madonna

Notre Dame de Grâce

Cathédrale de Cambrai

 

 

 

Cathédrale Notre Dame de Paris 

   

Ordinations du samedi 27 juin 2009 à Notre Dame de Paris


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Solennité de l’Immaculée Conception de la Vierge Marie à Notre-Dame de Paris


NOTRE DAME DES VICTOIRES

Notre-Dame des Victoires




... ma vocation, enfin je l’ai trouvée, ma vocation, c’est l’Amour !

 

 

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Voyages de Benoît XVI

 

SAINT PIERRE ET SAINT ANDRÉ

Saint Pierre et Saint André

 

BENOÎT XVI à CHYPRE 

 

Benedict XVI and Cypriot Archbishop Chrysostomos, Church of 

Salutation avec l'Archevêque Chrysostomos à l'église d' Agia Kyriaki Chrysopolitissa de Paphos, le vendredi 4 juin 2010

 

     

 

Benoît XVI en Terre Sainte  


 

Visite au chef de l'Etat, M. Shimon Peres
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Visite au mémorial de la Shoah, Yad Vashem




 






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SALVE REGINA

30 avril 2015 4 30 /04 /avril /2015 11:00

Du caractère de l’époux passons à celui de père ; considérons la paternité dans les deux positions les plus sublimes et les plus touchantes de la vie, la vieillesse et le malheur.

 

Priam, ce monarque tombé du sommet de la gloire, et dont les grands de la terre avaient recherché les faveurs dum fortuna fuit ; Priam, les cheveux souillés de cendres, le visage baigné de pleurs, seul au milieu de la nuit, a pénétré dans le camps des Grecs. Humilié aux genoux de l’impitoyable Achille, baisant les mains terribles, les mains dévorantes (androfonoux, qui dévorent les hommes) qui fumèrent tant de fois du sang de ses fils, il redemande le corps de son Hector :

" Souvenez-vous de votre père, ô Achille, semblable aux dieux ! il est courbé, comme moi, sous le poids des années, et comme moi il touche au dernier terme de la vieillesse. Peut-être en ce moment même est-il accablé par de puissants voisins, sans avoir auprès de lui personne pour le défendre. Et cependant, lorsqu’il apprend que vous vivez, il se réjouit dans son cœur ; chaque jour il espère revoir son fils de retour de Troie. Mais moi, le plus infortuné des pères, de tant de fils que je comptais dans la grande Ilion, je ne crois pas qu’un seul me soit resté. J’en avais cinquante quand les Grecs descendirent sur ces rivages. Dix-neuf étaient sortis des mêmes entrailles, différentes captives m’avaient donné les autres ; la plupart ont fléchi sous le cruel Mars. Il y en avait un qui, seul, défendait ses frères et Troie. Vous venez de le tuer, combattant pour sa patrie. Hector, c’est pour lui que je viens à la flotte des Grecs ; je viens racheter son corps, et je vous apporte une immense rançon. Respectez les dieux, Ô Achille ! Ayez pitié de moi ; souvenez-vous de votre père. Oh ! combien je suis malheureux ! nul infortuné n’a jamais été réduit à cet excès de misère : je baise les mains qui ont tué mes fils !"

 

Que de beautés dans cette prière ! quelle scène étalée aux yeux du lecteur ! la nuit, la tente d’Achille, ce héros pleurant Patrocle auprès du fidèle Automédon, Priam apparaissant au milieu des ombres, et se précipitant aux pieds du fils de Pélée ! Là sont arrêtés, dans les ténèbres, les chars qui apportent les présents du souverain de Troie ; et à quelque distance les restes défigurés du généreux Hector sont abandonnés, sans honneur, sur le rivage de l’Hellespont.

 

Etudiez le discours de Priam : vous verrez que le second mot prononcé par l’infortuné monarque est celui de père, patrox ; la seconde pensée, dans le même vers, est un éloge pour l’orgueilleux Achille, qeoix epieical Acilleu, Achille semblable aux dieux. Priam doit se faire une grande violence pour parler ainsi au meurtrier d’Hector : il y a une profonde connaissance du cœur humain dans tout cela.

 

Le souvenir le plus tendre que l’on pût offrir au fils de Pélée, après lui avoir rappelé son père, était sans doute l’âge de ce même père. Jusque là Priam n’a pas encore osé dire un mot de lui-même ; mais soudain se présente un rapport qu’il saisit avec une simplicité touchante : Comme moi, dit-il, il touche au dernier terme de la vieillesse. Ainsi Priam ne parle encore de lui qu’en se confondant avec Pélée ; il force Achille à ne voir que son propre père dans un roi suppliant et malheureux. L’image du délaissement du vieux monarque peut-être accablé par de puissants voisins pendant l’absence de son fils, la peinture de ses chagrins soudainement oubliés lorsqu’il apprend que ce fils est plein de vie, enfin, cette comparaison des peines passagères de Pelée avec les maux irréparables de Priam, offrent un mélange admirable de douleur, d’adresse, de bienséance et de dignité.

 

Avec quelle respectable et sainte habileté le vieillard d’Ilion n’amène-t-il pas ensuite le superbe Achille jusqu’à écouter paisiblement l’éloge même d’Hector ! D’abord il se garde bien de nommer le héros troyen ; il dit seulement : il y en avait un ; et il ne nomme Hector à son vainqueur qu’après lui avoir dit qu’il l’a tué combattant pour la patrie : il ajoute alors le simple mot Hector, Ectora. Il est remarquable que ce nom isolé n’est pas même compris dans la période poétique ; il est rejeté au commencement d’un vers, où il coupe la mesure, suspend l’esprit et l’oreille, forme un sens complet ; il ne tient en rien à ce qui suit.

 

Ainsi le fils de Pélée se souvient de sa vengeance avant de se rappeler son ennemi. Si Priam eût d’abord nommé Hector, Achille eût songé à Patrocle ; mais ce n’est plus Hector qu’on lui présente, c’est un cadavre déchiré, ce sont de misérables restes livrés aux chiens et aux vautours ; encore ne les lui montre-t-on qu’avec une excuse : Il combattait pour la patrie. L’orgueil d’Achille est satisfait d’avoir triomphé d’un héros qui seul défendait ses frères et les murs de Troie.

 

Enfin Priam, après avoir parlé des hommes au fils de Thétis, lui rappelle les justes dieux, et il le ramène une dernière fois au souvenir de Pélée. Le trait qui termine la prière du monarque d’Ilion est du plus haut sublime dans le genre pathétique.

 

 

CHATEAUBRIAND, Génie du Christianisme ; Deuxième Partie - Poétique du Christianisme ; Livre 2 - Poésie dans ses rapports avec les hommes. Caractères  ; Chapitre IV - Le Père. — Priam

 

Face principale de sarcophage (vers 190 - 200 après J.-C.) : de gauche à droite, l'ambassade de Priam chez Achille, la restitution du corps d'Hector et le retour à Troie en présence d'Andromaque, sa femme et du petit Astyanax, son fils ; Musée du Louvre, Département des Antiquités grecques, étrusques et romaines

Face principale de sarcophage (vers 190 - 200 après J.-C.) : de gauche à droite, l'ambassade de Priam chez Achille, la restitution du corps d'Hector et le retour à Troie en présence d'Andromaque, sa femme et du petit Astyanax, son fils ; Musée du Louvre, Département des Antiquités grecques, étrusques et romaines

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29 avril 2015 3 29 /04 /avril /2015 11:00

Satan a pénétré dans le paradis terrestre. Au milieu des animaux de la création,

He saw

Two of far nobler aspect erect and tall

Of her daughters, Eve.

