La première semaine a été donnée tout entière aux joies du retour de notre Emmanuel. Il nous est apparu pour ainsi dire à chaque heure, afin de nous rendre certains de sa résurrection. "Voyez, touchez ; c'est bien moi", nous a-t-il dit ; mais nous savons qu'il ne doit pas prolonger au delà de quarante jours sa présence visible au milieu de nous. Cette heureuse période avance peu à peu dans son cours ; les heures s'écoulent, et bientôt il aura disparu à nos regards, Celui vers lequel la terre a tant soupiré. "Ô vous, l'attente d'Israël et son Sauveur, s'écrie le Prophète, pourquoi vous montrez-vous ici-bas comme un voyageur a qui est refusé de faire séjour ? pourquoi votre course est-elle semblable à celle de l'homme qui ne s'arrête jamais ?" Mais les moments sont d'autant plus chers. Pressons-nous autour de lui durant ces heures rapides ; suivons-le du regard, lorsque nous n'entendons plus sa voix ; mais recueillons surtout ses paroles, quand elles arrivent jusqu'à nous ; elles sont le testament de notre divin Chef.
Durant ces quarante jours, il ne cesse d'apparaître à ses disciples, non plus dans le but de rendre certaine à leurs yeux sa résurrection, dont ils ne peuvent plus douter ; mais, comme nous l'apprend saint Luc, pour "les entretenir du Royaume de Dieu". Par son sang et par sa victoire les hommes sont désormais rachetés, le ciel et la terre sont pacifiés ; ce qui reste à consommer maintenant, c'est l'organisation de l'Eglise. L'Eglise est le royaume de Dieu ; car c'est en elle et par elle que Dieu va régner sur la terre. L'Eglise est l'Epouse du divin ressuscité qui l'a tirée de la poussière ; il est temps qu'il la dote, qu'il la pare pour le grand jour où l'Esprit-Saint descendant sur elle doit la proclamer, à la face de toutes les nations, Epouse du Verbe incarné et Mère des élus.
Trois choses sont nécessaires à la sainte Eglise pour l'exercice de sa mission : une constitution dressée de la main même du Fils de Dieu, et par laquelle elle va devenir une société visible et permanente ; le dépôt fait entre ses mains de toutes les vérités que son céleste Epoux est venu révéler ou confirmer ici-bas, ce qui renferme le droit d'enseigner, et d'enseigner avec infaillibilité ; enfin les moyens efficaces par lesquels les fidèles du Christ seront mis en participation des grâces de salut et de sanctification qui sont le fruit du Sacrifice offert sur la croix. Hiérarchie, doctrine, sacrements : tels sont les graves objets sur lesquels Jésus donne à ses disciples, durant quarante jours, ses dernières et solennelles instructions.
Avant de le suivre dans ce sublime travail par lequel il dispose et perfectionne son œuvre immortelle, considérons-le encore, toute cette semaine, dans son attitude de Fils de Dieu ressuscité, habitant parmi les hommes, et présentant à leur admiration et à leur amour tant de traits qu'il nous importe de recueillir. Nous l'avons contemplé dans les langes et sur la croix ; qu'il nous soit permis maintenant de le considérer dans sa gloire.
Il est devant nous, "le plus beau des enfants des hommes !" Mais si déjà il méritait d'être appelé ainsi dès le temps où il voilait l'éclat de ses traits sous l'infirmité d'une chair mortelle, quelle n'est pas la splendeur de sa beauté aujourd'hui qu'il a vaincu la mort, et qu'il ne comprime plus comme autrefois les rayons de sa gloire ! Le voilà fixé pour l'éternité a l'âge de sa victoire, à cet âge où l'homme a pris tout son accroissement en force et en beauté, où rien n'annonce encore en lui la future décadence C'est à ce même âge qu'Adam, formé sur le type du Médiateur à venir, sortit des mains de Dieu, comme le chef-d'œuvre de la création terrestre ; c'est aussi à cet âge que les justes reprendront leurs corps à la résurrection générale, et qu'ils entreront pour jamais dans la gloire, étant fixés, comme dit l'Apôtre, "à la mesure de l'âge complet du Christ".
Mais ce n'est pas seulement par l'ineffable harmonie de ses traits que le corps de notre divin ressuscité ravit les regards des heureux mortels auxquels il se laisse contempler ; des perfections que l'œil des trois Apôtres avait à peine entrevues un instant sur le Thabor, éclatent en lui, accrues de toute la magnificence de son triomphe. Dans la glorieuse transfiguration, l'humanité unie au Verbe divin resplendissait comme le soleil ; maintenant tout l'éclat de la victoire et de la royauté est venu s'unir à celui que projetait sur le corps non encore glorifié du Rédempteur la personne divine à laquelle l'incarnation l'a uni. Aujourd'hui, les astres du firmament ne sont plus dignes d'être mis en comparaison avec la splendeur de ce divin soleil, dont saint Jean nous dit qu'il éclaire à lui seul toute l'immensité de la Jérusalem céleste.
A ce don que l'Apôtre des Gentils désigne sous le nom de clarté, se joint celui de l’impassibilité, par laquelle le corps de notre divin ressuscité a cessé d'être accessible à la souffrance et à la mort. La vie l'a pris pour siège ; l'immortalité éclate dans tous ses traits ; il est entré dans les conditions de l'éternité. Ce corps demeure matière, mais aucune diminution, aucun affaiblissement ne sauraient avoir prise sur lui ; on sent qu'il est en possession de la vie, et pour jamais. La troisième qualité du corps glorieux de notre Rédempteur est l'agilité, avec laquelle il se transporte d'un lieu dans un autre sans effort et dans un instant. La chair a perdu ce poids qui, dans notre état actuel, empêche le corps de suivre les mouvements et les volontés de l'âme. De Jérusalem à la Galilée il franchit l'espace avec la rapidité de l'éclair, et l'Epouse s'écrie avec transport : "J'entends la voix de mon bien-aimé ; il vient s'élançant des montagnes, laissant derrière lui les collines".
Enfin, par une quatrième merveille, le corps de l'Emmanuel a revêtu cette qualité que l'Apôtre appelle la spiritualité ; c'est-à-dire que, sans changer cependant de nature, sa subtilité est devenue telle, qu'il pénètre tous les obstacles, avec plus d'énergie que la lumière n'en met à traverser le cristal. Nous l'avons vu, au moment où l'âme se réunissait à lui, franchir la pierre scellée du sépulcre ; maintenant, il entre dans le Cénacle dont les portes sont fermées, et paraît tout à coup aux regards de ses disciples éblouis.
Tel est notre libérateur, affranchi des conditions de la mortalité. Ne nous étonnons plus que l'Eglise, cette petite famille qui l'entoure et dont nous sommes issus, soit ravie a sa vue, qu'elle lui dise dans son admiration et son amour : "Que vous êtes beau, ô mon bien-aimé !" Répétons-le à notre tour : Oui, vous êtes beau par-dessus tout, ô Jésus ! Nos yeux si affligés du spectacle de vos douleurs, lorsque naguère vous nous apparaissiez couvert de plaies et semblable à un lépreux, ne peuvent se lasser aujourd'hui de contempler l'éclat dont vous brillez, de se délecter dans vos charmes divins. Gloire à vous dans votre triomphe ! mais aussi gloire à vous dans votre munificence envers vos rachetés ! car vous avez décrété qu'un jour nos corps, purifiés par l'humiliation du tombeau, partageront avec le vôtre les sublimes prérogatives que nous célébrons en lui.
DOM
GUÉRANGER
L'Année
Liturgique