La Visitation par Rogier van der
Weyden
Déjà, dans les jours qui précédèrent la naissance du Sauveur, la visite de Marie à sa cousine Elisabeth a fait
l'objet de nos méditations. Mais il convenait de revenir sur une circonstance aussi importante de la vie de Notre-Dame ; la simple mémoire de ce mystère , au temps de l'Avent, ne suffisait
point à faire ressortir ce qu'il renferme par lui-même d'enseignement profond et de sainte allégresse. En se complétant dans le cours des âges, la sainte Liturgie devait exploiter cette mine
précieuse, à l'honneur de la Vierge-Mère.
L'Ordre de saint François et quelques églises particulières, comme celles du Mans, de Reims et de Paris, avaient
déjà pris les devants, lorsqu'Urbain VI, en l'année 1389, institua la solennité du présent jour. Le Pape conseillait le jeûne en la vigile de la fête, et ordonnait qu'elle fût suivie d'une Octave
; il accordait à sa célébration les mêmes indulgences qu'Urbain IV avait, dans le siècle précédent, attachées à la fête du Corps du Seigneur. La bulle de promulgation, arrêtée par la mort du
Pontife, fut reprise et publiée par Boniface IX qui lui succéda sur le Siège de saint Pierre.
Nous
apprenons des Leçons de l'Office primitivement composé pour cette fête, que le but de son
institution avait été, dans la pensée d'Urbain, d'obtenir la cessation du schisme qui désolait alors l'Eglise. Exilée de Rome durant soixante-dix ans, la papauté venait d'y rentrer à peine ;
l'enfer, furieux d'un retour qui contrariait ses plans opposés là comme partout à ceux du Seigneur, s'en était vengé en parvenant à ranger sous deux chefs le troupeau de l'unique bercail. Telle
était l'obscurité dont de misérables intrigues avaient su couvrir l'autorité du légitime pasteur, qu'on vit nombre d'églises hésiter de bonne foi et, finalement, préférer la houlette trompeuse du
mercenaire. Les ténèbres devaient même s'épaissir encore, et la nuit devenir un moment si profonde, que les ordres de trois papes en présence allaient se croiser sur le monde, sans que le peuple
fidèle, frappé de stupeur, parvînt à discerner sûrement la voix du Vicaire du Christ. Jamais situation plus douloureuse n'avait été faite à l'Epouse du Fils de Dieu.
Mais Notre-Dame, vers qui s'était tourné le vrai Pontife au début de l'orage, ne fit point défaut à la confiance
de l'Eglise. Durant les années que l'insondable justice du Très-Haut avait décrété de laisser aux puissances de l'abîme, elle se tint en défense, maintenant si bien la tête de l'ancien serpent
sous son pied vainqueur, qu'en dépit de l'effroyable confusion qu'il avait soulevée, sa bave immonde ne put souiller la foi des peuples ; leur attachement restait immuable à l'unité de la Chaire
romaine, quel qu'en fût dans cette incertitude l'occupant véritable. Aussi l'Occident, disjoint en fait, mais toujours un quant au principe, se rejoignit comme de lui-même au temps marqué par
Dieu pour ramener la lumière. Cependant, l'heure venue pour la Reine des saints de prendre l'offensive, elle ne se contenta pas de rétablir dans ses anciennes positions l'armée des élus ; l'enfer dut expier son audace, en rendant à l'Eglise les conquêtes
mêmes qui lui semblaient depuis des siècles assurées pour jamais. La queue du dragon n'avait point encore fini de s'agiter à Bâle, que Florence voyait les chefs du schisme grec, les Arméniens,
les Ethiopiens, les dissidents de Jérusalem, de Syrie et de Mésopotamie, compenser par leur adhésion inespérée au Pontife romain les angoisses que l'Occident venait de traverser.
