Jérusalem est située sur deux montagnes, ainsi que David le rappelle, en disant : Ses fondements sont posés sur les saintes montagnes. Les remparts qui entourent la ville renferment presque entièrement les points les plus élevés de ces montagnes, séparées par une étroite vallée, qui coupe aussi la ville eu deux parties.
L'une de ces montagnes, qui se trouve à l'occident, est appelée Sion, et a souvent donné son nom à la ville même, comme on peut le voir par ces paroles de David : Le Seigneur aime les portes de Sion plus que toutes les tentes de Jacob. L'autre montagne, située à l'orient, est appelée Moriah : il en est fait mention dans le second livre des Paralipomènes, en ces termes : Salomon commença donc à bâtir le temple du Seigneur à Jérusalem sur la montagne de Moriah, qui avait été montrée à son père David, et au lieu même que David avait disposé dans l'aire d'Ornan le Jébuséen.
C'est à l'occident, presque sur le point le plus élevé, qu'est construite l'église dite de Sion, du nom de la montagne, non loin de cette tour de David, ouvrage extrêmement solide, qui sert comme de citadelle à Jérusalem, garni de tours, de murailles et de remparts, et qui domine toute la ville. On voit aussi sur la même montagne, mais au revers qui fait face à l'orient, l'église de la Sainte-Résurrection, construite en rotonde. Comme elle est située sur le penchant de la montagne qui la domine et lui est contigüe, l'intérieur aurait été fort obscur ; mais le toit, composé de poutres qui s'élèvent dans les airs et sont entrelacées avec un art merveilleux en forme de couronne, est constamment ouvert et répand ainsi dans l'église une lumière suffisante. C'est au dessous de ce vaste ciel ouvert qu'est posé le monument du Sauveur du monde.
Avant l'arrivée des Latins, l'emplacement dit le Calvaire, ou Golgotha, lieu où le Seigneur souffrit la Passion, où l'on dit que l'on a trouvé encore du bois de la croix vivifiante, où le corps du Seigneur, après avoir été déposé de la croix, fut, dit-on, frotté de parfums et d'aromates et enveloppé dans le suaire, selon la coutume des juifs ; ce lieu, dis-je, était en dehors de l'enceinte de l'église et ne contenait que de très petits oratoires. Mais lorsque, par le secours de la clémence divine et par la force de leurs bras, les Croisés se furent emparés de Jérusalem, ils jugèrent cet édifice beaucoup trop étroit. On fit agrandir considérablement l’ancienne église, en y ajoutant un ouvrage vaste et solide dans lequel elle se trouva renfermée et qui enveloppa aussi les lieux miraculeux que je viens de décrire.
Sur l'autre montagne qui est située à l'orient, et du côté du revers qui fait face au midi, est le temple du Seigneur, bâti sur l'emplacement où le roi David, ainsi que nous le lisons dans le livre des Rois et dans les Paralipomènes, acheta l'aire qui appartenait à Aurelnne, ou Ornan, le Jébuséen. Ce fut là qu'il lui fut ordonné de construire un autel au Seigneur et qu’il offrit plus tard des holocaustes et des sacrifices expiatoires ; il invoqua le Seigneur, et le Seigneur l'exauça en faisant descendre le feu du ciel sur l'autel de l'holocauste. Après la mort de David, Salomon, son fils, fit construire le temple du Seigneur sur le lieu, d'après les ordres de l'Éternel. Les traditions anciennes nous apprennent quelle était la forme de ce temple, et comment il fut renversé sous Nabuchodonosor, roi des Babyloniens, ensuite réédifié sous Cyrus, roi des Perses, par Zorobabel et Jéhu le grand-prêtre, et enfin détruit une seconde fois ainsi que toute la ville par Titus, prince des Romains. Il suffira donc maintenant de dire quel fut celui qui fit construire le temple actuel et comment.
J'ai dit, au commencement de cette histoire, que cet édifice fut élevé par les ordres d'Omar, fils de Catab, troisième successeur à l'Empire. Ce fait est attesté d'une manière évidente par les inscriptions monumentales que l'on y trouve encore tant au dedans qu'au dehors. Voici maintenant une description du temple même.
Un plateau, ayant en longueur et en largeur une étendue telle que le trait d'un arc peut à peine porter d'une extrémité à l'autre, et formé de quatre côtés parfaitement égaux, est environné d'une muraille solide et de moyenne hauteur. Du côté de l'occident on arrive à ce plateau par deux portes, dont l'une s'appelle la Belle Porte : ce fut là que Pierre, selon ce qui est rapporté dans les Actes des Apôtres, releva et redressa un boiteux de naissance, qui demandait l'aumône aux passants. Je ne sais pas précisément le nom de l'autre porte. Il y en a une autre du côté du nord, et du côte de l'orient une quatrième qui, aujourd'hui encore, est appelée la porte d'Or.
Au midi est la demeure royale, communément appelée temple de Salomon. Au dessus de chacune de ces portes, qui communiquent immédiatement avec la ville, et à chacun des angles du plateau, il y avait des tours fort élevées, sur lesquelles les prêtres qui servaient les superstitions des Sarrasins avaient coutume de monter à de certaines heures, pour inviter le peuple à venir assister aux prières. Quelques-unes de ces tours subsistent encore, d'autres ont été détruites par divers accidents. Personne n'avait la permission d'habiter dans cette enceinte ; on ne pouvait même y entrer que pieds nus et après les avoir lavés, et il y avait à chaque porte des gardiens chargés de veiller soigneusement à l'observation de ces ordres.
Au milieu du plateau, ainsi environné de toutes parts, était un second plateau un peu plus élevé, formé également de quatre côtés, placés de tous points à égale distance des premières murailles. On y arrivait du côté de l'occident et du midi par deux points, et du côté de l'orient par un seul point, en montant quelques marches d'escalier. Il y avait un petit oratoire a chacun des angles de cette seconde enceinte ; il y en a qui subsistent encore, d'autres ont été détruits pour faire place à de nouvelles constructions. Au milieu du plateau supérieur se trouve le temple, construit en forme octogone, orné au dedans et au dehors de plaques de marbre et d'ouvrages en mosaïque : le toit est sphérique et recouvert en plomb avec beaucoup d'art. Le plateau supérieur et le plateau inférieur sont également pavés en pierres blanches, en sorte que, dans les temps d'hiver, les eaux pluviales, qui tombent en grande abondance du faîte de l'édifice, demeurent limpides et exemptes de toute souillure, et vont de là tomber dans les nombreuses citernes construites au dessous de l'enceinte extérieure. Dans l'intérieur même du temple, et au dessous d'un rang de colonnes qui s'élèvent aussi au devant, est un quartier de roc assez élevé et formant dans sa concavité une espèce de grotte : c'est là qu'on dit que se reposa l'ange qui frappa le peuple, à la suite du dénombrement imprudemment ordonné par David, jusqu'au moment où le Seigneur lui prescrivit d'épargner son peuple et de remettre son épée dans le fourreau. Alors David, ayant acheté cette aire au prix de six cents sicles d'or, de bon poids, y fit construire un autel.
Avant l'arrivée des Croisés, l'entrée de celle grotte était nue et entièrement à découvert, et elle demeura ainsi quinze ans encore ; mais ensuite ceux qui gouvernaient à Jérusalem la firent couvrir d'un marbre blanc, et firent construire par-dessus un autel et un chœur, où un prêtre célébrait les offices divins.
GUILLAUME DE TYR, HISTOIRE DES CROISADES, BnF - Gallica
Tombeau de David au Mont Sion, 1865, photo de Peter Bergheim
TOMBEAU DE DAVID