On donne, dans l'Eglise latine, le nom d'Avent, du mot latin Adventus, qui signifie Avènement, au temps destiné
par l'Eglise à préparer les fidèles à la célébration de la fête de Noël, anniversaire de la Naissance de Jésus-Christ.
Le mystère de ce grand jour méritait bien sans doute l'honneur d'un prélude de prière et de pénitence : aussi serait-il impossible d'assigner d'une manière certaine l'institution première de ce
temps de préparation, qui n'a reçu que plus tard le nom d'Avent. Il paraît toutefois que cette observance aurait commencé d'abord en Occident car il est indubitable que l’Avent n'a pu être
affecté comme préparation à la fête de Noël, que depuis que cette fête a été définitivement fixée au vingt-cinq décembre : ce qui n'a eu lieu pour l'Orient que vers la fin du IVe siècle, tandis
qu'il est certain que l'Eglise de Rome la célébrait en ce jour longtemps auparavant.
L'Avent doit être considéré sous deux points de vue différents : comme un temps de
préparation proprement dite à la Naissance du Sauveur, par les exercices de la pénitence, ou comme un corps d'Offices Ecclésiastiques organisé dans le même but. Nous
trouvons, dès le Ve siècle, l'usage de faire des exhortations au peuple pour le disposer à la fête de Noël ; il nous reste même sur ce sujet deux sermons de
saint Maxime de Turin, sans parler de plusieurs autres attribués autrefois à saint Ambroise et à saint Augustin, et qui paraissent être de saint Césaire d'Arles. Si ces
monuments ne nous apprennent point encore la durée et les exercices de cette sainte carrière, nous y voyons du moins l'ancienneté
de l'usage qui marque par des prédications particulières le temps de l’Avent.
Saint Yves de Chartres, saint Bernard, et plusieurs autres docteurs des XIe et XIIe siècles, ont laissé des sermons spéciaux de Adventu Domini, totalement
distincts des Homélies Dominicales sur les Evangiles de ce temps. Dans les Capitulaires de Charles le Chauve, de l'an 846, les Evêques représentent à ce prince
qu'il ne doit pas les retirer de leurs Eglises pendant le Carême, ni pendant l’Avent, sous prétexte des affaires de l'Etat, ou de quelque
expédition militaire, parce qu'ils ont des devoirs particuliers à remplir, et principalement celui de la prédication, durant ce saint temps.
Le plus ancien document où l'on trouve le temps et les exercices de l'Avent précisés d'une manière tant soit peu claire, est un passage de saint Grégoire de Tours, au deuxième livre de son
Histoire des Francs, dans lequel il rapporte que saint Perpétuus, l'un de ses prédécesseurs, qui siégeait vers l'an 480, avait statué que les fidèles jeûneraient trois fois la semaine,
depuis la fête de saint Martin jusqu'à Noël. Par ce règlement, saint Perpétuus établissait-il
une observance nouvelle, ou sanctionnait-il simplement une loi établie ? C'est ce qu'il est impossible de déterminer avec exactitude aujourd'hui. Remarquons du moins cet intervalle de quarante
jours ou plutôt de quarante-trois jours, désigné expressément, et consacré par la pénitence comme un second Carême, quoique avec une moindre rigueur.
Nous trouvons ensuite le neuvième canon du premier Concile de Mâcon, tenu en 582, qui ordonne que, durant le même intervalle de la saint-Martin à Noël, on jeûnera les lundis, mercredis et
vendredis, et qu'on célébrera le sacrifice suivant le rite Quadragésimal. Quelques années auparavant, le deuxième Concile de Tours, tenu en 567, avait enjoint aux moines de jeûner depuis le
commencement du mois de décembre jusqu'à Noël. Cette pratique de pénitence s'étendit bientôt à la quarantaine tout entière pour les fidèles eux-mêmes ; et on lui donna vulgairement le nom de
Carême de saint Martin. Les Capitulaires de Charlemagne, au livre sixième, n'en laissent plus aucun doute ; et Rhaban Maur atteste la même chose au livre second de l'Institution des Clercs. On
faisait même des réjouissances particulières à la fête de saint Martin, en la manière qu'on en fait encore aux approches du Carême et à la fête de Pâques.
L'obligation de ce Carême, qui, commençant à poindre d'une manière presque imperceptible, s'était accrue successivement jusqu'à devenir une loi sacrée, se relâcha insensiblement ; et les quarante
jours de la Saint-Martin à Noël se trouvèrent réduits à quatre semaines. On a vu que la coutume de ce jeûne avait commencé en France ; mais de là elle s'était répandue en Angleterre, comme nous l'apprenons par l'Histoire du Vénérable Bède ; en Italie,
ainsi que d'un diplôme d'Astolphe, roi des Lombards, de l'an 753 ; en Allemagne, en Espagne, etc. comme on en peut voir les preuves dans le grand ouvrage de Dom Martène sur les anciens Rites
de l’Eglise.