Il restait à montrer qu'un pareil rapprochement des peuples au sein même de la tempête, était bien l'œuvre de
celle que le pilote avait, un demi-siècle auparavant, appelée au secours de la barque de Pierre. On vit les factieux de l'assemblée de Bâle en donner la preuve, trop négligée par des historiens
qui ne soupçonnent plus l'importance des grands faits liturgiques dans l'histoire de la chrétienté ; sur le point de se séparer, les derniers tenants du schisme consacrèrent la quarante-troisième
session de leur prétendu concile à promulguer, pour ses adhérents, cette même fête de la Visitation en l'établissement de laquelle Urbain VI avait dès l'abord mis son espoir. Malgré la résistance
de quelques obstinés, le schisme était vraiment fini dès lors ; l'orage se dissipait : le nom de Marie, invoqué des deux parts, resplendissait comme le signe de la paix sur les nuées. Ainsi
l'arc-en-ciel unit dans sa douce lumière les extrémités opposées de l'horizon. Contemplez-le, dit l'Esprit-Saint, et bénissez celui qui l'a fait ; car il est beau dans sa splendeur ! Il embrasse
les cieux dans le circuit de sa gloire.
Si l'on se
demande pourquoi Dieu voulut que le mystère de la Visitation, et non un autre, devînt, par cette solennité qui lui fut consacrée, le monument de la paix reconquise : il est facile d'en trouver la
raison dans la nature même de ce mystère et les circonstances où il s'accomplit.
C'est là
surtout que Marie apparaît, en effet, comme la véritable arche d'alliance : portant en elle, non plus les titres périmés du pacte de servitude conclu au bruit du tonnerre entre Jéhovah et les
Juifs ; mais l'Emmanuel, témoignage vivant d'une réconciliation plus vraie, d'une alliance plus sublime entre la terre et les cieux. Par elle, mieux qu'en Adam, tous les hommes seront frères ;
car celui qu'elle cache en son sein sera le premier-né de la grande famille des fils de Dieu. A peine conçu, voici que pour lui commence l'œuvre d'universelle propitiation. Levez-vous, ô
Seigneur, vous et l'arche d'où votre sainteté découlera sur le monde. De Nazareth aux montagnes de Judée, dans sa marche rapide, elle sera protégée par l'aile des chérubins jaloux de contempler
sa gloire. Au milieu des guerriers les plus illustres et des chœurs d'Israël, David conduisit l'arche figurative de la maison d'Abinadab à celle d'Obedédom ; mieux que lui, Dieu votre Père saura
entourer l'arche sacrée du Testament nouveau, lui composant une escorte de l'élite des célestes phalanges.
Heureuse fut
la demeure du lévite devenu, pour trois mois, l'hôte du Très-Haut résidant sur le propitiatoire d'or ; plus fortunée sera celle du prêtre Zacharie, qui, durant un même espace de temps, abritera
l'éternelle Sagesse nouvellement descendue au sein très pur où vient de se consommer l'union
qu'ambitionnait son amour ! Par le péché d'origine, l'ennemi de Dieu et des hommes tenait captif, en cette maison bénie, celui qui devait en être l'ornement dans les siècles sans fin ;
l'ambassade de l'ange annonçant la naissance de Jean, sa conception miraculeuse, n'avaient point exempté le fils de la stérile du tribut honteux que tous les fils d'Adam doivent solder au prince
de la mort, à leur entrée dans la vie. Mais, les habitants d'Azot en firent autrefois l'expérience, Dagon ne saurait tenir debout devant l'arche : Marie paraît, et Satan renversé subit dans l'âme
de Jean sa plus belle défaite, qui toutefois ne sera point la dernière ; car l'arche de l'alliance n'arrêtera ses triomphes qu'avec la réconciliation du dernier des élus.
Célébrons
cette journée par nos chants d'allégresse ; car toute victoire, pour l'Eglise et ses fils, est en germe dans ce mystère : désormais l'arche sainte préside aux combats du nouvel Israël. Plus de
division entre l'homme et Dieu, le chrétien et ses frères ; si l'arche ancienne fut impuissante à empêcher la scission des tribus, le schisme et l'hérésie n'auront licence de tenir tête à Marie
durant plus ou moins d'années ou de siècles, que pour mieux enfin faire éclater sa gloire. D'elle sans cesse, comme en ce jour béni, s'échapperont, sous les yeux de l'ennemi confondu, et la joie
des petits, et la bénédiction de tous, et la perfection des pontifes. Au tressaillement de Jean, à la subite exclamation d'Elisabeth, au chant de Zacharie, joignons le tribut de nos voix ; que
toute la terre en retentisse. Ainsi jadis était saluée la venue de l'arche au camp des Hébreux ; les Philistins, l'entendant, savaient par là que le secours du Seigneur était descendu ; et, saisis de crainte, ils gémissaient, disant
: "Malheur à nous : il n'y avait pas si grande joie hier ; malheur à nous !"
