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"Je vous donne un commandement nouveau : c'est de vous aimer les uns les autres.

 

Comme je vous ai aimés, vous aussi aimez-vous les uns les autres.

 

Ce qui montrera à tous les hommes que vous êtes mes disciples, c'est l'amour que vous aurez les uns pour les autres."

 

Evangile de Jésus-Christ selon  saint Jean 

   

 

Pentecôte

" Le Défenseur, l'Esprit Saint que le Père enverra en mon nom, lui, vous enseignera tout, et il vous fera souvenir de tout ce que je vous ai dit."

 

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean  

 

   

 

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1er mai 2011 Béatification de Jean-Paul II

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beatification Mass, in Warsaw, Poland

à Varsovie, 6 juin 2010, Dimanche du Corps et du Sang du Christ

 

 

presidential palace in Warsaw

Varsovie 2010

 

 

Basilique du Sacré-Cœur de Montmartre
Sanctuaire de l'Adoration Eucharistique et de la Miséricorde Divine

La miséricorde de Dieu est comme un torrent débordé. Elle entraîne les cœurs sur son passage.
(Saint Curé d'Ars)
 

 


Le côté du Christ a été transpercé et tout le mystère de Dieu sort de là. C’est tout le mystère de Dieu qui aime, qui se livre jusqu’au bout, qui se donne jusqu’au bout. C’est le don le plus absolu qui soit. Le don du mystère trinitaire est le cœur ouvert. Ce n’est pas une image, c’est une réalité. C’est la réalité la plus profonde qui soit, la réalité de l’amour.
Père Marie-Joseph Le Guillou




Dans le cœur transpercé
de Jésus sont unis
le Royaume du Ciel
et la terre d'ici-bas
la source de la vie
pour nous se trouve là.

Ce cœur est cœur divin
Cœur de la Trinité
centre de convergence
de tous les cœur humains
il nous donne la vie
de la Divinité.


Sainte Thérèse Bénédicte de la Croix
(Edith Stein)



Le Sacré-Cœur représente toutes les puissances d'aimer, divines et humaines, qui sont en Notre-Seigneur.
Père Marie-Eugène de l'Enfant Jésus

 



feuille d'annonces de la Basilique du Sacré-Coeur de Montmartre

 

 

 

 

 

 

 

     

The Cambrai Madonna

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Cathédrale de Cambrai

 

 

 

Cathédrale Notre Dame de Paris 

   

Ordinations du samedi 27 juin 2009 à Notre Dame de Paris


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Solennité de l’Immaculée Conception de la Vierge Marie à Notre-Dame de Paris


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... ma vocation, enfin je l’ai trouvée, ma vocation, c’est l’Amour !

 

 

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SALVE REGINA

8 mars 2010 1 08 /03 /mars /2010 19:00

VI. JÉSUS DEVANT ANNE

Vers minuit, Jésus fut introduit dans le palais d'Anne, et on le conduisit à travers une cour éclairée, dans une salle qui avait les dimensions d'une petite église. Vis-à-vis l'entrée, siégeait Anne, entouré de vingt-huit conseillers, sur une terrasse élevée au-dessous de laquelle était un passage où l'on entrait par un des côtés. Sur le devant un escalier, interrompu par des bancs de distance en distance, conduisait à ce siège d'Anne ; lui-même y arrivait par une entrée communiquant avec l'intérieur du bâtiment.

Jésus, encore entouré d'une partie des soldats qui l'avaient arrêté, fut traîné par les archers sur les premières marches de l'estrade. Le reste de la salle était rempli de soldats, de gens de la populace qui insultaient Jésus, de domestiques d'Anne, et d'une partie des faux témoins qu'Anne avait rassemblés et qui se rendirent plus tard chez Caïphe.

Anne attendait impatiemment l'arrivée du Sauveur. Il était plein de haine et de ruse, et une joie cruelle l'animait. Il était à la tête d'un certain tribunal chargé de veiller à la pureté de la doctrine et d'accuser devant les Princes des prêtres ceux qui y portaient atteinte, et il siégeait ici avec les membres du tribunal. Jésus était debout devant Anne, pâle, défait, silencieux et la tête baissée. Son vêtement était humide et couvert de boue. Les archers tenaient toujours le bout des cordes qui serraient ses mains. Anne, vieillard maigre et sec, à la barbe peu fournie, plein d'insolence et d'orgueil, s'assit avec un sourire ironique, feignant de ne rien savoir et de s'étonner grandement que Jésus fût le prisonnier qu'on lui avait annoncé. Voici ce qu'il dit à Jésus, ou du moins le sens de ses paroles : “Comment, Jésus de Nazareth ? c'est toi ! Où sont donc tes disciples, où sont tes nombreux adhérents ? Où est ton royaume ? il me semble que les choses n'ont pas tourné comme tu le croyais ? On a trouvé que c'était assez d'insultes à Dieu et aux prêtres, assez de violations du Sabbat. Qui sont tes disciples, Où sont-ils ? Tu te tais ! Parle donc, agitateur, séducteur ! N'as-tu pas mangé l'agneau pascal d'une manière inaccoutumée, en un temps et dans un lieu où tu ne devais pas le faire ? Tu veux introduire une nouvelle doctrine ? Qui t'a donné le droit d'enseigner ? Où as-tu étudié ? Parle, quelle est ta doctrine qui met le trouble partout ? allons, parle, quelle est ta doctrine ?”


Alors Jésus releva sa tête fatiguée, regarda Anne, et dit : “J'ai parlé en public devant tout le monde ; j'ai toujours enseigné dans le temple et dans les synagogues où tous les Juifs se rassemblent. Je n'ai rien dit en secret. Pourquoi m'interroges-tu ? Demande à ceux qui m'ont entendu ce que je leur ai dit. Regarde autour de toi ! ils savent ce que j'ai dit.”


Le visage d'Anne, à ces paroles de Jésus, exprima le ressentiment et la fureur. Un infâme archer, vil flatteur du Pontife, qui se trouvait près de Jésus, s'en aperçut et ce misérable frappa de sa main couverte d'un gantelet de fer la bouche et les joues du Seigneur, lui disant : “est-ce ainsi que tu réponds au grand-prêtre ?” Jésus, ébranlé par la violence du coup, poussé d'ailleurs et brutalement secoué par les sergents, tomba de coté sur les marches, et le sang coula de son visage. La salle retentit de murmures, de rires et d'injures. Ils relevèrent Jésus en le maltraitant et le Seigneur dit tranquillement : “Si j'ai mal parlé, montre-moi en quoi. Mais si j'ai bien parlé, pourquoi me frappez vous ?”


Anne, poussé à bout par le calme de Jésus, invita tous ceux qui étaient présents à exposer, ainsi qu'il le désirait lui-même, ce qu'ils lui avaient entendu dire. Alors ce fut une explosion de clameurs confuses et de grossières imprécations. “Il a dit qu'il était roi, que Dieu était son père, que les Pharisiens étaient des adultères. Il soulève le peuple, il guérit au nom du diable le jour du Sabbat, les gens d'Ophel l'ont entouré comme des furieux, l'ont appelé leur sauveur et leur prophète. Il se laisse nommer le Fils de Dieu ; il se dit l'envoyé de Dieu : il crie malheur à Jérusalem, prédit la destruction de la ville, n'observe pas les jeûnes, parcourt le pays avec une suite nombreuse, mange avec les impurs, les païens, les publicains et les pécheurs, fait société avec des femmes de mauvaise vie. Il a encore dit tout à l'heure, devant la porte d'Ophel, à un homme qui lui donnait à boire, qu'il lui donnerait l'eau de la vie éternelle après laquelle il n'aurait plus jamais soif. Il séduit le peuple par des paroles à double sens : il dissipe le bien d'autrui, débits toute sorte de mensonges sur son royaume, etc., etc.”

Tous ces reproches lui étaient faits à la fois : les accusateurs venaient les lui adresser en face, en y mêlant les injures les plus grossières, et les archers le poussaient, le frappaient, en lui disant de répondre. Anne et ses conseillers ajoutaient leurs railleries à ces outrages, et lui disaient : “C'est donc là ta doctrine ! belle doctrine en vérité ! Qu'as-tu à répondre ? C'est donc là ton enseignement public ! Le pays en est plein. N'as-tu rien à dire ici ? Roi, donne tes ordres ; envoyé de Dieu, montre ta mission.” Chacune de ces exclamations était accompagnée d'insultes et de coups de la part des archers et de leurs voisins, qui, tous, auraient volontiers imité celui qui l'avait frappé au visage. Jésus chancelait de côté et d'autre, et Anne reprit avec une froide insolence : “Qui es-tu ? qui t'a envoyé ? Es-tu le fils d'un obscur charpentier, ou bien es-tu Elie qui a été enlevé sur un char de feu ? On dit qu'il vit encore, et que toi, tu peux à volonté te rendre invisible. Au moins est-il vrai que tu nous as souvent échappé. N'es-tu pas plutôt Malachie dont tu empruntes souvent les paroles pour t'en prévaloir ? On a prétendu que ce prophète n'avait pas eu de père, que ç'avait été un ange, qu'il n'était pas mort. Belle occasion pour un fourbe de se faire passer pour lui.  Quelle espèce de roi es-tu donc ? Tu as dit que tu étais plus que Salomon. Sois tranquille, je ne te refuserai pas plus longtemps le titre de ta royauté”.

Alors Anne se fit donner une espèce d'écriteau long de près d'une aune et large de trois doigts ; il le posa sur une table qu'on plaça devant lui et y écrivit une série de grandes lettres, dont chacune indiquait un chef d'accusation contre le Seigneur. Puis il le roula, et le plaça dans une petite calebasse creuse, qu'il boucha soigneusement et assujettit ensuite au bout d'un roseau. Il présenta ce roseau à Jésus, lui disant avec une froide ironie : “Voilà le sceptre de ton royaume : là sont renfermés tes titres, tes dignités et tes droits. Porte-les au grand-prêtre, pour qu'il reconnaisse ta mission et te traite suivant ta dignité Qu'on lie les mains à ce roi, et qu'on le mène devant le grand-prêtre.”
On attacha de nouveau, en les croisant sur la poitrine les mains de Jésus qui avaient été déliées ; on y assujettit le simulacre de sceptre qui portait les accusations d'Anne, et on conduisit Jésus chez Caïphe, au milieu des rires, des injures et des mauvais traitements de la foule.

En conduisant Jésus chez Anne, on avait dépassé, en la laissant de côté, la maison de Caïphe : il fallut maintenant décrire un angle pour l'y ramener. La maison d'Anne n'était guère qu'à trois cents pas de celle de Caïphe. Le chemin qui passait le long de murs et de petits bâtiments dépendant du tribunal du grand-prêtre, était éclairé avec des lanternes placées sur des perches, les soldats pouvaient à peine ouvrir un passage à travers la foule. Ceux qui avaient outragé Jésus chez Anne répétaient leurs outrages devant le peuple, et le Sauveur fut encore injurié et maltraité tout le long du chemin.

Je vis des hommes armés, et attachés au service du tribunal, repousser quelques groupes qui semblaient compatir aux souffrances du Sauveur, donner de l'argent à ceux qui se distinguaient par leur brutalité et leur dureté envers Jésus, et les faire entrer dans la cour de Caïphe.
 


VII. TRIBUNAL DE CAIPHE

Pour arriver au tribunal de Caïphe, on passe par une première cour extérieure, et de là on entre dans une autre cour, que nous appellerons intérieure, et qui entoure tout le bâtiment. La maison est deux fois plus longue que large.


Sur le devant se trouve uns espèce de vestibule à ciel ouvert, qu'on appelle atrium, entouré de trois côtés de colonnes formant des galeries couvertes avec des entrées de ces trois côtés. L'entrée principale est sur le côté le plus long de l'édifice : en entrant par là, on trouve à gauche une fosse revêtue en maçonnerie où l'on entretient du feu : si l'on tourne à droite, on voit, derrière des colonnes plus hautes, formant le quatrième côté de la maison et plus élevée de deux marches, une salle à moitié grande comme le vestibule, où se trouvent les sièges des membres du conseil, sur une estrade en fer à cheval élevée de plusieurs marches. Le siège du grand-prêtre occupe vers le milieu la place la plus éminente. L'accusé se tient au centre du demi-cercle, entouré de gardes. Des deux côtés et derrière lui est la place des témoins et des accusateurs. Derrière les sièges des juges sont trois portes communiquant à une autre salle ronde, entourée aussi de sièges, et où se tiennent les délibérations secrètes. Quand on vient du tribunal dans cette salle, on voit, à droite et à gauche, des portes donnant dans la cour intérieure, dont l'enceinte est ici de forme ronde, comme l'arrière de l'édifice. En sortant de la salle par la porte à droite, on aperçoit dans la cour, à sa gauche, l'entrée d'une prison souterraine qui règne sous cette dernière salle. Il y a là plusieurs cachots : Pierre et Jean restèrent toute une nuit dans l'un d'eux, lorsqu'ils eurent guéri le boiteux du Temple, après la Pentecôte.


Dans le bâtiment et à l'entour, tout était rempli de torches et de lampes, il faisait clair comme en plein jour. Au milieu du vestibule brillait en outre le feu allumé dans la fosse qui était comme un bassin creusé dans le sol et où l'on jetait de temps en temps des combustibles, du charbon de terre, si je ne me trompe : des deux côtés s'élevaient, à hauteur d'homme, des conduits pour la fumée. Des soldats, des employés subalternes, des témoins de bas étage gagnés à prix d'argent se pressaient autour du feu. Il y avait aussi des femmes parmi eux ; elles versaient aux soldats d'une liqueur rouge, et leur faisaient cuire des gâteaux pour de l'argent. C'était un mouvement comme celui d'une soirée de mardi gras. La plupart des juges siégeaient déjà autour de Caïphe. Les autres arrivèrent successivement. Les accusateurs et les faux témoins remplissaient à peu près le vestibule. Il y avait une grande foule qu'il fallait contenir par la force.


Un peu avant l'arrivée de Jésus, Pierre et Jean, encore revêtus du costume de messagers, entrèrent dans la cour extérieure. Jean, avec l'aide d'un employé du tribunal qu'il connaissait, put même pénétrer jusque dans la seconde cour dont on ferma pourtant la porte derrière lui, à cause de la foule. Pierre, qui était resté un peu en arrière, arriva devant cette porte fermée, et la portière refusa de lui ouvrir. Il ne serait pas allé plus loin, malgré les efforts de Jean, si Nicodème et Joseph d'Arimathie, qui arrivaient en ce moment, ne l'eussent fait entrer avec eux. Les deux apôtres, ayant rendu les manteaux qu'on leur avait prêtés, se placèrent au milieu de la foule qui encombrait le vestibule, en un lieu d'où l'on pouvait voir les juges. Caïphe était déjà assis sur son siège au milieu de l'estrade semi-circulaire. Autour de lui siégeaient environ soixante-dix membres du grand conseil. Des deux côtés se tenaient des fonctionnaires publics, des anciens, des scribes, et derrière eux des faux témoins. Des soldats étaient rangés depuis le pied de l'estrade jusqu'à la porte du vestibule par où Jésus devait être introduit. Ce n'était pas la porte placée en face du siège des juges, elle était située, par rapport au tribunal, sur le côté gauche de l'atrium.


Caïphe était un homme d'apparence grave ; son visage était enflammé et menaçant. Il portait un long manteau d'un rouge sombre, orné de fleurs et de franges d'or, attaché à la poitrine et aux épaules et couvert sur le devant de plusieurs plaques d'un métal brillant. Sa coiffure ressemblait un peu par le haut à une mitre d'évêque ; sur les côtés étaient des ouvertures par où pendaient quelques morceaux d'étoffe qui tombaient d'un côté jusque sur l'épaule. Caïphe était là depuis quelque temps avec ses adhérents du grand conseil, dont plusieurs étaient restés réunis depuis que Judas était sorti avec les soldats et les archers. Son impatience et sa rage étaient telles, qu'il descendit de son siège en grand costume, courut dans le vestibule, et demanda avec colère si Jésus n'arrivait pas. Comme le cortège approchait, il retourna à sa place.


LA DOULOUREUSE PASSION DE NOTRE SEIGNEUR JESUS CHRIST
d'après les méditations de la Bienheureuse Anne-Catherine Emmerick
Traduction de l'Abbé de Cazalès
Gallica

Anna Katharina Emmerick
'Die ekstatische Jungfrau Katharina Emmerick' par Gabriel von Max,  München, Neue Pinakothek 

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7 mars 2010 7 07 /03 /mars /2010 19:00

IV. MESURES PRISES PAR LES ENNEMIS DE JÉSUS

Anne et Caïphe avaient été avertis immédiatement de l'arrestation de Jésus, et tout était en mouvement autour d'eux. Les salles étaient éclairées et les avenues gardées ; les messagers couraient la ville pour convoquer les membres du conseil, les scribes et tous ceux qui devaient prendre part du jugement. Plusieurs étaient restés on permanence chez Caïphe, depuis la trahison de Judas, pour attendre l'événement. Les anciens de trois classes de la bourgeoisie furent aussi rassemblés.