" Il aperçoit deux êtres d’une forme plus noble, d’une stature droite et élevée, comme celle des esprits immortels. Dans tout l’honneur primitif de leur naissance, une majestueuse nudité les couvre : on les prendrait pour les souverains de ce nouvel univers, et ils semblent dignes de l’être. A travers leurs regards divins brillent les attributs de leur glorieux Créateur : la vérité, la sagesse, la sainteté rigide et pure, vertu dont émane l’autorité réelle de l’homme. Toutefois ces créatures célestes diffèrent entre elles, ainsi que leurs sexes le déclarent : Il est créé pour la contemplation et la valeur ; Elle est formée pour la mollesse et les grâces : Lui pour Dieu seulement, Elle pour Dieu, en Lui. Le front ouvert, l’œil sublime du premier, annoncent la puissance absolue : ses cheveux d’hyacinthe, se partageant sur son front, pendent noblement en boucles des deux côtés, mais sans flotter au-dessous de ses larges épaules. Sa compagne, au contraire, laisse descendre comme un voile d’or ses longues tresses sur sa ceinture, où elles forment de capricieux anneaux : ainsi la vigne courbe ses tendres ceps autour d’un fragile appui ; symbole de la sujétion où est née notre mère, sujétion à un sceptre bien léger ; obéissance accordée par Elle et reçue par Lui plutôt qu’exigée ; empire cédé volontairement, et pourtant à regret ; cédé avec un modeste orgueil, et je ne sais quels amoureux délais, pleins de craintes et de charmes ! Ni vous non plus, mystérieux ouvrages de la nature, vous n’étiez point cachés alors ; alors toute honte coupable, toute honte criminelle était inconnue. Fille du Péché, Pudeur impudique, combien n’avez-vous point troublé les jours de l’homme par une vaine apparence de pureté ! Ah ! vous avez banni de votre vie ce qui seul est la véritable vie, la simplicité et l’innocence. Ainsi marchent nus ces deux grands époux dans Eden solitaire. Ils n’évitent ni l’œil de Dieu ni les regards des anges, car ils n’ont point la pensée du mal. Ainsi passe, en se tenant par la main, le plus superbe couple qui s’unit jamais dans les embrassements de l’amour : Adam, le meilleur de tous les hommes qui furent sa postérité ; Eve, la plus belle de toutes les femmes entre celles qui naquirent ses filles."

 

Nos premiers pères se retirent sous l’ombrage, au bord d’une fontaine. Ils prennent leur repas du soir, au milieu des animaux de la création, qui se jouent autour de leur roi et de leur reine. Satan, caché sous la forme d’une de ces bêtes, contemple les deux époux, et se sent presque attendri par leur beauté, leur innocence, et par la pensée des maux qu’il va faire succéder à tant de bonheur : trait admirable. Cependant Adam et Eve conversent doucement auprès de la fontaine, et Eve parle ainsi à son époux :

That day ! often remember, when from sleep

her silver mantle threw.

" Je me rappelle souvent ce jour où, sortant du premier sommeil, je me trouvai couchée parmi les fleurs, sous l’ombrage, ne sachant où j’étais, qui j’étais, quand et comment j’avais été amenée en ces lieux. Non loin de là une onde murmurait dans le creux d’une roche. Cette onde, se déployant en nappe humide, fixait bientôt ses flots, purs comme les espaces du firmament.

Je m’avançai vers ce lieu, avec une pensée timide ; je m’assis sur la rive verdoyante pour regarder dans le lac transparent, qui semblait un autre ciel. A l’instant où je m’inclinais sur l’onde, une ombre parut dans la glace humide, se penchant vers moi, comme moi vers elle. Je tressaillis, elle tressaillit ; j’avançai la tête de nouveau, et la douce apparition revint aussi vite, avec des regards de sympathie et d’amour. Mes yeux seraient encore attachés sur cette image, je m’y serais consumée d’un vain désir, si une voix dans le désert : "L’objet que tu vois, belle créature, est toi-même ; avec toi il fuit, il revient. Suis-moi, je te conduirai où une ombre vaine ne trompera point tes embrassements, où tu trouveras celui dont tu es l’image ; à toi il sera pour toujours, tu lui donneras une multitude d’enfants semblables à toi-même, et tu seras appelée la Mère du genre humain."

Que pouvais-je faire après ces paroles ? Obéir et marcher invisiblement conduite ! Bientôt je t’entrevis sous un platane. Oh ! que tu me parus grand et beau ! et pourtant je trouvai je ne sais quoi de moins beau, de moins tendre, que le gracieux fantôme enchaîné dans le repli de l’onde. Je voulus fuir ; tu me suivis, et, élevant la voix, tu t’écrias : "Retourne, belle Eve ! sais-tu qui tu fuis ? Tu es la chair et les os de celui que tu évites. Pour te donner l’être, j’ai puisé dans mon flanc la vie la plus près de mon cœur, afin de t’avoir ensuite éternellement à mon côté. Ô moitié de mon âme, je te cherche ! ton autre moitié te réclame." En parlant ainsi, ta douce main saisit la mienne : je cédai ; et depuis ce temps j’ai connu combien la grâce est surpassée par une mâle beauté et par la sagesse, qui seule est véritablement belle.

Ainsi parla la mère des hommes. Avec des regards pleins d’amour, et dans un tendre abandon, elle se penche, embrassant à demi notre premier père. La moitié de son sein, qui se gonfle, vient mystérieusement, sous l’or de ses tresses flottantes, toucher de sa voluptueuse nudité la nudité du sein de son époux. Adam, ravi de sa beauté et de ses grâces soumises, sourit avec un supérieur amour : tel est le sourire que le ciel laisse au printemps tomber sur les nuées, et qui fait couler la vie dans ces nuées grosses de la semence des fleurs. Adam presse ensuite d’un baiser pur les lèvres fécondes de la mère des hommes.

Cependant le soleil était tombé au-dessous des Açores, soit que ce premier orbe du ciel, dans son incroyable vitesse, eût roulé vers ces rivages, soit que la terre, moins rapide, se retirant dans l’orient par un plus court chemin, eût laissé l’astre du jour à la gauche du monde. Il avait déjà revêtu de pourpre et d’or les nuages qui flottent autour de son trône occidental ; le soir s’avançait tranquille, et par degrés un doux crépuscule enveloppait les objets de son ombre uniforme. Les oiseaux du ciel reposaient dans leurs nids, les animaux de la terre sur leur couche ; tout se taisait, hors le rossignol, amant des veilles : il remplissait la nuit de ses plaintes amoureuses, et le Silence était ravi. Bientôt le firmament étincela de vivants saphirs : l’étoile du soir, à la tête de l’armée des astres, se montra longtemps la plus brillante ; mais enfin la reine des nuits, se levant avec majesté à travers les nuages, répandit sa tendre lumière, et jeta son manteau d’argent sur le dos des ombres."

 

Adam et Eve se retirent au berceau nuptial, après avoir offert leur prière à l’Eternel. Ils pénètrent dans l’obscurité du bocage, et se couchent sur un lit de fleurs. Alors le poète, resté comme à la porte du berceau, entonne, à la face du firmament et du pôle chargé d’étoiles, un cantique à l’Hymen. Il commence ce magnifique épithalame sans préparation et par un mouvement inspiré, à la manière antique :

Hail, wedded love, mysterious law, true source

Of human offspring

" Salut, amour conjugal, loi mystérieuse, source de la postérité ! " C’est ainsi que l’armée des Grecs chante tout à coup, après la mort d’Hector : Nous avons remporté une gloire signalée ! nous avons tué le divin Hector ; c’est de même que les Saliens, célébrant la fête d’Hercule, s’écrient brusquement dans Virgile : Tu nubigenas, invicte, bimembres " C’est toi qui domptas les deux centaures, fils d’une nuée."

Cet hymen met le dernier trait au tableau de Milton, et achève la peinture des amours de nos premiers pères.

 

Nous ne craignons pas qu’on nous reproche la longueur de cette citation. " Dans tous les autres poèmes, dit Voltaire, l’amour est regardé comme une faiblesse ; dans Milton seul il est une vertu. Le poète a su lever d’une main chaste le voile qui couvre ailleurs les plaisirs de cette passion. Il transporte le lecteur dans le jardin des délices. Il semble lui faire goûter les voluptés pures dont Adam et Eve sont remplis. Ils ne s’élèvent pas au-dessus de la nature humaine, mais au-dessus de la nature humaine corrompue ; et comme il n’y a pas d’exemple d’un pareil amour, il n’y en a point d’une pareille poésie."

