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"Je vous donne un commandement nouveau : c'est de vous aimer les uns les autres.

 

Comme je vous ai aimés, vous aussi aimez-vous les uns les autres.

 

Ce qui montrera à tous les hommes que vous êtes mes disciples, c'est l'amour que vous aurez les uns pour les autres."

 

Evangile de Jésus-Christ selon  saint Jean 

   

 

Pentecôte

" Le Défenseur, l'Esprit Saint que le Père enverra en mon nom, lui, vous enseignera tout, et il vous fera souvenir de tout ce que je vous ai dit."

 

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean  

 

   

 

 El Papa es argentino. Jorge Bergoglio                 

Saint Père François

 

 

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1er mai 2011 Béatification de Jean-Paul II

Béatification du Serviteur de Dieu Jean-Paul II

 

 

  Béatification du Père Popieluszko

beatification Mass, in Warsaw, Poland

à Varsovie, 6 juin 2010, Dimanche du Corps et du Sang du Christ

 

 

presidential palace in Warsaw

Varsovie 2010

 

 

Basilique du Sacré-Cœur de Montmartre
Sanctuaire de l'Adoration Eucharistique et de la Miséricorde Divine

La miséricorde de Dieu est comme un torrent débordé. Elle entraîne les cœurs sur son passage.
(Saint Curé d'Ars)
 

 


Le côté du Christ a été transpercé et tout le mystère de Dieu sort de là. C’est tout le mystère de Dieu qui aime, qui se livre jusqu’au bout, qui se donne jusqu’au bout. C’est le don le plus absolu qui soit. Le don du mystère trinitaire est le cœur ouvert. Ce n’est pas une image, c’est une réalité. C’est la réalité la plus profonde qui soit, la réalité de l’amour.
Père Marie-Joseph Le Guillou




Dans le cœur transpercé
de Jésus sont unis
le Royaume du Ciel
et la terre d'ici-bas
la source de la vie
pour nous se trouve là.

Ce cœur est cœur divin
Cœur de la Trinité
centre de convergence
de tous les cœur humains
il nous donne la vie
de la Divinité.


Sainte Thérèse Bénédicte de la Croix
(Edith Stein)



Le Sacré-Cœur représente toutes les puissances d'aimer, divines et humaines, qui sont en Notre-Seigneur.
Père Marie-Eugène de l'Enfant Jésus

 



feuille d'annonces de la Basilique du Sacré-Coeur de Montmartre

 

 

 

 

 

 

 

     

The Cambrai Madonna

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Ordinations du samedi 27 juin 2009 à Notre Dame de Paris


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... ma vocation, enfin je l’ai trouvée, ma vocation, c’est l’Amour !

 

 

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SALVE REGINA

13 janvier 2011 4 13 /01 /janvier /2011 20:00

Cletus fut enseveli dans la crypte Vaticane, près du corps de saint Pierre. En lui finirent les trois évêques qui avaient partagé l'honneur d'avoir été les vicaires du prince des apôtres, et dont les noms sont restés inséparables.

 

 Le successeur de Cletus fut Anaclet, que les catalogues rédigés hors de Rome confondent avec son prédécesseur. L'église romaine les a toujours distingués. Le catalogue de Libère qui, dans sa première partie, nous donne les traditions romaines précisées au troisième siècle, désigne par des consulats différents le commencement et la fin du pontificat de l'un et de l'autre. Les peintures de la basilique de Saint-Paul, accompagnées d'inscriptions et se rapportant à l'époque de saint Léon, les distinguent pareillement. La chronique de Félix IV et le Liber pontificalis consacrent à chacun une notice séparée. Enfin les martyrologes assignent le 26 avril à saint Cletus et le 13 juillet à saint Anaclet. L'église de Rome a donc constamment reconnu Cletus et Anaclet pour deux de ses évêques, et non pour un seul. Dans cette question, très secondaire d'ailleurs, les fastes locaux et officiels d'une église ont naturellement plus de valeur que le témoignage des étrangers, qui ont pu aisément prendre le change à raison de la similitude des noms.

 

 Anaclet était  né  à  Athènes,  et son père se nommait Antiochus. On ignore quelles circonstances l'amenèrent à Rome ; mais il y fut distingué par saint Pierre qui l'ordonna prêtre. Ce fait, rapporté par le Liber pontificalis, nous montre dans Anaclet le dernier des papes qui ait été sanctifié par l'imposition des mains du prince des apôtres.  Son pontificat, qui se termina au milieu de la tourmente d'une persécution, avait commencé  sous  des auspices  plus tranquilles ; mais quelque chose faisait craindre que Domitien, déjà trop porté à reprendre les errements de  Néron, n'en  vînt  un jour jusqu'à vouloir imiter sa fureur contre les chrétiens.

 

 Ce fut dans les premiers jours de l'épiscopat d'Anaclet que la chrétienté de Rome vit disparaître la noble femme que le monde appelait Pomponia Graecina, et que les fidèles nommaient Lucine. Les quarante années de son deuil, que Tacite a comptées, finissent vers l'an 83, et Lucine, après tant de saintes œuvres, avait droit au repos et aux joies de l'éternité. Elle laissait le christianisme en héritage à plus d'un patricien de Rome, ainsi qu'à la famille nouvelle des Flavii, et son nom demeurait attaché pour toujours à son cimetière de la voie Appienne.

 

 Nous avons mentionné dans notre récit les deux cryptes que cette illustre chrétienne avait déjà créées dans ses praedia : l'une sur la voie d'Ostie, pour y recueillir le corps de saint Paul, et l'autre sur la voie Aurélia, où elle ensevelit les martyrs Processus et Martinien. Lucine, dans ses dernières années, en ouvrit une nouvelle, après le premier mille sur la droite de la voie Appienne. Cette voie était, comme l'on sait, bordée de tombeaux à droite et à gauche jusqu'à Albe, et, grâce aux déblayements exécutés par la munificence de Pie IX, on en peut suivre encore aujourd'hui l'importante série. Derrière la ligne des tombeaux s'étendaient des terrains occupés par des villae appartenant d'ordinaire à la famille dont les monuments funéraires bordaient la voie. Lorsque les propriétaires du sol étaient chrétiens, il leur était facile d'entreprendre un autre mode de sépultures, en créant, sous le sol même, des hypogées destinés aux membres de la famille qui professaient la même foi.