Comme les Pharisiens, les Sadducéens et les Hérodiens de toutes les parties du pays étaient venus et que l'entreprise tentée contre Jésus avait été concertée de longue main entre eux et le grand conseil, ceux qui avaient la plus de haine contre le Sauveur furent convoqués, avec l'ordre de rassembler et d'apporter, au moment du témoignage, tout ce qu'ils pourraient trouver de preuves et de témoignages contre Jésus.

Tous les Pharisiens, les Sadducéens, et beaucoup d'autres hommes méchants et orgueilleux de Nazareth, de Capharnaüm, de Thirza, de Gabara, de Jotapat, de Siloh et d'ailleurs, auxquels Jésus avait dit si souvent la vérité, les couvrant de confusion en face du peuple, se trouvaient rassemblés à Jérusalem. Ils étaient pleins de haine et de rage, et chacun d'eux cherchait, parmi les gens de son pays que la fête avait attirés, quelques misérables qui voulussent à prix d'argent se porter accusateurs de Jésus. Mais tous, outre quelques mensonges palpables, se bornaient à répéter ces griefs rebattus à l'occasion desquels Jésus les avait si souvent réduits au silence dans leurs synagogues.

Toute la masse des ennemis de Jésus se rendait donc au tribunal de Caïphe, guidés par les orgueilleux Pharisiens, les Scribes et leurs affidés de Jérusalem, parmi lesquels se trouvaient bien des marchands chassés du Temple par le Sauveur, bien des docteurs vaniteux auxquels il avait fermé la bouche devant le peuple, peut-être même quelques-uns qui ne pouvaient lui pardonner de les avoir convaincus d'erreur et couverts de confusion, lorsqu'à l'âge de douze ans il avait fait sa première instruction au Temple. Parmi cette foule d'ennemis se trouvaient encore des pécheurs impénitents qu'il n'avait pas voulu guérir ; des pécheurs retombés qui étaient redevenus malades ; des jeunes gens vaniteux dont il n'avait pas voulu pour disciples ; des chercheurs de successions, furieux de ce qu'il avait fait donner aux pauvres des biens sur lesquels ils comptaient ou de ce qu'il avait guéri ceux dont ils voulaient hériter ; des débauchés dont il avait converti les camarades ; des adultères dont il avait ramené les complices à la vertu ; beaucoup de gens flatteurs de tous ceux-là, beaucoup d'autres instruments de Satan tout pleins de rage intérieure contre toute sainteté et par conséquent contre le Saint des saints

Cette lie du peuple, dont une si grande partie se trouvait rassemblée pour la fête de Pâques, s'était mise en mouvement, excitée par quelques-uns des principaux ennemis de Jésus, et elle refluait de tous côtés vers le palais de Caïphe, pour accuser faussement de tous les crimes le véritable Agneau sans tache qui porte les péchés du monde qu'il a en effet pris sur lui, portés et expiés.

Pendant que cette foule impure s'agitait, beaucoup de gens pieux et d'amis de Jésus, tristes et troublés, car ils ne savaient pas quel mystère allait s'accomplir, erraient çà et là, écoutaient, gémissaient, s'ils parlaient, on les chassait : s'ils se taisaient, on les regardait de travers. D'autres personnes bien intentionnées, mais faibles et indécises, se scandalisaient, tombaient en tentation et chancelaient dans leur conviction. Le nombre de ceux qui persévéraient était petit. Il arrivait alors ce qui arrive aujourd'hui, où l'on veut bien être bon chrétien quand cela ne déplaît pas aux hommes mais où l'on rougit de la croix quand le monde la voit de mauvais œil. Néanmoins il y en eut plusieurs qui, dès le commencement de cette procédure inique, injustifiable, et que les vils outrages dont elle était accompagnée rendaient révoltante, eurent le cœur touché de la patience résignée du Sauveur et se retirèrent silencieux et tristes.


V. COUP D'ŒIL SUR JÉRUSALEM


La grande et populeuse ville et les tentes des étrangers venus pour la Pâque étaient plongées dans le repos et le sommeil, succédant à beaucoup de prières et de cérémonies publiques et privées par lesquelles on s'était préparé à la fête, lorsque la nouvelle de l'arrestation de Jésus réveilla tous ses ennemis et ses amis ; et sur tous les points de la ville on vit se mettre en mouvement les personnes convoquées par les messagers des Princes des prêtres. Ils allaient au clair de lune ou à la lueur de leurs torches, le long des rues, sombres et désertes à cette heure, car la plupart des maisons avaient leurs fenêtres et leurs sorties sur des cours intérieures. Tous montent vers Sion d'où leur arrive un bruit tumultueux et où ils voient briller la lueur des torches. On entend ça et là frapper aux portes pour éveiller ceux qui dorment ; le bruit et le tumulte renaissent en divers endroits ; on ouvre à ceux qui frappent, on les interroge, on se rend à la convocation. Des curieux et des serviteurs vont voir ce qui se passe pour raconter à ceux qui restent ; on entend verrouiller et barricader plusieurs portes, car quelques personnes s'inquiètent et craignent une émeute. Parfois des gens se montrent aux portes et demandent des nouvelles à des passants de leur connaissance, ou ceux-ci échangent rapidement quelques paroles avec eux. On entend mille propos dictés par une joie maligne, ainsi qu'il arrive aussi de nos jours dans de semblables occasions. Ainsi l'on entend dire, par exemple : “Lazare et ses soeurs vont voir à qui ils se sont livrés ; Jeanne, femme de Chusa, Suzanne et Salomé se repentiront trop tard de leur imprudence ; Séraphia, la femme de Sirach, sera obligée de s'humilier devant son mari qui lui a si souvent reproché sa partialité pour le Galiléen. Tous les partisans de cet agitateur, de ce fanatique, semblaient prendre en pitié ceux qui pensaient autrement qu'eux, et maintenant plus d'un ne saura où se cacher. Il n'y a plus là personne pour jeter sous les pieds de sa monture des vêtements et des branches de palmier. Ces hypocrites, qui veulent toujours être meilleurs que les autres, vont avoir ce qu'ils méritent, car ils sont tous impliqués dans les affaires de ce Galiléen. La chose est plus grave qu'on ne le croyait. Je voudrais savoir comment Nicodème et Joseph d'Arimathie s'en tireront : il y a longtemps qu'on se méfie d'eux. Ils sont d'accord avec Lazare ; mais ils sont adroits. Tout va s'éclaircir maintenant, etc., etc. ”

C'est ainsi qu'on entend parler beaucoup de gens qui sont irrités contre quelques familles dévouées à Jésus, et surtout contre les saintes femmes qui se sont attachées à Jésus et qui lui ont publiquement rendu témoignage. En d'autres lieux, la nouvelle est reçue d'une manière plus convenable : quelques-uns sont terrifiés, d'autres gémissent secrètement, ou cherchent quelque ami dont les sentiments soient conformes aux leurs pour s'épancher avec lui. Il en est peu qui osent exprimer hautement l'intérêt qu'ils prennent à Jésus.

Tout n'est pourtant pas réveillé dans la ville, mais on l'est seulement là où les messagers portent les invitations du grand-prêtre, où les Pharisiens vont chercher leurs faux témoins et où les rues aboutissent au chemin qui conduit vers Sion. Il semble qu'on voie en différents points de Jérusalem jaillir des étincelles de haine et de fureur qui, parcourant les rues, en rencontrent d'autres auxquelles elles se joignent, et croissant et grossissant toujours, montent vers Sion, et vont aboutir au tribunal de Caïphe comme un sombre fleuve de feu. Les soldats romains ne prennent aucune part à ce qui se fait. Mais leurs postes sont renforcés et leurs cohortes rassemblées ; ils observent avec soin tout ce qui se passe. Ils sont toujours ainsi en observation au temps des fêtes de Pâques, à cause de la grande affluence d'étrangers. Les Pharisiens évitent les environs de leurs corps de garde, parce qu'ils souffrent d'être obligés de répondre à leur appel. Les Princes des prêtres n'ont pas manqué de faire savoir à Pilate pourquoi ils ont occupé avec des soldats Ophel et une partie de Sion. Mais il y a entre eux défiance réciproque. Pilate ne dort pas, il reçoit des rapports et donne des ordres. Sa femme est couchée ; son sommeil est profond, mais elle soupire et pleure comme si elle avait des songes pénibles. Elle dort, et cependant elle apprend bien des choses, plus de choses que son mari.

En aucun lieu de la ville on ne prend une part plus touchante aux maux de Jésus qu'à Ophel, parmi les pauvres serviteurs du temple et les journaliers qui habitent cette colline. Ils ont été réveillés subitement, au sein d'une nuit tranquille, pour voir, comme dans une horrible vision nocturne, leur maître, leur bienfaiteur, celui qui les a guéris et consolés, accablé d'injures et de mauvais traitements. Puis ils ont vu passer au milieu d'eux la douloureuse Mère de Jésus, et leur affliction a redoublé à son aspect. Ah ! c'est un spectacle déchirant de voir, dans leur douleur poignante, la mère et les amies de Jésus, obligées de courir les rues, tremblantes et inquiètes, à cette heure de minuit, si indue pour de si saintes femmes, afin d'aller d'une maison d'ami à une autre. Tantôt elles sont obligées de se cacher à l'approche d'une troupe grossière et insolente, tantôt on les injurie comme des femmes de mauvaise vie ; souvent elles entendent des discours pleins d'une joie cruelle qui leur déchirent le cœur, plus rarement une parole de compassion sur Jésus. Enfin, arrivées à leur asile, elles tombent accablées, pleurant et joignant les mains, elles se soutiennent et s'embrassent, ou s'affaissent sur leurs genoux, la tête cachée sous un long voile. On frappe doucement et timidement : ce n'est pas un ennemi qui frappe ainsi ; elles ouvrent en tremblant : c'est un ami ou le serviteur d'un ami de leur maître. Elles se pressent autour de lui, en le questionnant, et ses réponses sont de nouvelles douleurs. Elles ne peuvent rester en repos, se hasardent de nouveau dans les rues, et reviennent toujours avec un redoublement de tristesse.

La plupart des apôtres et des disciples errent effrayés dans les vallées qui entourent Jérusalem, et se cachent dans les cavernes du Mont des Oliviers. Ils tremblent quand ils se rencontrent, se demandent des nouvelles à voix basse, et le moindre bruit interrompt leurs timides communications. Ils changent sans cesse de place, et cherchent à se rapprocher de la ville. Quelques-uns se glissent dans les campements des étrangers où ils ont reconnu des gens de leur pays venus pour la fête, et ils y cherchent des nouvelles ou envoient à la ville des messagers qui puissent en rapporter. Plusieurs montent sur le Mont des Oliviers ; ils regardent avec inquiétude les torches qui se remuent à Sion, écoutent les bruits lointains, se livrent à mille conjectures différentes, puis redescendent dans la vallée, dans l'espoir d'y trouver des nouvelles positives.

Le bruit augmente de plus en plus autour du tribunal de Caïphe. Cette partie de la ville brille de l'éclat des torches et des falots. Autour de Jérusalem, on entend crier les animaux que tant d'étrangers ont amenés pour les sacrifier. Il y a quelque chose de singulièrement touchant dans le bêlement des innombrables agneaux qui doivent être immolés dans le Temple le lendemain. Un seul est sacrifié parce qu'il l'a voulu, et il n'ouvre pas la bouche ; semblable à la brebis qu'on mène à la boucherie, à l'agneau qui se tait devant le tondeur : celui-là, c'est l'agneau de Dieu, pur et sans tache, c'est Jésus-Christ.

Sur toutes ces scènes s'étend un ciel sinistre où se montrent des signes extraordinaires ; la lune y monte menaçante et troublée de taches étranges, car c'est en ce moment que Jésus mourra. Pendant ce temps, au midi de la ville, Judas Iscariote, le traître, aiguillonné par le diable, erre dans la sauvage vallée d'Hinnom : le remords le pousse par des sentiers impraticables à des endroits maudits, marécageux, pleins de fange et l'immondices. Seul, sans compagnons, il fuit devant son ombre. Des milliers de mauvais esprits sont répandus partout, troublant la raison des hommes et les poussant au mal. L'enfer est déchaîné : il excite partout au péché ; le fardeau de l'Agneau s'accroît : Satan, redouble de rage et sème partout le désordre et la confusion. L'Agneau prend sur lui tout ce fardeau, mais Satan veut le péché, et, si ce juste ne pèche point, si la tentation est impuissante à le faire tomber, il faut au moins que ses ennemis meurent dans leur péché. Les Anges sont entre la douleur et la joie, ils voudraient prier devant le trône de Dieu, et pouvoir porter secours à Jésus ; mais ils ne peuvent qu'adorer dans leur étonnement le miracle de la justice et de la miséricorde divine, qui était dans le ciel de toute éternité et qui commence à s'accomplir dans le temps ; car les Anges aussi croient en Dieu le Père tout-puissant créateur du ciel et de la terre ; et en Jésus-Christ, son Fils unique Notre Seigneur, qui a été conçu du Saint Esprit, est né de la Vierge Marie, qui commence cette nuit à souffrir sous Ponce Pilate, qui demain sera crucifié, mourra et sera enseveli : qui descendra aux enfers et ressuscitera le troisième jour : qui montera au ciel où il est assis à la droite de Dieu le Père tout-puissant ; d'où il viendra juger les vivants et les morts : eux aussi croient au Saint Esprit, à la sainte Eglise catholique, à la communion des Saints, à la rémission des péchés, à la résurrection de la chair et à la vie éternelle. Amen.

Tout cela n'est qu'une faible partie des impressions qui nécessairement remplissaient d'angoisses, de repentir de consolation et de compassion, jusqu'au point de le briser, un pauvre coeur tout souillé de péchés, quand la contemplation, comme pour implorer du secours, se détournait des souffrances du Sauveur, cruellement traîné par ses bourreaux, et s'élevait au-dessus de Jérusalem à cette heure de minuit, la plus solennelle des siècles, où la justice infinie et l'infinie miséricorde de Dieu, se rencontrant, s'embrassant et se pénétrant, commencèrent la plus sainte œuvre de la charité envers Dieu et les hommes, pour châtier sur l'Homme-Dieu et expier par l'Homme-Dieu les péchés de l'humanité.

Tel était l'état des choses lorsque notre cher Sauveur fut conduit devant Anne.


LA DOULOUREUSE PASSION DE NOTRE SEIGNEUR JESUS CHRIST
d'après les méditations de la Bienheureuse Anne-Catherine Emmerick
Traduction de l'Abbé de Cazalès
Gallica

Anna Katharina Emmerick
'Die ekstatische Jungfrau Katharina Emmerick' par Gabriel von Max,  München, Neue Pinakothek 

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6 mars 2010 6 06 /03 /mars /2010 17:00

II. JUDAS ET SA TROUPE


Judas ne s'attendait pas à ce que sa trahison eut les conséquences dont elle fut suivie. Il voulait mériter la récompense promise et se rendre agréable aux Pharisiens en leur livrant Jésus ; mais il ne pensait pas au résultat qui devait être la condamnation et le crucifiement du Sauveur. Ses vues n'allaient pas jusque-là. L'argent seul préoccupait son esprit, et depuis longtemps il s'était mis en relation avec quelques Pharisiens et quelques Sadducéens rusés qui l'excitaient à la trahison en le flattant. Il était las de la vie fatigante, errante et persécutée que menaient les apôtres. Dans les derniers mois il n’avait cessé de voler les aumônes dont il était dépositaire, et sa cupidité, irritée par la libéralité de Madeleine lorsqu'elle versa des parfums sur Jésus, le poussa au dernier des crimes. Il avait toujours espéré un royaume temporel de Jésus et un emploi brillant et lucratif dans ce royaume, ne le voyant pas paraître, il cherchait à amasser une fortune. Il voyait les peines et les persécutions s'accroître, et il pensait à se mettre bien avec les puissants ennemis du Sauveur avant l'approche du danger ; car il voyait que Jésus ne devenait pas roi, tandis que la dignité du grand prêtre et l’importance de ses affidés faisaient une vive impression sur lui. Il se rapprochait de plus en plus de leurs agents qui le flattaient sans cesse et lui disaient d'un ton très assuré que, dans tous les cas, on en finirait bientôt avec Jésus.

Récemment encore, ils étaient venus le trouver plusieurs fois à Béthanie. Il s’enfonça de plus en plus dans ses pensées criminelles, et il avait multiplié ses courses, dans les derniers jours, pour décider les princes des prêtres à agir. Ceux-ci ne voulaient pas encore commencer, et ils le traitèrent avec mépris. Ils disaient qu'il n'y avait pas assez de temps avant la fête, que cela y mettrait du désordre et du trouble. Le Sanhédrin seul donna quelque attention aux propositions de Judas. Après la réception sacrilège du Sacrement, Satan s’empara tout à fait de lui et il partit pour achever son crime. Il chercha d’abord les négociateurs qui l’avaient toujours flatté jusque-là, et qui l’accueillirent encore avec une amitié feinte. Il en vint d'autres, parmi lesquels Caïphe et Anne, ce dernier, toutefois, prit avec lui un ton hautain et moqueur. On était irrésolu, et on ne comptait pas sur le succès, parce qu'on ne se fiait pas à Judas.
 