 

Si l’on compare les amours d’Ulysse et de Pénélope à celles d’Adam et d’Eve, on trouve que la simplicité d’Homère est plus ingénue, celle de Milton plus magnifique. Ulysse, bien que roi et héros, a toutefois quelque chose de rustique ; ses ruses, ses attitudes, ses paroles ont un caractère agreste et naïf. Adam, quoiqu’à peine né et sans expérience, est déjà le parfait modèle de l’homme : on sent qu’il n’est point sorti des entrailles infirmes d’une femme, mais des mains vivantes de Dieu. Il est noble, majestueux, et tout à la fois plein d’innocence et de génie ; il est tel que le peignent les livres saints, digne d’être respecté par les anges et de se promener dans la solitude avec son Créateur.

 

Quant aux deux épouses, si Pénélope est plus réservée et ensuite plus tendre que notre première mère, c’est qu’elle a été éprouvée par le malheur, et que le malheur rend défiant et sensible. Eve, au contraire, s’abandonne ; elle est communicative et séduisante ; elle a même un léger degré de coquetterie. Et pourquoi serait-elle sérieuse et prudente comme Pénélope ? Tout ne lui sourit-il pas ? Si le chagrin ferme l’âme, la félicité la dilate : dans le premier cas, on n’a pas assez de déserts où cacher ses peines ; dans le second pas assez de cœurs à qui raconter ses plaisirs. Cependant Milton n’a pas voulu peindre son Eve parfaite ; il l’a représentée irrésistible par les charmes, mais un peu indiscrète et amante de paroles, afin qu’on prévît le malheur où ce défaut va l’entraîner. Au reste, les amours de Pénélope et d’Ulysse sont pures et sévères comme doivent l’être celles de deux époux.

 

C’est ici le lieu de remarquer que, dans la peinture des voluptés, la plupart des poètes antiques ont à la fois une nudité et une chasteté qui étonnent. Rien de plus pudique que leur pensée, rien de plus libre que leur expression : nous, au contraire, nous bouleversons les sens en ménageant les yeux et les oreilles. D’où naît cette magie des anciens, et pourquoi une Vénus de Praxitèle toute nue charme-t-elle plus notre esprit que nos regards ? C’est qu’il y a un beau idéal qui touche plus à l’âme qu’à la matière. Alors le génie seul, et non le corps, devient amoureux ; c’est lui qui brûle de s’unir étroitement au chef-d’œuvre. Toute ardeur terrestre s’éteint et est remplacée par une tendresse divine : l’âme échauffée se replie autour de l’objet aimé, et spiritualise jusqu’aux termes grossiers dont elle est obligée de se servir pour exprimer sa flamme.

 

Mais ni l’amour de Pénélope et d’Ulysse, ni celui de Didon pour Enée, ni celui d’Alceste pour Admète, ne peut être comparé au sentiment qu’éprouvent l’un pour l’autre les deux nobles personnages de Milton : la vraie religion a pu seule donner le caractère d’une tendresse aussi sainte, aussi sublime. Quelle association d’idées ! l’univers naissant, les mers s’épouvantant pour ainsi dire de leur propre immensité, les soleils hésitant comme effrayés dans leurs nouvelles carrières, les anges attirés par ces merveilles, Dieu regardant encore son récent ouvrage, et deux Êtres, moitié esprit, moitié argile, étonnés de leur corps, plus étonnés de leur âme, faisant à la fois l’essai de leurs premières pensées et l’essai de leurs premières amours.

 

Pour rendre le tableau parfait, Milton a eu l’art d’y placer l’esprit de ténèbres, comme une grande ombre. L’ange rebelle épie les deux époux : il apprend de leur bouche le fatal secret ; il se réjouit de leur malheur à venir, et toute cette peinture de la félicité de nos pères n’est réellement que le premier pas vers d’affreuses calamités. Pénélope et Ulysse rappellent un malheur passé : Eve et Adam annoncent des maux près d’éclore. Tout drame pèche essentiellement par la base s’il offre des joies sans mélange de chagrins inouïs ou de chagrins à naître. Un bonheur absolu nous ennuie, un malheur absolu nous repousse ; le premier est dépouillé de souvenirs et de pleurs, le second d’espérances et de sourires. Si vous remontez de la douleur au plaisir, comme dans la scène d’Homère, vous serez plus touchant, plus mélancolique, parce que l’âme ne fait que rêver au passé et se repose dans le présent ; si vous descendez, au contraire, de la prospérité aux larmes, comme dans la peinture de Milton, vous serez plus triste, plus poignant, parce que le cœur s’arrête à peine dans le présent, et anticipe les maux qui le menacent. Il faut donc toujours, dans nos tableaux, unir le bonheur à l’infortune et faire la somme des maux un peu plus forte que celle des biens, comme dans la nature.

 

Deux liqueurs sont mêlées dans la coupe de la vie, l’une douce et l’autre amère : mais, outre l’amertume de la seconde, il y a encore la lie que les deux liqueurs déposent également au fond du vase.

 

 

CHATEAUBRIAND, Génie du Christianisme ; Deuxième Partie - Poétique du Christianisme ; Livre 2 - Poésie dans ses rapports avec les hommes. Caractères  ; Chapitre III - Suite des Epoux. — Adam et Eve

 

Satan Watching the Caresses of Adam and Eve, illustration to Milton's Paradise Lost, William Blake (1757 - 1827, London)

Satan Watching the Caresses of Adam and Eve, illustration to Milton's Paradise Lost, William Blake (1757 - 1827, London)

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28 avril 2015 2 28 /04 /avril /2015 11:00

Les princes ayant été tués par Ulysse, Euryclée va réveiller Pénélope, qui refuse longtemps de croire les merveilles que sa nourrice lui raconte. Cependant elle se lève, et, descendant les degrés, elle franchit le seuil de pierre, et va s’asseoir à la lueur du feu en face d’Ulysse, qui était lui-même assis au pied d’une colonne, les yeux baissés, attendant ce que lui dirait son épouse. Mais elle demeurait muette et l’étonnement avait saisi son cœur.

 

Télémaque accuse sa mère de froideur ; Ulysse sourit, et excuse Pénélope. La princesse doute encore et, pour éprouver son époux, elle ordonne de préparer la couche d’Ulysse hors de la chambre nuptiale. Aussitôt le héros s’écrie :

" Qui donc a déplacé ma couche ? N’est-elle plus attachée au tronc de l’olivier autour duquel j’avais moi-même bâti une salle dans ma cour.

Il dit, et soudain le cœur et les genoux de Pénélope lui manquent à la fois ; elle reconnaît Ulysse à cette marque certaine. Bientôt, courant à lui tout en larmes, elle suspend ses bras au cou de son époux ; elle baise sa tête sacrée ; elle s’écrie :

Ne sois point irrité, toi qui fus toujours le plus prudent des hommes !

Ne sois point irrité, ne t’indigne point, si j’ai hésité à me jeter dans tes bras. Mon cœur frémissait de crainte qu’un étranger ne vînt surprendre ma foi par des paroles trompeuses.

Mais à présent j’ai une preuve manifeste de toi-même, par ce que tu viens de dire de notre couche : aucun autre homme que toi ne l’a visitée : elle n’est connue que de nous deux et d’une seule esclave, Actoris, que mon père me donna lorsque je vins en Ithaque, et qui garde les portes de notre chambre nuptiale. Tu rends la confiance à ce cœur devenu défiant par le chagrin.

Elle dit ; et Ulysse, pressé du besoin de verser des larmes, pleure sur cette chaste et prudente épouse, en la serrant contre son cœur. Comme des matelots contemplent la terre désirée, lorsque Neptune a brisé leur rapide vaisseau, jouet des vents et des vagues immenses, un petit nombre, flottant sur l’antique mer, gagne la terre à la nage, et, tout couvert d’une écume salée, aborde, plein de joie, sur les grèves, en échappant à la mort : ainsi Pénélope attache ses regards charmés sur Ulysse ; elle ne peut arracher ses beaux bras du cou du héros ; et l’Aurore aux doigts de rose aurait vu les larmes de ces époux si Minerve n’eût retenu le soleil dans la mer.

