
Pour en revenir à la rue, elle titube le long de son église et elle est coupée, au coin du portail, par une sente que, dans son "Dit des rues de Paris", Guillot traite de ruellette et
accuse, en des termes singulièrement crus, d’être une garenne de filles. Plus tard, au XVe siècle, elle fut occupée, en partie, par le collège de Lisieux qui fut transporté ensuite rue des Grès,
puis rue Jean-de-Beauvais ; enfin elle eut pendant plus d’un siècle pour locataires les desservants de la paroisse et elle s’appela, tour à tour, ruelle de l’Archiprêtre, rue aux Prêtres et fut
enfin désignée sous le nom de rue des Prêtres-Saint-Séverin qu’elle a gardé.
Une question maintenant se pose, celle de savoir quel est le saint qui a baptisé la petite basilique et placé sous son vocable tout le quartier. De même que pour saint Julien-le-Pauvre, les avis diffèrent ; les uns prétendent qu’il s’agit de saint Séverin le solitaire qui,
sous le règne de Childebert Ier, se retira sur la rive gauche de la Seine, dans une celle, "s’exerçant de tout son pouvoir à contemplations divines", dit le P. du Breul. Un ancien bréviaire
parisien, qui renferme dans sa partie d’automne une vie de ce saint, raconte que le fils du roi d’Orléans, saint Cloud, vint se fixer auprès de lui et se fit moine ; puis, quand son maître
mourut, il fonda, sur l’emplacement actuel de l’église, un oratoire dans lequel il l’inhuma. D’autres
assurent que ce ne fut pas à ce Séverin-là que fut dédiée l’église, mais bien à un homonyme, fondateur du monastère de Château-Landon et abbé d’Agaune ; celui-ci, appelé à Paris par
Tranquillinus, médecin du roi Clovis, guérit ce monarque, que l’on jugeait perdu, par l’imposition de sa chasuble.
Pour tourner la difficulté, le Propre d’un office édité en 1738 par le curé de la paroisse imagina de fondre les deux saints en un seul. Après avoir été anachorète à Paris, il serait devenu abbé
d’Agaune ; mais cette assertion ne tient pas debout et est formellement contredite par tous les textes. Un seul fait est certain, c’est qu’en 1050 Imbert, évêque de Paris, réclama cette chapelle
au roi Henri Ier qui la détenait et la rendit ; or le diplôme signé par ce souverain désigne expressément ce sanctuaire sous le nom d’ Ecclesia sancti Severini solitarii. Il
appartient donc, selon toute vraisemblance, au solitaire. Néanmoins, afin de contenter tout le monde, le
clergé prit l’habitude de célébrer la fête des deux saints, du solitaire, le 23 novembre ; de l’abbé d’Agaune, le 11 février.
Que reste-t-il de l’oratoire élevé par saint Cloud au VIe siècle ? Rien ; les Normands le brûlèrent. Imbert le réédifia au XIe siècle ; il disparut encore dans une tourmente et il fallut, deux
cents ans après, le rebâtir.
Mais, de même que la plupart des basiliques, l’église, telle que nous la voyons aujourd’hui, fut construite en plusieurs fois ; elle chevauche, ainsi que ses grandes sœurs, les cathédrales, sur
plusieurs siècles. Le XIIIe dressa les trois premières travées et la tour ; le XIVe ajouta les trois autres travées, le sanctuaire et le choeur ; le XVe, les collatéraux et les chapelles ; le
XVIe, le trésor, la sacristie et la majeure partie du vaisseau ; quant au XVIIe, il l’éreinta : après avoir défoncé la chapelle de Saint-Sébastien pour lui substituer une hideuse salle qui servit
pendant longtemps de chapelle à la Vierge, il jeta bas le jubé, plaqua de marbre couleur de rillettes les piliers du choeur, transforma en arcades cintrées les ogives, instaura dans le choeur,
aux frais de la Montpensier, un autel à baldaquin ridicule.