Je vis l’empire infernal divisé : Satan voulait le crime des ennemis de Jésus, il désirait la mort de Jésus, le convertisseur, le saint docteur, le juste qu’il haïssait ; mais il éprouvait aussi je ne sais quelle crainte intérieure de la mort de cette innocente victime qui ne voulait pas se dérober à ses persécuteurs ; il lui portait envie de souffrir sans l'avoir mérité. Je le vis donc, d'un côté, exciter la haine et la fureur des ennemis de Jésus, et, d’un autre côté, insinuer à quelques-uns d'entre eux que Judas était un coquin, un misérable, qu'on ne pourrait pas rendre le jugement avant la fête, ni réunir un nombre suffisant de témoins contre Jésus.
 

Chacun mettait en avant une proposition différente ; et entre autres choses, ils demandèrent à Judas : “Pourrons nous le prendre ? n’a-t-il pas des hommes armés avec lui ?” Et le traître répondit : “non, il est seul avec onze disciples ; lui-même est tout découragé et les onze sont des hommes peureux.” Il leur dit aussi qu'il fallait s'emparer de Jésus maintenant ou jamais, qu'une autre fois il ne pourrait plus le leur livrer, qu’il ne retournerait peut-être plus près de lui, que depuis quelques jours les autres disciples et Jésus lui-même avaient évidemment des soupçons sur lui, qu'ils semblaient se douter de ses menées, et qu'ils le tueraient sans doute s'il revenait à eux. Il leur dit encore que s'ils ne prenaient pas Jésus actuellement, il s'échapperait et reviendrait avec une armée de ses partisans pour se faire proclamer roi. Ces menaces de Judas firent effet. On revint à son avis, et il reçut le prix de sa trahison, les trente pièces d'argent. Ces pièces avaient la forme d'une langue, elles étaient percées du côté arrondi et enfilées au moyen d'anneaux dans une espèce de chaîne, elles portaient certaines empreintes.

Judas, frappé du mépris et de la défiance qui perçaient dans leurs manières, fut poussé par l'orgueil à leur remettre cet argent pour l'offrir dans le Temple, afin de passer a leurs yeux pour un homme juste et désintéressé. Mais ils s’y refusèrent, parce que c'était le prix du sang qui ne pouvait être offert dans le Temple. Judas vit combien ils le méprisaient, et il en éprouva un profond ressentiment, il ne s'était pas attendu à goûter les fruits amers de sa trahison avant même qu'elle fût accomplie ; mais il s'était tellement engagé avec ces hommes qu’il était entre leurs mains et ne pouvait plus s'en délivrer. Ils l’observaient de très près et ne le laissèrent point partir qu'il n'eût exposé la marche a suivre pour s'emparer de Jésus. Trois Pharisiens l’accompagnèrent lorsqu'il descendit dans une salle où se trouvaient des soldats du Temple, qui n'étaient pas seulement des Juifs mais des hommes de toute nation. Lorsque tout fut arrangé et qu'on eût rassemblé le nombre de soldats nécessaire, Judas courut d'abord au Cénacle, accompagné d'un serviteur des Pharisiens, afin de leur faire savoir si Jésus y était encore, à cause de la facilité de le prendre là en s’emparant des portes. Il devait le leur faire dire par un messager.
 

Un peu auparavant, lorsque Judas eut reçu le prix de sa trahison, un Pharisien était sorti et avait envoyé sept esclaves chercher du bois pour préparer la croix du Christ, dans le cas où il serait jugé, parce que le lendemain on n'aurait pas eu assez de temps à cause du commencement de la Pâque. Ils prirent ce bois à un quart de lieue de là, près d'un grand mur où il y avait beaucoup d'autre bois appartenant au service du Temple, et le traînèrent sur une place derrière le tribunal de Caïphe, pour le façonner. La pièce principale de la croix avait été autrefois un arbre de la vallée de Josaphat, planté près du torrent de Cédron ; plus tard, étant tombé en travers, on en avait fait une espèce de pont. Lorsque Néhémie cacha le feu sacré et les saints vases dans l'étang de Bethsaïde, on le jeta par-dessus avec d'autres pièces de bois, plus tard, on l'en avait tiré et laissé de côté. La croix fut préparée d'une façon qui n'était pas ordinaire, soit parce qu'on voulait se moquer de la royauté de Jésus, soit par un hasard apparent, mais qui était dans les desseins de Dieu. Elle fut faite de cinq pièces de bois sans compter l'inscription. J'ai vu bien d'autres choses relatives à la croix, et j'ai su la signification des différentes circonstances, mais j'ai oublié tout cela.
 

Judas revint et dit que Jésus n'était plus dans le Cénacle, mais qu'il devait être certainement sur le Mont des Oliviers, au lieu où il avait coutume de prier. Il demanda qu'on n’envoyât avec lui qu'une petite troupe, de peur que les disciples qui étaient aux aguets ne s'aperçussent de quelque chose et n'excitassent une sédition. Trois cents hommes devaient occuper les portes et les rues d'Ophel, partie de la ville située au sud du Temple, et la vallée de Millo jusqu'à la maison d'Anne, au haut de Sion, afin d'envoyer des renforts si cela était nécessaire, car, disait-il, tout le petit peuple d'Ophel était partisan de Jésus. Le traître leur dit encore qu'ils devaient prendre garde qu'il ne leur échappât, lui qui, par des moyens mystérieux, s'était souvent dérobé dans la montagne et rendu tout à coup invisible à ceux qui l’accompagnaient. Il leur conseilla aussi de l'attacher avec une chaîne, et de se servir de certains moyens magiques pour l'empêcher de la briser. Les Pharisiens reçurent tous ces avis avec dédain et lui dirent : “Tu ne nous en imposeras pas ; si nous le tenons une fois, nous ne le laisserons pas s’échapper”.
 

Judas prit ses mesures avec ceux qui devaient l'accompagner : il voulait entrer dans le jardin avant eux, embrasser et saluer Jésus comme s'il revenait à lui en ami et en disciple après avoir fait ce dont il était chargé : alors les soldats accourraient et s'empareraient de Jésus. Il désirait qu'on crût qu'ils étaient venus là par hasard ; à leur vue il se serait enfui comme les autres disciples et on n'aurait plus entendu parler de lui. Il pensait aussi qu’il y aurait peut être du tumulte, que les apôtres se défendraient et que Jésus se déroberait comme il l'avait fait souvent, cette pensée lui venait par intervalles quand il se sentait blessé par les dédains des ennemis de Jésus, mais il ne se repentait pas, car il s'était donné tout entier à Satan.

Il ne voulait pas non plus que ceux qui viendraient derrière lui portassent des liens et des cordes : on eut l’air de lui accorder ce qu'il désirait, mais on en agit avec lui comme on fait avec un traître auquel on ne se fie pas, et qu'on repousse quand on s'en est servi. Les soldats avaient ordre de surveiller Judas de très près, et de ne pas le laisser aller qu'on ne se fût emparé de Jésus, car il avait reçu sa récompense. On pouvait craindre qu'il ne s’enfuit avec l'argent, et qu’on ne prit pas Jésus ou qu'on en prit un autre à sa place, ce qui n'aurait amené, pour tout résultat, que du désordre et des troubles pendant les fêtes de Pâques.

La troupe choisie pour accompagner Judas était de vingt soldats pris dans la garde du Temple et dans ceux qui étaient aux ordres d’Anne et de Caïphe. Ils étaient costumés à peu prés comme les soldats romains, ils portaient des morions et avaient comme eux des courroies pendantes autour des cuisses : ils s’en distinguaient principalement par la barbe, car les Romains a Jérusalem n’en portaient que sur les joues et avaient le menton et la lèvre rasés. Tous les vingt avaient des épées, quelques-uns étaient en outre armés de piques, ils portaient des bâtons avec des lanternes et des torches, mais lorsqu'ils partirent, ils n'en allumèrent qu'une seule. On avait d'abord voulu donner à Judas une escorte plus nombreuse, mais il fit observer qu'elle serait trop facile à apercevoir, parce que du Mont des Oliviers on avait vue sur la vallée. La plus grande partie resta donc à Ophel, et l'on plaça des postes de tous côtés pour comprimer tout soulèvement et toute tentative en faveur de Jésus. Judas partit avec les vingt soldats. mais il fut suivi à quelque distance par quatre archers, records de la dernière classe, qui portaient des cordes et des chaînes ; quelques pas derrière ceux-ci venaient ces six agents avec lesquels Judas s'était mis en rapport depuis quelque temps. C'était un prêtre, confident d'Anne, un affidé de Caïphe, deux employés pharisiens et deux employés sadducéens qui étaient aussi hérodiens. Ces hommes étaient des flatteurs d'Anne et de Caiphe, ils leur servaient d’espions, et Jésus n'avait pas d'ennemis plus acharnés.
 

Les soldats restèrent d'accord avec Judas jusqu’à l'endroit où le chemin sépare le jardin des Oliviers de celui de Gethsémani ; là ils ne voulurent pas le laisser aller seul en avant, ils prirent un autre ton avec lui et le traitèrent durement et insolemment.


III. JÉSUS EST FAIT PRISONNIER

Jésus se trouvant avec les trois apôtres sur le chemin entre Gethsémani et le jardin des Oliviers, Judas et sa troupe parurent à vingt pas de là, à l'entrée de ce chemin : il y eut contestation entre eux. parce que Judas voulait se séparer des soldats et aborder Jésus seul et en ami, de manière à ne pas paraître d'intelligence avec eux ; mais ceux-ci l'arrêtèrent et lui dirent : “Non pas ainsi, camarade, tu ne nous échapperas pas que nous n'ayons le Galiléen”. Et comme ils virent les huit apôtres qui accouraient au bruit, ils appelèrent à eux les quatre archers qui étaient à quelque distance. Judas ne voulait pas que ceux-ci intervinssent alors et, à cette occasion, il se disputa vivement avec eux.

Lorsque Jésus et les trois apôtres reconnurent, à la lueur de la torche, cette troupe de gens armés, Pierre voulut les repousser par la force : “Seigneur, dit-il, les huit sont tout près d'ici, attaquons les archers.” Mais Jésus lui dit de rester tranquille, et il fit quelques pas en arrière sur un endroit couvert d'herbe, de l'autre côté du chemin. Quatre disciples étaient sortis du jardin de Gethsémani et demandaient ce qui arrivait : Judas voulait entrer en conversation avec eux et leur faire des mensonges, mais les gardes l'en empêchèrent. Ces quatre disciples étaient Jacques le Mineur, Philippe, Thomas et Nathanaël : ce dernier, un fils du vieux Siméon et quelques autres, étaient venus vers les huit apôtres à Gethsémani, soit envoyés pour avoir des nouvelles par les amis de Jésus, soit poussés par l'inquiétude et la curiosité. Les autres disciples erraient ça et là dans l'éloignement, se tenant aux aguets et prêts à s'enfuir.


Jésus fit quelques pas pour s'approcher de la troupe et dit à haute et intelligible voix : “Qui cherchez-vous ?” Les chefs des soldats répondirent : “Jésus de Nazareth”. - C'est  moi, réplique Jésus. A peine avait-il prononcé ces mots qu'ils reculèrent et tombèrent par terre comme frappés d'apoplexie. Judas qui était à côté d'eux fut encore plus déconcerté dans ses projets, et comme il semblait vouloir s'approcher de Jésus, le Seigneur étendit la main et dit : “Mon ami ! qu'es-tu venu faire ici ?” Et Judas balbutia quelques paroles sur une affaire dont il avait été chargé. Jésus lui répondit en peu de mots dont le sens était : “il voudrait mieux pour toi n'être jamais né” ! Je ne m'en souviens pas très distinctement. Pendant ce temps, les soldats s'étaient relevés et s'étaient rapprochés du Seigneur, attendant le signe de reconnaissance du traître, le baiser qu'il devait donner à Jésus. Pierre et les autres disciples entourèrent Judas et l'appelèrent voleur et traître ; il chercha à se débarrasser d'eux en leur faisant des mensonges, mais il ne put y réussir, parce que les archers cherchaient à le défendre contre les apôtres et par là même témoignaient contre lui.


Jésus dit encore une fois : “Qui cherchez-vous ?” Ils répondirent encore : Jésus de Nazareth. - “C'est moi, dit-il, je vous l'ai déjà dit, si c'est moi que vous cherchez laissez aller ceux-ci”. A ces paroles, les soldats tombèrent une seconde fois avec des contorsions semblables à celles de l'épilepsie, et Judas fut de nouveau entouré par les apôtres qui étaient exaspérés contre lui. Jésus dit aux soldats : “Levez-vous” ! Ils se relevèrent pleins de terreur ; mais comme les apôtres serraient Judas de près, les gardes le délivrèrent de leurs mains et le sommèrent avec menaces de leur donner le signal convenu, car ils avaient ordre de se saisir seulement de celui qu'il embrasserait. Alors Judas vint à Jésus et lui donna un baiser avec ces paroles : “Maître, je vous salue”. Jésus dit : “Judas tu trahis le Fils de l'homme par un baiser.” Alors les soldats entourèrent Jésus, et les archers qui s'étaient approchés mirent la main sur lui. Judas voulut s'enfuir, mais les apôtres le retinrent : ils s'élancèrent sur les soldats en criant : “Maître ! devons-nous frapper avec l'épée ?” Pierre, plus ardent, saisit l'épée, frappa Malchus, valet du grand prêtre, qui voulait repousser les apôtres, et le blessa à l'oreille : celui-ci tomba par terre et le tumulte fut alors à son comble.


Cependant Jésus avait été saisi par les archers, qui voulaient le lier : les soldats l'entouraient d'un peu plus loin, et c'était parmi eux que Pierre avait frappé Malchus. D'autres soldats étaient occupés à repousser ceux des disciples qui s'approchaient ou à poursuivre ceux qui fuyaient. Quatre disciples erraient aux environs et se montraient ça et là dans l'éloignement, les soldats n'étaient pas remis de la frayeur de leur chute, et d'ailleurs ils n'osaient guère s'écarter pour ne pas affaiblir la troupe qui entourait Jésus. Judas qui s'était enfui après avoir donné le baiser du traître fut arrêté à peu de distance par quelques-uns des disciples qui l'accablèrent d'injures ; mais les six employés pharisiens qui arrivèrent en ce moment le délivrèrent encore, et les quatre archers s'occupèrent d'entraîner le Seigneur qui était entre leurs mains.


Tel était l'état des choses lorsque Pierre renversa Malchus, et Jésus lui avait dit aussitôt : “Pierre, remets ton épée dans le fourreau, car celui qui tire l'épée périra par l'épée, crois-tu que je ne puisse pas prier mon père de m'envoyer plus de douze légions d'anges ? Ne dois-je pas vider le calice que mon père m'a donne à boire ? Comment l'Ecriture s'accomplirait-elle, si ces choses ne se faisaient pas”. Il dit encore : “Laisse-moi guérir cet homme”. Puis il s'approcha de Malchus, toucha son oreille, pria, et la guérit. Les soldats étaient autour de lui, ainsi que les archers et les six Pharisiens, et ceux-ci l'insultaient, disant à la troupe : “C'est un suppôt du diable, l'oreille a paru blessée par suite de ses enchantements, et c'est par ces mêmes enchantements qu'elle est guérie”.

Alors Jésus leur dit : “Vous êtes venus me prendre comme un assassin avec des pieux et des bâtons : j'ai enseigné tous les jours, parmi vous, dans le Temple, et vous n'avez pas mis la main sur moi : mais votre heure, l'heure de la puissance des ténèbres est venue. Ils ordonnèrent de l'attacher et ils l'insultèrent, disant : “Tu n'as pas pu nous renverser avec tes sortilèges”. Les recors lui dirent de leur côté : “Nous saurons bien mettre fin à tes pratiques”. Jésus fit une réponse dont je ne souviens pas bien, et les disciples s'enfuirent dans toutes les directions. Les quatre archers et les six Pharisiens n'étaient pas tombés, et, par conséquent, ne s'étaient pas relevés. C'était, ainsi qu'il me fut révélé, parce qu'ils étaient entièrement dans les liens de Satan aussi bien que Judas qui ne tomba pas quoiqu'il était à côté des soldats. Tous ceux qui tombèrent et se relevèrent se convertirent depuis et devinrent chrétiens : cela avait été la figure de leur conversion. Ces soldats avaient seulement entouré Jésus mais ils n'avaient pas mis la main sur lui : Malchus se convertit aussitôt après sa guérison, si bien qu'il ne continua son service que pour maintenir l'ordre, et que, pendant les heures qui suivirent, il servit souvent de messager à Marie et aux autres amis du Sauveur pour leur rapporter ce qui se passait.

Pendant que les Pharisiens prodiguaient à Jésus les insultes et les railleries. Les archers le garrottèrent avec une grande dureté et une brutalité de bourreaux. Ces hommes étaient des païens de la plus basse extraction. Ils avaient le cou, les bras et les jambes nus ; ils portaient une bande d'étoffe autour des reins et des jaquettes sans manches ; ils étaient petits, robustes, très agiles ; leur teint était d'un brun rougeâtre, et il ressemblaient a des esclaves égyptiens.