 

 Le rapprochement des inscriptions tumulaires provenant des tombeaux qui bordaient la voie avec celles que l'on découvre à l'intérieur des cryptes chrétiennes qui s'étendent sous le même terrain, peut amener à constater qu'une même famille a occupé l'area extérieure et l'area souterraine. C'est grâce à une confrontation de ce genre que M. de Rossi a pu produire un nouvel argument en faveur de l'identité de Pomponia Graecina avec la pieuse et célèbre Lucine. D'un côté, les marbres païens des Pomponii ont été reconnus comme ayant eu leur place sur la voie ; d'autre part, les inscriptions des Pomponii chrétiens, parmi lesquels un Pomponius Grascinus, ont apparu dans l'intérieur du cimetière de Caliste qui, dans l'origine, n'était qu'une annexe de celui de Lucine.  La disposition  architectonique et les peintures classiques de ce dernier offrent d'ailleurs le caractère du premier siècle, tel qu'on peut le déterminer d'après les monuments de Pompéi. Tous ces motifs réunis donnaient le droit d'attribuer ces terrains funéraires aux Pomponii, unis d'ailleurs aux Caecilii. En même temps, il était constant que ce premier cimetière de la voie Appienne avait été dès l'origine désigné par le nom de Lucine ; la conclusion à tirer était que la matrone qui, dans la société romaine, se nommait Pomponia Graecina, n'était pas autre que la chrétienne connue des fidèles sous le nom béni de Lucine. Ainsi s'est résolu de lui-même ce problème qui, ayant pour point de départ le texte si précieux de Tacite, arrivait à sa solution,  à l'aide d'un monument contemporain que le temps, malgré ses ravages, a encore respecté jusqu'à nos jours.

 

 L'alliance des Pomponii avec les Caecilii vient encore ajouter une nouvelle démonstration à la thèse. La crypte de Lucine contient, ainsi que nous le verrons, de nombreuses inscriptions chrétiennes des Caecilii. Cette réunion avec les Pomponii, sous les auspices du nom de Lucine, dans ces souterrains, confirme avec une nouvelle précision tout ce que nous avons dit jusqu'ici du christianisme dans ces deux familles. Nous ajouterons, d'après Cicéron ( Tusc., I, sect. VII), que les Metelli avaient leurs tombeaux sur la voie Àppienne, à la distance de Rome où s'ouvre la crypte de Lucine, et qu'on a découvert en ce siècle même, dans la vigne Amendola, sur le sol extérieur de ce cimetière, un colombaire des affranchis de la gens Caecilia.

 

 Nous avons attendu jusqu'ici à parler de la nouvelle catacombe qui fut ouverte sur la voie Ardéatine, et est connue sous le nom de cimetière de Domitilla. Sa première origine paraît avoir été une propriété possédée par une des Flavia Domitilla sur le sol dans lequel elle est creusée. Tout porte à penser que ce dût être la propre fille de Vespasien, mère de Flavia Domitilla, qui fut chrétienne et femme du consul Flavius Clemens.  Un cippe découvert sur les terrains appelés aujourd'hui de Tor Morancia, près de la voie Ardéatine, est venu attester l'existence en ce lieu du praedium d'une Flavia Domitilla. On y lit cette inscription :

 

SCR. CORNELIO

IVLIANO. FRAT

PHSSIMO. ET

CALVISIAE. EIVS

P. CALVISIVS

PHILOTAS. ET.  SIBI

EX INDVLGENTIA

 

FLAVIAE DOMITILL

IN FR. P. XXXV

IN AGR. P. XXXX

 

Ainsi, Flavia Domitilla a bien voulu concéder sur son praedium à un Calvisius Philotas, pour y ensevelir les siens, une area de trente-cinq pieds de face et de quarante de profondeur. Un second marbre publié par Gruter nous révèle un autre don de terrain pour sépulture, fait par la fille de Flavia Domitilla en faveur de Glycera son affranchie. Sur l'inscription, cette Flavia Domitilla est qualifiée de petite-fille de Vespasien.

 

Un troisième marbre, recueilli au dix-huitième siècle dans une vigne attenante à Tor Marancia, attestait pareillement le don d'un terrain funéraire fait à un particulier par la même Flavia Domitilla, toujours qualifiée de petite-fille de Vespasien.

 

C'est donc un fait certain que, dès le règne de Vespasien, il existait sur la voie Ardéatine un terrain affecté à des sépultures, et ayant appartenu successivement aux deux illustres matrones, Flavia Domitilla, fille de Vespasien, et Flavia Domitilla, petite-fille de cet empereur. Or le cimetière chrétien qui porte le nom de Domitilla est situé sous ce même sol ; on est donc en droit de conclure qu'il doit son origine à l'une de ces deux princesses. Le christianisme de la première n'est pas démontré ; mais celui de la seconde est un fait historique incontestable. A quelle époque aura-t-on creusé l'hypogée de famille qui donna naissance au vaste cimetière de la voie Ardéatine ? L'année peut être douteuse, mais il est incontestable qu'un des deux Domitille avait ouvert de bonne heure en ce lieu une ou plusieurs salles funéraires, puisque c'est là que fut déposé le corps de la vierge Petronilla, disciple de saint Pierre, et qui mourut dans sa première jeunesse.