Cependant Eurynome, un flambeau à la main, précédant les pas d’Ulysse et de Pénélope, les conduit à la chambre nuptiale.

Les deux époux, après s’être livrés aux premiers transports de leur tendresse, s’enchantèrent par le récit mutuel de leurs peines.

Ulysse achevait à peine les derniers mots de son histoire, qu’un sommeil bienfaisant se glissa dans ses membres fatigués, et vint suspendre les soucis de son âme."

 

Cette reconnaissance d’Ulysse et de Pénélope est peut-être une des plus belles compositions du génie antique. Pénélope assise en silence, Ulysse immobile au pied d’une colonne, la scène éclairée à la flamme du foyer : voilà d’abord un tableau tout fait pour un peintre, et où la grandeur égale la simplicité du dessin. Et comment se fera la reconnaissance ? Par une circonstance rappelée du lit nuptial ! C’est encore une autre merveille que ce lit fait de la main d’un roi sur le tronc d’un olivier, arbre de paix et de sagesse, digne d’être le fondement de cette couche qu’aucun autre homme qu’Ulysse n’a visitée. Les transports qui suivent la reconnaissance des deux époux ; cette comparaison si touchante d’une veuve qui retrouve son époux à un matelot qui découvre la terre au moment du naufrage ; le couple conduit au flambeau dans son appartement ; les plaisirs de l’amour suivis des joies de la douleur ou de la confidence des peines passées ; la double volupté du bonheur présent et du malheur en souvenir ; le sommeil qui vient par degrés fermer les yeux et la bouche d’Ulysse tandis qu’il raconte ses aventures à Pénélope attentive, ce sont autant de traits du grand maître ; on ne les saurait trop admirer.

 

Il y aurait une étude intéressante à faire : ce serait de tâcher de découvrir comment un auteur moderne aurait rendu tel morceau des ouvrages d’un auteur ancien. Dans le tableau précédent, par exemple, on peut soupçonner que la scène, au lieu de se passer en action entre Ulysse et Pénélope, eût été racontée par le poète. Il n’aurait pas manqué de semer son récit de réflexions philosophiques, de vers frappants, de mots heureux. Au lieu de cette manière brillante et laborieuse, Homère vous présente deux époux qui se retrouvent après vingt ans d’absence, et qui, sans jeter de grands cris, ont l’air de s’être à peine quittés de la veille. Où est donc la beauté de la peinture ? Dans la vérité.

 

Les modernes sont en général plus savants, plus délicats, plus déliés, souvent même plus intéressants dans leurs compositions que les anciens ; mais ceux-ci sont plus simples, plus augustes, plus tragiques, plus abondants et surtout plus vrais que les modernes. Ils ont un goût plus sûr, une imagination plus noble : ils ne savent travailler que l’ensemble, et négligent les ornements ; un berger qui se plaint, un vieillard qui raconte, un héros qui combat, voilà pour eux tout un poème ; et l’on ne sait comment il arrive que ce poème, où il n’y a rien, est cependant mieux rempli que nos romans chargés d’incidents et de personnages. L’art d’écrire semble avoir suivi l’art de la peinture : la palette du poète moderne se couvre d’une variété infinie de teintes et de nuances : le poète antique compose ses tableaux avec les trois couleurs de Polygnote. Les Latins, placés entre la Grèce et nous, tiennent à la fois des deux manières : à la Grèce, par la simplicité des fonds, à nous par l’art des détails. C’est peut-être cette heureuse harmonie des deux goûts qui fait la perfection de Virgile.

 

Voyons maintenant le tableau des amours de nos premiers pères : Eve et Adam, par l’aveugle d’Albion, feront un assez beau pendant à Ulysse et Pénélope, par l’aveugle de Smyrne.

 

 

CHATEAUBRIAND, Génie du Christianisme ; Deuxième Partie - Poétique du Christianisme ; Livre 2 - Poésie dans ses rapports avec les hommes. Caractères  ; Chapitre II - Des Epoux. — Ulysse et Pénélope

 

Homère, par Rembrandt

Homère, par Rembrandt

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27 avril 2015 1 27 /04 /avril /2015 11:00

Passons de cette revue générale des épopées aux détails des compositions poétiques. Avant d’examiner les caractères sociaux, tels que ceux du prêtre et du guerrier, considérons les caractères naturels, tels que ceux de l’époux, du père, de la mère, etc., et partons d’abord d’un principe incontestable.

 

Le christianisme est une religion pour ainsi dire double : s’il s’occupe de la nature de l’être intellectuel, il s’occupe aussi de notre propre nature ; il fait marcher de front les mystères de la Divinité et les mystères du cœur humain : en dévoilant le véritable Dieu, il dévoile le véritable homme.

 

Une telle religion doit être plus favorable à la peinture des caractères qu’un culte qui n’entre point dans le secret des passions. La plus belle moitié de la poésie, la moitié dramatique, ne recevait aucun secours du polythéisme ; la morale était séparée de la mythologie. Un dieu montait sur son char, un prêtre offrait un sacrifice ; mais ni le dieu ni le prêtre n’enseignaient ce que c’est que l’homme, d’où il vient, où il va, quels sont ses penchants, ses vices, ses fins dans cette vie, ses fins dans l’autre.

 

Dans le christianisme, au contraire, la religion et la morale sont une seule et même chose. L’Ecriture nous apprend notre origine, nous instruit de notre nature ; les mystères chrétiens nous regardent : c’est nous qu’on voit de toutes parts ; c’est pour nous que le Fils de Dieu s’est immolé. Depuis Moïse jusqu’à Jésus-Christ, depuis les Apôtres jusqu’aux derniers Pères de l’Église, tout offre le tableau de l’homme intérieur, tout tend à dissiper la nuit qui le couvre ; et c’est un des caractères distinctifs du christianisme d’avoir toujours mêlé l’homme à Dieu, tandis que les fausses religions ont séparé le Créateur de la créature.

 

Voilà donc un avantage incalculable, que les poètes auraient du remarquer dans la religion chrétienne, au lieu de s’obstiner à la décrier. Car si elle est aussi belle que le polythéisme dans le merveilleux ou dans les rapports des choses surnaturelles, comme nous essayerons de le montrer dans la suite, elle a de plus une partie dramatique et morale que le polythéisme n’avait pas.

 

Appuyons cette vérité sur des exemples ; faisons des rapprochements qui servent à nous attacher à la religion de nos pères par les charmes du plus divin de tous les arts.

 

Nous commencerons l’étude des caractères naturels par celui des époux, et nous opposerons à l’amour conjugal d’Eve et d’Adam l’amour conjugal d’Ulysse et de Pénélope. On ne nous accusera pas de choisir exprès des sujets médiocres dans l’antiquité pour faire briller les sujets chrétiens.

 

 

CHATEAUBRIAND, Génie du Christianisme ; Deuxième Partie - Poétique du Christianisme ; Livre 2 - Poésie dans ses rapports avec les hommes. Caractères ; Chapitre I - Caractères naturels

 

Ulysse et Pénélope, Le Primatice (Francesco Primaticcio, 1504, Bologne - 1570, Paris), ancienne galerie d’Ulysse du château de Fontainebleau

Ulysse et Pénélope, Le Primatice (Francesco Primaticcio, 1504, Bologne - 1570, Paris), ancienne galerie d’Ulysse du château de Fontainebleau

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23 avril 2015 4 23 /04 /avril /2015 11:00

Si un plan sage, une narration vive et pressée, de beaux vers, une diction élégante, un goût pur, un style correct, sont les seules qualités nécessaires à l’épopée, La Henriade est un poème achevé ; mais cela ne suffit pas : il faut encore une action héroïque et surnaturelle. Et comment Voltaire eût-il fait un usage heureux du merveilleux du christianisme, lui dont les efforts tendaient sans cesse à détruire ce merveilleux ? Telle est néanmoins la puissance des idées religieuses que l’auteur de La Henriade doit au culte même qu’il a persécuté les morceaux les plus frappants de son poème épique, comme il lui doit les plus belles scènes de ses tragédies.