Ils garrottèrent les mains de Jésus devant sa poitrine, et cela de la manière la plus cruelle, car ils lui attachèrent le poignet droit au-dessous du coude du bras gauche et le poignet gauche au-dessous du coude du bras droit avec des cordes neuves, très dures et très serrées. Ils lui mirent autour du corps une espèce de large ceinture où étaient des pointes de fer et y assujettirent ses mains avec des liens d'osier. Ils lui passèrent autour du cou une sorte de collier où étaient encore des piquants ou d'autres corps propres à blesser, et d'où partaient deux courroies se croisant sur sa poitrine comme une étole et fortement attachées à la ceinture. A cette ceinture aboutissaient quatre longues cordes au moyen desquelles ils tiraient ça et là le Seigneur selon leurs caprices inhumains. Toutes ces cordes étaient neuves et paraissaient avoir été préparées tout exprès, depuis qu'on avait formé le projet de d'emparer de Jésus.


On se mit en marche après avoir allumé un plus grand nombre de torches. Dix hommes de la garde marchaient en avant, puis venaient les archers, qui traînaient Jésus avec leurs cordes, puis les Pharisiens qui l'accablaient d'injures, les dix autres soldats fermaient la marche. Les disciples erraient à quelque distance, poussant des sanglots et comme hors d'eux-mêmes ; Jean suivait d'un peu plus prés les soldats qui étaient en arrière, et les Pharisiens leur ordonnèrent d'arrêter cet homme. Quelques-uns se retournèrent en effet et coururent sur lui, mais il s'enfuit, laissant entre leurs mains son suaire par lequel ils l'avaient saisi. Il avait quitté son manteau et ne portait qu'un vêtement de dessous court et sans manches afin de pouvoir s'échapper plus facilement. Il avait roulé autour de son cou, de sa tête et de ses bras, cette longue bande d'étoffe que les Juifs portent ordinairement. Les archers tiraient et maltraitaient Jésus de la manière la plus cruelle : ils inventaient mille manières de le tourmenter, ce qu'ils faisaient surtout pour flatter bassement les six Pharisiens qui étaient pleins de haine et de rage contre le Sauveur.

Ils le menaient par les chemins les plus rudes, sur les pierres, dans la boue, en cherchant pour eux-mêmes des sentiers commodes, et tendaient les cordes de toutes leurs forces ; ils tenaient d'autres cordes à nœuds avec lesquelles ils le frappaient, comme un boucher frappe les bestiaux qu'il mène à la boucherie, et ils accompagnaient toutes ces cruautés d'insultes tellement ignobles que la décence ne permettrait pas de répéter leurs discours. Jésus était pieds nus ; il avait, outre le vêtement qui couvrait la peau, une tunique de laine sans couture et un autre vêtement par-dessus. Les disciples, comme, du reste, les Juifs en général, portaient immédiatement sur la peau un scapulaire composé de deux pièces d'étoffes qui se réunissaient sur les épaules, avec des ouvertures sur les côtés. Le bas du corps était recouvert d'une ceinture d'où pendaient quatre morceaux d'étoffe qui enveloppaient les reins et formaient une espèce de caleçon. Je dois ajouter que, lors de l'arrestation du Sauveur, je ne vis pas qu'on lui présentât aucun ordre, aucune écriture : on le traita comme s'il eût été hors la loi.


Le cortège marchait assez vite. Lorsqu'il eut quitté le chemin qui est entre le jardin des Oliviers et celui de Gethsémani, il tourna a droite et arriva bientôt à un pont jeté sur le torrent de Cédron. Jésus, allant au jardin des Oliviers, avec les apôtres, n'avait point passé sur ce pont ; il avait pris un chemin détourné par la vallée de Josaphat qui l'avait conduit à un autre pont placé plus au sud. Celui où on le traînait actuellement était très long, parce qu'il s'étendait plus loin que le lit du Cédron, par-dessus quelques inégalités du terrain. Avant qu'on n'y arrivât, je vis deux fois Jésus renversé à terre par les violentes secousses que lui donnaient les archers. Mais lorsqu'ils furent arrivés sur le milieu du pont, ils ne mirent pas de bornes à leurs cruautés : ils poussèrent brutalement Jésus enchaîné et le jetèrent de toute sa hauteur dans le torrent, lui disant de s'y désaltérer. Sans une assistance divine cela eut suffi pour le tuer. Il tomba sur les genoux, puis sur son visage, qui eut été grièvement blessé contre des rochers à peine couverts d'un peu d'eau, sil ne l'avait pas garanti avec ses mains liées ensemble. Elles s'étaient détachées de la ceinture, soit par une assistance d'en haut, soit parce que les archers les avaient déliées. Ses genoux, ses pieds, ses coudes et ses doigts s'imprimèrent miraculeusement sur le rocher où il tomba, et cette empreinte fut plus tard l'objet d'un culte. On ne croit plus à ces sortes de choses : mais j'ai vu souvent dans des visions historiques des empreintes de ce genre laissées dans la pierre par les pieds, les genoux et les mains des patriarches, des prophètes, de Jésus, de la sainte Vierge et de divers saints. Les rochers étaient moins durs et plus croyants que le cœur des hommes, et rendaient témoignage, dans ces terribles moments, de l'impression que la vérité faisait sur eux.


Je n'avais pas vu Jésus se désaltérer, malgré la terrible soif que suivit son agonie au jardin des Oliviers ; je le vis boire de l'eau du Cédron lorsqu'on l'y eut poussé, et j'appris que c'était l'accomplissement d'un passage prophétique des Psaumes, où il est dit qu'il boira dans le chemin l'eau du torrent (Psaume 109). Les archers tenaient toujours Jésus attaché au bout de leurs longues cordes. Mais ne pouvant lui faire traverser le torrent, à cause d'un ouvrage en maçonnerie qui était de l'autre côté, ils revinrent sur leurs pas, le traînant avec leurs cordes à travers le Cédron, puis ils descendirent et le firent remonter sur le bord. Alors ces misérables le poussèrent sur le pont, l'accablant d'injures, de malédictions et de coups. Son long vêtement de laine, tout imbibé d'eau se collait sur ses membres. Il pouvait à peine marcher, et de l'autre coté du pont, il tomba encore par terre. Ils le relevèrent violemment, le frappant avec leurs cordes, et rattachèrent à sa ceinture les bords de sa robe humide, au milieu des insultes les plus ignobles ; faisant allusion, par exemple, à la manière dont on relève ses habits pour manger l'agneau pascal.

Il n'était pas encore minuit lorsque je vis Jésus de l'autre côté du Cédron, traîné inhumainement par les quatre archers sur un étroit sentier, parmi les pierres, les fragments de rochers, les chardons et les épines. Les six méchants Pharisiens se tenaient aussi près de lui que le chemin le permettait, et, avec des bâtons de formes différentes, ils le poussaient, le piquaient ou le frappaient quand les pieds nus et saignants de Jésus étaient déchirés par les pierres et les épines, ils l'insultaient avec une cruelle ironie. “Son précurseur, Jean-Baptiste, disaient-ils ne lui a pas préparé ici un bon chemin” ; ou bien : “Le mot de Malachie : J'envoie devant toi mon ange pour te préparer le chemin, ne s'applique pas ici”, ou bien encore : “Pourquoi ne ressuscite-t-il pas Jean d'entre les morts pour lui préparer la voie”. Et chaque moquerie de ces hommes, accompagnée d'un rire insolent, était comme un aiguillon pour les archers, qui redoublaient leurs mauvais traitements envers le pauvre Jésus.

Bientôt cependant ils remarquèrent que plusieurs personnes se montraient ici et là dans l'éloignement ; car, le bruit s'était répandu que Jésus était arrêté, plusieurs disciples arrivaient de Bethphagé et d'autres endroits où ils s'étaient cachés, voulant savoir ce qui allait advenir de leur Maître. Les ennemis de Jésus, craignant quelque attaque, donnèrent avec leurs cris, dans la direction d'Ophel, le signal de leur envoyer du renfort. Ils étaient encore à quelques minutes d'une porte située au midi du Temple, et qui conduit, à travers un petit faubourg nommé Ophel, sur la montagne de Sion où demeuraient Anne et Caïphe. Je vis sortir de cette porte une troupe de cinquante soldats. Ils étaient divisés en trois groupes, le premier de dix, le dernier de quinze, car je les ai bien comptés ; celui du milieu était donc de vingt-cinq hommes. Ils avaient plusieurs torches avec eux ; ils étaient insolents, bruyants, et poussaient des cris pour annoncer leur approche et féliciter ceux qui arrivaient de leur victoire. Lorsque le premier groupe se fut joint à l'escorte de Jésus, je vis Malchus et quelques autres profiter du désordre excité par cette réunion pour quitter l'arrière-garde et s'enfuir vers le mont des Oliviers.


Quand cette nouvelle troupe sortit d'Ophel, je vis les disciples qui s'étaient montrés à quelque distance se disperser. La sainte Vierge et neuf des saintes femmes avaient été poussées de nouveau par leur inquiétude dans la vallée de Josaphat. C'étaient Marthe, Madeleine, Marie de Cléophas, Marie Salomé, Marie, mère de Marc, Suzanne, Jeanne Chusa, Véronique et Salomé. Elles se trouvaient plus au midi que Gethsémani, en face de cet endroit de la montagne des Oliviers où est une autre grotte dans laquelle Jésus allait quelquefois prier. Lazare, Jean-Marc, le fils de Véronique et celui de Siméon étaient avec elles. Le dernier s'était trouvé à Gethsémani avec Nathanaël et les huit apôtres, et il s'était enfui à travers les soldats. Ils apportaient des nouvelles aux saintes femmes. Dans le même moment, on entendait les cris et on voyait les torches des deux troupes qui se réunissaient. La sainte Vierge perdit connaissance et tomba dans les bras de ses compagnes. Celles-ci se retirèrent avec elle pour la ramener dans la maison de Marie, mère de Marc.


Les cinquante soldats étaient détachés d'une troupe de trois cents hommes qui avaient occupé à l'improviste les portes et les rues d'Ophel ; car le traître Judas avait fait observer aux princes des prêtres que les habitants d'Ophel pauvres journaliers pour la plupart, porteurs d'eau et de bois pour le Temple, étaient les partisans les plus déterminés de Jésus, et qu'on pouvait craindre qu'ils ne tentassent de le délivrer. Le traître savait bien que Jésus avait consolé, enseigné, secouru ou guéri un grand nombre de ces pauvres ouvriers. C'était aussi à Ophel que le Seigneur s'était arrêté lors de son voyage de Béthanie à Hébron après le meurtre de Jean-Baptiste, et qu'il avait guéri beaucoup de maçons blessés par la chute du grand bâtiment et de la tour de Siloé : la plupart de ces pauvres gens, après la Pentecôte se réunirent à la première communauté chrétienne. Lorsque les chrétiens se séparèrent des Juifs, et qu'on établit des demeures pour la communauté, des tentes et des cabanes furent tendues depuis ici jusqu'au mont des Oliviers, à travers la vallée. C'était aussi là qu'alors s'était établi saint Etienne. Ophel couvre une colline entourée de murs et située au midi du Temple.

Les bons habitants d'Ophel furent réveillés par les cris des soldats. Ils sortirent de leurs maisons et coururent dans les rues et aux portes pour savoir ce qui arrivait. Mais les soldats les repoussèrent brutalement dans leurs demeures. “Jésus, le malfaiteur, votre faux prophète, leur disaient-ils, va être amené prisonnier. Le grand prêtre ne peut plus le laisser continuer le métier qu'il fait : il sera mis en croix. A cette nouvelle, on n'entendit que gémissements et sanglots. Ces pauvres gens, hommes et femmes, couraient çà et là en pleurant, ou se jetaient à genoux, ou étendus, et criaient vers le ciel en rappelant les bienfaits de Jésus. Mais les soldats les poussaient, les frappaient, les faisaient rentrer de force dans leurs maisons, et se répandaient en injures contre Jésus, disant : “Voici bien la preuve que c'est un agitateur du peuple.” Ils ne voulaient pourtant pas exercer de trop grandes violences contre les habitants d'Ophel, de peur de les pousser à une résistance ouverte, et ils cherchaient seulement à les écarter du chemin que Jésus devait parcourir.


Pendant ce temps, la troupe inhumaine qui amenait le Sauveur s'approchait de la porte d'Ophel. Jésus était de nouveau tombé par terre, et il ne paraissait pas pouvoir aller plus loin. Alors un soldat compatissant profita de cette occasion pour dire aux autres : “Vous voyez que ce malheureux homme ne peut plus marcher. Si nous devons l'amener vivant aux princes des Prêtres, desserrez un peu les cordes qui lui lient les mains afin qu'il puisse s'appuyer quand il tombera”. La troupe s'étant arrêtée un instant et les archers ayant relâché ses liens, un autre soldat miséricordieux lui apporta de l'eau d'une fontaine située dans le voisinage. Il puisa cette eau dans un cornet d'écorce roulée, tel que les soldats et les voyageurs en portent sur eux dans ce pays. Jésus lui adressa quelques paroles de remerciement, et cita, à cette occasion, un passage des prophètes où il est question de sources d'eau vive, ce qui lui attira beaucoup d'injures et de moqueries de la part des Pharisiens. Ils l'accusaient de forfanterie et de blasphème, lui disant de laisser là ces vains discours et qu'il ne donnerait plus à boire, même à un animal, bien loin de désaltérer les hommes. Je vis ces deux hommes, celui qui avait fait relâcher les liens de Jésus et celui qui lui avait donné à boire, favorisés d'une illumination intérieure de la grâce. Ils se convertirent avant la mort de Jésus, et se réunirent ensuite à ses disciples. J'ai su leurs noms actuels, ceux qu'ils portèrent plus tard comme disciples et toutes les circonstances de leur conversion ; mais on ne peut pas retenir tout cela, il y a trop de choses.


Le cortège se remit en marche au milieu des mauvais traitements prodigués à Jésus, et arriva à la porte d'Ophel, où il fut accueilli par les cris douloureux des habitants, que la reconnaissance attachait à Jésus. Les soldats avaient beaucoup de peine à retenir les hommes et les femme qui se pressaient de tous les côtés. Ils joignaient les mains, se jetaient à genoux, et criaient : “Délivrez-nous cet homme ! délivrez-nous cet homme ! Qui nous aidera, qui nous consolera et nous guérira ? Rendez-nous cet homme !” C'était un spectacle déchirant de voir Jésus pâle, défait, meurtri, avec sa chevelure en désordre, sa robe humide et souillée, traîné avec des cordes et poussé avec des bâtons comme un pauvre animal qu'on mène au sacrificateur, conduit par d'ignobles archers demi nus et des soldats grossiers et insolents, à travers la foule affligée des habitants d'Ophel qui tendaient vers lui des mains qu'il avait guéries de la paralysie, faisaient entendre en suppliant ses bourreaux la voix qu'il leur avait rendue, le suivaient de leurs yeux pleins de larmes qui lui devaient la lumière.


Déjà, dans la vallée du Cédron, beaucoup de gens de la dernière classe du peuple, et poussés par les ennemis de Jésus, s'étaient joints à l'escorte, maudissant et injuriant le Seigneur. Ils concouraient actuellement à repousser et à insulter les bons habitants d'Ophel. Ophel est bâti sur une colline ; sur le point le plus élevé est une place, où je vis beaucoup de bois de construction entassé. Le cortège alla ensuite en descendant, et passa par une porte pratiquée dans une muraille. Quand il eut traversé Ophel, on empêcha le peuple de le suivre. Ils descendirent encore un peu, laissant à droite un grand édifice, reste des ouvrages de Salomon, si je ne me trompe, et à gauche l'étang de Bethsaïde ; puis ils allèrent encore au couchant, suivant une rue en pente appelée Millo. Alors ils tournèrent un peu au midi en montant vers Sion par de grands escaliers, et ils arrivèrent à la maison d'Anne. Sur toute cette route, on ne cessa de maltraiter Notre Seigneur ; la canaille qui venait de la ville et qui grossissait sans cesse était pour les bourreaux de Jésus l'occasion d'un redoublement d'insultes. Depuis le mont des Oliviers jusqu'à la maison d'Anne, Jésus tomba sept fois.


Les habitants d'Ophel étaient encore remplis d'effroi et d'affliction lorsqu'un nouvel incident vint exciter leur pitié. La Mère de Jésus fut ramenée par les saintes femmes, à travers Ophel, vers la maison de Marie, mère de Marc, qui était au pied de la montagne de Sion. Lorsqu'ils la reconnurent, ils donnèrent de nouvelles marques de douleur et de compassion, et ils se pressèrent tellement autour de Marie, qu'elle était presque portée par la foule. Marie était muette de douleur. Arrivée chez Marie, mère de Marc, elle ne parla qu'à l'arrivée de Jean, qui lui raconta tout ce qu'il avait vu depuis la sortie du Cénacle. Plus tard on conduisit la sainte Vierge dans la maison de Marthe, qui était dans la partie occidentale de la ville, près du château de Lazare. On lui fit faire plusieurs détours, en évitant les chemins par lesquels Jésus avait été conduit, pour ne pas trop augmenter son chagrin. Pierre et Jean, qui avaient suivi Jésus de loin, coururent chez quelques serviteurs des princes et prêtres que Jean connaissait, afin de pouvoir entrer dans les salles du tribunal où leur maître était conduit. Ces hommes de la connaissance de Jean étaient des espèces de messagers de chancellerie, lesquels devaient actuellement courir toute la ville pour réveiller les anciens du peuple et plusieurs autres personnes convoquées pour le jugement ; ils désiraient rendre service aux deux apôtres, mais ils ne trouvèrent pas d'autre moyen que de revêtir Pierre et Jean d'un manteau semblable aux leurs, et de se faire aider par eux à porter des convocations, afin qu'ils pussent ensuite rentrer, à la faveur de leur costume, dans le tribunal de Caïphe, où se trouvaient rassemblés des soldats et des faux témoins, et d'ou on faisait sortir toute autre personne.


