L’archange avait annoncé à Marie que le Fils qui naîtrait d'elle serait Roi, et que son Royaume n'aurait point de
fin ; instruits par l'Etoile, les Mages vinrent, du fond de l'Orient, chercher ce Roi en Bethléhem ; mais il fallait une Capitale à ce nouvel Empire ; et parce que le Roi qui devait y établir son
trône devait aussi, selon les conseils éternels, remonter bientôt dans les cieux, il était nécessaire que le caractère visible de sa Royauté reposât sur un homme qui fût, jusqu'à la fin des
siècles, le Vicaire du Christ.
Pour cette sublime lieutenance, l'Emmanuel choisit Simon, dont il changea le nom en celui de Pierre, déclarant expressément que l'Eglise tout entière reposerait sur cet homme, comme sur un rocher
inébranlable. Et comme Pierre devait aussi terminer par la croix ses destinées mortelles, le Christ prenait l'engagement de lui donner des successeurs dans lesquels vivraient toujours Pierre et
son autorité.
Mais quelle sera la marque de cette succession, dans l'homme privilégié sur qui doit être édifiée l'Eglise jusqu'à la fin des temps ? Parmi tant d'Evêques, quel est celui dans lequel Pierre se
continue ? Ce Prince des Apôtres a fondé et gouverné plusieurs Eglises ; mais une seule, celle de Rome, a été arrosée de son sang ; une seule, celle de Rome, garde sa tombe : l'Evêque de Rome est donc le successeur de Pierre, et, par là même, le Vicaire du Christ. C'est de lui,
et non d'un autre, qu'il est dit : Sur toi je bâtirai mon Eglise. Et encore : Je te donnerai les Clefs du Royaume des cieux. Et encore : J'ai prié pour toi, pour que ta foi ne défaille pas ;
confirme tes frères. Et encore : Pais mes agneaux ; pais mes brebis.
L'hérésie protestante l'avait si bien compris, que longtemps elle s'efforça de jeter des doutes sur le séjour de saint Pierre à Rome, croyant avec raison anéantir, par ce stratagème, l'autorité
du Pontife Romain, et la notion même d'un Chef dans l'Eglise. La science historique a fait justice de cette puérile objection ; et depuis longtemps, les érudits de la Réforme sont d'accord avec
les catholiques sur le terrain des faits, et ne contestent plus un des points de l'histoire les mieux établis par la critique.
Ce fut pour opposer l'autorité de la Liturgie à une si étrange prétention des Réformateurs, que Paul IV, en 1558, rétablit au dix-huit janvier l'antique fête de la Chaire de saint Pierre à Rome ;
car, depuis de longs siècles, l'Eglise ne solennisait plus le mystère du Pontificat du Prince des Apôtres qu'au vingt-deux février. Désormais, ce dernier jour fut assigné au souvenir de la Chaire
d'Antioche, la première que l'Apôtre ait occupée.
Aujourd'hui donc, la Royauté de notre Emmanuel brille de tout son éclat ; et les enfants de l'Eglise se réjouissent de se sentir tous frères et concitoyens d'un même Empire, en célébrant la
gloire de la Capitale qui leur est commune à tous. Lorsque, regardant autour d'eux, ils aperçoivent tant de sectes divisées et dépourvues de toutes les conditions de la durée, parce qu'un centre
leur manque, ils rendent grâces au Fils de Dieu d'avoir pourvu à la conservation de son Eglise et de
sa Vérité, par l'institution d'un Chef visible dans lequel Pierre se continue à jamais, comme le Christ lui-même dans Pierre. Les hommes ne sont plus des brebis sans pasteur ; la parole dite au
commencement se perpétue, sans interruption, à travers les âges ; la mission première n'est jamais suspendue, et, par le Pontife Romain, la fin des temps s'enchaîne à l'origine des
choses. "Quelle consolation aux enfants de Dieu ! s'écrie Bossuet, dans le Discours sur l'Histoire universelle ; mais quelle conviction de la vérité quand ils voient que
d'Innocent XI, qui remplit aujourd'hui si dignement le premier Siège de l'Eglise, on remonte, sans interruption, jusqu'à saint Pierre, établi par Jésus-Christ prince des Apôtres : d'où, en
reprenant les Pontifes qui ont servi sous la Loi, on va jusqu'à Aaron et jusqu'à Moïse ; de là jusqu'aux Patriarches et jusqu'à l'origine du monde !"