Oui certes,
aujourd'hui avec Jean, le genre humain tressaille et il chante ; oui certes, aujourd'hui à bon droit l'ennemi se lamente : le premier coup du talon de la femme frappe aujourd'hui sa tête
altière, et Jean délivré est en cela le précurseur de nous tous. Plus heureux que l'ancien, le nouvel Israël est assuré que jamais sa gloire ne lui sera ôtée ; jamais ne sera prise
l'arche sainte qui lui fait traverser les flots et abat devant lui les forteresses. Combien donc n'est-il pas juste que ce jour, où prend fin la série de défaites commencée en Eden, soit aussi le
jour des cantiques nouveaux du nouveau peuple ! Mais à qui d'entonner l'hymne du triomphe, sinon à qui remporte la victoire ? Levez-vous donc, levez-vous, Debbora ; levez-vous et chantez le
Cantique. Les forts avaient disparu, jusqu'à ce que s'élevât Marie, la vraie Debbora, jusqu'à ce que parût la Mère en Israël.
" C'est moi,
c'est moi, dit-elle en effet, qui chanterai au Seigneur, qui célébrerai le Dieu d'Israël. Selon la parole de mon aïeul David, magnifiez avec moi le Seigneur, et tous ensemble
exaltons son saint nom. Mon cœur, comme celui d'Anne, a tressailli en Dieu son Sauveur. Car, de même qu'en Judith sa servante, il a accompli en moi sa miséricorde et fait que ma louange
sera dans toutes les bouches jusqu'à l'éternité. Il est puissant celui qui a fait en moi de grandes choses ; il n'est point de sainteté pareille à la sienne. Ainsi que par Esther, il a pour toutes les générations sauvé ceux qui le craignent ; dans la force de
son bras, il a retourné contre l'impie les projets de son cœur, renversant l'orgueilleux Aman de son siège et relevant les humbles ; il a fait passer des riches aux affamés l'abondance ; il s'est
ressouvenu de son peuple et a eu pitié de son héritage. Telle était bien la promesse que reçut Abraham, et que nos pères nous ont transmise : il a fait comme il avait dit."
Filles de
Sion, et vous tous qui gémissiez dans les fers de Satan, l'hymne de la délivrance a donc retenti sur notre terre. A la suite de celle qui porte en son sein le gage de l'alliance, formons des
chœurs ; mieux que Marie sœur d'Aaron, et à plus juste titre, elle préside au concert d'Israël. Ainsi elle chante en ce jour de triomphe, rappelant tous les chants de victoire qui préludèrent
dans les siècles de l'attente à son divin Cantique. Mais les victoires passées du peuple élu n'étaient que la figure de celle que remporte, en cette fête de sa manifestation, la glorieuse
souveraine qui, mieux que Debbora, Judith ou Esther, a commencé de délivrer son peuple ; en sa bouche, les accents de ses illustres devancières ont passé de l'aspiration enflammée des temps de la
prophétie à l'extase sereine qui marque la possession du Dieu longtemps attendu. Une ère nouvelle commence pour les chants sacrés : la louange divine reçoit de Marie le caractère qu'elle ne
perdra plus ici-bas, qu'elle gardera jusque dans l'éternité.
Les
considérations qui précèdent nous ont été inspirées par le motif spécial qui porta l'Eglise, au XIVe siècle, à instituer cette fête. Mais le mystère de la glorieuse Visitation est si vaste, que
nous ne saurions, eu égard aux limites qui nous sont imposées, songer à épuiser ici tous les enseignements qu'il renferme.