Nicomède, Joseph d'Arimathie, et d'autres gens bien intentionnés étant membres du conseil, les apôtres se chargèrent de les avertir, et ils firent venir ainsi quelques amis de leur maître que peut-être les Pharisiens auraient volontairement oubliés de convoquer. Pendant ce temps-là, Judas errait comme un criminel fou de désespoir que le démon obsède au pied des escarpements qui terminent Jérusalem au midi parmi les décombres et les immondices entassés en ce lieu.



LA DOULOUREUSE PASSION DE NOTRE SEIGNEUR JESUS CHRIST
d'après les méditations de la Bienheureuse Anne-Catherine Emmerick
Traduction de l'Abbé de Cazalès
Gallica

Anna Katharina Emmerick
'Die ekstatische Jungfrau Katharina Emmerick' par Gabriel von Max,  München, Neue Pinakothek 

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5 mars 2010 5 05 /03 /mars /2010 22:00

I. JESUS SUR LE MONT DES OLIVIERS

Lorsque Jésus, après l'institution du Saint-Sacrement de l'autel, quitta le Cénacle avec les onze Apôtres, son âme était déjà dans le trouble et sa tristesse allait toujours croissant. Il conduisit les onze, par un sentier détourné, dans la vallée de Josaphat, en se dirigeant vers la montagne des Oliviers.

Lorsqu'ils furent devant la porte, je vis la lune, qui n'était pas encore tout à fait pleine, se lever sur la montagne. Le Seigneur, errant avec eux dans la vallée, leur disait qu'il reviendrait en ce lieu pour juger le monde ; mais non pauvre et languissant comme aujourd'hui ; qu'alors d'autres trembleraient et crieraient : “Montagnes, couvrez-nous !” Ses disciples ne le comprirent pas, et crurent, ce qui leur arriva souvent dans cette soirée, que la faiblesse et l’épuisement le faisaient délirer. Ils marchaient le plus souvent, et de temps en temps ils s'arrêtaient, s'entretenant avec lui. Il leur dit encore : “Vous vous scandaliserez tous à mon sujet cette nuit ; car il est écrit : Je frapperai le berger, et les brebis seront dispersées. Mais quand je serai ressuscité, je vous précéderai en Galilée”.

Les Apôtres conservaient encore quelque chose de l'enthousiasme et du recueillement que leur avaient donnés la réception du Saint-Sacrement et les discours solennels et affectueux de Jésus. Ils se pressaient autour de lui, lui exprimaient leur amour de différentes manières, protestaient qu'ils ne l'abandonneraient jamais. Mais Jésus continuant de parler dans le même sens, Pierre lui dit : “Quand tous se scandaliseraient à votre égard, je ne me scandaliserai jamais”, et le Seigneur lui prédit qu'il le renierait trois fois avant le chant du coq. Mais Pierre insista encore, et dit : “Quand je devrais mourir avec vous, je ne vous renierai point.” Ainsi parlèrent aussi les autres. Ils marchaient et s'arrêtaient tour à tour, et la tristesse de Jésus devenait de plus en plus grande. Pour eux, ils voulaient le consoler d'une manière toute humaine, en lui assurant que ce qu'il prévoyait n'arriverait pas. Ils se fatiguèrent dans cette vaine tentative, commencèrent à douter, et la tentation vint sur eux.
 

Ils traversèrent le torrent de Cédron, non sur le pont où plus tard fut conduit Jésus prisonnier, mais sur un autre, car ils avaient fait un détour. Gethsémani, où ils allaient, est situé près de la montagne des Oliviers, à peu près à une demi-lieue du Cénacle, il y a du Cénacle à la porte de la vallée de Josaphat un quart de lieue, et environ autant de la à Gethsémani. Ce lieu, où dans les derniers jours Jésus avait quelquefois enseigné ses disciples et passé la nuit avec eux, se composait de quelques maisons vides et ouvertes et d'un grand jardin entouré d'une haie, où il ne croissait que des plantes d'agrément et des arbres fruitiers. Les Apôtres et plusieurs autres personnes avaient une clef de ce jardin, qui était un lieu de récréation et de prière. Quelquefois des gens qui n'avaient pas de jardins à eux y donnaient des fêtes et des repas. Il s'y trouvait des cabanes de feuillage, où restèrent huit des Apôtres auxquels se joignirent plus tard d'autres disciples.

Le jardin des Oliviers est séparé par un chemin de celui de Gethsémani, et s'étend plus haut vers la montagne. Il est ouvert, entouré seulement d'un mur de terre, et plus petit que le jardin de Gethsémani. On y voit des cavernes, des terrasses et beaucoup d'oliviers. Il est plus soigné dans une de ses parties où l'on trouve des sièges, des bancs de gazon bien entretenus et des grottes fraîches, et spacieuses. Il est facile d'y trouver un endroit propre à la prière et à la méditation. C'est dans la partie la plus sauvage que Jésus alla prier.

Il était environ neuf heures quand Jésus vint à Gethsémani avec ses disciples. Il faisait encore obscur sur la terre, mais la lune répandait déjà sa lumière dans le ciel. Jésus était très triste et annonçait l'approche du danger. Les disciples, en étaient troublés, et il dit à huit de ceux qui l'accompagnaient de rester dans le jardin de Gethsémani, dans un endroit où il y a une espèce de cabinet de verdure. “Restez ici, leur dit-il, pendant que je vais prier à l'endroit que j'ai choisi.” Il prit avec lui Pierre, Jacques et Jean, monta plus haut, et, franchissant un chemin, poussa plus avant dans le jardin des Oliviers jusqu'au pied de la montagne. Il était indiciblement triste, car il sentait l'angoisse et l'épreuve qui approchaient. Jean lui demanda comment lui, qui les avait toujours consolés, pouvait être si abattu. “Mon âme est triste jusqu'à la mort”, répondit-il. Et, regardant autour de lui, il vit de tous côtés l'angoisse et la tentation s'approcher comme des nuages chargés de figures effrayantes. C'est alors qu'il dit aux trois Apôtres : “Restez là et veillez avec moi ; priez afin que vous ne tombiez pas en tentation.” Il avança encore quelques pas ; mais les terribles visions l'assaillirent de telle sorte que, dans son angoisse, Il descendit un peu à gauche, et se cacha sous un rocher, dans une grotte d'environ six pieds de profondeur, au-dessus de laquelle les Apôtres se tenaient dans une espèce d'enfoncement. Le terrain s'abaissait doucement dans cette grotte, et les plantes suspendues au rocher qui surplombait formaient un rideau devant l'entrée, en sorte qu'on ne pouvait y être vu.
 

Lorsque Jésus s'éloigna des disciples, je vis autour de lui un large cercle d'images effrayantes qui se resserrait de plus en plus. Sa tristesse et son angoisse croissaient ; il se retira tout tremblant dans la grotte afin d'y prier, semblable à un homme qui cherche un abri contre un orage soudain ; mais les visions menaçantes l’y poursuivirent et devinrent de plus en plus distinctes. Hélas ! cette étroite caverne semblait renfermer l'horrible spectacle de tous les péchés commis depuis la première chute jusqu'à la fin du monde, et celui de leur châtiment. C'était ici, sur le mont des Oliviers, qu'étaient venus Adam et Eve, chassés du paradis sur la terre inhospitalière ; ils avaient gémi et pleuré dans cette même grotte. J'eus le sentiment que Jésus, s'abandonnant aux douleurs de sa Passion qui allait commencer et se livrant à la justice divine en satisfaction pour les péchés du monde, faisait rentrer en quelque façon sa divinité dans le sein de la sainte Trinité ; sous l'impulsion de sa charité infinie, il se renfermait, pour ainsi dire, dans sa pure, aimante, innocente humanité, et, armé seulement de l'amour qui enflammait son coeur d'homme, il la dévouait, pour les péchés du monde, à toutes les angoisses et à toutes les souffrances. Voulant satisfaire pour la racine et le développement de tous les péchés et de tous les mauvais penchants, le miséricordieux Jésus prit dans son coeur, par amour pour nous autres pécheurs, la racine de toute expiation purificatrice et de toute peine sanctifiante, et il laissa cette souffrance infinie, afin de satisfaire pour des péchés infinis, s'étendre comme un arbre de douleur aux mille branches et pénétrer tous les membres de son corps sacré, toutes les facultés de sa sainte âme. Ainsi laissé tout entier à sa seule humanité, implorant Dieu avec une tristesse et une angoisse inexprimables, il tomba sur son visage, et tous les péchés du monde lui apparurent sous des formes infinies avec toute leur laideur intérieure : il les prit tous sur lui, et s'offrit, dans sa prière, à la justice de son Père céleste pour payer cette effroyable dette. Mais Satan, qui, sous une forme effrayante, s'agitait au milieu de toutes ces horreurs avec un rire infernal, montrait une fureur toujours croissante contre Jésus, et, faisant passer devant son âme des tableaux de plus en plus affreux, criait sans cesse à l'humanité de Jésus : “Comment ! prends-tu aussi celui-ci sur toi, en souffriras-tu la peine ? veux-tu satisfaire pour tout cela ?”


Cependant il partit, de ce côté du ciel où le soleil se montre entre dix et onze heures du matin, un rayon semblable à une voie lumineuse : c'était une ligue d'anges qui descendaient jusqu'à Jésus, et je vis qu'ils le ranimaient et le fortifiaient. Le reste de la grotte était plein d'affreuses visions de nos crimes et de mauvais esprits qui insultaient et assaillaient Jésus ; il prit tout sur lui ; mais son coeur, le seul qui aimât parfaitement Dieu et les hommes au milieu de ce désert plein d'horreur, se sentit cruellement torturé et déchiré sous le poids de tant d'abominations. Hélas ! je vis alors tant de choses qu'une année ne suffirait pas pour les raconter. Lorsque cette masse de forfaits eut passé sur son âme comme un océan et que Jésus, s'étant offert comme victime expiatoire, eut appelé sur lui-même toutes les peines et les châtiments dus à tous ces crimes, Satan lui suscita. comme autrefois dans le désert, des tentations innombrables; il osa même présenter contre celui qui était la pureté même une suite d'accusations : “Comment, disait-il, tu veux prendre tout cela sur toi, et tu n'es pas pur toi même ! Regarde ceci ! et cela ! et cela encore.” Alors il déroula devant lui, avec une impudence infernale, une foule de griefs imaginaires, il lui reprochait les fautes de ses disciples, les scandales qu'ils avaient donnés, le trouble qu'il avait apporté dans le monde en renonçant aux anciens usages. Satan se fit le pharisien le plus habile et le plus sévère, il lui reprocha d'avoir été l'occasion du massacre des Innocents, ainsi que des souffrances de ses parents en Egypte, de n'avoir pas sauvé Jean-Baptiste de la mort, d'avoir désuni des familles, d'avoir protégé des hommes décriés, de n'avoir pas guéri plusieurs malades, d'avoir fait tort aux habitants de Gergesa en permettant aux possédés, de renverser leurs cuves et aux démons de précipiter leurs porcs dans la mer ; il lui imputa les fautes de Marie-Madeleine parce qu'il ne l'avait pas empêchée de retomber dans la péché ; il l'accusa d'avoir abandonné sa famille, d'avoir dilapidé le bien d'autrui ; en un mot, Satan présenta devant l'âme de Jésus, pour l'ébranler, tout ce que le tentateur eût reproché au moment de la mort à un homme ordinaire qui eût fait toutes ces actions sans des motifs supérieurs ; car il lui était caché que Jésus fût le Fils de Dieu, et il le tentait seulement comme le plus juste des hommes. Notre divin Sauveur laissa tellement prédominer en lui sa sainte humanité, qu'il voulut souffrir jusqu'à la tentation dont les hommes qui meurent saintement sont assaillis sur le mérite de leurs bonnes oeuvres. Il permit, pour vider tout le calice de l'agonie, que le mauvais esprit auquel sa divinité était cachée, lui présentât toutes ses oeuvres de charité comme autant d'actes coupables que la grâce de Dieu ne lui avait pas encore remis. Il lui reprocha de vouloir effacer les fautes d'autrui tandis que lui-même, dépourvu de tout mérite, avait encore à satisfaire à la justice divine pour beaucoup de prétendues bonnes oeuvres. La divinité de Jésus souffrit que l'ennemi tentât son humanité comme il pourrait tenter un homme qui voudrait attribuer à ses bonnes oeuvres une valeur propre, outre la seule qu'elles puissent avoir par leur union aux mérites de la mort du Sauveur.


Ainsi le tentateur lui présenta les oeuvres de son amour comme des actes dépourvus de mérite et qui le constituaient débiteur envers Dieu : il fit comme si Jésus en eût, en quelque manière, prélevé le prix à l'avance sur celui de sa Passion qui n'était pas consommée et dont Satan ne connaissait pas encore le prix infini, et par conséquent comme s'il n'eût pas satisfait pour les grâces données à l'occasion de ces oeuvres. Il lui mit sous les yeux, pour toutes ses bonnes oeuvres, des contrats où elles étaient inscrites comme des dettes, et il disait en les montrant du doigt : “Tu es encore redevable pour et pour cette autre, etc.” Enfin, il déroula devant lui un contrat portant que Jésus  avait reçu de Lazare et dépensé le prix de vente de la propriété de Marie-Madeleine à Magdala et lui dit : “Comment as-tu osé dissiper le bien d'autrui et faire ce tort à cette famille ?” J'ai vu la représentation de tous les péchés pour l'expiation desquels le Seigneur s'offrit et j'ai senti avec lui tout le poids des nombreuses accusations que la tentateur éleva contre lui, car parmi les péchés du monde dont le Sauveur se chargea, je vis aussi les miens qui sont si nombreux, et du cercle de tentation qui l'entourait, il sortit vers moi comme un fleuve où toutes mes fautes me furent montrées. Pendant ce temps, j'avais toujours les yeux fixés sur mon fiancé céleste, je gémissais et priais avec lui, je me tournais avec lui vers les anges consolateurs. Hélas ! le Seigneur se tordait comme un ver sous le poids de sa douleur et de ses angoisses. Pendant les accusations de Satan contre Jésus, j'avais peine à retenir ma colère ; mais lorsqu'il parla de la vente du bien de Madeleine, il me fut impossible de me contenir, et je criai : "Comment peux-tu lui reprocher comme un péché la vente de ce bien ? n'ai-je pas vu le Seigneur employer cette somme donnée par Lazare à des œuvres de miséricorde, et délivrer à Thirza vingt-sept pauvres prisonniers pour dettes ?”


Au commencement, Jésus était agenouillé et priait avec assez de calme ; mais plus tard son âme fut épouvantée à l'aspect des crimes innombrables des hommes et de leur ingratitude envers Dieu : il fut en proie à une angoisse et à une douleur si violentes qu'il s'écria, tremblant et frissonnant : “Mon Père, si c'est possible, que ce calice s'éloigne de moi ! mon Père tout vous est possible ; éloignez ce calice !” Puis il se recueillit et dit : “Cependant que votre volonté se fasse et non la mienne.” Sa volonté et celle de son Père étaient une ; mais, livré par son amour aux faiblesses de l'humanité, il tremblait à l'aspect de la mort. Je vis la caverne autour de lui remplie de formes effrayantes ; je vis tous les péchés, toute la méchanceté, tous les vices, tous les tourments, toutes les ingratitudes qui l'accablaient : les épouvantements de la mort, la terreur qu'il ressentait comme homme à l'aspect de ses souffrances expiatoires le pressaient et l'assaillaient sous la forme de spectres hideux. Il tombait çà et là, se tordait les mains, la sueur le couvrait, il tremblait et frémissait. Il se releva ; ses genoux chancelaient et le portaient à peine, il était tout à fait défait et presque méconnaissable, ses lèvres étaient pâles, ses cheveux se dressaient sur sa tête. Il était environ dix heures et demie lorsqu'il se leva ; puis, tout chancelant, tombant à chaque pas, baigné d'une sueur froide, il se traîna jusqu'auprès des trois Apôtres. Il monta à gauche de la caverne jusqu'à une plate-forme où ceux-ci s’étaient endormis, couchés les uns à côté des autres, accablés qu'ils étaient de fatigue, de tristesse et d'inquiétude, Jésus vint à eux, semblable à un homme dans l'angoisse, que la terreur pousse vers ses amis, et semblable encore à un bon pasteur qui, profondément bouleversé lui-même, vient visiter son troupeau qu'il sait menacé d'un péril prochain : car Il n'ignorait pas qu'eux aussi étaient dans l'angoisse et la tentation.

