... Paul en son jardin, Claudel en son journal : de qui nous parle-t-il ? de lui en tout cas, peut-être de nous aussi... de l'homme dans tous les cas, et
avec quelle tendre et caustique lucidité ! affligeons-nous avec le sourire...
extraits savoureux du journal de Paul Claudel :
Le mot détachement ne serait pas exact, ce serait plutôt un écartement des choses de moi, la création d'un espace vide
de plus en plus large. J'ai beaucoup de peine à trouver ma place exacte dans ce monde qui n'est plus fait pour moi. De là ce penchant à la bouffonnerie. (Janvier 1925, t. I, p.
656-657)
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Je crois qu'il n'y a pas beaucoup d'exemples d'un grand poète aussi complètement méconnu et ignoré par son temps grâce
à la haine des Académiciens et des professeurs qui n'a jamais cessé de m'accompagner. Pourquoi est-ce que je n'écris pas en vers de douze pieds ? Si je n'avais eu un autre métier le sort de Léon
Bloy et de Hello m'était réservé. La France ne chérit vraiment et ne goûte que la médiocrité. Quand je serai mort on m'élèvera des monuments et on payera des professeurs pour me commenter. Alors
les critiques feront des livres sur moi, alors que de mon vivant pas plus que les autres grands poètes qui m'ont précédé je n'ai reçu d'eux un verre d'eau. Au fond c'est bien ainsi et cela m'a
permis de faire mon œuvre sous le regard de Dieu en esprit de solitude et de chasteté. (Octobre 1929, t. I, p. 882-883)
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Le prochain. Mon manque de sympathie provient d'un manque d'intelligence. Je suis comme les enfants qui
n'aiment que les romans et sont incapables de faire l'effort nécessaire à la lecture de la poésie. Sentir, deviner ces histoires dont les visages et les démarches qui m'entourent sont les
témoignages. Comprendre leur message. Compassion et camaraderie avec tous ces compagnons de bagne. Écouter l'âme profondément ensevelie sous le visage le plus aride et le plus épais, son soupir
dans chaque parole. Se dire que chacun d'eux m'a été envoyé par Dieu, qu'il n'en est pas un à qui je ne sois capable de faire du bien. Connivence avec tout ce qui en eux est l'enfant de Dieu.
(Octobre 1926, t. I, p. 736)
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Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur. - Ne pas s'énerver, s'irriter, s'impatienter, ruminer des
choses mauvaises. Ne pas interrompre cette séance aux pieds du Christ où il nous enseigne sa douceur. Ne pas gâter le Christ intérieur. Rester dans sa présence et sa bénédiction. (Juin 1925, t.
I, p. 677)
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J'ai toujours détesté les camarades et les hommes de lettres. J'ai hérité de l'orgueil et de l'insociabilité de
mon père. (Septembre 1924, t. I, p. 644)
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L'humilité est une source non seulement de vertu, mais de bonne humeur. (Mai 1920, t. I, p. 478)
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Le commencement de tout est le sentiment parfaitement sincère, exact et positif de mon néant, et l'absence en moi de
tout mérite. Profond mystère ! ce n'est que dans ce néant que le Christ viendra à nous. (Mai 1926, t. I, p. 717)
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La véritable humilité doit être joyeuse. Il faut être content d'être humble et non pas triste. (Décembre 1920, t. I,
p. 499)
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Je m'aperçois d'un nouveau défaut qui est la tendance à ne pas me frapper, à ne pas prendre mes fautes au sérieux et à
leur trouver toujours d'excellentes excuses. (Avril-Mai 1912, t. I, p. 223)
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La vie d'un Ozanam et la mienne ! Quelle suite d'un côté, quel sérieux, quelle attention ! Et de l'autre quels
hasards, quel décousu, quel débraillé, quel gaspillage, quelle négligence de mes devoirs, quel oubli des pauvres ! Je suis comme une marionnette sans cesse en lutte contre les fils qui d'en haut
la maintiennent, d'où continuellement ces chutes et ces gesticulations grotesques. (Mai-Juin 1913, t. I, p. 254)
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En faisant mon examen de conscience, je vois que tous mes péchés, et spécialement ma chute de 1900, ont eu sans doute
pour cause ma dureté de cœur envers le prochain, et cet esprit détestable de querelle et d'animosité. Passé en revue avec consternation tous les gens à qui j'ai fait tort, en me faisant illusion
à moi-même. Encore maintenant combien je suis prompt à m'irriter et à essayer de faire mal ! Miserere mei, Deus, de moi qui ai si peu d'indulgence et de pitié, et ne me jugez pas à la même
mesure. Ai-je vraiment vécu en chrétien depuis ma conversion ? Si tous mes actes et mes pensées étaient inscrits, en quoi cette vie d'un chrétien diffère-t-elle de celle d'un homme qui ne l'est
pas ? Quelle faiblesse ! quelle complaisance au mal ! quelles rechutes continuelles ! C'est si triste que c'est amèrement comique. (Novembre 1912, t. I, p. 240-241)
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Lenteur d'intelligence chez moi et manque de bon sens provient de mon subjectivisme excessif, de sorte qu'au lieu de
regarder la chose dont on me parle, je cherche aussitôt en moi-même, ce qui déclenche parfois des séries absurdes. (Novembre 1908, t. I, p. 74)
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En vieillissant on perd pas mal de ses défauts, ils ne nous servent plus à rien. (Juillet 1951, t. II, p. 777)
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Je sais que je ne
suis rien que riennerie. (Août 1935, t. II, p. 104)
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J'étais vide et vous m'avez rempli. J'étais obscur et vous m'avez illuminé. J'étais désert et vous m'avez peuplé. J'étais fermé et vous m'avez ouvert. J'étais épars et vous m'avez unifié. J'étais
malade et vous m'avez guéri. J'étais sale et vous m'avez nettoyé. J'étais mort et vous m'avez ressuscité. (Septembre 1935, t. II, p. 108)
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source photo : Consulat général de
France à Hong Kong et Macao
source textes disponibles en ligne : Société Paul Claudel