 

Nous serions encore aujourd'hui réduits à ces données, évidentes d'ailleurs, sur l'origine du grand cimetière de la voie Ardéatine, si des recherches, opérées aux frais de M. le comte Desbassayns de Richemont, ne nous avaient pas révélé tout à coup l'entrée imposante de l'hypogée des Flavii chrétiens. A la suite de fouilles intelligentes, on vit apparaître, en 1865, la façade solennelle d'un vestibule s'adossant à la colline, comme celui du tombeau des Nasons sur la voie Flaminia. Cette façade, construite correctement en briques, était ornée d'une corniche en terre cuite. Au-dessus de la porte, on reconnaissait encore la place de l'inscription. A droite et à gauche s'étendaient deux édifices attenants, quoique construits un peu plus tard. Celui de gauche est composé de petites chambres étroites revêtues d'un stuc rouge, sur lequel sont peints des oiseaux, à la manière de certaines fresques de Pompéi. On remarque là un puits, un réservoir d'eau, la vasque d'une fontaine et des bancs de pierre. L'édifice placé à droite offre une vaste salle, autour de laquelle règne un banc. Ce fut évidemment un triclinium, dans lequel les chrétiens se réunissaient pour leurs agapes.

Entrant maintenant par la porte qui ouvre sur le vestibule de l'hypogée, on descend quelques marches, auxquelles succède une pente douce, et l'on se trouve dans un vaste ambulacre, sur les parois duquel, à droite et à gauche, sont pratiquées des niches où furent établis de nombreux sarcophages dont les débris jonchent encore le sol. A partir du vestibule, la voûte est décorée dans toute sa longueur d'une fresque du goût le plus pur, représentant des branches de vigne au milieu desquelles se jouent des oiseaux et des génies. Ces rinceaux descendent le long des murailles, et sont interrompus par des paysages qui rappellent ceux de Pompéi. L'ambulacre, qui fut réservé au commencement pour un petit nombre de tombeaux, selon les intentions de Domitilla, se ramifie peu à peu, mais toujours dans de vastes proportions, pour recevoir un supplément de sépultures. Plus loin, il est mis en communication avec la vaste catacombe Ardéatine, dont le centre est le tombeau des saints Nérée et Achillée.

 

L'état de délabrement dans lequel a apparu le large corridor qui fut d'abord à lui seul tout le cimetière de Domitille,  ne permet plus de recueillir aujourd'hui autrement que par fragments les peintures des sujets chrétiens dont il abondait autrefois. On reconnaît encore cependant les débris d'une fresque classique représentant Daniel dans la fosse aux lions. Dans un cubiculum, trois peintures répètent le mythe de Psyché. Ailleurs on voit l'image d'un homme occupé à la pêche ; plus loin, une brebis paissant au pied d'un arbre. Au fond de l'ambulacre, deux personnages sont assis près d'une table élégante sur laquelle sont servis trois pains et un poisson. Un troisième personnage se tient debout près d'eux. Le dessin des figures, le style de l'ameublement, reportent aux fresques antiques les plus parfaites.

 

Tel fut le début du magnifique cimetière connu non seulement sous le nom de Domitille, mais sous ceux de Pétronilla et encore de Nérée et Achillée. Ce dernier nom se rapporte davantage au magnifique labyrinthe qui prend son point de départ à l'ambulacre de Domitille et s'étend sous les terrains de Tor Marancia, ayant eu pour centre historique le tombeau des deux martyrs. La beauté et l'importance des peintures que l'on remarque dans ses cubicula en font l'un des plus précieux monuments du christianisme dans Rome souterraine.

 

Nous aurons recours souvent aux précieux et primitifs sujets dont il est rempli, et dont le goût classique reporte les connaisseurs aux premières années du deuxième siècle.

 

 

DOM GUÉRANGER

SAINTE CÉCILE ET LA SOCIÉTÉ ROMAINE AUX DEUX PREMIERS SIÈCLES (pages 220 à 228) 

 

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SAINTE CÉCILE - Santa Cecilia in Trastevere, Rome

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12 janvier 2011 3 12 /01 /janvier /2011 20:00

La persécution de Domitien  n'était pas éloignée ; peut-être ce terrible symbole la désignait-il déjà ; à moins que l'on ne doive voir ici l'ensemble de toutes les persécutions qui s'étendirent de Néron à Dioclétien, et qui furent l'épreuve décisive de l'origine divine de l'Eglise.

 

 Clément était prédestiné à la gloire des martyrs, mais il devait attendre longtemps encore sa couronne. Vespasien laissa l'Eglise jouir de la paix durant tout son règne ; comme dit Eusèbe, "il n'eut pas même la pensée de nous nuire". (Hist. eccles., lib. III, cap. XVII.) Nous lisons néanmoins dans le Liber pontificalis que "Clément avait fait plusieurs écrits par zèle pour la foi chrétienne, et que ces écrits attirèrent sur lui une persécution qui aboutit au martyre". Il est certain que, sur la fin de son règne, Vespasien devint ombrageux à l'égard des philosophes. Ces hommes aux doctrines indépendantes constituaient une sorte d'opposition dans l'Etat, et cette opposition était plus gênante sous le régime d'un homme nouveau qui était venu occuper la place des Césars, profitant de la lassitude que les Césars avaient inspirée, pour fonder une nouvelle dynastie. Les philosophes discouraient volontiers sur le gouvernement, et Vespasien, qui ne voulait pas être sanguinaire, n'était pas non plus sans savoir que les stoïciens affectaient de ne pas craindre la mort. Une répression tempérée lui sembla nécessaire. Il était d'ailleurs sous l'influence de Titus, qui trouvait avantageux de couvrir du nom de son père les actes de rigueur qu'il jugeait utiles à sa politique, se réservant de devenir "les délices du genre humain", quand une fois il serait assis sur le trône impérial.