 

Une philosophie modérée, une morale froide et sérieuse, conviennent à la muse de l’histoire ; mais cet esprit de sévérité, transporté à l’épopée, est peut-être un contresens. Ainsi, lorsque Voltaire s’écrie, dans l’invocation de son poème : "Descends du haut des cieux, auguste Vérité !" il est tombé, ce nous semble, dans une méprise. La poésie épique se soutient par la fable et vit de fiction.

 

Le Tasse, qui traitait un sujet chrétien, a fait ces vers charmants, d’après Platon et Lucrèce :

Sai che là torre in mondo, ove piu versi

Di sue dolcezze il lusinghier Parnaso

Là il n’y a point de poésie où il n’y a point de menterie, dit Plutarque.

 

Est-ce que cette France à demi barbare n’était plus assez couverte de forêts pour qu’on n’y rencontrât pas quelques-uns de ces châteaux du vieux temps, avec des mâchicoulis, des souterrains, des tours verdies par le lierre et pleines d’histoires merveilleuses ? Ne pouvait-on trouver quelque temple gothique dans une vallée, au milieu des bois ? Les montagnes de la Navarre n’avaient-elles point encore quelque druide qui sous le chêne, au bord du torrent, au murmure de la tempête, chantait les souvenirs des Gaules et pleurait sur la tombe des héros ? Je m’assure qu’il y avait quelque chevalier du règne de François Ier qui regrettait dans son manoir les tournois de la vieille cour et ces temps où la France s’en allait en guerre contre les mécréants et les infidèles. Que de choses à tirer de cette révolution des Bataves, voisine et, pour ainsi dire, sœur de la Ligue ! Les Hollandais s’établissaient aux Indes, et Philippe recueillait les premiers trésors du Pérou ; Coligny même avait envoyé une colonie dans la Caroline ; le chevalier de Gourgues offrait à l’auteur de La Henriade l’épisode le plus touchant : une épopée doit renfermer l’univers.

 

L’Europe, par le plus heureux des contrastes, présentait au poète le peuple pasteur en Suisse, le peuple commerçant en Angleterre et le peuple des arts en Italie ; la France se trouvait à son tour à l’époque la plus favorable pour la poésie épique ; époque qu’il faut toujours choisir, comme Voltaire l’avait fait, à la fin d’un âge, et à la naissance d’un autre âge, entre les anciennes mœurs et les mœurs nouvelles. La barbarie expirait, l’aurore du siècle de Louis commençait à poindre ; Malherbe était venu, et ce héros, à la fois barde et chevalier, pouvait conduire les Français au combat en chantant des hymnes à la victoire.

 

On convient que les caractères dans La Henriade ne sont que des portraits, et l’on a peut-être trop vanté cet art de peindre dont Rome en décadence a donné les premiers modèles. Le portrait n’est point épique ; il ne fournit que des beautés sans action et sans mouvement.

 

Quelques personnes doutent aussi que la vraisemblance des mœurs soit poussée assez loin dans La Henriade. Les héros de ce poème débitent de beaux vers, qui servent à développer les principes philosophiques de Voltaire ; mais représentent-ils bien les guerriers tels qu’ils étaient au XVIe siècle ? Si les discours des Ligueurs respirent l’esprit du temps, ne pourrait-on pas se permettre de penser que c’étaient les actions des personnages encore plus que leurs paroles qui devaient déceler cet esprit ? Du moins, le chantre d’Achille n’a pas mis l’Iliade en harangues.

 

Quant au merveilleux, il est, sauf erreur, à peu près nul dans La Henriade. Si l’on ne connaissait le malheureux système qui glaçait le génie poétique de Voltaire, on ne comprendrait pas comment il a préféré des divinités allégoriques au merveilleux du christianisme. Il n’a répandu quelque chaleur dans ses inventions qu’aux endroits mêmes où il cesse d’être philosophe pour devenir chrétien : aussitôt qu’il a touché à la religion, source de toute poésie, la source a abondamment coulé.

 

Le serment des Seize dans le souterrain, l’apparition du fantôme de Guise qui vient armer Clément d’un poignard, sont des machines fort épiques et puisées dans les superstitions mêmes d’un siècle ignorant et malheureux.

 

Le poète ne s’est-il pas encore un peu trompé lorsqu’il a transporté la philosophie dans le ciel ? Son Éternel est sans doute un Dieu fort équitable, qui juge avec impartialité le bonze et le derviche, le juif et le mahométan ; mais était-ce bien cela qu’on attendait de sa muse ? Ne lui demandait-on pas de la poésie, un ciel chrétien, des cantiques, Jéhovah, enfin le mens divinior, la religion ?

 

Voltaire a donc brisé lui-même la corde la plus harmonieuse de sa lyre en refusant de chanter cette milice sacrée, cette armée des martyrs et des anges, dont ses talents auraient pu tirer un parti admirable. Il eût trouvé parmi nos saintes des puissances aussi grandes que celles des déesses antiques, et des noms aussi doux que ceux des Grâces. Quel dommage qu’il n’ait rien voulu dire de ces bergères transformées par leurs vertus en bienfaisantes divinités ; de ces Geneviève qui du haut du ciel protègent avec une houlette, l’empire de Clovis et de Charlemagne ! Il nous semble qu’il y a quelque enchantement pour les muses à voir le peuple le plus spirituel et le plus brave consacré par la religion à la Fille de la simplicité et de la paix. De qui la Gaule tiendrait-elle ses troubadours, son esprit naïf et son penchant aux grâces, si ce n’était du chant pastoral, de l’innocence et de la beauté de sa patronne ?

 

Des critiques judicieux ont observé qu’il y a deux hommes dans Voltaire : l’un plein de goût, de savoir, de raison ; l’autre qui pèche par les défauts contraires à ces qualités. On peut douter que l’auteur de La Henriade ait eu autant de génie que Racine, mais il avait peut-être un esprit plus varié et une imagination plus flexible. Malheureusement la mesure de ce que nous pouvons n’est pas toujours la mesure de ce que nous faisons. Si Voltaire eût été animé par la religion comme l’auteur d’Athalie ; s’il eût étudié comme lui les Pères et l’antiquité ; s’il n’eût pas voulu embrasser tous les genres et tous les sujets, sa poésie fût devenue plus nerveuse, et sa prose eût acquis une décence et une gravité qui lui manquent trop souvent. Ce grand homme eut le malheur de passer sa vie au milieu d’un cercle de littérateurs médiocres, qui, toujours prêts à l’applaudir, ne pouvaient l’avertir de ses écarts. On aime à se le représenter dans la compagnie des Pascal, des Arnaud, des Nicole, des Boileau, des Racine : c’est alors qu’il eût été forcé de changer de ton. On aurait été indigné à Port-Royal des plaisanteries et des blasphèmes de Ferney ; on y détestait les ouvrages faits à la hâte ; on y travaillait avec loyauté, et l’on n’eût pas voulu pour tout au monde tromper le public en lui donnant un poème qui n’eût pas coûté au moins douze bonnes années de labeur. Et ce qu’il y avait de très merveilleux, c’est qu’au milieu de tant d’occupations, ces excellents hommes trouvaient encore le secret de remplir les plus petits devoirs de leur religion et de porter dans la société l’urbanité de leur grand siècle.