Pierre, en entrant dans Rome, vient donc accomplir et expliquer les destinées de cette cité maîtresse ; il vient lui promettre un Empire plus étendu encore que celui qu'elle possède. Ce nouvel
Empire ne s'établira point par la force, comme le premier. De dominatrice superbe des nations qu'elle avait été jusqu'alors, Rome, par la charité, devient Mère des peuples ; mais, tout pacifique
qu'il est, son Empire n'en sera pas moins durable.
Ecoutons saint Léon le Grand, dans un de ses plus magnifiques Sermons, raconter, avec toute la pompe de son langage, l'entrée obscure, et pourtant si décisive, du Pêcheur de Génésareth dans la
capitale du paganisme :
« Le Dieu bon, juste et tout-puissant, qui n'a jamais dénié sa miséricorde au genre humain, et qui, par
l'abondance de ses bienfaits, a fourni à tous les mortels les moyens de parvenir à la connaissance de son Nom, dans les secrets conseils de son immense amour, a pris en pitié l'aveuglement
volontaire des hommes, et la malice qui les précipitait dans la dégradation, et il leur a envoyé son Verbe, qui lui est égal et coéternel. Or, ce Verbe, s'étant fait chair, a si étroitement uni
la nature divine à la nature humaine, que l'abaissement de la première jusqu'à notre abjection est devenu pour nous le principe de l'élévation la plus sublime.
« Mais, afin de répandre dans le monde entier les effets de cette inénarrable faveur, la Providence a préparé
l'Empire romain, et en a si loin reculé les limites, qu'il embrassât dans sa vaste enceinte l'universalité des nations. C'était, en effet, une chose merveilleusement utile
à l'accomplissement de l'œuvre divinement projetée, que les divers royaumes formassent la confédération d'un Empire unique, afin que la prédication générale parvint plus vite à l'oreille des
peuples, rassemblés qu'ils étaient déjà sous le régime d'une seule cité.
« Cette cité, méconnaissant le divin auteur de ses destinées, s'était faite l'esclave des erreurs de tous les
peuples, au moment même où elle les tenait presque tous sous ses lois, et croyait encore posséder une grande religion, parce qu'elle ne rejetait aucun mensonge ; mais plus durement
était-elle enlacée par le diable, plus merveilleusement fut-elle affranchie par le Christ.
« En effet, lorsque les douze Apôtres, après avoir reçu par l'Esprit-Saint le don de parler
toutes les langues, se furent distribué les diverses parties de la terre, et qu'ils eurent pris possession de ce
monde qu'ils devaient instruire de l'Evangile, le bienheureux Pierre, Prince de l'ordre Apostolique, reçut en partage la citadelle de l'Empire romain, afin que la Lumière de vérité, qui était
manifestée pour le salut de toutes les nations, se répandît plus efficacement, rayonnant du centre de cet Empire sur le monde entier.
« Quelle nation, en effet, ne comptait pas de nombreux représentants dans cette ville ? Quels peuples eussent
jamais pu ignorer ce que Rome avait appris ? C'était là que devaient être écrasées les opinions de la philosophie ; là que devaient être dissipées les vanités de la sagesse terrestre ; là que le
culte des démons devait être confondu ; là enfin devait être détruite l'impiété de tous les sacrifices, dans ce lieu même où une superstition habile avait rassemblé tout ce que les diverses
erreurs avaient jamais produit.