Le XVIIIe la négligea jusqu’à la Révolution ; elle devint alors un dépôt de salpêtre et de poudre, mais le XIXe siècle la sauva ; il revêtit sa façade occidentale, qui ne se composait que d’une
baie sans ornements en ogive, d’un délicat portail provenant de l’église de Saint-Pierre-aux-Boeufs, démolie en 1837 ; il la dota également de vitraux enlevés à Saint-Germain-des-Prés qui préféra
s’éclairer avec les figures imbéciles issues des cartons de feu Flandrin ; enfin le curé actuel, qui est un brave homme, vraiment amoureux de son église, la débarrassa du maître-autel à baldaquin
et remit la statue de la Sainte Vierge là où elle devait être, dans une des chapelles de l’abside. Pourquoi faut-il, hélas ! qu’avec tant de bonne volonté, il se soit laissé imposer d’horribles
vitrailles agrémentées des portraits des bourgeoises qui les payèrent ?
En dépit de ces tares et des sinistres peintures des Jobbé-Duval, des Signol, des Cornu, des Flandrin, des Heim et des Hesse qui pourrissent heureusement et s’éteignent dans l’humide ceinture des
chapelles, l’église de Saint-Séverin demeure quand même exquise. Bien qu’avec d’abominables et de clairs carreaux, signés du nom de Hirsch, on l’ait dépouillée du mystère apaisant de son ombre,
l’abside n’en reste pas moins l’une des plus étonnantes ombellas que les artistes d’antan aient jamais brodées pour abriter le Saint-Sacrement de l’autel. Ils semblent en avoir emprunté la forme
à la végétation du pays où naquit le Christ, car ils ont planté une futaie de palmiers dont un fruit tombe en une goutte de sang, en un rubis de veilleuse, devant le tabernacle. Et l’on y va, à
cette abside où se tiennent les réserves de Dieu, par un chemin vraiment mystique, car les allées accouplées qui y mènent, en filant de chaque côté le long de la grande nef, ont l’aspect tout
claustral des routes hors le monde, des galeries de cloîtres !
Sait-on quel fut l’architecte qui rêva cette délicieuse flore de pierre ? D’anciens documents nous apprennent qu’un sieur Micheaul Le Gros dirigeait, en 1496, la construction des chapelles du
midi, et c’est tout.
Saint-Séverin, si pauvre maintenant, fut riche au Moyen Age ; pour aider à sa bâtisse, le pape Clément VI avait accordé des indulgences et les dons affluèrent ; un in-folio de 1636 intitulé
: "Le Nouveau Martyrologe ou Mémoire des offices, obit, messes, saluts, prières, prédications et aumônes fondés en l’église parochiale de Saint-Séverin, à Paris", les énumère longuement ; on
y trouve, relatées aussi, les largesses de l’église, entre autres la fondation d’une école pour les pauvres écoliers qu’on nourrissait, puis, à propos de la sépulture des indigents, cette clause
: "Il ne sera rien pris pour la sonnerie, parements, poille, argenterie et ouverture de terre aux convois et services des prisonniers décédés dans le Petit-Châtelet, des pauvres honteux et
des pauvres serviteurs et servantes." De son côté, l’abbé Lebeuf a constaté, dans un compte de fabrique
portant la date de 1419, cette coutume touchante d’avoir, l’hiver, un grand manteau pour le jeter sur les épaules des pauvres femmes qui, après leurs couches, venaient entendre la messe de
relevée, 'afin de les tenir chaudement ", dit le texte.
Un autre usage s’est également perpétué pendant tout le Moyen Age. Bien que l’église ne fût point consacrée sous son vocable, on y vénérait d’une dévotion toute particulière saint Martin, patron
des voyageurs à cheval. Une part du fameux manteau avait été, en effet, transmise comme relique, à Saint-Séverin, par les chanoines de Saint-Martin-de-Champeaux, en Brie. On brûlait en son
honneur des cierges, et pour préserver leurs bêtes des maladies et des accidents, les voyageurs les faisaient marquer avec la clef de fer, rougie au feu, de la chapelle vouée à ce saint. Les
étudiants venus à cheval de leur province pour suivre les cours de l’Université de Paris agissaient de même et, afin de remercier le grand Thaumaturge des Gaules de les avoir protégés durant le
voyage, ils fixaient, dès leur arrivée dans la ville, les fers de leur monture sur la porte qui s’ouvre, au-dessous de la petite horloge du XVe siècle, là où la rue des Prêtres prend en écharpe
la rue Saint-Séverin.