 

C’était une telle école qu’il fallait à Voltaire. Il est bien à plaindre d’avoir eu ce double génie qui force à la fois à l’admirer et à le haïr. Il édifie et renverse ; il donne les exemples et les préceptes les plus contraires ; il élève aux nues le siècle de Louis XIV, et attaque ensuite en détail la réputation des grands hommes de ce siècle : tour à tour il encense et dénigre l’antiquité ; il poursuit, à travers soixante-dix volumes, ce qu’il appelle l’infâme ; et les morceaux les plus beaux de ses écrits sont inspirés par la religion. Tandis que son imagination vous ravit, il fait luire une fausse raison qui détruit le merveilleux, rapetisse l’âme et borne la vue. Excepté dans quelques-uns de ses chefs-d’œuvre, il n’aperçoit que le côté ridicule des choses et des temps, et montre sous un jour hideusement gai l’homme à l’homme. Il charme et fatigue par sa mobilité, il vous enchante et vous dégoûte ; on ne sait quelle est la forme qui lui est propre : il serait insensé s’il n’était si sage, et méchant si sa vie n’était remplie de traits de bienfaisance. Au milieu de ses impiétés, on peut remarquer qu’il haïssait les sophistes. Il aimait naturellement les beaux-arts, les lettres et la grandeur, et il n’est pas rare de le surprendre dans une sorte d’admiration pour la cour de Rome. Son amour-propre lui fit jouer toute sa vie un rôle pour lequel il n’était point fait, et auquel il était fort supérieur. Il n’avait rien en effet de commun avec MM. Diderot, Raynal et d’Alembert. L’élégance de ses mœurs, ses belles manières, son goût pour la société, et surtout son humanité, l’auraient vraisemblablement rendu un des plus grands ennemis du régime révolutionnaire. Il est très décidé en faveur de l’ordre social, sans s’apercevoir qu’il le sape par les fondements en attaquant l’ordre religieux. Ce qu’on peut dire sur lui de plus raisonnable, c’est que son incrédulité l’a empêché d’atteindre à la hauteur où l’appelait la nature, et que ses ouvrages, excepté ses poésies fugitives, sont demeurés au-dessous de son véritable talent : exemple qui doit à jamais effrayer quiconque suit la carrière des lettres.

 

Voltaire n’a flotté parmi tant d’erreurs, tant d’inégalités de style et de jugement, que parce qu’il a manqué du grand contrepoids de la religion : il a prouvé que des mœurs graves et une pensée pieuse sont encore plus nécessaires dans le commerce des muses qu’un beau génie.

 

 

CHATEAUBRIAND, Génie du Christianisme ; Deuxième Partie - Poétique du Christianisme ; Livre 1 - Vue générale des épopées chrétiennes ; Chapitre V - La Henriade

 

Buste de Voltaire, 1778, par Houdon

Buste de Voltaire, 1778, par Houdon

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22 avril 2015 3 22 /04 /avril /2015 11:00

Quand le christianisme n’aurait donné à la poésie que Le Paradis perdu ; quand son génie n’aurait inspiré ni La Jérusalem délivrée, ni Polyeucte, ni Esther, ni Athalie, ni Zaïre, ni Alzire, on pourrait encore soutenir qu’il est favorable aux muses. Nous placerons dans ce chapitre, entre Le Paradis perdu et La Henriade, quelques poèmes français et étrangers dont nous n’avons qu’un mot à dire.

 

Les morceaux remarquables répandus dans le Saint Louis du Père Lemoine ont été si souvent cités, que nous ne les répéterons point ici. Ce poème informe a pourtant quelques beautés qu’on chercherait en vain dans La Jérusalem. Il y règne une sombre imagination, très propre à la peinture de cette Égypte pleine de souvenirs et de tombeaux, et qui vit passer tour à tour les Pharaons, les Ptolomées, les solitaires de la Thébaïde et les Soudans des barbares.

 

La Pucelle de Chapelain, le Moïse sauvé de Saint-Amand et le David de Coras, ne sont plus connus que par les vers de Boileau. On peut cependant tirer quelque fruit de la lecture de ces ouvrages : le David surtout mérite d’être parcouru.

 

Le prophète Samuel raconte à David l’histoire des rois d’lsraël :

Jamais, dit le grand saint, la fière tyrannie

Devant le Roi des rois ne demeure impunie,

Et de nos derniers chefs le juste châtiment

En fournit à toute heure un triste monument.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Contemple donc Héli, le chef du tabernacle,

Que Dieu fit de son peuple et le juge et l’oracle :

Son zèle à sa patrie eût pu servir d’appui,

S’il n’eût deux fils trop peu dignes de lui.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Mais Dieu fait sur ces fils, dans le vice obstinés,

Tonner l’arrêt des coups qui leur sont destinés,

Et par un saint héros, dont la voix les menace,

Leur annonce leur perte et celle de leur race.

O Ciel ! quand tu lanças ce terrible décret,

Quel ne fut point d’Héli le deuil et le regret !

Mes yeux furent témoins de toutes ses alarmes,

Et mon front bien souvent fut mouillé de ses larmes.

 

Ces vers sont remarquables, parce qu’ils sont assez beaux comme vers. Le mouvement qui les termine pourrait être avoué d’un grand poète.

 

L’épisode de Ruth, raconté dans la grotte sépulcrale où sont ensevelis les anciens patriarches, a de la simplicité :

On ne sait qui des deux, ou l’épouse ou l’époux,

Eut l’âme la plus pure et le sort le plus doux.

 

Enfin Coras réussit quelquefois dans le vers descriptif. Cette image du soleil à son midi est pittoresque :

Cependant le soleil, couronné de splendeur,

Amoindrissant sa forme, augmentait son ardeur.

 

Saint-Amand, presque vanté par Boileau, qui lui accorde du génie, est néanmoins inférieur à Coras. La composition du Moïse sauvé est languissante, le vers lâche et prosaïque, le style plein d’antithèses et de mauvais goût. Cependant on y remarque quelques morceaux d’un sentiment vrai, et c’est sans doute ce qui avait adouci l’humeur du chantre de l’Art poétique.

 

Il serait inutile de nous arrêter à l’Araucana, avec ses trois parties et ses trente-cinq chants originaux, sans oublier les chants supplémentaires de Don Diego de Santistevan Ojozio. Il n’y a point de merveilleux chrétien dans cet ouvrage ; c’est une narration historique de quelques faits arrivés dans les montagnes du Chili. La chose la plus intéressante du poème est d’y voir figurer Ercilla lui-même, qui se bat et qui écrit. L’Araucana est mesuré en octaves, comme l’Orlando et la Jérusalem. La littérature italienne donnait alors le ton aux diverses littératures de l’Europe. Ercilla chez les Espagnols et Spencer chez les Anglais ont fait des stances et imité l’Arioste jusque dans son exposition. Ercilla dit :

No las damas, amor, ne gentilezas,

De cavalleros canto enamorados,

Ni las muestras, regalos y ternezas

De amorosos afectos y cuydados :

Mas el valor, los hechos, las proezas

De aquelos Espanoles esforçados

Que a la cerviz de Arauco ne domada

Pusieron duro yugo por la espada.

 

C’était encore un bien riche sujet d’épopée que celui de La Lusiade. On a de la peine à concevoir comment un homme du génie du Camoëns n’en a pas su tirer un plus grand parti. Mais enfin il faut se rappeler que ce poète fut le premier poète épique moderne, qu’il vivait dans un siècle barbare, qu’il y a des choses touchantes et quelquefois sublimes dans ses vers, et qu’après tout il fut le plus infortuné des mortels. C’est un sophisme digne de la dureté de notre siècle d’avoir avancé que les bons ouvrages se font dans le malheur : il n’est pas vrai qu’on puisse bien écrire quand on souffre. Les hommes qui se consacrent au culte des muses se laissent plus vite submerger à la douleur que les esprits vulgaires : un génie puissant use bientôt le corps qui le renferme : les grandes âmes, comme les grands fleuves, sont sujettes à dévaster leurs rivages.

 

Le mélange que le Camoëns a fait de la fable et du christianisme nous dispense de parler du merveilleux de son poème.

 

Klopstock est tombé dans le défaut d’avoir pris le merveilleux du christianisme pour sujet de son poème. Son premier personnage est un Dieu : cela seul suffirait pour détruire l’intérêt tragique. Toutefois il y a de beaux traits dans Le Messie. Les deux amants ressuscités par le Christ offrent un épisode charmant que n’auraient pu fournir les fables mythologiques. Nous ne nous rappelons point de personnages arrachés au tombeau, chez les anciens, si ce n’est Alceste, Hippolyte et Hérès de Pamphylie.