« Est-ce que tu ne crains pas, bienheureux Apôtre Pierre, de venir seul dans cette ville ? Paul l'Apôtre, le
compagnon de ta gloire, est encore occupé à fonder d'autres Eglises ; et toi, tu t'enfonces dans cette forêt peuplée de bêtes farouches, tu marches sur cet océan dont la profondeur est pleine de
tempêtes, avec plus de courage qu'au jour où tu marchais sur les eaux. Tu ne redoutes pas Rome, la maîtresse du monde, toi qui, dans la maison de Caïphe, avais tremblé à la voix d'une servante de
ce prêtre. Est-ce que le tribunal de Pilate, ou la cruauté des Juifs, étaient plus à craindre que la puissance d'un Claude ou la férocité d'un Néron ? Non ; mais la force de ton
amour triomphait de la crainte, et tu n'estimais pas redoutables ceux que tu avais reçu la charge
d'aimer. Sans doute, tu avais déjà conçu le sentiment de cette intrépide charité, au jour où la profession de ton amour envers le Seigneur fut sanctionnée par le mystère d'une triple
interrogation. Aussi n'exigea-t-on autre chose de ton âme, si ce n'est que, pour paître les brebis de Celui que tu aimais, ton cœur dépensât pour elles la substance dont il était
rempli.
« Ta confiance, il est vrai, devait s'accroître au souvenir des miracles si nombreux que tu avais opérés, de tant
de précieux dons de la grâce que a tu avais reçus, et des expériences si multipliées de la vertu qui résidait en toi. Déjà tu avais instruit les peuples de la Circoncision, qui avaient cru à ta
parole ; déjà tu avais fondé l'Eglise d'Antioche, où commença d'abord la dignité du nom Chrétien ; déjà tu avais soumis aux lois de la prédication évangélique le Pont, la Galatie, la
Cappadoce, l'Asie et la Bithynie ; et alors, sûr du progrès de ton œuvre et de la durée de ta vie, tu vins élever sur les remparts de Rome le trophée de la Croix du Christ, là même où les
conseils divins avaient préparé pour toi l'honneur de la puissance suprême, et la gloire du martyre.»
L'avenir du genre humain par l'Eglise est donc pour jamais fixé à Rome, et les destinées de cette ville sont pour toujours enchaînées à celles du Pontife immortel.
Divisés, de races, de langages, d'intérêts, nous tous, enfants de l'Eglise, nous sommes Romains dans l'ordre de la religion ; et ce titre de Romains nous unit par Pierre à Jésus-Christ, et forme
le lien de la grande fraternité des peuples et des individus catholiques.
Jésus-Christ par Pierre, Pierre par son successeur, nous régissent dans l'ordre du gouvernement spirituel. Tout pasteur dont l'autorité n'émane pas du Siège de Rome, est un étranger, un intrus.
De même, dans l'ordre de la croyance, Jésus-Christ par Pierre, Pierre par son successeur, nous enseignent la doctrine divine, et nous apprennent à discerner la vérité de l'erreur. Tout Symbole de
foi, tout jugement doctrinal, tout enseignement, contraire au Symbole, aux jugements, aux enseignements du Siège de Rome, est de l'homme et non de Dieu, et doit être repoussé avec horreur et
anathème.
Aujourd'hui, honorons la Chaire romaine comme la source et la règle de notre foi, empruntons encore ici le sublime langage de saint Léon, et interrogeons-le sur les titres de Pierre à
l'infaillibilité de l'enseignement. Nous apprendrons de ce grand Docteur à peser la force des paroles que le Christ prononça pour être le titre suprême de notre foi, dans toute la durée des
siècles :
« Le Verbe fait chair était venu habiter au milieu de nous, et le Christ s'était dévoué tout entier à la
réparation du genre humain. Rien qui n'eût été réglé par sa sagesse, rien qui se fût trouvé au-dessus de son pouvoir. Les éléments lui obéissaient, les Esprits angéliques étaient à ses ordres ;
le mystère du salut des hommes ne pouvait manquer son effet ; car Dieu, dans son Unité et dans sa Trinité, daignait s'en occuper lui-même. Cependant de ce monde tout entier, Pierre seul est
choisi, pour être préposé à la vocation de toutes les nations, à tous les Apôtres, à tous les Pères
de l'Eglise. Dans le peuple de Dieu, il y aura plusieurs prêtres et plusieurs pasteurs ; mais Pierre régira, par une puissance qui lui est propre, tous ceux que le Christ régit lui-même d'une
manière plus élevée encore. Quelle grande et admirable participation de son pouvoir Dieu a daigné donner à cet homme, ô frères chéris ! S'il a voulu qu'il y eût quelque chose de commun entre lui
et les autres pasteurs, il l'a fait à la condition de donner à ceux-ci, par Pierre, tout ce qu'il voulait bien ne pas leur refuser.