 

 On vit donc, sur les dernières années de Vespasien, partir pour l'exil, sous la prévention de regretter la république, Helvidius Priscus, Hostilius et Démétrius le Cynique. D'autres encore furent inquiétés, et plusieurs même mis à mort. Bientôt une sentence capitale, extorquée à Vespasien, vint atteindre Helvidius dans son exil. C'est au milieu de cette réaction impériale qu'eurent lieu l'exil de Clément et la fin de son pontificat qui ne dépassa pas l'année 76. Comment se fit-il qu'un prince résolu à n'inquiéter personne pour ce qui tenait aux questions purement religieuses, en vint à sévir contre le chef des chrétiens ? Comment le successeur de Pierre, oubliant les enseignements si formels de l'apôtre,  se serait-il immiscé dans la querelle politique, au point d'avoir partagé le sort des ennemis de Vespasien ?

 

 Pour la solution de ces questions, il est nécessaire de se souvenir qu'il s'était produit, autour du nouveau maître du monde, des faits capables d'éveiller la sollicitude pastorale de Clément et de l'obliger à élever la voix, afin d'écarter le scandale qui menaçait son troupeau. Nous avons constaté plus haut l'affectation avec laquelle les membres de la tribu Succusane avaient acclamé la Paix éternelle à l'avènement du nouvel empereur, et comment plusieurs chrétiens de cette tribu, notamment Cornélius Pudentianus, prévoyant que, sous ce nom, Rome allait s'enrichir d'une nouvelle divinité, avaient préféré offrir leur hommage à Vespasien, en substituant l'Hilarilas publica à la Pax aeterna. La nouvelle divinité inaugurée par les Flaviens prit en effet son rang parmi celles de Rome, et le temple de la Paix fut dédié solennellement en l'année 76.

 

Vespasien avait séjourné dans la Palestine, il était allé consulter les mystérieux oracles du mont Carmel, et sa vanité de vieux soldat un peu crédule avait été flattée des compliments que des gens intéressés, abusant de certains passages des prophéties de l'Ancien Testament, lui offraient comme à celui qu'on y désignait sous le nom de Prince de la Paix. Les juifs ne firent pas défaut dans cette occasion. Leur haine pour les chrétiens s'accommodait d'un procédé qui éloignait de Jésus de Nazareth un titre glorieux, pour le reporter à César. Dans son Histoire de la guerre des Juifs, livre hautement estimé de Titus, Josèphe ouvrait la voie à cette profanation des Ecritures sacrées, en les appliquant sans pudeur à Vespasien. (Lib. VII, cap. XII.) Beaucoup de païens dans Rome, chez lesquels, depuis longtemps, l'attente vague d'un prince et d'un empire fondé sur la paix était répandue,  comme on peut le voir dans Cicéron et dans Virgile, se laissaient volontiers persuader que le jour de ce monarque bienfaisant avait lui enfin. Le temple fut inauguré ayant à son fronton cette inscription solennelle : PACI AETERNAE. Parmi les médailles des sixième et septième consulats de Vespasien, plusieurs la reproduisent, et d'autres y font allusion.

 

 On n'a donc pas droit de s'étonner que Clément n'ait pu souffrir, sans protester, cette dérogation à la gloire du Fils de Dieu au profit de César ; qu'il ait parlé, qu'il ait même écrit pour venger l'honneur du Christ de l'indigne trahison de la Synagogue et des prétentions de la vanité impériale. Sans vouloir fronder le pouvoir de César, il a dû enseigner résolument que les prophéties regardaient un tout autre personnage que Vespasien, et les délations l'auront atteint auprès de Mucianus, l'un des agents autrefois de la tyrannie de Néron, maintenant chargé de la police de Rome, en ce qui concernait les proscriptions. Tel est le sentiment de Bianchini, auquel nous adhérons pleinement. Clément se vit donc à son tour frappé d'une sentence d'exil, Vespasien étant consul pour la septième fois, et Titus pour la cinquième ; ce qui donne l'an 76. C'était jusque dans la Chersonèse, sur le Pont-Euxin, qu'on le reléguait, et il ne devait plus revoir Rome. Le pieux pontife dont l'humilité avait décliné tout d'abord la succession de Pierre, et qui avait recommandé au clergé de Corinthe de ne pas tant s'attacher aux dignités de l'Eglise, joignit l'exemple au précepte, en abdiquant lui-même les honneurs du premier siège. Il avait occupé environ huit années la chaire de saint Pierre. Le Liber pontificalis dit qu'après Clément le siège apostolique vaqua vingt-deux jours ; preuve évidente de l'abdication du pontife, puisqu'il ne souffrit le martyre que vingt-cinq ans après, la chaire de saint Pierre étant occupée par Evariste.

 

Fidèle au plan que nous nous sommes imposé dans ces récits, de nous borner à la chronique locale de l'église romaine, nous ne suivrons pas Clément dans son exil en Chersonèse. Les Actes qui en détaillent les circonstances remontent à la plus haute antiquité ; mais nous n'avons pas à les discuter ici. Ils racontent que Clément trouva dans cette presqu'île un nombre considérable de chrétiens déportés avant lui, et employés à l'exploitation des carrières de marbre qui étaient riches et abondantes en Chersonèse. La déportation de ces chrétiens se rapportait sans aucun doute à la persécution de Néron, et la peine dont ils avaient été frappés était celle que la loi romaine appelait Ad metalla : terme par lequel on entendait les carrières aussi bien que les mines de métaux. La joie des chrétiens à la vue de Clément s'explique d'elle-même ; son zèle à propager la foi dans cette lointaine contrée et les succès de son apostolat n'ont rien qui doivent surprendre. Le miracle d'une fontaine jaillissant de la roche à la parole de Clément, pour désaltérer les confesseurs, est un fait analogue à cent autres que l'on rencontre dans les Actes les plus authentiques des saints. Enfin l'apparition d'un agneau mystérieux sur la montagne, où il marque de son pied le lieu d'où l'eau va jaillir, reporte la pensée vers les premières mosaïques chrétiennes sur lesquelles on voit encore le symbole de l'agneau debout sur un monticule verdoyant.

