La conférence de Carême tenue à Notre Dame par Giorgio Agamben a enfin été mise en ligne, on en trouvera le lien à la fin de l'extrait cité, juste après cette brève présentation.
Cette conférence était frappante par ses accents prophétiques, eschatologiques, et même messianiques, qui ont puissamment résonnés sous les voûtes de Notre-Dame.
L'orateur était inspiré, on pourra éventuellement l'entendre sur le site des conférences, cela en vaut la peine, le style oratoire étant à la mesure du style de la conférence, Giorgio Agamben
n'était pas venu pour faire de la figuration, même intelligente, ni pour plaire ou séduire, mais pour exprimer la profondeur d'une pensée habitée par les fins dernières : "de même vivre les
choses dernières c’est avant tout vivre autrement les choses avant-dernières. L’eschatologie véritable n’est peut-être qu’une transformation de l’expérience des choses avant-dernières".
Enfin Agamben posera ces deux questions essentielles :
- " Qu’en est-il de cette expérience du temps du Messie dans l’Eglise aujourd’hui ? Telle est la question que je suis venu poser ici et maintenant à l’Eglise de Dieu en séjour à
Paris."
- " Voila pourquoi la question que je suis venu poser ici, sans avoir bien sûr pour le faire aucune autorité si ce n’est une habitude obstinée à lire les signes du temps, se résume en
celle-ci : l’Eglise se décidera-t-elle à saisir sa chance historique et à renouer avec sa vocation messianique ? Car le risque est qu’elle soit elle-même entraînée dans la ruine qui menace tous
les gouvernements et toutes les institutions de la terre".
extrait de la conférence :
Le séjour de l’Eglise sur la terre peut durer - et il a de fait duré - des siècles et des millénaires, sans que cela change en rien la nature particulière de son
expérience messianique du temps.
Je tiens à souligner cela, contre une opinion que l’on trouve souvent repetée par les théologiens, au sujet du pretendu “retard de la Parousie”. Selon cette opinion, qui m’a toujours paru presque
un blasphème, quand la communauté chrétienne des origines, qui attendait le retour du Messie et la fin des temps comme imminentes, s’est rendue compte qu’il y avait là un retard dont on ne voyait
pas le terme, elle aurait alors changé son orientation pour se donner une organisation institutionnelle et juridique stable. C’est-à-dire qu’elle a cessé de paroikein, de séjourner en
étrangère et s’est disposée à katoikein, à habiter en citoyenne comme toutes les autres institutions de ce monde.
Si cela était vrai, cela impliquerait que l’Eglise aurait perdu l’expérience du temps messianique qui lui est consubstantielle. Le temps du messie, nous le verrons, n’est pas une durée
chronologique, mais, avant tout, une transformation qualitative du temps vécu. Et, dans ce temps, quelque chose comme un retard chronologique - comme on dit d’un train qu’il est en retard - n’est
même pas concevable. Tout comme l’expérience du temps messianique est telle qu’il est impossible de l’habiter à demeure, de même quelque chose comme un retard ne saurait s’y produire.
C’est ce que Paul rappelle aux Thessaloniciens (I,5,1-2) : “quant aux temps et aux moments, de cela il ne faut pas que je vous écrive. Le jour du Seigneur vient comme un voleur, la nuit.” “Vient
(erchetai)” est au présent, tout comme le Messie est appelé dans les evangiles ho erchomenos , celui qui vient, qui ne cesse de venir.
Un philosophe du vingtième siècle, qui avait entendu la leçon de Paul, le repète à sa façon : “chaque jour, chaque instant est la petite porte par laquelle le Messie entre”.
Conférence de Giorgio Agamben
photo : philosophyreview