 

L’abondance et la grandeur caractérisent le merveilleux du Messie. Ces globes habités par des êtres différents de l’homme, cette profusion d’anges, d’esprits de ténèbres, d’âmes à naître ou d’âmes qui ont déjà passé sur la terre, jettent l’esprit dans l’immensité. Le caractère d’Abbadona, l’ange repentant, est une conception heureuse. Klopstock a aussi créé une sorte de séraphins mystiques inconnus avant lui.

 

Gessner nous a laissé dans La Mort d’Abel un ouvrage plein d’une tendre majesté. Malheureusement il est gâté par cette teinte doucereuse de l’idylle, que les Allemands répandent presque toujours sur les sujets tirés de l’Écriture. Leurs poètes pèchent contre une des plus grandes lois de l’épopée, la vraisemblance des mœurs, et transforment en innocents bergers d’Arcadie les rois pasteurs de l’Orient.

 

Quant à l’auteur du poème de Noé, il a succombé sous la richesse de son sujet. Pour une imagination vigoureuse, c’était pourtant une belle carrière à parcourir qu’un monde antédiluvien. On n’était pas même obligé de créer toutes les merveilles : en fouillant le Critias, les chronologies d’Eusèbe, quelques traités de Lucien et de Plutarque, on eût trouvé une ample moisson. Scaliger cite un fragment de Polyhistor touchant certaines tables écrites avant le déluge et conservées à Sippary, la même vraisemblablement que la Sipphara de Ptolomée. Les muses parlent et entendent toutes les langues : que de choses ne pouvaient-elles pas lire sur ces tables !

 

 

CHATEAUBRIAND, Génie du Christianisme ; Deuxième Partie - Poétique du Christianisme ; Livre 1 - Vue générale des épopées chrétiennes ; Chapitre IV - De quelques Poèmes français et étrangers

 

Buste de Luís de Camões, sculptée par Maria Menéres, Paris XVIe, Avenue de Camoëns

Buste de Luís de Camões, sculptée par Maria Menéres, Paris XVIe, Avenue de Camoëns

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21 avril 2015 2 21 /04 /avril /2015 11:00

On peut reprocher au Paradis perdu de Milton, ainsi qu’à l’Enfer du Dante, le défaut dont nous avons parlé : le merveilleux est le sujet et non la machine de l’ouvrage, mais on y trouve des beautés supérieures, qui tiennent essentiellement à notre religion.

 

L’ouverture du poème se fait aux enfers, et pourtant ce début n’a rien qui choque la règle de simplicité prescrite par Aristote. Pour un édifice si étonnant il fallait un portique extraordinaire, afin d’introduire le lecteur dans ce monde inconnu dont il ne devait plus sortir.

 

Milton est le premier poète qui ait conclu l’épopée par le malheur du principal personnage, contre la règle généralement adoptée. Qu’on nous permette de penser qu’il y a quelque chose de plus intéressant, de plus grave, de plus semblable à la condition humaine, dans un poème qui aboutit à l’infortune, que dans celui qui se termine au bonheur. On pourrait même soutenir que la catastrophe de l’Iliade est tragique. Car si le fils de Pélée atteint le but de ses désirs, toutefois la conclusion du poème laisse un sentiment profond de tristesse : on vient de voir les funérailles de Patrocle, Priam rachetant le corps d’Hector, la douleur d’Hécube et d’Andromaque, et l’on aperçoit dans le lointain la mort d’Achille et la chute de Troie.

 

Le berceau de Rome chanté par Virgile est un grand sujet sans doute ; mais que dire du sujet d’un poème qui peint une catastrophe dont nous sommes nous-mêmes les victimes, qui ne nous montre pas le fondateur de telle ou telle société, mais le père du genre humain ? Milton ne vous entretient ni de batailles, ni de jeux funèbres, ni de camps, ni de villes assiégées ; il retrace la première pensée de Dieu, manifestée dans la création du monde, et les premières pensées de l’homme au sortir des mains du Créateur.

 

Rien de plus auguste et de plus intéressant que cette étude des premiers mouvements du cœur de l’homme. Adam s’éveille à la vie, ses yeux s’ouvrent : il ne sait d’où il sort. Il regarde le firmament ; par un mouvement de désir, il veut s’élancer vers cette voûte, et il se trouve debout, la tête levée vers le ciel. Il touche ses membres, il court, il s’arrête ; il veut parler, et il parle. Il nomme naturellement ce qu’il voit, et s’écrie : "Ô toi, soleil, et vous, arbres, forêts, collines, vallées, animaux divers !" et les noms qu’il donne sont les vrais noms des êtres. Et pourquoi Adam s’adresse-t-il au soleil, aux arbres ? "Soleil, arbres, dit-il, savez-vous le nom de celui qui m’a créé ?" Ainsi, le premier sentiment que l’homme éprouve est le sentiment de l’existence de l’Être suprême ; le premier besoin qu’il manifeste est le besoin de Dieu ! Que Milton est sublime dans ce passage ! Mais se fût-il élevé à ces pensées s’il n’eût connu la religion de Jésus-Christ ?

 

Dieu se manifeste à Adam ; la créature et le Créateur s’entretiennent ensemble : ils parlent de la solitude. Nous supprimons les réflexions. La solitude ne vaut rien à l’homme. Adam s’endort : Dieu tire du sein même de notre premier père une nouvelle créature, et la lui présente à son réveil : "La grâce est dans sa démarche, le ciel dans ses yeux, et la dignité et l’amour dans tous ses mouvements. Elle s’appelle la femme ; elle est née de l’homme. L’homme quittera pour elle son père et sa mère." Malheur à celui qui ne sentirait pas là-dedans la Divinité !

 

Le poète continue à développer ces grandes vues de la nature humaine, cette sublime raison du christianisme. Le caractère de la femme est admirablement tracé dans la fatale chute. Eve tombe par amour-propre : elle se vante d’être assez forte pour s’exposer seule ; elle ne veut pas qu’Adam l’accompagne dans le lieu où elle cultive des fleurs. Cette belle créature, qui se croit invincible en raison même de sa faiblesse, ne sait pas qu’un seul mot peut la subjuguer. L’Écriture nous peint toujours la femme esclave de sa vanité. Quand Isaïe menace les filles de Jérusalem : "Vous perdrez, leur dit-il, vos boucles d’oreilles, vos bagues, vos bracelets, vos voiles." On a remarqué de nos jours un exemple frappant de ce caractère. Telles femmes pendant la Révolution ont donné des preuves multipliées d’héroïsme, et leur vertu est venue depuis échouer contre un bal, une parure, une fête. Ainsi s’explique une de ces mystérieuses vérités cachées dans les Écritures : en condamnant la femme à enfanter avec douleur, Dieu lui a donné une très grande force contre la peine, mais en même temps, et en punition de sa faute, il l’a laissée faible contre le plaisir. Aussi Milton appelle-t-il la femme fair defect of nature, beau défaut de la nature.

 

La manière dont le poète anglais a conduit la chute de nos premiers pères mérite d’être examinée. Un esprit ordinaire n’aurait pas manqué de renverser le monde au moment où Eve porte à sa bouche le fruit fatal ; Milton s’est contenté de faire pousser un soupir à la terre qui vient d’enfanter la mort : on est beaucoup plus surpris, parce que cela est beaucoup moins surprenant. Quelles calamités cette tranquillité présente de la nature ne fait-elle point entrevoir dans l’avenir ! Tertullien, cherchant pourquoi l’univers n’est point dérangé par les crimes des hommes, en apporte une raison sublime : cette raison, c’est la patience de Dieu.

 

Lorsque la mère du genre humain présente le fruit de science à son époux, notre premier père ne se roule point dans la poudre, ne s’arrache point les cheveux, ne jette point de cris. Un tremblement le saisit, il reste muet, la bouche entrouverte et les yeux attachés sur son épouse. Il aperçoit l’énormité du crime ; d’un côté, s’il désobéit, il devient sujet à la mort ; de l’autre, s’il reste fidèle, il garde son immortalité, mais il perd sa compagne, désormais condamnée au tombeau. Il peut refuser le fruit, mais peut-il vivre sans Eve ? Le combat n’est pas long : tout un monde est sacrifié à l’amour. Au lieu d’accabler son épouse de reproches, Adam la console et prend de sa main la pomme fatale. A cette consommation du crime rien ne s’altère encore dans la nature : les passions seulement font gronder leurs premiers orages dans le cœur du couple malheureux.