 

La mémoire de Clément se présente entourée d'une auréole particulière dans les origines de l'église de Rome.  A ce moment où les apôtres ont disparu, il semble éclipser Linus et Cletus, qui cependant avaient reçu avant lui l'honneur de l'épiscopat. On passe comme naturellement de Pierre à Clément, et les églises orientales ne célèbrent pas son souvenir avec moins d'honneur que l'église latine. Il fut bien véritablement le pontife universel, et l'on sent déjà que l'Eglise tout entière est attentive à ses actes comme à ses écrits. Cette haute réputation lui a fait attribuer tout un cycle d'écrits apocryphes, qu'il est aisé de démêler de ses écrits véritables ; mais il est à noter que les faussaires qui ont jugé à propos de lui prêter leurs propres oeuvres, ou de bâtir des romans à son sujet, s'accordent à le faire naître de race impériale.

 

Le successeur de Clément sur la chaire romaine fut Cletus. Dans le cours d'un pontificat de six années, il vit mourir Vespasien, Titus occuper deux ans le trône impérial et s'ouvrir le règne néfaste de Domitien. Durant cette période, Rome reçut d'importants embellissements. Le capitole fut réédifié après un incendie, les thermes de Titus furent construits ; le colosse de Néron fut consacré au Soleil, moyennant une nouvelle tête entourée de rayons d'or mise à la place de celle du tyran. Mais un monument qui intéresse à la fois Rome et l'Eglise chrétienne, est l'amphithéâtre de Vespasien, ce formidable et sublime colosse qui fut dédié par Titus. Dans les jeux qui signalèrent son inauguration, il périt dix mille hommes et cinq cents bêtes féroces. L'arène de cet amphithéâtre, ainsi que nous l'avons dit, fut celle où se livra la bataille entre le paganisme et le christianisme. Les ruines imposantes d'un tel monument sont encore aujourd'hui la plus complète et la plus grandiose manifestation de la Rome impériale.

 

Cletus songea à élever à vingt-cinq le nombre des prêtres employés dans le ministère sacré ; c'est la première origine des prêtres cardinaux de ce clergé romain que nous voyons, au temps de saint Cyprien, chargé du gouvernement de l'Eglise universelle durant la vacance du Siège apostolique, communiquant avec les évêques, et portant des règlements pour le maintien de la discipline générale. Il ne nous reste pas d'autres renseignements sur les actes du gouvernement de Cletus.

 

Il fut enseveli dans la crypte Vaticane, près du corps de saint Pierre. En lui finirent les trois évêques qui avaient partagé l'honneur d'avoir été les vicaires du prince des apôtres, et dont les noms sont restés inséparables.

 

DOM GUÉRANGER

SAINTE CÉCILE ET LA SOCIÉTÉ ROMAINE AUX DEUX PREMIERS SIÈCLES (pages 213 à 219) 

 

Cecilia

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11 janvier 2011 2 11 /01 /janvier /2011 20:00

Vespasien et Titus eurent connaissance des infractions que ces gardiennes du Palladium se permettaient à l'égard de leur premier devoir ; mais ils jugèrent que le niveau auquel étaient descendues les moeurs, ne permettait plus d'infliger à ces infidèles les pénalités antiques.

 

 Le moment devait cependant arriver bientôt où les empereurs, le sénat, Rome tout entière, allaient apprendre, en lisant la première apologie de saint Justin, les merveilles de pureté dont  l'enceinte  de Babylone  était  le  théâtre. "Parmi nous, en cette ville, leur disait l'apologiste, des hommes, des femmes, en nombre considérable,  ont atteint déjà l'âge de soixante à soixante-dix ans ; mais, élevés dès leur enfance sous la loi du Christ, ils ont persévéré jusqu'à cette heure dans l'état de virginité, et il n'est pas de pays dans lequel je n'en pourrais signaler de semblables". Àthénagore, dans son mémoire présenté à Marc-Aurèle peu d'années après, pouvait dire à son tour : "Vous trouverez parmi nous, tant chez les hommes que chez les femmes, une multitude de personnes qui ont passé leur vie jusqu'à la vieillesse dans l'état de virginité, n'ayant d'autre but que de s'unir à Dieu plus intimement."

 

 Clément fut à même d'entourer de ses soins une de ces existences angéliques. La jeune Flavia Domitilla, fille de Plautilla, avait été élue du ciel pour marcher sur les traces de Petronilla. Sa mère avait placé près d'elle, en qualité d'officiers chargés de sa personne, deux chrétiens nommés Nérée et Achillée ; l'un et l'autre avaient reçu le baptême des mains de saint Pierre. Les Actes que nous avons sur ces deux personnages disent qu'ils servaient leur jeune maîtresse en qualité d'eunuques ; mais ce document, trop mélangé de détails  apocryphes,  est réfuté sur ce point par saint Grégoire le Grand, qui, dans sa célèbre homélie pour la fête des deux martyrs, relève le courage avec lequel ils ont dédaigné les joies de ce monde et sacrifié jusqu'à l'espoir légitime d'une postérité,  afin de garder la fidélité qu'ils avaient promise à Dieu. Flavia Domitilla, qui fut de bonne heure privée de sa mère, demeura sous la garde de son oncle Flavius Clemens, qui, chrétien  lui-même, encouragea les soins que Nérée et Achillée lui prodiguaient pour en faire une fidèle disciple de l'Evangile.