La
Visitation par Jacques Daret
Marie avait appris de l'archange qu'Elisabeth allait bientôt devenir mère. La pensée des services que réclament sa
vénérable cousine et l'enfant qui va naître, lui fait prendre aussitôt la route des montagnes où est située l'habitation de Zacharie. Ainsi va, ainsi presse, quand elle est vraie, la charité du
Christ. Il n'est point d'état d'âme où, sous le prétexte d'une perfection plus relevée, le chrétien puisse oublier ses frères. Marie venait de contracter avec Dieu l'union la plus haute ; et
volontiers notre imagination se la représenterait impuissante à tout, perdue dans l'extase, durant ces jours où le Verbe, prenant chair de sa chair, l'inonde en retour de tous les flots de sa
divinité.
L'Evangile est formel cependant : c'est en ces jours mêmes que l'humble vierge, assise jusque-là dans le secret de
la face du Seigneur, se lève pour se dévouer à tous les besoins du prochain dans le corps et dans l'âme. Serait-ce à dire que les œuvres l'emportent sur la prière, et que la contemplation n'est
plus la meilleure part ? Non, sans doute ; et Notre-Dame n'avait jamais si directement ni si pleinement qu'en ces mêmes jours, adhéré à Dieu par tout son être. Mais la créature parvenue sur les
sommets de la vie unitive, est d'autant plus apte aux œuvres du dehors qu'aucune dépense de
soi ne peut la distraire du centre immuable où elle reste fixée.
Insigne
privilège, résultat de cette division de l'esprit et de l’âme à laquelle tous n'arrivent point, et qui marque l'un des pas les plus décisifs dans les voies spirituelles ; car elle suppose la
purification tellement parfaite de l'être humain, qu'il ne forme plus en toute vérité qu'un même esprit avec le Seigneur ; elle entraîne une soumission si absolue des puissances, que, sans se
heurter, elles obéissent simultanément, dans leurs sphères diverses, au souffle divin.
Tant que le chrétien n'a point franchi ce dernier défilé défendu avec acharnement
par la nature, tant qu'il n'a pas conquis cette liberté sainte des enfants de Dieu, il ne peut, en effet, aller à l'homme sans quitter Dieu en quelque chose. Non qu'il doive négliger pour cela
ses devoirs envers le prochain, dans qui Dieu a voulu que nous le voyions lui-même ; heureux toutefois qui, comme Marie, ne perd rien de la meilleure part, en vaquant aux obligations de ce monde
! Mais combien petit est le nombre de ces privilégiés, et quelle illusion serait de se persuader le contraire !
Nous
retrouverons ces pensées au jour de la triomphante Assomption ; mais l'Evangile qu'on vient d'entendre, nous faisait un devoir d'attirer dès maintenant sur elles l'attention du lecteur. C'est
spécialement en cette fête, que Notre-Dame a mérité d'être invoquée comme le modèle de tous ceux qui s'adonnent aux œuvres de miséricorde ; s'il n'est point donné à tous de tenir comme
elle, dans le même temps, leur esprit plus que jamais abîmé en Dieu : tous néanmoins doivent
s'efforcer d'approcher sans fin, par la pratique du recueillement et de la divine louange, des lumineux sommets où leur Reine se montre aujourd'hui dans la plénitude de ses perfections
ineffables.
Quelle est
celle-ci, qui s'avance belle comme l'aurore à son lever, terrible comme une armée rangée en bataille ? Ô Marie, c'est aujourd'hui que, pour la première fois, votre douce clarté réjouit la
terre. Vous portez en vous le Soleil de justice ; et sa lumière naissante frappant le sommet des monts, tandis que la plaine est encore dans la nuit, atteint d'abord le Précurseur illustre dont
il est dit qu'entre les fils des femmes il n'est point de plus grand.
Bientôt l'astre
divin, montant toujours, inondera de ses feux les plus humbles vallées. Mais que de grâce en ces premiers rayons qui s'échappent de la nuée sous laquelle il se cache encore ! Car vous êtes, ô
Marie, la nuée légère, espoir du monde, terreur de l'enfer ; en sa céleste transparence, contemplant de loin les mystères de ce jour, Elie le père des prophètes et Isaïe leur prince découvrirent
tous deux le Seigneur. Ils vous voyaient hâtant votre course au-dessus des montagnes, et ils bénissaient Dieu ; car, dit l'Esprit-Saint, lorsque l'hiver a enchaîné les neiges, desséché les
vallées, brûlé les montagnes, le remède à tout est dans la hâte de la nuée.