Les terribles visions l'entouraient, même pendant ce court chemin. Lorsqu'il les trouva dormants, il joignît les mains, tomba près d'eux plein de tristesse et d'inquiétude, et dit : “Simon, dors-tu ?” Ils s'éveillèrent, le relevèrent, et il leur dit dans son délaissement : “Ne pouviez-vous veiller une heure avec moi ?” Lorsqu'ils le virent défait, pâle, chancelant, trempé de sueur, tremblant et frissonnant, lorsqu'ils entendirent sa voix altérée et presque éteinte, ils ne surent plus ce qu'ils devaient penser, et s'il ne leur était pas apparu entouré d'une lumière bien connue, ils n'auraient jamais retrouvé Jésus en lui. Jean lui dit : “Maître, qu'avez-vous ? dois-je appeler les autres disciples ! ci devons-nous fuir ?” Jésus répondit : “Si je vivais, enseignais et guérissais encore trente-trois ans, cela ne suffirait pas pour faire ce qui me reste à accomplir d'ici à demain. N'appelle pas les huit ; je les ai laissés, parce qu'ils ne pourraient me voir dans cette détresse sans se scandaliser : ils tomberaient en tentation, oublieraient beaucoup et douteraient de moi. Pour vous, qui avez vu le Fils de l'homme transfiguré, vous pouvez le voir aussi dans son obscurcissement et son délaissement ; mais veillez et priez pour ne pas tomber en tentation, l'esprit est prompt, mais la chair est faible.”
Il parlait ainsi par rapport à eux et à lui-même. Il voulait par là les engager à la persévérance et leur faire connaître le combat de sa nature humaine contre la mort et la cause de sa faiblesse. Il leur parla encore, toujours accablé de tristesse, et resta près d'un quart d'heure avec eux. Il retourna dans la grotte, son angoisse croissant toujours : pour eux, ils étendaient les mains vers lui, pleuraient, tombaient dans les bras les uns des autres, se demandaient : “Qu'est-ce donc ? que lui arrive-t-il ? il est dans un délaissement complet !” Ils se mirent à prier, la tête couverte, pleins de trouble et de tristesse.

Tout ce qui vient d'être dit remplit à peu près une heure et demie depuis que Jésus était entré dans le jardin des Oliviers. Il dit à la vérité dans l’Ecriture : “N'avez-vous pu veiller une heure avec moi ?” mais cela ne doit point se prendre à la lettre, et d'après notre manière de compter. Les trois Apôtres qui étaient avec Jésus avaient d'abord prié, puis ils s'étaient endormis, car ils étaient tombés en tentation par leur manque de confiance. Les huit autres qui étaient postés à l’entrée, ne dormaient pas : la tristesse qui respirait dans les derniers discours de Jésus les avait laissés très inquiets ; ils erraient sur la mont des Oliviers pour y chercher quelque lieu de refuge en cas de danger.

Ce soir-là, il y avait peu de bruit dans Jérusalem, les Juifs étaient dans leurs maisons, occupés des préparatifs de la fête ; les campements des étrangers venus pour la Pâque n'étaient pas dans le voisinage de la montagne des Oliviers. En errant de côté et d'autre, je vis çà et là des amis et des disciples de Jésus qui marchaient et s'entretenaient ensemble, ils paraissaient inquiets et dans l'attente de quelque événement. La mère du Seigneur, Madeleine, Marthe, Marie, fille de Cléophas, Marie-Salomé et Salomé étaient allées du Cénacle dans la maison de Marie, mère de Marc ; puis Marie, effrayée des bruits qui couraient, avait voulu venir devant la ville avec ses amies pour savoir des nouvelles de Jésus. Lazare, Nicodème, Joseph d'Arimathie et quelques parents d'Hébron vinrent la trouver et essayèrent de la tranquilliser ; car ayant eu connaissance par eux-mêmes ou par les disciples des tristes prédictions faites par Jésus dans le Cénacle, ils avaient été prendre des informations chez des pharisiens de leur connaissance et n'avaient point appris qu'on dût faire des tentatives prochaines contre le Sauveur : ils disaient que le danger ne pouvait être encore très grand, qu'on n'attaquerait pas le Seigneur si près de la fête ; mais ils ne savaient rien encore de la trahison de Judas. Marie leur parla du trouble de celui-ci dans les derniers jours, de la manière dont il avait quitté le Cénacle ; Il était sûrement allé trahir ; elle l'avait souvent averti qu'il était un fils de perdition. Les saintes femmes retournèrent ensuite dans la maison de Marie, mère de Marc.

Lorsque Jésus fut revenu dans la grotte et toutes ses douleurs avec lui, il se prosterna sur le visage, les bras étendus, et pria son Père céleste ; mais il y eut dans son âme une nouvelle lutte qui dura trois quarts d'heure. Des anges vinrent lui montrer dans des séries de visions tout ce qu'il devait embrasser de douleurs afin d'expier le péché ; ils lui montrèrent quelle était avant la chute, la beauté de l’homme, image de Dieu, et combien cette chute l'avait altéré et défiguré. Il vit l'origine de tous les péchés dans le premier péché, la signification et l'essence de la concupiscence, ses terribles effets sur les forces de l’âme humaine ; et aussi l'essence et la signification de toutes les peines correspondant à la concupiscence. Ils lui montrèrent dans la satisfaction qu'il devait donner à la justice divine, une souffrance du corps et de l'âme comprenant toutes les peines dues à la concupiscence de l'humanité tout entière ; et comment la dette du genre humain devait être payée par la seule nature humaine exempte de péché, celle du fils de Dieu, lequel, afin de prendre sur lui la dette et le châtiment de l'humanité tout entière, devait aussi combattre et surmonter la répugnance humaine pour la souffrance et la mort. Les anges lui montraient tout cela sous des formes diverses, et j'avais la perception de ce qu'ils disaient quoique sans entendre leurs voix. Aucune langue ne peut exprimer quelle épouvante et quelle douleur vinrent fondre sur l'âme de Jésus à la vue de ces terribles expiations ; l'horreur de cette vision fut telle qu'une sueur de sang sortit de son corps.


Pendant que l'humanité du Christ était écrasée sous cette effroyable masse de souffrances, j'aperçus un mouvement de compassion dans les anges ; il me sembla qu'ils désiraient ardemment le consoler et qu'ils priaient à cet effet devant le trône de Dieu. Il y eut comme un combat d'un instant entre la miséricorde et la justice de Dieu, et l'amour qui se sacrifiait. Une image de Dieu me fut montrée, non comme d'autres fois sur un trône, mais dans une forme lumineuse ; je vis la nature divine du Fils dans la personne de son Père, et comme retirée dans son sein ; la personne du Saint-Esprit procédait du Père et du Fils ; elle était comme entre eux, et tout cela n'était pourtant qu'un seul Dieu ; mais ces choses sont inexprimables. J'eus moins une vision avec des figures humaines qu'une perception intérieure où il me fut montré par des images que la volonté divine du Christ se retirait davantage dans le Père pour laisser peser sur son humanité toutes ces souffrances que la volonté humaine de Jésus priait le Père de détourner de lui. Je vis cela dans le moment de la compassion des anges, lorsqu'ils désirèrent consoler Jésus, et en effet il reçut en cet instant quelque soulagement. Alors tout disparut, et les anges abandonnèrent le Seigneur dont l'âme allait avoir à souffrir de nouvelles attaques.
Jésus, dans sa détresse, éleva la voix, et fit entendre quelques cris douloureux. Les trois Apôtres se réveillèrent ; ils prêtèrent l'oreille, levant les mains avec effroi, et voulaient aller le rejoindre ; mais Pierre retint Jacques et Jean, et leur dit : “Restez, je vais aller vers lui.” Je le vis courir et entrer dans la grotte : “Maître, dit-il, qu'avez-vous ?” Et il se tenait là, tremblant à la vue de Jésus tout sanglant et frappé de terreur. Jésus ne lui répondit pas et ne parut pas faire attention à lui. Pierre revint vers les deux autres ; il leur dit que le Seigneur ne lui avait pas répondu, et qu'il ne faisait que gémir et soupirer. Leur tristesse augmenta, ils voilèrent leur tète, s'assirent et prièrent en pleurant.

Je vis le sang rouler en larges gouttes sur le pâle visage du Sauveur ; ses cheveux étaient collés ensemble et dressés sur sa tête, sa barbe sanglante et en désordre comme si on eût voulu l'arracher, il s'enfuit en quelque sorte hors de la caverne, et revint vers ses disciples. Mais sa démarche était comme celle d'un homme couvert de blessures et courbé sous un lourd fardeau, qui trébucherait à chaque pas. Lorsqu'il vint vers les trois Apôtres, ils ne s'étaient pas couchés pour dormir comme la première fois ; ils avaient la tête voilée et affaissée sur leurs genoux, dans une position où je vois souvent les gens de ce pays-là lorsqu'ils sont dans le deuil ou qu'ils veulent prier. Ils s'étaient assoupis, vaincus par la tristesse et la fatigue. Jésus, tremblant et gémissant, s’approcha d'eux, et ils se réveillèrent. Mais, lorsqu'à la clarté de la lune ils le virent debout devant eux, avec son visage pâle et sanglant et sa chevelure en désordre, leurs yeux fatigué ne le reconnurent pas d'abord tout de suite, car il était indiciblement défiguré. Comme il joignait les mains, ils se levèrent, le prirent sous les bras, le soutinrent avec amour, et il leur dit avec tristesse qu'on le ferait mourir le lendemain, qu'on s'emparerait de lui dans une heure, qu'on le mènerait devant un tribunal, qu'il serait maltraité, outragé, flagellé, et enfin livré à la mort la plus cruelle. Il les pria de consoler sa mère, et aussi de consoler Madeleine. Il leur parla ainsi pendant quelques minutes ; pour eux, ils ne lui répondirent pas, car ils ne savaient que dire, tant son aspect et ces discours les avaient troublés ; ils croyaient même qu'il était en délire. Mais lorsqu'il voulut retourner à la grotte, il n'eut pas la force de marcher. Je vis Jean et Jacques le conduire, et revenir lorsqu'il fut entré dans la grotte. Il était à peu près onze heures et un quart du soir.

Pendant cette agonie de Jésus, je vis la sainte Vierge accablée aussi de tristesse et d'angoisses dans la maison de Marie, mère de Marc. Elle se tenait avec Madeleine et Marie dans le jardin de la maison ; elle était là, courbée en deux sur une pierre et affaissée sur ses genoux. Plusieurs fois elle perdit connaissance, car elle vit intérieurement plusieurs choses de l'agonie de Jésus. Elle avait déjà envoyé des messagers pour avoir de ses nouvelles ; mais, ne pouvant pas attendre leur retour, elle s'en fut, toute inquiète, avec Madeleine et Salomé, jusqu'à la vallée de Josaphat. Elle marchait voilée, et étendait souvent les bras vers le mont des Oliviers ; car elle voyait en esprit Jésus baigné d'une sueur de sang, et il semblait qu'elle voulût de ses mains étendues essuyer le visage de son fils. Je vis ces élans de son âme aller jusqu'à Jésus, qui pensa à elle et regarda de son côté comme pour y chercher du secours. Je vis cette communication entre eux sous forme de rayons qui allaient de l'un à l'autre. Le Seigneur pensa aussi à Madeleine, et fut touché de sa douleur ; c'est pourquoi il recommanda aux disciples de la consoler ; car il savait que son amour était le plus grand après celui de sa mère, et il avait vu qu'elle souffrirait encore beaucoup pour lui, et qu’elle ne l'offenserait plus jamais.

Vers ce moment, à onze heures un quart à peu près, les huit Apôtres revinrent dans la cabane de feuillage de Gethsémani ; ils s'y entretinrent et finirent par s'endormir. Ils étaient très ébranlés, très découragés, et violemment assaillis par la tentation. Chacun avait cherché un lieu où il pût se réfugier, et ils se demandaient avec inquiétude : “Que ferons-nous lorsqu'on l'aura fait mourir ? Nous avons tout quitté pour le suivre ; nous sommes pauvres et le rebut de ce monde, nous nous sommes entièrement abandonnés à lui, et le voilà maintenant si languissant, si abattu, qu'on ne peut trouver en lui aucune consolation.” Les autres disciples avaient d'abord erré de côté et d'autre ; puis, ayant appris quelque chose des effrayantes prophéties de Jésus, ils s'étaient retirés pour la plupart à Bethphagé.


Je vis Jésus priant encore dans la grotte et luttant contre la répugnance de la nature humaine à souffrir. Il était épuisé de fatigue et abattu, et il disait : “Mon père, si c'est votre volonté, éloignez de moi ce calice. Cependant, que votre volonté se fasse et non pas la mienne.” Mais alors l'abîme s'ouvrit devant lui, et les premiers degrés des Limbes lui apparurent comme à l'extrémité d'une vole lumineuse. Il vit Adam et Eve, les patriarches, les prophètes, les justes, les parents de sa mère et Jean-Baptiste attendant son arrivée dans le monde inférieur avec un désir si violent, que cette vue fortifia et ranima son coeur plein d'amour. Sa mort devait ouvrir le ciel à ces captifs ; elle devait les tirer de la prison où ils languissaient dans l'attente. Lorsque Jésus eut regardé avec une profonde émotion ces saints de l'ancien monde, les anges lui présentèrent toutes les cohortes des bienheureux à venir qui, joignant leurs combats aux mérites de sa passion, devaient s'unir par lui au Père céleste. C'était une vision inexprimablement belle et consolante. Tous rangés, suivant leur date, leur classe et leur dignité, passèrent devant le Seigneur, parés de leurs souffrances et de leurs oeuvres. Il vit le salut et la sanctification sortant à flots intarissables de la source de rédemption ouverte par sa mort. Les Apôtres, les disciples, les vierges et les saintes femmes, tous les martyrs, les confesseurs et les ermites. les papes et les évêques, des troupes nombreuses de religieux, en un mot l'armée entière des bienheureux s'offrit à sa vue. Tous portaient sur la tête des couronnes triomphales, et les fleurs de leurs couronnes différaient de forme, de couleur, de parfum et de vertu suivant la différence des souffrances, des combats et des victoires qui leur avaient valu la gloire éternelle. Toute leur vie et tous leurs actes, tous leurs mérites et toute leur force, ainsi que toute la gloire de leur triomphe, venaient uniquement de leur union aux mérites de Jésus-Christ.

L'action et l'influence réciproque que tous ces saints exerçaient les uns sur les autres, la manière dont ils puisaient à une source unique, au saint Sacrement et à la passion du Seigneur, offraient un spectacle singulièrement touchant et merveilleux. Rien ne paraissait fortuit en eux ; leurs oeuvres, leur martyre, leurs victoires, leur apparence et leur vêtement, tout cela, quoi que bien divers, se fondait dans une harmonie et une unité infinies ; et cette unité dans la diversité était produite par les rayons d'un soleil unique, par la passion du Seigneur, du Verbe fait chair, en qui la vie était la lumière des hommes qui luit dans les ténèbres et que les ténèbres n'ont pas comprise.


C'était la communauté des Saints futurs qui passait devant l’âme du Sauveur, lequel se trouvait placé entre le désir des patriarches et le cortège triomphal des bienheureux à venir ; ces deux troupes s’unissant et se complétant en quelque sorte l'une l'autre, entouraient le coeur aimant du Rédempteur comme d'une couronne de victoire. Cette vue inexprimablement touchante donna à l'âme de Jésus un peu de consolation et de force. Ah ! il aimait tellement ses frères et ses créatures, qu'il aurait accepté avec joie toutes les souffrances auxquelles il se dévouait pour la rédemption d'une seule âme. Comme ces visions se rapportaient à l'avenir, elles planaient à une certaine hauteur.

Mais ces images consolantes s'évanouirent, et les anges lui montrèrent sa Passion tout près de terre, parce qu'elle était proche. Ces anges étaient en grand nombre. Je vis toutes les scènes s’en présenter très distinctement devant lui, depuis le baiser de Judas jusqu’aux dernières paroles sur la croix : je vis là tout ce que je vois dans mes méditations de la Passion, la trahison de Judas, la fuite des disciples, les insultes devant Anne et Caïphe, le reniement de Pierre, le tribunal de Pilate, les dérisions d'Hérode, la flagellation et le couronnement d'épines, la condamnation à mort, le portement de la croix, la rencontre de la Sainte Vierge, son évanouissement, les insultes que les bourreaux lui prodiguaient, le suaire de Véronique, le crucifiement, les outrages des Pharisiens, les douleurs de Marie, de Madeleine et de Jean, le coup de lance dans le côté : en un mot, tout lui fut présenté avec les plus petites circonstances. Je vis comment le Seigneur, dans son angoisse, voyait tous les gestes, entendait toutes les paroles, percevait tout ce qui se passait dans les âmes. Il accepta tout volontairement, il se soumit à tout par amour pour les hommes. Ce qui le contrista le plus douloureusement fut de se voir attaché a la croix dans un état de nudité complète, pour expier l'impudicité des hommes : il pria instamment pour que cela lui fût épargné et qu'il lui fût au moins accordé d'avoir une ceinture autour des reins : je vis qu'il serait assisté en cela, non par ses bourreaux, mais par un homme compatissant. Il vit et ressentit aussi la douleur actuelle de sa mère que l’union à ses souffrances avait fait tomber sans connaissance dans les bras de ses deux amies.