 

 Cependant, elle était parvenue à l'âge nubile, qui arrivait de bonne heure pour les filles chez les Romains, et la petite-nièce de César ne pouvait manquer d'aspirants à sa main. Un parent d'Aurelius Fulvus, préfet de Rome, se mit sur les rangs ; mais la jeune fille ayant connu, dans ses entretiens avec ses deux officiers, la noblesse et le mérite de la virginité chrétienne, se dégagea des liens qui menaçaient sa liberté, et n'eut plus d'attrait que pour l'Epoux céleste. La tradition de l'église romaine est que Clément la consacra solennellement à Dieu, et lui donna le voile de virginité. Flavia Domitilla pouvait avoir quatorze ans. L'usage de consacrer les vierges, en imposant  le voile sur  leur tête, existait déjà au deuxième siècle, ainsi que nous le verrons, et rien n'empêche de le faire remonter au premier. La virginité consacrée au Christ était un mariage mystique ; il n'y a pas lieu de s'étonner que la liturgie chrétienne ait eu aussi dès lors son flammeum.

 

 Chaque pas que faisait l'Eglise développait au dehors ce fonds inépuisable de doctrine et d'esthétique dont l'Esprit-Saint, qui réside en elle, est la source ; et l'étude des monuments de son âge primitif nous la montre déjà si avancée dans ses rites et dans son enseignement, que, plus d'une fois, on a entendu les représentants du protestantisme en témoigner leur surprise. Ce progrès réglé, cette expansion si sûre et en même temps si aisée, ont toujours procédé dans le christianisme du principe vivifiant d'une autorité dirigée d'en haut. De là cette confiance des vrais fidèles dans l'Eglise, dépositaire de toute vérité révélée, comme de tout moyen de salut pour l'homme, sous la garantie de la promesse formelle du Christ.

 

Nous trouvons des images saisissantes de cette Eglise, appui tutélaire des fidèles, dans un opuscule qu'écrivit à Rome, sous le pontificat de Clément, un chrétien nommé Hermas, le même peut-être dont on lit le nom dans les salutations qu'envoie saint Paul à la fin de son Epître aux Romains. Cette composition forme la première partie d'un ensemble connu sous le titre de Livre du Pasteur, que l'on trouve déjà cité par saint Irénée,  Clément d'Alexandrie, Tertullien et Origène, et que quelques-uns auraient même voulu placer parmi les saintes Ecritures. Cette première partie, qui est intitulée Visions, est incontestablement du premier siècle, et elle porte d'ailleurs en elle-même sa date, comme nous le verrons tout à l'heure. Les deux autres, qui ont pour titre Préceptes et Similitudes, se rapportent à une époque postérieure, et nous en rencontrerons l'auteur  au deuxième siècle. De bonne heure, les trois opuscules furent fondus sous un même titre, lequel ne pourrait se rapporter au premier, puisqu'il n'y est pas question de Pasteur, tandis qu'un pasteur est mis en scène dès le début du second. En outre, le troisième opuscule (les Similitudes) contient, avec tous ses développements, la belle allégorie de la tour, déjà ébauchée dans le premier. Il n'est pas naturel qu'un même auteur traite deux fois et diversement le même sujet dans un même ouvrage. M. de Champagny, dans les Antonins (tome I), a très lucidement démêlé cette question, et nous ne faisons ici que développer la solution qu'il a proposée.

 

 Hermas raconte qu'il a vu une femme âgée, vêtue d'une robe éclatante et tenant dans sa main un livre. Elle était assise avec autorité dans une chaire ornée d'une tenture de laine blanche comme la neige. Hermas apprend que cette femme est l'Eglise,  et que, si elle paraît sous les traits de la vieillesse, "c'est qu'elle a été créée avant tout, et que le monde a été fait pour elle". Dieu, en effet, a conçu éternellement le plan de son Eglise, et l'a destinée à recueillir ses élus dans tous les siècles. Toujours elle a été la société des âmes qui veulent s'unir à Dieu ; mais, par le Christ, elle a reçu une forme et une organisation visibles et précises. Maintenant elle a une chaire, du haut de laquelle elle proclame ses enseignements.

 

 Hermas la vit encore sous d'autres aspects. La première fois, elle s'était montrée grave et sévère ; car elle avait des reproches à lui faire sur certains désordres qui régnaient dans sa famille, et dont sa conduite personnelle le rendait plus ou moins responsable.  Apaisée par la docilité d'Hermas, elle se fit voir à lui de nouveau, mais, cette fois, sous les traits de la jeunesse et avec un  visage  riant ; cependant, afin de  montrer qu'elle était la même,  elle  avait conservé ses cheveux blancs.  Une troisième fois,  elle apparut à son disciple ; mais les signes de la vieillesse avaient complètement disparu. Enfin, une quatrième fois,  Hermas la vit,  parée  comme une jeune épouse dans la pompe nuptiale. Toute sa mise,  jusqu'à la chaussure,  était d'une blancheur éblouissante. Elle était coiffée d'une sorte de diadème,  et ses longs cheveux flottants répandaient un éclat merveilleux. Cet ensemble plein de grâce marquait l'éternelle jeunesse de l'Eglise, qui n'a ni tache ni ride, comme dit l'Apôtre. (Ephes., V.) Elle est ancienne et ne vieillit pas ; mais, pour rendre ce double caractère, des apparitions diverses et successives avaient été nécessaires. On sent déjà se préparer ici le symbolisme des peintures murales des catacombes, sur lesquelles l'Eglise est si souvent représentée sous la forme d'une femme.

 

L'Eglise apparaît encore à Hermas sous la figure d'une tour que l'on bâtit ; mais ce bel apologue est traité de nouveau, et d'une façon bien supérieure, dans l'opuscule du deuxième siècle, dont nous aurons à parler en son temps.

 

L'institutrice d'Hermas lui ordonne de mettre par écrit ce qu'il a vu et entendu, et lui prescrit d'en faire deux copies, dont il remettra l'une à Clément, "afin qu'il l'envoie aux villes plus éloignées ; car, dit-elle, il le peut faire" ; et l'autre à Grapté, pour qu'elle la communique aux veuves et aux orphelins dont elle avait la charge. Origène pense avec raison que Grapté était une des diaconesses de l'église de Rome. Il est peut-être permis de reconnaître la trace de cette pieuse femme sur une inscription honorifique, trouvée dans un jardin de l'Esquilin et conservée dans le recueil de Muratori. Elle est ainsi conçue :

 

GRATTE C. F. DOMITILLAE
...LIAE. LENTINI. SABINI.