« Le Seigneur interroge tous les Apôtres sur l'idée que les hommes ont de lui. Les Apôtres sont d'accord, tant
qu'il ne s'agit que d'exposer les différentes opinions de l'ignorance humaine. Mais quand le Christ en vient à demander à ses disciples leur propre sentiment, celui-là est le premier à confesser
le Seigneur, qui est le premier dans la dignité apostolique. C'est lui qui dit : Vous êtes le Christ, Fils du Dieu vivant. Jésus lui répond : Tu es heureux, Simon, fils de Jonas ; car ni la chair
ni le sang ne t'ont révélé ces choses, mais mon Père qui est dans les cieux. C'est-à-dire : Oui, tu es heureux, car mon Père t'a instruit ; les pensées de la terre ne t'ont point induit en
erreur, mais l'inspiration du ciel t'a éclairé. Ce n'est ni la chair ni le sang, mais Celui-là même dont je suis le Fils unique, qui m'a fait connaître à toi. Et moi, ajoute-t-il, je te le dis :
De même que mon Père t'a dévoilé ma divinité, à mon tour, je te fais connaître ton excellence. Car tu es Pierre, c'est-à-dire, de même que je suis la Pierre inviolable, la Pierre angulaire qui
réunit les deux murs, le Fondement si essentiel que l'on n'en saurait établir un autre : ainsi,
toi-même, tu es Pierre, car tu reposes sur ma solidité, et les choses qui me sont propres par la puissance qui est en moi, te sont communes avec moi par la participation que je t'en fais. Et sur
cette pierre je bâtirai mon Eglise ; et les portes de l’enfer ne prévaudront point contre elle. Sur la solidité de cette pierre, je bâtirai le temple éternel ; et mon Eglise, dont le faîte
montera jusqu'au ciel , s'élèvera sur la fermeté de cette foi.
« La veille de sa Passion, qui devait être une épreuve pour la constance de ses disciples, le Seigneur dit ces
paroles : Simon, Simon, Satan a demandé à vous cribler comme le froment ; mais j'ai prié pour toi, afin que ta foi ne défaille pas. Quand tu seras converti, confirme tes frères. Le péril de la
tentation était commun à tous les Apôtres ; tous avaient besoin du secours de la protection divine ; car le diable se proposait de les remuer tous, et de les écraser tous. Cependant le Seigneur
ne prend un soin spécial que de Pierre seul ; ses prières sont pour la foi de Pierre, comme si le salut des autres était en sûreté, par cela seul que l'âme de leur Prince n'aura point été
abattue. C'est donc sur Pierre que le courage de tous s'appuiera, que le secours de la grâce divine sera ordonné, afin que la solidité que le Christ attribue à Pierre, soit par Pierre conférée
aux Apôtres.»
Dans un autre Sermon, l'éloquent Docteur nous fait voir comment Pierre vit et enseigne toujours dans la Chaire Romaine :
« La disposition établie par Celui qui est la Vérité même, persévère donc toujours, et le
bienheureux Pierre, conservant la solidité qu'il a reçue, n'a jamais abandonné le gouvernail de l'Eglise. Car tel est le rang qui lui a été donné au-dessus de tous les autres, que, lorsqu'il est appelé Pierre, lorsqu'il est proclamé Fondement,
lorsqu'il est constitué Portier du Royaume des cieux, lorsqu'il est établi Arbitre pour lier et délier, avec une telle force dans ses jugements qu'ils sont ratifiés jusque dans les cieux, nous
sommes à même de connaître, par le mystère de si hauts titres, le lien qu'il avait avec le Christ. Maintenant, c'est avec plus de plénitude et de puissance qu'il remplit la mission qui lui fut
confiée ; et toutes les parties de son office et de sa charge, il les exerce en Celui et avec Celui par qui il a été glorifié.