Le premier indice que nous rencontrons de la réduction de l’Avent à quatre semaines se trouve être, dès le IXe siècle, la lettre du pape saint Nicolas Ier aux Bulgares. Le témoignage de Rathier
de Vérone et d'Abbon de Fleury, tous deux auteurs du même siècle, sert aussi à prouver que dès lors il était grandement question de diminuer d'un tiers la durée du jeûne de l'Avent. Il est vrai
que saint Pierre Damien, au XIe siècle, suppose encore que le jeûne de l'Avent était de quarante jours, et que saint Louis, deux siècles après, l'observait encore en cette mesure ; mais peut-être
ce saint roi le pratiquait-il ainsi par un mouvement de dévotion particulière.
La discipline des Eglises de l'Occident, après s'être relâchée sur la durée du jeûne de l'Avent, se radoucit bientôt au point de transformer ce jeûne en une simple abstinence ; et encore
trouve-t-on des Conciles dès le XIIe siècle, tels que ceux de Selingstadt, en 1122, et d'Avranches, en 1172, qui semblent n'astreindre que les clercs à cette abstinence. Le Concile de
Salisbury, en 1281, paraît même n'y obliger que les moines. D'un autre côté, telle est la confusion sur cette matière, sans doute parce que les diverses Eglises d'Occident n'en ont pas fait
l'objet d'une discipline uniforme, que, dans sa lettre à l'Evêque de Brague, Innocent III atteste que l'usage de jeûner pendant tout l'Avent se conservait à Rome de
son temps, et que Durand, au même XIIIe siècle, dans son Rational des divins Offices, témoigne
pareillement que le jeûne était continuel en France durant tout le cours de cette sainte carrière.
Quoi qu'il en soit, cet usage tomba de plus en plus en désuétude, en sorte que tout ce que put faire, en 1302, le pape Urbain V pour en arrêter la chute complète, ce fut d'obliger tous les clercs
de sa cour à garder l'abstinence de l'Avent, sans aucune mention du jeûne, et sans comprendre aucunement les autres clercs, et moins encore les laïques, sous cette loi.
Saint Charles Borromée chercha aussi à ressusciter l'esprit, sinon la pratique des temps anciens, chez les peuples du Milanais. Dans son quatrième Concile, il enjoignit aux curés d'exhorter les
fidèles à communier au moins tous les dimanches du Carême et de l’Avent, et adressa ensuite à ses diocésains eux-mêmes une lettre pastorale, dans laquelle, après leur avoir rappelé les
dispositions avec lesquelles on doit célébrer ce saint temps, il faisait instance pour les engager à jeûner au moins les lundis, les mercredis et les vendredis de chaque semaine de l'Avent.
Enfin Benoit XIV encore Archevêque de Bologne, marchant sur de si glorieuses traces, a consacré sa onzième Institution Ecclésiastique à réveiller dans l'esprit des fidèles de son diocèse la haute
idée que les chrétiens avaient autrefois du saint temps de l'Avent, et à combattre un préjugé répandu dans cette contrée, savoir que l'Avent ne regardait que les personnes religieuses, et non les
simples fidèles. Il montre que cette assertion, à moins qu'on ne l'entende simplement du jeûne et de l'abstinence, est à proprement parler téméraire et scandaleuse, puisqu'on ne saurait douter
qu'il existe, dans les lois et les usages de l'Eglise universelle, tout un ensemble de
pratiques destinées à mettre les fidèles dans un état de préparation à la grande fête de la Naissance de Jésus-Christ.
L'Eglise grecque observe encore le jeûne de l’Avent, mais avec beaucoup moins de sévérité que celui du Carême. Il se compose de quarante jours, à partir du 14 novembre, jour où cette Eglise
célèbre la fête de l'Apôtre saint Philippe. Pendant tout ce temps, on garde l'abstinence de la viande, du beurre, du lait et des œufs ; mais on y use de poisson, d'huile et de vin, toutes choses
interdites durant le Carême. Le jeûne proprement dit n'est d'obligation que pour sept jours sur les quarante ; et tout l'ensemble s'appelle vulgairement le Carême de saint Philippe. Les Grecs
justifient ces adoucissements, en disant que le Carême de Noël n'est que de l'institution des moines, tandis que celui de Pâques est d'institution apostolique.