Hâtez-vous
donc, ô Marie ! Venez à nous tous, et que ce ne soient plus seulement les montagnes qui ressentent les bienfaits de votre sereine influence : abaissez-vous jusqu'aux régions sans gloire où la
plus grande partie du genre humain végète, impuissante à s'élever sur les hauteurs ; que jusque dans les abîmes de perversité les plus voisins du gouffre infernal, votre visite fasse pénétrer la
lumière du salut. Oh ! puissions-nous, des prisons du péché, de la plaine où s'agite le vulgaire, être entraînés à votre suite ! Ils sont si beaux vos pas dans nos humbles sentiers, ils sont si suaves les parfums dont vous enivrez aujourd'hui la terre ! Vous n'étiez
point connue, vous-même vous ignoriez, ô la plus belle des filles d'Adam, jusqu'à cette première sortie qui vous amène vers nos pauvres demeures et manifeste votre puissance. Le désert, embaumé
soudain des senteurs du ciel, acclame au passage, non plus l'arche des figures, mais la litière du vrai Salomon, en ces jours mêmes qui sont les jours des noces sublimes qu'a voulu contracter son
amour. Quoi d'étonnant si d'une course rapide elle franchit les montagnes, portant l'Epoux qui s'élance comme un géant de sommets en sommets ?
Vous n'êtes
pas, ô Marie, celle qui nous est montrée dans le divin Cantique hésitante à l'action malgré le céleste appel, inconsidérément éprise du mystique repos au point de le placer ailleurs que dans le
bon plaisir absolu du Bien-Aimé. Ce n'est point vous qui, à la voix de l'Epoux, ferez difficulté de reprendre pour lui les vêtements du travail, d'exposer tant qu'il le voudra vos pieds sans
tache à la poussière des chemins de ce monde. Bien plutôt : à peine s'est-il donné à vous dans une mesure qui ne sera connue d'aucune autre, que, vous gardant de rester absorbée dans la
jouissance égoïste de son amour, vous-même l'invitez à commencer aussitôt le grand œuvre qui l'a fait descendre du ciel en terre : "Venez, mon bien-aimé, sortons aux champs, levons-nous dès
le matin pour voir si la vigne a fleuri, pour hâter l'éclosion des fruits du salut dans les âmes ; c'est là que je veux être à vous". Et, appuyée sur lui, non moins que lui sur vous-même, sans rien perdre pour cela des délices du ciel, vous
traversez notre désert ; et la Trinité sainte perçoit, entre cette mère et son fils, des accords inconnus jusque-là pour elle-même ; et les amis de l'Epoux, entendant votre voix si douce, ont,
eux aussi, compris son amour et partagé vos joies. Avec lui, avec vous, de siècle en siècle, elles seront nombreuses les âmes qui, douées de l'agilité de la biche et du faon mystérieux, fuiront
les vallées et gagneront les montagnes où brûle sans fin le pur parfum des cieux.
Bénissez, ô
Marie, ceux que séduit ainsi la meilleure part. Protégez le saint Ordre qui se fait gloire d'honorer spécialement le mystère de votre Visitation ; fidèle à l'esprit de ses illustres fondateurs,
il ne cesse point de justifier son titre, en embaumant l'Eglise de la terre de ces mêmes parfums d'humilité, de douceur, de prière cachée, qui furent pour les anges le principal attrait de ce
grand jour, il y a dix-huit siècles.
Enfin, ô
Notre-Dame, n'oubliez point les rangs pressés de ceux que la grâce suscite, plus nombreux que jamais en nos temps, pour marcher sur vos traces à la recherche miséricordieuse de toutes les misères
; apprenez-leur comment on peut, sans quitter Dieu, se donner au prochain : pour le plus grand honneur de ce Dieu très-haut et le bonheur de l'homme, multipliez ici-bas vos fidèles copies. Que
tous enfin, vous ayant suivie en la mesure et la manière voulues par Celui qui divise ses dons à chacun comme il veut, nous nous retrouvions dans la patrie pour chanter d'une seule voix avec vous
le Magnificat éternel !
La
Visitation par Maulbertsch d'après Jouvenet à Notre Dame de Paris
DOM GUÉRANGER
L'Année Liturgique