« Si donc, sur cette Chaire, nous faisons quelque chose de bien, si nous décrétons quelque chose de juste, si nos
prières quotidiennes obtiennent quelque grâce de la miséricorde de Dieu, c'est par l'effet des œuvres et des mérites de celui qui vit dans son Siège et y éclate par son autorité. Il nous l'a
mérité, frères chéris, par cette confession qui, inspirée à son coeur d'Apôtre par Dieu le Père, a dépassé toutes les incertitudes des opinions humaines, et mérité de recevoir cette fermeté de la
Pierre que nuls assauts ne pourraient ébranler. Chaque jour, dans toute l'Eglise, c'est Pierre qui dit : Vous êtes le Christ, Fils du Dieu vivant ; et toute langue qui confesse le Seigneur est
instruite par le magistère de cette voix. C'est cette foi qui triomphe du diable, et brise les liens de ceux qu'il tenait captifs. C'est elle qui introduit au ciel les fidèles au sortir de
ce monde ; et les portes de l'enfer ne peuvent prévaloir contre elle. Telle est, en effet, la force divine qui la garantit, que jamais la perversité hérétique ne l'a pu corrompre, ni la perfidie païenne la surmonter.»
" Qu'on ne dise donc point, s'écrie Bossuet, dans le Sermon sur l'Unité de l'Eglise, qu'on ne dise point, qu'on ne pense point que ce ministère de saint Pierre finit avec lui : ce
qui doit servir de soutien à une Eglise éternelle, ne peut jamais avoir de fin. Pierre vivra dans ses successeurs, Pierre parlera toujours dans sa Chaire : c'est ce que disent les Pères ; c'est
ce que confirment six cent trente Evêques, au Concile de Chalcédoine." Et encore : "Ainsi l'Eglise Romaine est toujours Vierge ; la foi Romaine est toujours la foi de l'Eglise ; on
croit toujours ce qu'on a cru, la même voix retentit partout ; et Pierre demeure, dans ses successeurs, le fondement des fidèles. C'est Jésus-Christ qui l'a dit ; et le ciel et la terre passeront
plutôt que sa parole."
Tous les siècles chrétiens ont professé cette doctrine de l'infaillibilité du Pontife romain enseignant l'Eglise du haut de la Chaire apostolique. On la trouve enseignée expressément dans les
écrits des saints Pères, et les Conciles œcuméniques de Lyon et de Florence se sont énoncés, dans leurs actes les plus solennels, d'une manière assez claire pour ne laisser aucun doute aux
chrétiens de bonne foi. Néanmoins, l'esprit d'erreur, à l'aide de sophismes contradictoires, et en présentant sous un faux jour quelques faits isolés et mal compris, essaya, durant une période
trop longue, de faire prendre le change aux fidèles d'un pays dévoué d'ailleurs au siège de Pierre. L'influence politique fut la première cause de cette triste scission, que l'orgueil d'école
rendit trop durable. Le seul résultat fut d'affaiblir le principe d'autorité dans les contrées où
elle régna, et d'y perpétuer la secte janséniste, dont les erreurs avaient été condamnées par le Siège Apostolique. Les hérétiques répétaient, après l'Assemblée de Paris en 1682, que les
jugements qui avaient proscrit leurs doctrines, n'étaient pas en eux-mêmes irréformables.