Mais si les pratiques extérieures de pénitence qui consacraient autrefois le temps de l'Avent, chez les Occidentaux, se sont peu à peu mitigées, en sorte qu'il n'en reste plus maintenant aucun
vestige hors des monastères, l'ensemble de la Liturgie de l'Avent n'a pas changé ; et c'est dans le zèle à s'en approprier l'esprit que les fidèles feront preuve d'une véritable préparation à la
fête de Noël.
La forme liturgique de l'Avent, telle qu'elle se garde aujourd'hui dans l'Eglise Romaine, a souffert quelques variations. Saint Grégoire paraît avoir le premier dressé cet Office qui aurait
d'abord embrassé cinq dimanches, ainsi qu'on est à même de le voir par les plus anciens Sacramentaires de ce grand Pape. On peut même dire à ce sujet, d'après Amalaire de Metz et Bernon de
Richenaw, qui sont suivis en cela par Dom Martène et Benoît XIV, que saint Grégoire semblerait être
l'auteur du précepte ecclésiastique de l'Avent, bien que l'usage de consacrer un temps plus ou moins long à se préparer à la fête de Noël soit d'ailleurs immémorial, et que l'abstinence et le
jeûne de ce saint temps aient d'abord commencé en France. Saint Grégoire aurait déterminé, pour les Eglises du rite romain, la forme de l'Office durant cette espèce de Carême, et sanctionné le
jeûne qui l'accompagnait, laissant toutefois quelque latitude aux diverses Eglises dans la manière de le pratiquer.
Le Sacramentaire de saint Gélase ne porte aucune Messe, ni Office de préparation à Noël ; les premières que l'on rencontre sont au Sacramentaire grégorien, et, ainsi que nous venons de le dire,
les Messes y sont au nombre de cinq. Il est remarquable qu'alors on comptait ces dimanches à rebours, appelant premier dimanche celui qui était le plus voisin de Noël, et ainsi des autres. Dès
les IXe et Xe siècles, ainsi qu'on le voit par Amalaire, saint Nicolas Ier, Bernon de Richenaw, Rathier de Vérone, etc., les dimanches étaient déjà réduits à quatre ; c'est aussi le nombre que
porte le Sacramentaire grégorien donné par Pamélius, et qui semble avoir été transcrit à cette époque. Depuis lors, dans l'Eglise Romaine, la durée de l'Avent n'a pas varié, et il a toujours
consisté en quatre semaines, dont la quatrième est celle même dans laquelle tombe la fête de Noël, à moins que cette fête n'arrive le dimanche. On peut donc assigner déjà à l'usage actuel une
durée de mille ans, du moins dans l'Eglise Romaine ; car il y a des preuves que jusqu'au XIIIe siècle certaines Eglises de France ont gardé l'usage des cinq dimanches.
L'Eglise ambrosienne, aujourd'hui encore, compte six semaines dans sa liturgie de l'Avent ; le Missel gothique ou mozarabe garde la même coutume. Pour l'Eglise gallicane, les fragments que Dom
Mabillon nous a conservés de sa liturgie ne nous apprennent rien à ce sujet ; mais il est naturel de penser avec ce savant homme, dont l'autorité est encore fortifiée par celle de Dom Martène,
que l'Eglise des Gaules suivait en ce point, comme dans un grand nombre d'autres, les usages de l'Eglise gothique, c'est-à-dire que la liturgie de son Avent se composait également de six
dimanches et de six semaines.
Quant aux Grecs, leurs Rubriques pour le temps de l'Avent se lisent dans les Menées, après l'Office du 14 novembre. Ils n'ont point d'Office propre de l'Avent, et ne célèbrent point pendant ce
temps la Messe des Présanctifiés, comme ils le font en Carême. On trouve seulement, dans le corps même des Offices des Saints qui remplissent l'intervalle du 15 novembre au dimanche le plus
proche de Noël, plusieurs allusions à la Nativité du Sauveur, à la maternité de Marie, à la grotte de Bethléhem, etc. Le dimanche qui précède Noël, ils font ce qu'ils appellent la Fête des saints
Aïeux, c'est-à-dire la Commémoration des Saints de l'Ancien Testament, pour célébrer l'attente du Messie. Les 20, 21, 22 et 23 décembre sont décorés du titre d'Avant-Fête de la Nativité ; et
quoique, en ces jours, on célèbre encore l'Office de plusieurs Saints, le mystère de la prochaine Naissance du Sauveur domine toute la Liturgie.
DOM GUÉRANGER
L'Année Liturgique

Advent and Triumph of Christ by Memling