Un bas-relief de Maillet, placé en 1853 sur le tympan de ce porche, évoque le souvenir de cette dévotion si parfaitement abolie qu’il n’y a même plus dans cette église un autel voué à
cet coutume ; ce bas-relief est médiocre et le portail même que le mauvais goût de notre époque le charge d’orner ne mérite qu’on l’examine qu’à cause des inscriptions en petites capitales
gothiques qui sont gravées sur les cadres en pierre de sa baie. Elles rappellent aux fossoyeurs les obligations de leur métier ; on y peut déchiffrer celle-ci : qu’ils devaient nettoyer les
voûtes et toute l’église, le jour de la Saint-Martin d’été, à cause de la fête que l’on y célébrait le surlendemain.
Une autre, un peu plus loin, encore lisible, dit :
Bonnes gens qui par cy passez
Priez Dieu pour les trépassés.
Les trépassés étaient inhumés, en effet, là, derrière la nef, dans un cimetière devenu depuis le jardin de la cure.
Et à droite et à gauche de cette porte subsistent encore les débris de deux lions, insignes de l’autorité ecclésiastique qui rendait ses jugements sur le seuil de l’église et les terminait par la
formule : Datum inter duos leones.
A titre de renseignement, l’on peut ajouter encore qu’il y avait à Saint-Séverin un bréviaire public attaché le long d’un pilier avec une chaîne, à l’usage des pauvres gens.
Enfin il existait au Moyen Age, tout à côté de cette église, une petite cellule dans laquelle une femme s’enfermait pour le reste de ses jours, afin d’expier ses fautes et celles du prochain et
de vivre, isolée de tout, en Dieu. L’ancien nécrologe de l’abbaye de Saint-Victor nous révèle le nom de l’une de ces recluses. On lit, en effet, à la date du 11 avril, dans ce livre rédigé sous
Charles V, l’obit de dame Flore, ainsi conçu : Obitus dominoe Florioe, reclusoe de Sancto Severino.
Et j’avoue que je rêve à cette femme enfermée toute vivante et à laquelle on passait, comme à sainte Thaïs, par une ouverture, un morceau de pain et un peu d’eau. Elle réparait sans doute les
outrages des truands, les ribotes des écoliers et des filles. Dame Flore ! et je songe à sa triste homonyme, à celle connue sous ce nom dans le monde des bouges, à cette fillette aux yeux de
souris et au rire presque frais qui fréquenta chez Triollet et chez le Père Lunette et qui fut, dans ce dernier repaire, frappée de sept coups de tranchet et transférée à l’Hôtel-Dieu où elle
mourut.
Quels abîmes d’âme séparaient la prostituée de cette sainte Pleurant les méfaits des Flore de son temps dans la nuit sans aube d’une tombe ! Mais l’ancienne solitaire doit encore intercéder
là-haut pour les descendantes de celles que les supplices qu’elle s’infligeait ici-bas sauvèrent ; et elle prie sans doute pour la pauvre vaurienne qui a mérité le pardon de ses péchés,
peut-être, car elle n’était pas résolument mauvaise et elle se montrait même humble et douce, quand elle n’avait pas par trop bu.
En 1410, la fabrique de l’église Saint-Séverin acheta l’hôtel des abbés des Eschallis, contigu au cimetière qui s’éployait au sud, tout le long des bas-côtés de la nef, et elle créa sur cet
emplacement de nouveaux charniers. Construits ainsi que des galeries de cloîtres, dallés, voûtés, surmontés de délirantes gargouilles, ils furent ensuite historiés d’épigraphes, ornés de
tableaux, tendus, les jours de fêtes carillonnées, de tapis de haute lice. L’on y enterra, pendant deux
siècles, les familles du quartier, puis, en 1674, une délibération du conseil de fabrique prescrivit la fermeture de ces lieux.

Gargouilles de Saint Séverin
Il était temps, car à force de ne pas les avoir réparés et surtout d’avoir surchargé les galeries de bàtisses destinées
à loger les prêtres de la paroisse, tout s’effondrait ; des maçons en étayèrent tant bien que mal, les parties les moins faibles et, pour empêcher les autres de s’écrouler, ils les démolirent.
Des bribes de ces corridors et de ces arceaux subsistent encore autour du jardin de la cure.