A la fin des visions de la Passion, Jésus tomba sur le visage, comme un mourant : les Anges disparurent, la sueur de sang coula plus abondante, et je la vis traverser son vêtement. La plus profonde obscurité régnait dans la caverne. Je vis alors un ange descendre vers Jésus : il était plus grand, plus distinct et plus semblable à un homme que ceux que j'avais vus auparavant. Il était revêtu comme un prêtre d'une longue robe flottante, ornée de franges, et portait dans ses mains devant lui, un petit vase de la forme du calice de la sainte Cène. A l'ouverture de ce calice, se montrait un petit corps ovale, de la grosseur d'une fève, et qui répandait une lumière rougeâtre. L’ange, sans se poser à terre, étendit la main droite vers Jésus, qui se releva ; il lui mit dans la bouche cet aliment mystérieux, et le fit boire du petit calice lumineux. Ensuite il disparut.


Jésus, ayant accepté librement le calice de ses souffrances reçut une nouvelle force, resta encore quelques minutes dans la grotte, plongé dans une méditation tranquille et rendant grâces à son Père céleste. Il était encore affligé mais réconforté  surnaturellement, au point de pouvoir aller vers les disciples sans chanceler et sans plier sous le poids de sa douleur. Il était toujours pâle et défait mais son pas était ferme et décidé. Il avait essuyé son visage avec un suaire, et remis en ordre ses cheveux qui pendaient sur ses épaules, humides de sang et de sueur et colles ensemble.

Quand il sortit de la grotte, je vis la lune comme auparavant, avec la tache singulière qui en occupait le centre et le  cercle qui l'entourait, mais sa clarté et celle des étoiles étaient autres que précédemment, lors des grandes angoisses du Seigneur. La lumière maintenant était plus naturelle. Lorsque Jésus vint vers ses disciples, ils étaient couchés, comme la première fois, contre le mur de la terrasse ; ils avaient la tète voilée et dormaient. Le Seigneur leur dit que ce n’était pas le temps de dormir, qu'ils devaient se réveiller et prier. “Voici l'heure où le Fils de l'homme sera livré dans les mains des pécheurs. dit-il ; levez-vous et marchons : le traître est proche : mieux vaudrait pour lui qu’il ne fût jamais né”. Les Apôtres se relevèrent tout effrayés, et regardèrent autour d'eux avec inquiétude. Lorsqu'ils se furent un peu remis, Pierre lui dit avec chaleur : “Maitre, je vais appeler les autres, afin que nous vous défendions”.

Mais Jésus à quelque distance dans la vallée, vit de l’autre côté du torrent de Cédron, une troupe d’hommes armés, qui s'approchaient avec des flambeaux, et il leur dit qu’un d’entre eux l'avait trahi. Les Apôtres regardaient la chose comme impossible. Il leur parla encore avec calme, leur recommanda de nouveau de consoler sa mère, et dit : “Allons au-devant d'eux, je me livrerai sans résistance entre les mains de mes ennemis.” Il sortit alors du jardin des Oliviers avec les trois Apôtres, et vint au-devant des archers sur le chemin qui était entre ce jardin et celui de Gethsémani.

Lorsque la sainte Vierge reprit connaissance entre les bras de Madeleine et de Salomé, quelques disciples, qui avaient vu les soldats s'approcher, vinrent à elle et la ramenèrent dans la maison de Marie, mère de Marc. Les archers prirent un chemin plus court que celui qu'avait suivi Jésus en venant du Cénacle.


La grotte dans laquelle Jésus avait prié aujourd'hui n'était pas celle où il avait coutume de prier sur le mont des Oliviers. Il allait ordinairement dans une caverne plus éloignée où, un jour, après avoir maudit le figuier stérile, il avait prié dans uns grande affliction, les bras étendus et appuyé contre un rocher.


Les traces de son corps et de ses mains restèrent imprimées sur la pierre et furent honorées plus tard ; mais on ne savait plus à quelle occasion ce prodige avait eu lieu. J’ai vu plusieurs fois de semblables empreintes laissées sur la pierre, soit par les prophètes de l'Ancien Testament, soit par Jésus, Marie, ou quelques-uns des apôtres : j'ai vu aussi celles du corps de sainte Catherine d'Alexandrie sur le mont Sinaï. Ces empreintes ne paraissaient pas profondes, mais semblables à celles qu'on laisserait en appuyant la main sur une pâte épaisse.



LA DOULOUREUSE PASSION DE NOTRE SEIGNEUR JESUS CHRIST
d'après les méditations de la Bienheureuse Anne-Catherine Emmerick
Traduction de l'Abbé de Cazalès
Gallica

Anna Katharina Emmerick
'Die ekstatische Jungfrau Katharina Emmerick' par Gabriel von Max,  München, Neue Pinakothek

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4 mars 2010 4 04 /03 /mars /2010 19:00

VIII. INSTITUTION DE LA SAINTE EUCHARISTIE


Sur l'ordre du Seigneur, le majordome avait de nouveau dressé la table, qu'il avait quelque peu exhaussée ; il la couvrit d'un tapis sur lequel il étendit une couverture rouge, et par-dessus celle-ci une couverture blanche ouvrée à jour. Ayant ensuite replacé la table au milieu de la salle, il mit dessous une urne pleine d'eau et une autre pleine de vin. Pierre et Jean allèrent dans la partie de la salle où se trouvait le foyer de l'agneau pascal pour y prendre le calice qu'ils avaient apporté de chez Séraphia (Véronique), et qui était dans son enveloppe.

Ils le portèrent entre eux deux comme s’ils eussent porté un tabernacle, et le placèrent sur la table devant Jésus. Il y avait là une assiette ovale avec trois pains azymes blancs et minces, qui étaient rayés de lignes régulières ; il y avait trois de ces lignes dans la largeur, et chaque pain était à peu près une fois plus long que large. Ces pains, où Jésus avait déjà fait de légères incisions pour les rompre plus facilement furent placés sous un linge auprès du demi pain déjà mis de côté par Jésus lors du repas pascal : il y avait aussi un vase d'eau et de vin, et trots boites, l'une d'huile épaisse, l'autre d'huile liquide, et la troisième vide avec une cuiller à spatule.


Dès les temps anciens, on avait coutume de partager le pain et de boire au même calice à la fin du repas c'était un signe de fraternité et d'amour usité pour souhaiter la bienvenue et pour prendre congé ; je pense qu'il doit y avoir quelque chose à ce sujet dans l'Ecriture sainte. Jésus, aujourd'hui, éleva à la dignité du plus saint des sacrements cet usage qui n'avait été jusqu'alors qu'un rite symbolique et figuratif. Ceci fut un des griefs portés devant Caiphe par suite de la trahison de Judas : Jésus fut accusé d'avoir ajouté aux cérémonies de la Pâque quelque chose de nouveau : mais Nicodème prouva par les Ecritures que c'était un ancien usage.


Jésus était placé entre Pierre et Jean : les portes étaient fermées, tout se faisait avec mystère et solennité. Lorsque le calice fut tiré de son enveloppe, Jésus pria et parla très solennellement. Je vis Jésus leur expliquer la Cène et toute la cérémonie : cela me fit l'effet d'un prêtre qui enseignerait aux autres à dire la sainte Messe.


Il retira du plateau sur lequel se trouvaient les vases une tablette à coulisse, prit un linge blanc qui couvrait le calice et l'étendit sur le plateau et la tablette. Je le vis ensuite ôter de dessus le calice une plaque ronde qu'il plaça sur cette même tablette. Puis il retira les pains azymes de dessous le linge qui les couvrait, et les mit devant lui sur cette plaque ou patène. Ces pains, qui avaient la forme d'un carré oblong, dépassaient des deux cotés la patène, dont les bords cependant étaient visibles dans le sens de la largeur Ensuite il rapprocha de lui le calice, en retira un vase plus petit qui s'y trouvait, et plaça à droite et à gauche les six petits verres dont il était entouré. Alors il bénit le pain, et aussi les huiles, à ce que je crois : il éleva dans ses deux mains la patène avec les pains azymes, leva les yeux, pria, offrit, remit de nouveau la patène sur la table et la recouvrit. Il prit ensuite le calice, y fit verser le vin par Pierre, et l'eau qu'il bénit auparavant, par Jean, et y ajouta encore un peu d'eau qu'il versa dans une petite cuillère : alors il bénit le calice, l'éleva en pliant, en fit l'offrande et le replaça sur la table.

Jean et Pierre lui versèrent de l'eau sur les mains au-dessus de l'assiette où les pains azymes avaient été placés précédemment : il prit avec la cuiller, tirée du pied du calice, un peu de l'eau qui avait été versée sur ses mains, et qu'il répandit sur les leurs ; puis l'assiette passa autour de la table, et tous s'y lavèrent les mains. Je ne me souviens pas si tel fut l'ordre exact des cérémonies : ce que je sais, c'est que tout me rappela d'une manière frappante le saint sacrifice de la Messe et me toucha profondément.

Cependant Jésus devenait de plus en plus affectueux ; il leur dit qu'il allait leur donner tout ce qu'il avait, c’est-à-dire lui-même : c'était comme s'il se fût répandu tout entier dans l'amour. Je le vis devenir transparent ; il ressemblait à une ombre lumineuse, se recueillant dans une ardente prière, il rompit le pain en plusieurs morceaux, qu'il entassa sur la patène en forme de pyramide ; puis, du bout des doigts, il prit un peu du premier morceau, qu'il laissa tomber dans le calice. Au moment où il faisait cela, il me sembla voir la sainte Vierge recevoir le sacrement d'une manière spirituelle, quoiqu’elle ne fût point présente là. Je ne sais comment cela se fit, mais je crus la voir qui entrait sans toucher la terre, et venait en face du Seigneur recevoir la sainte Eucharistie, puis je ne la vis plus, Jésus lui avait dit le matin, à Béthanie, qu'il célébrerait la Pâque avec elle d'une manière spirituelle, et il lui avait indiqué l’heure où elle devait se mettre en prière pour la recevoir en esprit.


Il pria et enseigna encore : toutes ses paroles sortaient de sa bouche comme du feu et de la lumière, et entraient dans les apôtres, à l'exception de Judas. Il prit la patène avec les morceaux de pain, en même temps, il étendit sa main droite comme pour bénir, et, pendant qu'il faisait cela, une splendeur sortit de lui ; ses paroles étaient lumineuses : le pain l'était aussi et se précipitait dans la bouche des apôtres comme un corps brillant : c'était comme si lui-même fût entré en eux. Je les vis tous pénétrés de lumière.
Judas seul était ténébreux. 

Jésus présenta d'abord le pain à Pierre, puis à Jean : ensuite il fit signe à Judas de s'approcher ; celui-ci fut le troisième auquel il présenta le sacrement, mais ce fut comme si la parole du Sauveur se détournait de la bouche du traître et revenait à lui. J'étais tellement troublée, que je ne puis rendre les sentiments que j'éprouvais. Jésus lui dit : “Fais vite ce que tu veux faire”. Il donna ensuite le sacrement au reste des apôtres, qui s'approchèrent deux à deux, tenant tour à tour l'un devant l'autre, un petit voile empesé et brodé sur les bords qui avait servi à recouvrir le calice.


Jésus éleva le calice par ses deux anses jusqu'à la hauteur de son visage, et prononça les paroles de la consécration : pendant qu'il le faisait, il était tout transfiguré et comme transparent ; il semblait qu'il passât tout entier dans ce qu'il allait leur donner. Il fit boire Pierre et Jean dans le calice qu'il tenait à la main, et le remit sur la table. Jean, à l'aide de la petite cuiller, versa le sang divin du calice dans les petits vases, et Pierre les présenta aux apôtres, qui burent deux dans la même coupe. Je crois, mais sans en être bien sûre, que Judas prit aussi sa part du calice, il ne revint pas à sa place, mais sortit aussitôt du Cénacle les autres crurent, comme Jésus lui avait fait un signe, qu'il l'avait charge de quelque affaire. Il se retira sans prier et sans rendre grâces, et vous pouvez voir par là combien l'on a tort de se retirer sans actions de grâces après le pain quotidien et après le pain éternel.

Pendant tout le repas, j'avais vu prés de Judas une hideuse petite figure rouge, qui avait un pied comme un os desséché, et qui quelquefois montait jusqu’à son cœur ; lorsqu'il fut devant la porte, je vis trois démons autour de lui : l'un entra dans sa bouche, l'autre le poussait, le troisième courait devant lui. Il était nuit, et on aurait cru qu'ils l'éclairaient ; pour lui, il courait comme un insensé.


Le Seigneur versa dans le petit vase dont j'ai déjà parlé un reste du sang divin qui se trouvait au fond du calice, puis il plaça ses doigts au-dessus du calice, et y fit verser encore de l'eau et du vin par Pierre et Jean. Cela fait, il les fit boire encore dans le calice, et le reste, versé dans les coupes, fut distribué aux autres apôtres. Ensuite Jésus essuya le calice, y mit le petit vase où était le reste du sang divin, plaça au-dessus la patène avec les fragments du pain consacré, puis remit le couvercle, enveloppa le calice et le replaça au milieu des six petites coupes. Je vis, après la résurrection, les apôtres communier avec le reste du saint Sacrement.


Je ne me souviens pas d'avoir vu que le Seigneur ait lui-même mangé et bu le pain et le vin consacrés, à moins qu'il ne l'ait fait sans que je m'en sois aperçue. En donnant l’Eucharistie, il se donna de telle sorte qu'il m'apparut comme sorti de lui-même et répandu au dehors dans une effusion d'amour miséricordieux. C'est quelque chose qui ne peut s'exprimer. Je n'ai pas vu non plus que Melchisédech lorsqu'il offrit le pain et le vin y ait goûté lui-même. J'ai su pourquoi les prêtres y participent, quoique Jésus ne l'ait point fait.

Pendant qu'elle parlait, elle regarda tout à coup autour d'elle comme si elle écoutait. Elle reçut une explication dont elle ne put communiquer que ceci : “ Si les anges l'avaient distribué, ils n'y auraient point participé ; si les prêtres n'y participaient pas, l'Eucharistie se serait perdue : c'est par là qu'elle se conserve”.

Il y eut quelque chose de très régulier et de très solennel dans les cérémonies dont Jésus accompagna l'institution de la sainte Eucharistie, quoique ce fussent en même temps des enseignements et des leçons. Aussi je vis les apôtres noter ensuite certaines choses sur les petits rouleaux qu'ils portaient avec eux. Tous ses mouvements à droite et à gauche étaient solennels comme toujours lorsqu'il priait. Tout montrait en germe le saint sacrifice de la Messe. Pendant la cérémonie, je vis les apôtres, à diverses reprises, s'incliner l'un devant l'autre, comme font nos prêtres.


LA DOULOUREUSE PASSION DE NOTRE SEIGNEUR JESUS CHRIST
d'après les méditations de la Bienheureuse Anne-Catherine Emmerick
Traduction de l'Abbé de Cazalès
Gallica

Anna Katharina Emmerick
'Die ekstatische Jungfrau Katharina Emmerick' par Gabriel von Max,  München, Neue Pinakothek

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3 mars 2010 3 03 /03 /mars /2010 17:00

VII. LE LAVEMENT DES PIEDS

Ils se levèrent de table, et pendant qu'ils arrangeaient leurs vêtements, comme ils avaient coutume de le faire pour la prière solennelle, le majordome entra avec deux serviteurs pour desservir, enlever la table du milieu des sièges qui l'environnaient et la mettre de côté. Quand cela fut fait, il reçut de Jésus l'ordre de faire porter de l'eau dans le vestibule, et il sortit de la salle avec les serviteurs. Alors Jésus, debout au milieu des apôtres, leur parla quelque temps d'un ton solennel. Mais j'ai vu et entendu tant de choses jusqu'à ce moment, qu'il ne m'est pas possible de rapporter avec certitude le contenu de son discours ; je me souviens qu'il parla de son royaume, de son retour vers son Père, ajoutant qu'auparavant il leur laisserait tout ce qu'il possédait. Il enseigna aussi sur la pénitence, l'examen et la confession des fautes, le repentir et la justification. Je sentis que cette instruction se rapportait au lavement des pieds, et je vis aussi que tous reconnaissaient leurs péchés et s'en repentaient, à l'exception de Judas.

Ce discours fut long et solennel. Lorsqu'il fut terminé, Jésus envoya Jean et Jacques le Mineur chercher l'eau préparée dans le vestibule, et dit aux apôtres de ranger les sièges en demi cercle. Il alla lui-même dans le vestibule, déposa son manteau, se ceignit et mit un linge autour de son corps. Pendant ce temps, les apôtres échangèrent quelques paroles, se demandant quel serait le premier parmi eux ; car le Seigneur leur avait annoncé expressément qu'il allait les quitter et que son royaume était proche, et l'opinion se fortifiait de nouveau chez eux qu'il avait une arrière-pensée secrète, et qu'il voulait parler d'un triomphe terrestre qui éclaterait au dernier moment.