 

Adam et Eve s’endorment, mais ils n’ont plus cette innocence qui rend les songes légers. Bientôt ils sortent de ce sommeil agité comme on sortirait d’une pénible insomnie (as from unrest). C’est alors que le péché se présente à eux. "Qu’avons-nous fait ? s’écrie Adam ; pourquoi es-tu nue ? Couvrons-nous, de peur qu’on ne nous voie dans cet état." Le vêtement ne cache point une nudité dont on s’est aperçu.

 

Cependant la faute est connue au ciel, une sainte tristesse saisit les anges, mais that sadness mixt with pity : did not alter their bliss cette tristesse mêlée à la pitié n’altéra point leur bonheur ; mot chrétien et d’une tendresse sublime. Dieu envoie son Fils pour juger les coupables ; le juge descend ; il appelle Adam : "Où es-tu ?" lui dit-il. Adam se cache. "Seigneur, je n’ose me montrer à vous, parce que je suis nu." - "Comment sais-tu que tu es nu ? Aurais-tu mangé du fruit de science ?" Quel dialogue ! cela n’est point d’invention humaine. Adam confesse son crime ; Dieu prononce la sentence : "Homme, tu mangeras ton pain à la sueur de ton front ; tu déchireras péniblement le sein de la terre ; sorti de la poudre, tu retourneras en poudre. — Femme, tu enfanteras avec douleur." Voilà l’histoire du genre humain en quelques mots. Nous ne savons pas si le lecteur est frappé comme nous, mais nous trouvons dans cette scène de la Genèse quelque chose de si extraordinaire et de si grand, qu’elle se dérobe à toutes les explications du critique ; l’admiration manque de termes, et l’art rentre dans le néant.

 

Le Fils de Dieu remonte au ciel, après avoir laissé des vêtements aux coupables. Alors commence ce fameux drame entre Adam et Eve, dans lequel on prétend que Milton a consacré un événement de sa vie, un raccommodement entre lui et sa première femme. Nous sommes persuadé que les grands écrivains ont mis leur histoire dans leurs ouvrages. On ne peint bien que son propre cœur, en l’attribuant à un autre, et la meilleure partie du génie se compose de souvenirs.

 

Adam s’est retiré seul pendant la nuit sous un ombrage : la nature de l’air est changée : des vapeurs froides, des nuages épais obscurcissent les cieux ; la foudre a embrasé les arbres ; les animaux fuient à la vue de l’homme ; le loup commence à poursuivre l’agneau, le vautour à déchirer la colombe. Adam tombe dans le désespoir ; il désire de rentrer dans le sein de la terre. Mais un doute le saisit… s’il avait en lui quelque chose d’immortel ? si ce souffle de vie qu’il a reçu de Dieu ne pouvait périr ? si la mort ne lui était d’aucune ressource ? s’il était condamné à être éternellement malheureux ? La philosophie ne peut demander un genre de beautés plus élevées et plus graves. Non seulement les poètes antiques n’ont jamais fondé un désespoir sur de pareilles bases, mais les moralistes eux-mêmes n’ont rien d’aussi grand.

 

Eve a entendu les gémissements de son époux : elle s’avance vers lui ; Adam la repousse ; Eve se jette à ses pieds, les baigne de larmes. Adam est touché : il relève la mère des hommes. Eve lui propose de vivre dans la continence, ou de se donner la mort, pour sauver sa postérité. Ce désespoir, si bien attribué à une femme, tant par son excès que par sa générosité, frappe notre premier père. Que va-t-il répondre à son épouse ? "Eve, l’espoir que tu fondes sur le tombeau et ton mépris pour la mort me prouvent que tu portes en toi quelque chose qui n’est pas soumis au néant."

 

Le couple infortuné se décide à prier Dieu et à se recommander à la miséricorde éternelle. Il se prosterne et élève un cœur et une voix humiliés vers celui qui pardonne. Ces accents montent au séjour céleste, et le Fils se charge lui-même de les présenter à son Père. On admire avec raison dans l’Iliade les Prières boiteuses, qui suivent l’Injure pour réparer les maux qu’elle a faits. Cependant Milton lutte ici sans trop de désavantage contre cette fameuse allégorie : ces premiers soupirs d’un cœur contrit, qui trouvent la route que tous les soupirs du monde doivent bientôt suivre ; ces humbles vœux qui viennent se mêler à l’encens qui fume devant le Saint des saints ; ces larmes pénitentes qui réjouissent les esprits célestes, ces larmes qui sont offertes à l’Éternel par le Rédempteur du genre humain, ces larmes qui touchent Dieu lui-même (tant a de puissance la première prière de l’homme repentant et malheureux !), toutes ces beautés réunies ont en soi quelque chose de si moral, de si solennel, de si attendrissant, qu’elles ne sont peut-être point effacées par les Prières du chantre d’Ilion.

 

Le Très-Haut se laisse fléchir et accorde le salut final de l’homme. Milton s’est emparé avec beaucoup d’art de ce premier mystère des Écritures ; il a mêlé partout l’histoire d’un Dieu qui dès le commencement des siècles se dévoue à la mort pour racheter l’homme de la mort. La chute d’Adam devient plus puissante et plus tragique quand on la voit envelopper dans ses conséquences jusqu’au Fils de l’Éternel.

 

Outre ces beautés, qui appartiennent au fond du Paradis perdu, il y a une foule de beautés de détail dont il serait trop long de rendre compte. Milton a surtout le mérite de l’expression. On connaît les ténèbres visibles, le silence ravi, etc. Ces hardiesses, lorsqu’elles sont bien sauvées, comme les dissonances en musique, font un effet très brillant ; elles ont un faux air de génie : mais il faut prendre garde d’en abuser : quand on les recherche, elles ne deviennent plus qu’un jeu de mots puéril, pernicieux à la langue et au goût.

 

Nous observerons encore que le chantre d’Eden, à l’exemple du chantre de l’Ausonie, est devenu original en s’appropriant des richesses étrangères : l’écrivain original n’est pas celui qui n’imite personne, mais celui que personne ne peut imiter.

 

Cet art de s’emparer des beautés d’un autre temps pour les accommoder aux mœurs du siècle où l’on vit a surtout été connu du poète de Mantoue. Voyez, par exemple, comme il a transporté à la mère d’Euryale les plaintes d’Andromaque sur la mort d’Hector. Homère, dans ce morceau, a quelque chose de plus naïf que Virgile, auquel il a fourni d’ailleurs tous les traits frappants, tels que l’ouvrage échappant des mains d’Andromaque, l’évanouissement, etc. (et il en a quelques autres qui ne sont point dans l’Enéide, comme le pressentiment du malheur et cette tête qu’Andromaque échevelée avance à travers les créneaux). Mais aussi l’épisode d’Euryale est plus pathétique et plus tendre. Cette mère qui, seule de toutes les Troyennes, a voulu suivre les destinées d’un fils ; ces habits devenus inutiles, dont elle occupait son amour maternel, son exil, sa vieillesse et sa solitude, au moment même où l’on promenait la tête du jeune homme sous les remparts du camp, ce femineo ululatu, sont des choses qui n’appartiennent qu’à l’âme de Virgile. Les plaintes d’Andromaque, plus étendues, perdent de leur force ; celles de la mère d’Euryale, plus resserrées, tombent avec tout leur poids sur le cœur.

 

Cela prouve qu’une grande différence existait déjà entre les temps de Virgile et ceux d’Homère, et qu’au siècle du premier tous les arts, même celui d’aimer, avaient acquis plus de perfection.

 

 

CHATEAUBRIAND, Génie du Christianisme ; Deuxième Partie - Poétique du Christianisme ; Livre 1 - Vue générale des épopées chrétiennes ; Chapitre III - Paradis perdu

 

A Portrait of John Milton in the collection of Christ's College, Cambridge

A Portrait of John Milton in the collection of Christ's College, Cambridge

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