Ces charniers, dans lesquels on pénétrait par une porte s’ouvrant sur le flanc droit de l’église et par un passage rejoignant la rue de la Parcheminerie, servirent également pendant des siècles
de chapelle de catéchisme, de salle de réunion du bureau de l’oeuvre, de salle de vote pour l’élection des marguilliers, le Martyrologe de Saint-Séverin nous apprend en outre que le premier jeudi
de chaque mois et le mardi, durant les prières des Quarante heures, l’on portait le Saint-Sacrement en procession dans les allées funéraires de ce cloître et qu’aux grandes féries l’on
distribuait la communion "sous la première partie du charnier, devers la chapelle du Saint-Esprit".
Enfin, dans sa Monographie des charniers de Paris, l’abbé Dufour a cité un extrait du règlement général pour les droits de la fabrique de Saint-Séverin. Ce règlement est daté du 19 août 1637 ;
voici quelques-uns de ses articles :
Le fossoyeur sera tenu, aux quatre fêtes solennelles de l’année et quatre jours avant chacune d’icelles, de réparer
à ses dépens l’aire des ailes de l’église et des charniers, sans que pour cela il puisse rien demander à l’oeuvre. Les corps venant des maisons infectées ou soupçonnées de maladies contagieuses
ne seront enterrés ni dans l’église ni sous les charniers pour quelque cause ou considération que ce soit. Défense est faite aux enfants de choeur de quêter sous les charniers durant
l’administration de la communion. Pour les quêtes de la fabrique, l’on placera deux tables et deux bassins, l’un à l’entrée desdits charniers et l’autre proche de la porte du bureau pour recevoir
ce qui sera offert volontairement, sans inviter ni exhorter les assistants à donner autre chose, non pas même le jour de Pâques, pour le vin de communion.
On ne rançonnait point trop, on le voit, dans ce temps-là, les ouailles et l’on avait assez le respect du lieu saint pour ne pas tolérer comme aujourd’hui dans certaines églises, à Saint-Sulpice,
par exemple, qu’un suisse chambardât en pleine messe les chaises et parlât haut, en bousculant tout le monde, afin de frayer passage au prêtre qui vous fait sauter sous le nez une
bourse.
Pour en revenir aux ossuaires de Saint-Séverin, ils possédaient les pierres tombales les plus curieuses ; elles ont disparu ; l’une pourtant, datée du XVIe siècle, a été transférée dans l’église,
en 1842, et posée au-dessus de la porte de l’ancien trésor, à gauche de la sacristie. L’épitaphe est surmontée d’un bas-relief naïf et charmant qui représente Nicolas de Bonfon, de son vivant
marchand et bourgeois de Paris, et Robine de Cuyndel, sa femme, à genoux avec leurs dix enfants devant la croix sur laquelle Jésus, assisté de la Vierge et de saint Jean, se
meurt.
A noter aussi, en fait d’épitaphes, une du siècle suivant, gravée sur une plaque de marbre blanc et scellée au-dessus du bénitier de la porte d’entrée de Saint Martin ; celle-là, vraiment
solennelle et bizarre, nous apprend que feu Bertrand Ogeron "jeta les fondements d’une société civile et religieuse au milieu des flibustiers et des boucaniers des îles de la Tortue et de
SaintDomingue et prépara ainsi, par les voies mystérieuses de la Providence, les destinées de la République d’Haïti."
L’église Saint-Séverin, si effacée maintenant, fut une église importante au Moyen Age ; sa juridiction s’étendait alors sur les territoires qui formèrent plus tard les paroisses de Saint-André,
de Saint-Côme, de Saint-Étienne-du-Mont, de Saint-Jacques-du-Haut-Pas, de Saint-Sulpice ; placée au centre des écoles, elle servait d’oratoire à Albert le Grand, à Dante, à saint Thomas d’Aquin,
à saint Bonaventure.
C’est sous sa nef que l’Immaculée-Conception fut vénérée six siècles avant qu’elle ne fût déclarée dogme de foi par l’Église. Saint-Séverin avait donc devancé, et de combien d’années ! le culte
révélé de Lourdes.
L’Université de Paris avait, en effet, adopté les thèses de saint Anselme et du docteur subtil, le franciscain Duns Scott, sur la pureté sans tache de la Conception de Marie et après avoir
institué, en 1311, une confrérie pour honorer, sous ce titre de l’Immaculée, la fille de Joachim, elle décréta, en 1497, que nul désormais ne serait admis par elle au grade de docteur en
théologie, s’il ne partageait et ne s’engageait, par serment, à soutenir et à défendre cette doctrine.