 

V. FORT. LEGT. ASCALON

COMVGI. SATRI. SILON

IS. V. RELIG. PROMAGIST

NEPTI. VESPASIANI. IM

 

Le nom féminin de Grapté se rencontre plusieurs fois dans Gruter : ici nous trouvons Gratte, probablement par suite d'une distraction  du graveur. Y voir, avec Muratori, l'altération du nom Gratae, est peu naturel : le graveur ne s'y serait pas trompé. En tout cas, cette femme portait le nom de Domitilla, et elle était nièce de Vespasien, dont la femme était aussi une Domitilla. Son père était un Sabinus, et son mari est qualifié de vir religiosus ; éloge rare et significatif. Rien de moins étonnant, après tout ce que nous avons vu, qu'un chrétien et une chrétienne de plus dans la famille Flavia. C'est le sentiment de Muratori et de Greppo touchant ces personnages.

 

La dernière partie du livre des Visions se rapporte à une grande persécution qui menaçait l'Eglise. Hermas a vu un immense dragon, à la gueule béante, d'où s'échappaient des sauterelles de feu. Cette bête s'avançait avec une rapidité capable de renverser les murailles d'une ville. La femme qui figurait l'Eglise dit à Hermas que ce monstre représentait la tribulation qui bientôt allait fondre sur les élus. La persécution de Domitien  n'était pas éloignée ; peut-être ce terrible symbole la désignait-il déjà ; à moins que l'on ne doive voir ici l'ensemble de toutes les persécutions qui s'étendirent de Néron à Dioclétien, et qui furent l'épreuve décisive de l'origine divine de l'Eglise.

 

DOM GUÉRANGER

SAINTE CÉCILE ET LA SOCIÉTÉ ROMAINE AUX DEUX PREMIERS SIÈCLES (pages 205 à 212) 

 

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10 janvier 2011 1 10 /01 /janvier /2011 20:00

Les successeurs de Pierre ne durent avoir rien de plus à coeur que de protéger la foi dans l'héritage qui leur avait été transmis, et l'occupation chrétienne de la Gaule avant le troisième siècle est désormais un fait incontestable.

 

 Le temps a fait disparaître, sauf un seul, les documents qui attestent l'intervention de Clément dans les affaires des églises lointaines ; mais celui qui nous est resté, montre en plein exercice la puissance monarchique de l'évêque de Rome dès cette époque primitive. L'église de Corinthe était agitée de discordes intestines, que la jalousie à l'égard de certains pasteurs avait suscitées. Ces divisions, dont on découvre le germe dès le temps de saint Paul, avaient détruit la paix et causaient du scandale aux païens eux-mêmes. L'église de Corinthe finit par sentir le besoin d'arrêter un désordre qui pouvait être préjudiciable à l'extension de la foi chrétienne, et dans ce but il lui fallait chercher du secours hors de son sein. A ce moment, tous les apôtres avaient déjà disparu de ce monde, hors saint Jean, qui éclairait encore l'Eglise de sa lumière. De Corinthe à Ephèse, où résidait l'apôtre, la distance n'était pas considérable ; néanmoins ce ne fut pas vers Ephèse, mais vers Rome que l'église de Corinthe tourna ses regards.

 

 Clément prit connaissance des débats que les lettres de cette église renvoyaient à son jugement, et fit partir pour Corinthe cinq commissaires qui devaient y  représenter l'autorité du siège apostolique.  C'étaient Claudius, Ephebus, Valerius,  Viton  et Fortunatus.  Ils étaient porteurs d'une lettre que saint Irénée appelle très puissante, potentissimas litteras. Cette lettre, que nous avons encore en son entier, déclare en tête qu'elle est écrite "au nom de l'église romaine", Clément ayant jugé que cette suscription serait plus imposante encore, rappelant ainsi l'autorité de Pierre, dont le séjour et la mort dans Rome avaient valu la principauté à cette église.  Elle fut jugée si digne et si apostolique à cette époque première,  que  longtemps  on  la  lut publiquement dans plusieurs églises,  comme une sorte de continuation des Ecritures canoniques. Le ton en est digne, mais paternel, selon le conseil que saint Pierre donne aux pasteurs. Rien n'y sent l'esprit de domination ; mais à la gravité et à la solennité du langage, on reconnaît la voix du pasteur universel,  auquel nul ne saurait désobéir sans désobéir à Dieu lui-même.

 

 Au début de la lettre, Clément s'excuse de n'avoir pas répondu plus promptement à celle qu'il a reçue de Corinthe. Il s'est trouvé en proie à des traverses qui lui ont enlevé le loisir d'écrire. Cette particularité nous reporte vers les derniers temps du pontificat de Clément, où l'on dirigea contre lui des persécutions qui aboutirent à son exil. Il est à remarquer que l'église de Corinthe, en implorant le secours de celle de Rome contre le schisme qui la désolait, avait eu recours au siège apostolique pour d'autres questions, dont la solution dut être donnée dans une seconde lettre que nous n'avons plus.