L'Esprit-Saint qui anime l'Eglise a enfin extirpé cette funeste erreur. Dans le Concile du Vatican, il a dicté la sentence solennelle qui déclare que désormais ceux qui refuseraient de
reconnaître pour infaillibles les décrets rendus solennellement par le Pontife romain en matière de foi et de morale, ont cessé par là même de faire partie de l'Eglise catholique. C'est en vain
que l'enfer a tenté d'entraver les opérations de l'auguste assemblée, et si le Concile de Chalcédoine s'était écrié : "Pierre a parlé par Léon" ; si le troisième Concile de Constantinople
avait répété : "Pierre a parlé par Agathon" ; le Concile du Vatican a proclamé : "Pierre a parlé et parlera toujours par le Pontife romain."
Remplis de reconnaissance pour le Dieu de vérité qui a daigné élever et garantir de toute erreur la Chaire romaine, nous écouterons avec soumission d'esprit et de cœur les enseignements qui en
descendent. Nous reconnaîtrons l'action divine dans la fidélité avec laquelle cette Chaire immortelle a su conserver la vérité sans tache durant dix-huit siècles, tandis que les Sièges de
Jérusalem, d'Antioche, d’Alexandrie et de Constantinople ont pu à peine la garder quelques centaines d'années, et sont devenus l'un après l'autre ces chaires de pestilence dont parle le
Prophète.
En ces jours consacrés à honorer l'Incarnation du Fils de Dieu et sa naissance du sein d'une Vierge, rappelons-nous que c'est au Siège de Pierre que nous devons la conservation de ces dogmes qui sont le fondement de notre Religion tout entière. Non seulement Rome nous les a
enseignés par les apôtres auxquels elle donna mission de prêcher la foi dans les Gaules ; mais quand les ténèbres de l'hérésie tentèrent de jeter leur ombre sur de si hauts mystères, ce fut Rome
encore qui assura le triomphe de la vérité par sa décision souveraine.
A Ephèse, où il s'agissait, en condamnant Nestorius, d'établir que la nature divine et la nature humaine, dans le Christ, ne forment qu'une seule personne, et que, par conséquent, Marie est
véritablement Mère de Dieu ; à Chalcédoine, où l'Eglise avait à proclamer, contre Eutychès, la distinction des deux natures dans le Verbe incarné, Dieu et homme : les Pères de deux Conciles
œcuméniques déclarèrent qu'ils ne faisaient que suivre, dans leur décision, la doctrine qui leur était transmise par les lettres du Siège Apostolique.
Tel est donc le privilège de Rome, de présider par la foi aux intérêts de la vie future, comme elle présida par les armes, durant des siècles, aux intérêts de la vie présente, dans le monde connu
alors. Aimons et honorons cette ville Mère et Maîtresse, notre patrie commune ; et, d'un cœur filial, célébrons aujourd'hui sa gloire.

Rome : vue du Tibre par Antonio
Joli
Nous sommes donc établis sur Jésus-Christ dans notre foi et dans nos espérances, ô Prince des Apôtres, puisque
nous sommes établis sur vous qui êtes la Pierre qu'il a posée. Nous sommes donc les brebis du troupeau de Jésus-Christ, puisque nous vous obéissons comme à notre pasteur. En vous suivant, ô
Pierre, nous sommes donc assurés d'entrer dans le Royaume des cieux, puisque vous en tenez les clefs. Quand nous nous glorifions d'être vos membres, ô notre Chef, nous pouvons donc nous regarder
comme les membres de Jésus-Christ même ; car le Chef invisible de l'Eglise ne reconnaît point d'autres membres que ceux du Chef visible qu'il a établi. De même, quand nous gardons la foi du
Pontife Romain, quand nous obéissons à ses ordres, c'est votre foi, ô Pierre, que nous professons, ce sont vos commandements que nous suivons ; car si le Christ enseigne et régit en vous, vous
enseignez et régissez dans le Pontife Romain.