En ce temps, la dévotion à la Sainte Vierge devint si populaire à Saint-Séverin que son image fut, ainsi qu’à la cathédrale de Chartres, répandue à profusion sur son portail, sur ses verrières,
sur ses murs ; les foules y venaient afin d’obtenir les guérisons des écrouelles et de la fièvre, en buvant de l’eau d’un puits creusé dans l’église même. Ce puits, qui a plus de dix mètres de
profondeur, existe encore, rez terre, au bas du pilier de droite de la chapelle de la Vierge. On y puisa, il y a quelques années, de l’eau ; elle était, en sortant, fraîche et limpide, seulement
on ne put l’utiliser, parce qu’elle croupissait au contact de l’air.
Mais, comme toujours, l’hyperdulie stimule la rage des forces déchues ; aussi n’est-il pas surprenant que des sacrilèges et des hérésies se soient rencontrés dans l’histoire de ce
sanctuaire. Le souvenir de l’un de ces sacrilèges, commis au mois de septembre 1693 par une femme qui se
rua sur le calice que tenait le prêtre et renversa le précieux Sang, est demeuré si vivace que l’on continue actuellement à faire, le premier dimanche de septembre, une procession autour de la
nef, pour réparer cet attentat.
Mais ce n’est là qu’un geste isolé ; ce qui est plus typique et plus probant, ce fut la persistance de l’hérésie dans ces lieux ; alors que le jansénisme avait disparu de presque toutes les
paroisses de Paris, il se maintint à Saint-Séverin, là justement où le culte de la Vierge était et le plus fidèle et le plus vif.
Cette secte avait, il faut bien le dire, élu domicile depuis de longues années dans le quartier. Le diacre Paris avait longtemps séjourné rue de la Harpe, puis il avait été promu supérieur de la
communauté des clercs de Saint-Côme, très voisine de Saint-Séverin, et il s’était livré à une propagande effrénée dans ses alentours, prônant partout la doctrine de Jansénius, agissant même,
après sa mort, sur les âmes incertaines, par les prestiges diaboliques de ses miraculés.
La Révolution culbuta tout ; mais en 1802, lorsque Saint-Séverin fut rendu au culte, ce qui restait des jansénistes parvint à faire nommer curé un disciple fervent de Port-Royal, M. Joseph
Baillet. Secondé par d’habiles prêtres engoués des mêmes idées, ce curé battit le rappel dans le Paris des jansénistes et bientôt tous arrivèrent pour se fixer dans les environs de l’église qui
devint ainsi le quartier général des "appelants".
Ce fut alors le délaissement affecté de la Vierge, les saluts silencieux et courts, la messe célébrée à demi-voix, la destruction des images et des statues, toute l’horrible sécheresse de ces
âmes passée dans l’apparat du rit.
Les écoles de garçons furent confiées aux frères de Saint-Antoine et celles des filles aux soeurs de Sainte-Marthe, les deux congrégations affiliées à la secte et, dans l’espoir de faire des
prosélytes, l’on organisa, dans la rue Saint-Séverin, une imprimerie où l’on édita des annales dites "chrétiennes" et un mémoire réclamant la suppression de la langue latine dans la
liturgie.
Cependant l’archevêque de Paris, qui avait vainement accablé l’abbé Baillet de ses remontrances, finit par sévir et, le 18 octobre 1820, il le déposséda canoniquement de sa cure et nomma à sa
place un vicaire de Saint-Merry, ancien chanoine régulier de Sainte-Geneviève, avec mission de réformer la paroisse.
Mais l’abbé Siret et ceux qui lui succédèrent n’obtinrent que de faibles avantages ; il fallut l’arrivée de M. Hanicle dans la paroisse pour balayer à jamais les "appelants". Celui-là était
un fort saint homme et, qui plus est, un vrai mystique. Certain de l’efficacité de la prière, il n’attaqua pas l’hérésie par les moyens naturels ; il laissa les jansénistes tranquilles, mais il
les cerna dans un filet de suppliques à la Vierge et il les prit. Pour cela il fit revivre la dévotion interrompue depuis le Moyen Age, et mal ranimée par les curés qui le précédèrent, de
l’Immaculée Conception ; il fonda l’archiconfrérie de Notre-Dame de Sainte-Espérance, telle qu’elle existe encore aujourd’hui ; il entassa neuvaines sur neuvaines, dirigea sur ce but toutes les
âmes pieuses de sa paroisse ; et les résultats acquis en très peu de temps furent si extraordinaires que l’on considéra son oeuvre comme un miracle.