Jésus étant dans le vestibule, fit prendre à Jean un bassin et à Jacques une outre pleine d'eau ; puis, le Seigneur ayant versé de l'eau de cette outre dans le bassin, ordonna aux disciples de le suivre dans la salle où le majordome avait placé un autre bassin vide plus grand que le premier.
Jésus, entrant d'une manière si humble, reprocha aux apôtres, en peu de mots, la discussion qui s'était élevée entre eux ; il leur dit, entre autres choses, qu'il était lui-même leur serviteur et qu'ils devaient s'asseoir pour qu'il leur lavât les pieds. Ils s’assirent donc dans le même ordre que celui où ils étaient placés à la table, les sièges étant ranges en demi cercle. Jésus allait de l'un à l'autre, et leur versait sur les pieds, avec la main, de l'eau du bassin que tenait Jean ; il prenait ensuite l'extrémité du linge qui le ceignait, et il les essuyait. Jean vidait chaque fois l'eau dont on s'était servi dans le bassin placé au milieu de la salle, et revenait près du Seigneur avec son bassin. Alors Jésus faisait, de nouveau, couler l'eau de l'outre que portait Jacques dans le bassin qui était sous les pieds des apôtres et les essuyait encore. Le Seigneur qui s'était montré singulièrement affectueux pendant tout le repas pascal s'acquitta aussi de ces humbles fonctions avec l’amour le plus touchant. Il ne fit pas cela comme une pure cérémonie, mais comme un acte par lequel s'exprimait la charité la plus cordiale.

Lorsqu'il vint à Pierre, celui-ci voulut l'arrêter par humilité et lui dit : “Quoi ! Seigneur, vous me laveriez les pieds !” Le Seigneur lui répondit : “Tu ne sais pas maintenant ce que je fais, mais tu le sauras par la suite”. Il me sembla qu'il lui disait en particulier : “Simon, tu as mérité d'apprendre de mon Père qui je suis, d'où je viens et où je vais ; tu l'as seul expressément confessé : c'est pourquoi je bâtirai sur toi mon Eglise, et les portes de  l'enfer ne prévaudront point contre elle. Ma force doit rester prés de tes successeurs jusqu'à la fin du monde.” Jésus le montra aux autres apôtres, et leur dit que lorsqu'il n'y serait plus, Pierre devait remplir sa place auprès d'eux. Pierre lui dit : “Vous ne me laverez jamais les pieds.” Le Seigneur lui répondit : “Si je ne te lave pas, tu n'auras  point de part avec moi.” Alors Pierre lui dit : “Seigneur, lavez-moi non seulement les pieds, mais encore les mains et la tête.” Et Jésus lui répondit : “Celui qui a déjà été lavé n'a plus besoin que de se laver les pieds : il est pur dans tout le reste. Pour vous aussi vous êtes purs ; mais non pas tous.” Il désignait Judas par ces paroles. Il avait parlé du lavement des pieds comme d'une purification des fautes journalières, parce que les pieds, sans cesse en contact avec la terre, s'y salissent incessamment si l'on manque de vigilance. Ce lavement des pieds fut spirituel et comme une espèce d'absolution. Pierre, dans son zèle, n'y vit qu'un abaissement trop grand de son maître : il ne savait pas que Jésus, pour le sauver, s'abaisserait le lendemain jusqu'à la mort ignominieuse de la croix.


Lorsque Jésus lava les pieds à Judas, ce fut de la manière la plus touchante et la plus affectueuse : il approcha son visage de ses pieds ; il lui dit tout bas qu'il devait rentrer en lui-même, que depuis un an il était traître et infidèle. Judas semblait ne vouloir pas s'en apercevoir, et adressait la parole à Jean ; Pierre s'en irrita et lui dit : “Judas, le Maître te parle !” Alors Judas dit à Jésus quelque chose de vague, d’évasif, comme : “Seigneur, à Dieu ne plaise !” Les autres n'avaient point remarqué que Jésus s'entretint avec Judas, car il parlait assez bas pour n'être pas entendu d’eux : d’ailleurs ils étaient occupés à remettre leurs chaussures. Rien de toute la passion n'affligea aussi profondément le Sauveur que la trahison de Judas.


Jésus lava encore les pieds de Jean et de Jacques. Jacques s'assit et Pierre tint l'outre : puis Jean s'assit et Jacques tint le bassin. Il enseigna ensuite sur l'humilité : il leur dit que celui qui servait les autres était le plus grand de tous, et qu'ils devaient dorénavant se laver humblement les pieds les uns aux autres ; il dit encore, touchant leur discussion sur la prééminence, plusieurs choses qui se trouvent dans l’Evangile : après quoi il remit ses habits. Les apôtres déployèrent leurs vêtements qu'ils avaient relevés pour manger l'agneau pascal.


LA DOULOUREUSE PASSION DE NOTRE SEIGNEUR JESUS CHRIST

d'après les méditations de la Bienheureuse Anne-Catherine Emmerick
Traduction de l'Abbé de Cazalès
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Anna Katharina Emmerick
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2 mars 2010 2 02 /03 /mars /2010 19:00

VI. DERNIÈRE PÂQUE

Jésus et les siens mangèrent l'agneau pascal dans le Cénacle, divisés en trois groupes de douze, dont chacun, était présidée par l'un d'eux, faisant office de père de famille. Jésus prit son repas avec les douze apôtres dans la salle du Cénacle. Nathanaël le prit avec douze autres disciples dans l’une des salles latérales, douze autres avaient à leur tête Eliacim, fils de Cléophas et de Marie d’Héli, et frère de Marie de Cléophas : il avait été disciple de Jean Baptiste.

Trois agneaux furent immolés pour eux dans le Temple avec les cérémonies habituelles. Mais il y avait un quatrième agneau, qui fut immolé dans le Cénacle ; c'est celui-là que Jésus mangea avec les apôtres. Judas ignora cette circonstance, parce qu'il était occupé de ses complots et n'était pas revenu lors de l'immolation de l'agneau : il vint très peu d'instants avant le repas. L’immolation de l'agneau destiné à Jésus et aux apôtres fut singulièrement touchante : elle eut lieu dans le vestibule du Cénacle avec le concours d'un fils de Siméon, qui était Lévite. Les apôtres et les disciples étaient là, chantant le psaume. Jésus parla d'une nouvelle époque qui commençait ; il dit que le sacrifice de Moïse et la figure de l'agneau pascal allaient trouver leur accomplissement : mais que, pour cette raison, l’agneau devait être immolé comme il l’avait été autrefois en Egypte, et qu'ils allaient sortir réellement de la maison de servitude.

Les vases et les instruments nécessaires furent apprêtés, on amena un beau petit agneau, orné d'une couronne qui fut envoyée à la sainte Vierge dans le lieu où elle se tenait avec les saintes femmes. L’agneau était attaché contre une planche par le milieu du corps, et il me rappela Jésus lié à la colonne et flagellé. Le fils de Siméon tenait la tête de l'agneau : Jésus le piqua au cou avec la pointe d’un couteau qu'il donna au fils de Siméon pour achever l'agneau. Jésus paraissait éprouver de la répugnance à le blesser ; il le fit rapidement, mais avec beaucoup de gravité. Le sang fut recueilli dans un bassin et on apporta une branche d’hysope, que Jésus trempa dans le sang. Ensuite il alla à la porte de la salle, en peignit de sang les deux poteaux et la serrure, et fixa au-dessus de la porte la branche teinte de sang. Il lit ensuite une instruction, et dit, entre autres choses, que l'ange exterminateur passerait outre, qu’ils devaient adorer en ce lieu sans crainte et sans inquiétude lorsqu'il aurait été immolé, lui, le véritable agneau pascal ; qu'un nouveau temps et un nouveau sacrifice allaient commencer, qui dureraient jusqu'à la fin du monde.

Ils se rendirent ensuite au bout de la salle, près du foyer où avait été autrefois l'arche d'alliance : il y avait déjà du feu. Jésus versa le sang sur ce foyer et le consacra comme autel. Le reste du sang et la graisse furent jetés dans le feu sous l’autel. Jésus, suivi de ses apôtres, fit ensuite le tour du Cénacle en chantant des psaumes, et consacra en lui un nouveau Temple. Toutes les portes étaient fermées pendant ce temps.

Cependant le fils de Siméon avait entièrement préparé l’agneau. Il l'avait passé dans un pieu : les jambes de devant étaient sur un morceau de bois placé en travers : celles de derrière étaient étendues le long du pieu. Hélas ! il ressemblait a Jésus sur la croix, et il fut mis dans le fourneau pour être rôti avec les trois autres agneaux apportés du temple.

Les agneaux de Pâque des Juifs étaient tous immolés dans le vestibule du Temple, et cela en trois endroits : pour les personnes de distinction, pour les petites gens et pour les étrangers. L'agneau pascal de Jésus ne fut pas immolé dans le Temple : tout le reste fut rigoureusement conforme a la loi. Jésus tint plus tard un discours à ce sujet, il dit que l'agneau était simplement une figure, que lui-même devait être, le lendemain, l'agneau pascal, et d'autres choses que j'ai oubliées.

Lorsque Jésus eut ainsi enseigné sur l'agneau pascal et sa signification, le temps étant venu et Judas étant de retour, on prépara les tables. Les convives mirent les habits de voyage qui se trouvaient dans le vestibule, d'autres chaussures, une robe blanche semblable à une chemise, et un manteau, court par devant et plus long par derrière ; ils relevèrent leurs habits jusqu'à la ceinture, et ils avaient aussi de larges manches retroussées. Chaque groupe alla à la table qui lui était réservée : les deux groupes de disciples dans les salles latérales, le Seigneur et les apôtres dans la salle du Cénacle. Ils prirent des bâtons à la main et ils se rendirent deux par deux à la table, où ils se tinrent debout à leurs places, appuyant les bâtons à leurs bras et les mains élevées en l'air. Mais Jésus, qui se tenait au milieu de la table, avait reçu du majordome deux petits bâtons un peu recourbés par en haut, semblables à de courtes houlettes de berger. Il y avait à l'un des côtés un appendice formant une fourche, comme une branche coupée. Le Seigneur les mit dans sa ceinture de manière à ce qu'ils se croisassent sur sa poitrine, et en priant il appuya ses bras étendus en haut sur l'appendice fourchu. Dans cette attitude, ses mouvements avaient quelque chose de singulièrement touchant : il semblait que la croix dont il voulait bientôt prendre le poids sur ses épaules dût auparavant leur servir d'appui. Ils chantèrent ainsi : "Béni soit le Seigneur, le Dieu d'Israël" ! ou "Loué soit le Seigneur". Quand la prière fut finie, Jésus donna un des bâtons à Pierre et l'autre à Jean. Ils les mirent de côté ou les firent passer de main en main parmi les saints apôtres. Je ne m'en souviens plus très exactement.

La table était étroite et assez haute pour dépasser d'un demi pied les genoux d'un homme debout ; sa forme était celle d'un fer à cheval ; vis-à-vis de Jésus, à l'intérieur du demi cercle, était une place libre pour servir les mets. Autant que je puis m'en souvenir, à la droite de Jésus étaient Jean, Jacques le Majeur et Jacques le Mineur ; au bout de la table, à droite, Barthélémy ; puis, en revenant à l'intérieur, Thomas et Judas Iscariote. A la gauche, Simon, et près de celui-ci, en revenant, Matthieu et Philippe.

Au milieu de la table était l'agneau pascal, dans un plat. Sa tête reposait sur les pieds de devant, mis en croix ; les pieds de derrière étaient étendus, le bord du plat était couvert d'ail. A côté se trouvait un plat avec le rôti de Pâque, puis une assiette avec des légumes verts serrés les uns contre les autres, et une seconde assiette, où se trouvaient de petits faisceaux d'herbes amères, semblables à des herbes aromatiques ; puis, encore devant Jésus, un plat avec d'autres herbes d'un vert jaunâtre, et un autre avec une sauce ou breuvage de couleur brune. Les convives avaient devant eux des pains ronds en guise d'assiettes ; ils se servaient de couteaux d'ivoire.

Après la prière, le majordome plaça devant Jésus, sur la table, le couteau pour découper l'agneau. Il mit une coupe de vin devant le Seigneur, et remplit six coupes, dont chacune se trouvait entre les deux apôtres. Jésus bénit le vin et le but ; les apôtres buvaient deux dans la même coupe. Le Seigneur découpa l'agneau ; les apôtres présentèrent tour à tour leurs gâteaux ronds et reçurent chacun leur part. Ils la mangèrent très vite, en détachant la chair des os au moyen de leurs couteaux d'ivoire ; les ossements furent ensuite brûlés. Ils mangèrent très vite aussi de l’ail et des herbes vertes qu'ils trempaient dans la sauce. Ils firent tout cela debout, s'appuyant seulement un peu sur le dossier de leurs sièges. Jésus rompit un des pains azymes et en recouvrit une partie : il distribua le reste. Ils mangèrent ensuite aussi leurs gâteaux. On apporta encore une coupe de vin mais Jésus n'en but point. Prenez ce vin, dit-il, et partagez-le entre nous ; car je ne boirai plus de vin jusqu’à ce que vienne le royaume de Dieu. Lorsqu'ils eurent bu, ils chantèrent, puis Jésus pria ou enseigna, et on se lava encore les mains. Alors ils se placèrent sur leurs sièges. Tout ce qui précède s'était fait très vite, les convives restant debout. Seulement vers la fin ils s'étaient un peu appuyés sur les sièges.

Le Seigneur découpa encore un agneau, qui fut porté aux saintes femmes dans l'un des bâtiments de la cour où elles prenaient leur repas. Les apôtres mangèrent encore des légumes et de la laitue avec la sauce. Jésus était extraordinairement recueilli et serein : je ne l'avais jamais vu ainsi. Il dit aux apôtres d'oublier tout ce qu'ils pouvaient avoir de soucis. La sainte Vierge aussi, à la table des femmes, était pleine de sérénité. Lorsque les autres femmes venaient à elle et la tiraient par son voile pour lui parler, elle se retournait avec une simplicité qui me touchait profondément.

Au commencement, Jésus s'entretint très affectueusement avec ses apôtres, puis il devint sérieux et mélancolique. “ Un de vous me trahira. dit-il, un de vous dont la main est avec moi à cette table”. Or, Jésus servait de la laitue, dont il n'y avait qu'un plat, à ceux qui étaient de son côté, et il avait chargé Judas, qui était à peu près en face de lui, de la distribuer de l'autre côté. Lorsque Jésus parla d'un traître, ce qui effraya beaucoup les apôtres, et dit : “un homme dont la main est à la même table ou au même plat que moi”,  cela signifiait : “un des douze qui mangent et qui boivent avec moi, un de ceux avec lesquels je partage mon pain”. Il ne désigna donc pas clairement Judas aux autres, car mettre la main au même plat était une expression indiquant les relations les plus amicales et les plus intimes. Il voulait pourtant donner un avertissement à Judas, qui, en ce moment même, mettait réellement la main dans le même plat que le Sauveur, pour distribuer de la laitue. Jésus dit encore : “Le Fils de l'homme s’en va, comme il est écrit de lui ; mais malheur à l'homme par qui le Fils de l'homme sera livré : il vaudrait mieux pour lui n'être jamais né.”

Les apôtres étaient tout troublés et lui demandaient tour à tour : “Seigneur, est-ce moi ?” car tous savaient bien qu'ils ne comprenaient pas entièrement ses paroles. Pierre se pencha vers Jean par derrière Jésus, et lui fit signe de demander au Seigneur qui c'était ; car, ayant reçu souvent des reproches de Jésus, il tremblait qu'il n'eût voulu le désigner. Or, Jean était à la droite de Jésus et comme tous, s'appuyant sur le bras gauche, mangeaient de la main droite, sa tête était prés de la poitrine de Jésus. Il se pencha donc sur son sein et lui dit : “Seigneur, qui est-ce ?” Alors il fut averti que Jean avait Judas en vue. Je ne vis pas Jésus prononcer ces mots : “Celui auquel je donne le morceau de pain que j'ai trempé” ; je ne sais pas s'il le dit tout bas, mais Jean en eut connaissance lorsque Jésus trempa le morceau de pain entouré de laitue, et le présenta affectueusement à Judas, qui demanda aussi : “ Seigneur, est-ce moi ?” Jésus le regarda avec amour et lui fit une réponse conçue en termes généraux. C'était, chez les Juifs, un signe d'amitié et de confiance. Jésus le fit avec une affection cordiale, pour avertir Judas sans le dénoncer aux autres. Mais celui-ci était intérieurement plein de rage. Je vis, pendant tout le repas, une petite figure hideuse assise à ses pieds, et qui montait quelquefois jusqu'à son coeur. Je ne vis pas Jean redire à Pierre ce qu’on avait appris de Jésus ; mais il le tranquillisa d'un regard.


LA DOULOUREUSE PASSION DE NOTRE SEIGNEUR JESUS CHRIST

d'après les méditations de la Bienheureuse Anne-Catherine Emmerick
Traduction de l'Abbé de Cazalès
Gallica

Anna Katharina Emmerick
'Die ekstatische Jungfrau Katharina Emmerick' par Gabriel von Max,  München, Neue Pinakothek

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