Grâces soient donc rendues à l'Emmanuel qui n'a pas voulu nous laisser orphelins, mais qui, avant de retourner dans les cieux, a daigné nous assurer, jusqu'à la consommation des siècles, un Père
et un Pasteur. La veille de sa Passion, voulant nous aimer jusqu'à la fin, il nous laissa son corps pour nourriture et son sang pour breuvage. Après sa glorieuse Résurrection, au moment de monter
à la droite de son Père, ses Apôtres étant réunis autour de lui , il constitua son Eglise comme une
immense bergerie, et il dit à Pierre : Pais mes brebis , pais mes agneaux.
Par ce moyen, ô Christ, vous assuriez la perpétuité de cette Eglise ; vous établissiez dans son sein l'unité, qui seule pouvait la conserver et la défendre des ennemis du dehors et du dedans.
Gloire à vous, architecte divin, qui avez bâti sur la Pierre ferme votre édifice immortel ! "Les vents ont soufflé, les tempêtes se sont déchaînées, les flots ont battu avec rage ; mais la maison
est demeurée debout, parce qu'elle était assise sur le roc."
Rome ! en ce jour où toute l'Eglise proclame ta gloire, et se félicite d'être bâtie sur ta Pierre, reçois les nouvelles promesses de notre amour, les nouveaux serments de notre fidélité. Toujours
tu seras notre Mère et notre Maîtresse, notre guide et notre espérance. Ta foi sera à jamais la nôtre ; car quiconque n'est pas avec toi n'est pas avec Jésus-Christ. En toi tous les hommes sont
frères, et tu n'es point pour nous une cité étrangère, ni ton Pontife un souverain étranger. Nous vivons par toi de la vie du cœur et de l'intelligence ; et tu nous prépares à habiter un jour
cette autre cité dont tu es l'image, cette cité du ciel dont tu formes l'entrée.
Bénissez, ô Prince des Apôtres, les brebis confiées à votre garde ; mais souvenez-vous de celles qui sont malheureusement sorties du bercail. Loin de vous, des nations entières que vous aviez
élevées et civilisées par la main de vos successeurs, languissent, et ne sentent pas encore le malheur d'être éloignées du Pasteur. Le schisme glace et corrompt les unes ; l'hérésie dévore les
autres. Sans le Christ visible dans son Vicaire, le Christianisme devient stérile et peu à peu
s'anéantit. Les doctrines imprudentes qui tendent à amoindrir la somme des dons que le Seigneur a conférés à celui qui doit tenir sa place jusqu'au jour de l'éternité, ont trop longtemps desséché
les cœurs de ceux qui les professaient ; trop souvent elles les ont disposés à substituer le culte de César au service de Pierre.
Guérissez tous ces maux, ô Pasteur suprême ! Accélérez le retour des nations séparées ; hâtez la chute de l'hérésie du seizième siècle ; ouvrez les bras à votre fille chérie, l'Eglise
d'Angleterre : qu'elle refleurisse comme aux anciens jours. Ebranlez de plus en plus l'Allemagne et les royaumes du Nord ; que tous ces peuples sentent qu'il n'y a plus de salut pour la foi qu'à
l'ombre de votre Chaire. Renversez le colosse monstrueux du Septentrion, qui pèse à la fois sur l'Europe et sur l'Asie, et déracine partout la vraie religion de votre Maître. Rappelez l'Orient à
son antique fidélité ; qu'il revoie, après une si longue éclipse, ses Sièges Patriarcaux se relever dans l'unité de la soumission à l'unique Siège Apostolique.
Nous enfin qui, par la miséricorde divine et par l'effet de votre paternelle tendresse, sommes demeurés fidèles, conservez-nous dans la foi Romaine, dans l'obéissance à votre successeur.
Instruisez-nous des mystères qui vous ont été confiés ; révélez-nous ce que le Père céleste vous a révélé à vous-même. Montrez-nous Jésus, votre Maître ; conduisez-nous à son berceau, afin qu'à
votre exemple, et sans être scandalisés de ses abaissements, nous ayons le bonheur de lui dire comme vous : Vous êtes le Christ, le Fils du Dieu vivant !
DOM GUÉRANGER
L'Année Liturgique

Le Trône de Saint Pierre par Le
Bernin