L’écrivain qui rédigeait les "Annales chrétiennes" se convertit ; les frères de Saint-Antoine s’en allèrent d’eux-mêmes et furent suppléés par les frères des Écoles ; la lutte contre les
soeurs de Sainte-Marthe, que régissait la soeur Rosalie, une femme aussi ingénieuse que têtue, fut plus âpre. Le curé doubla ses prières, s’imposa de nouvelles mortifications et de nouveaux
jeûnes et, un beau matin, elles déguerpirent et leurs positions furent occupées par les soeurs de Sainte-Marie, puis par les filles de Saint-Vincent-de-Paul.
Le jansénisme était vaincu ; les quelques ouailles dissidentes qui restaient, touchées par la sainteté de M. Hanicle, se rendirent et ce fut même l’une d’elles qui fit don à l’église de sa statue
de la Vierge placée dans l’abside, de cette Vierge, si grossièrement femme, sculptée par ce Bridan dont l’Assomption, tout à la fois fade et charnue, souille encore le maître-autel de la
basilique de Chartres ! — Et dire qu’il y a dans le square de Cluny, à deux pas, une si ancienne et si belle madone qui s’effrite sous la pluie et qui serait si bien à sa place dans la chapelle
du fond de Saint-Séverin !
Depuis ce temps, c’est-à-dire avant même la mort de M. Hanicle, survenue en 1869, l’hétérodoxie avait complètement disparu et l’on n’en entendit plus depuis lors parler. Cependant, à titre de
renseignement, il est utile de signaler un fait étrange qui s’est passé, après 1840, à l’insu du clergé, dans ce sanctuaire.
Un ami de Mickiewicz, un Polonais, que cite Erdan dans son tome II de la "France mystique", André Towianski, inféodé à la secte de Vintras dont il se sépara par la suite pour se déclarer une
réincarnation de Napoléon et prêcher une série d’erreurs qui se rapprochent de celles professées par les Vaudois et par Swedenborg, avait fondé à Paris une association religieuse et politique,
sous le nom des "bons frères". La police s’inquiéta de cette propagande et un arrêté d’expulsion fut pris contre Towianski qui se retira à Bruxelles, puis à Genève où il
mourut.
Or, tandis que cet illuminé était associé aux entreprises sataniques de Vintras qui le nomme dans sa correspondance le "Prophète de Législation", il faisait, lui et ses adeptes, brûler une
lampe à Saint-Séverin, pour la venue du Paraclet. Cette coutume se continua durant plusieurs années,
mais, un jour, la vérité se sut et le curé épousseta cette petite hérésie qui s’était introduite à la cantonade dans son église. Il ne subsiste, comme souvenir de ces vaines croyances, qu’un portrait de la Vierge, pendu près de la sacristie et qui est encore
vénéré par quelques-uns des Polonais de Paris.
Maintenant, Notre-Dame a repris l’entière possession de Saint-Séverin. Si les foules ne s’y portent pas, de même qu’à Notre-Dame-des-Victoires, Elle a néanmoins, en dehors des fidèles du
quartier, ses visiteurs. Pour ceux qui, tels que moi, reçurent le baptême dans la chapelle de ses fonts et y revinrent, après bien des années, pour y chercher une aide dans la plus douloureuses
des crises, Elle est unique. Là, dans le petit coin si intime de son chevet, près de cet-arbre dont le tronc tourne en spirale sur lui-même, éclate lorsqu’il touche la voûte et retombe en une
pluie pétrifiée de branches, Elle se révèle très pacifiante et très douce.

Les étudiants l’invoquent pour le succès de leurs examens ; mais je crois que sa présence se fait surtout sentir aux pécheurs tourmentés par la fièvre du mal, aux pécheurs dont l’âme est à vif.
Elle panse et lénifie, tout en souriant, les plaies. Elle est la Madone qui cicatrise, Celle qui désaltère.
J.-K. Huysmans
Le Quartier
Saint-Séverin

Saint Séverin aujourd'hui