 

 L'espace ne nous permet pas de reproduire ici de longs fragments de cette célèbre épître, dont le style rappelle souvent celui de saint Paul, avec moins de véhémence toutefois. Clément fait d'abord l'éloge de Corinthe dans ses premiers jours ; "mais, ajoute-t-il, la justice et la paix sont maintenant loin de vous, parce que vous vous êtes laissés aller à l'envie". Il montre aux Corinthiens les dangers de ce vice, et c'est à ce propos qu'il rappelle la triste part qu'une funeste jalousie avait eue récemment à Rome dans l'immolation des saints apôtres. Il se livre ensuite à une digression sur la résurrection des morts. On sait combien le lien qui unit ce dogme à celui de la permanence de l'âme après le trépas, avait besoin d'être rappelé à ces néophytes élevés au sein d'une société qui n'avait plus que de vagues idées sur la vie future. Il était souvent à propos de leur redire que non seulement l'âme ne périssait pas, mais que le corps lui-même devait revivre. L'instinct païen, après avoir poussé l'homme à abuser du corps en cette vie, répugnait à l'idée de le voir renaître purifié et glorieux. Déjà saint Paul s'était vu obligé de proclamer cette vérité avec une insistance particulière aux oreilles des chrétiens de Corinthe. Pour inculquer d'une manière sensible l'enseignement de la révélation sur ce point capital, Clément a recours à des similitudes. "Le jour succède à la nuit, dit-il, et la nuit au jour ; la semence est confiée à la terre, et lève plus tard en moisson florissante". Il passe de là au phénix, dont il célèbre la palingénésie,  d'après les naturalistes de  l'antiquité, et  termine  en  citant  les  livres saints.

 

 Passant ensuite à l'objet direct de la lettre, le saint pape rappelle que les apôtres ont constitué les divers degrés  de la  hiérarchie,  et réglé le mode de  succession  des pasteurs qui devaient tenir leur place. "Ceux donc,  ajoute-t-il,  qui ont été établis par eux,  et après  eux par des hommes vénérables, avec le consentement et l'approbation de toute une église, s'ils ont régi convenablement la bergerie du Christ, ne pourraient sans injustice être rejetés de l'office qu'ils exercent.  Or nous voyons que vous avez exclu de leurs fonctions plusieurs de ceux qui jusqu'ici les avaient gérées honorablement et sans reproche". S'adressant ensuite à ceux qui s'étaient laissé tenter par les honneurs ecclésiastiques, il leur fait un appel que nul autre, plus que Clément, n'eût eu le droit de leur proposer, lui que son humilité avait porté à décliner tout d'abord la succession de Pierre. Il leur dit : "Est-il parmi vous un homme généreux, un homme dévoué et rempli de la charité ? Qu'il ait le courage de dire : Si je suis cause de la sédition, de la discorde, du schisme, je me retire, je m'en vais où vous voudrez ; je me soumets au voeu du peuple fidèle ; heureux, à ce prix, de voir régner la paix dans la bergerie du Christ, sous la conduite des anciens qui doivent la régir. Celui qui se conduira ainsi s'acquerra une grande gloire dans le Seigneur, et trouvera partout un asile."

 

 Enfin, interpellant avec l'accent de l'autorité les instigateurs du scandale, Clément leur dénonce la peine qu'ils ont encourue. "Vous donc, leur dit-il, qui avez été les premiers auteurs de la sédition, soumettez-vous aux prêtres, et recevez pour correction la pénitence. Fléchissez les genoux de votre coeur ; apprenez à obéir, et quittez l'arrogance et la superbe de vos propos. Mieux vaut pour vous être petits et fidèles dans la bergerie du Christ, que de mériter d'en être chassés par la hauteur de vos prétentions."

 

Ce langage si solennel et si ferme obtint son effet : la paix se rétablit dans l'église de Corinthe, et les messagers de l'église romaine ne tardèrent pas à en rapporter l'heureuse nouvelle. Un siècle après, saint Denys, évêque de Corinthe, témoignait encore au pape saint Soter la gratitude de son église envers Clément pour le service dont elle lui était redevable.

 

En lisant cette vénérable épître dont l'authenticité n'est pas contestée, on remarque que son auteur y allègue non seulement les livres de l'Ancien Testament, mais encore ceux du Nouveau qui déjà avaient été publiés. Naturellement l'Evangile de saint Jean,  qui n'était pas écrit encore, n'est pas cité ; mais ceux de saint Matthieu et de saint Luc ont fourni des textes à l'écrivain. La plupart des Epîtres de saint Paul figurent par citations  dans  la  lettre, ainsi  que  la première Epître de saint Pierre.  En  constatant ces intéressantes particularités, on prend en pitié la prétendue critique d'outre-Rhin qui, sans tenir compte des faits, ose renvoyer au deuxième siècle, ou même plus tard, la rédaction et la circulation des livres du Nouveau Testament allégués par saint Clément dans une lettre dont la date n'a pas dépassé l'année 76. La vraie histoire et la  saine  archéologie  triompheront  de ces incroyables débauches de l'esprit germanique, ou c'en serait fait de la raison humaine.

 

Elevé à l'école des apôtres, Clément avait retenu dans une certaine mesure leur style et leur manière, et on les retrouve dans les écrits qu'il nous a laissés. Outre la lettre aux Corinthiens, il nous reste encore un assez long fragment qui lui est attribué par plusieurs critiques ; mais ce débris d'une plus longue composition, lettre ou sermon, n'offre qu'un intérêt médiocre. Il en est autrement des deux Lettres aux vierges, dont on avait la trace par saint Epiphane et par saint Jérôme, et qui furent retrouvées, au siècle dernier, par le savant Wetstein, dans la traduction syriaque, sur un manuscrit apporté d'Alop.

 

Le principe de la continence vouée à Dieu fut dès l'origine l'une des bases du christianisme, et l'un des moyens les plus efficaces dans la transformation du monde. Le Christ avait relevé le mérite supérieur de ce sacrifice, et saint Paul, comparant les deux états de la femme,  enseignait que la vierge est sainte d'esprit et de corps, tandis que l'épouse, malgré sa dignité, demeure divisée. ( I Cor., VII.) Clément eut à développer cette doctrine, et c'est ce qu'il fait dans ces deux lettres.  Avant saint Athanase,  saint Ambroise, saint Jérôme,  saint Jean Chrysostome et saint Augustin,  ces  grands  docteurs de la virginité chrétienne,  il  développa les  enseignements de Pierre et de Paul sur un sujet si grave. "Celui ou celle, dit-il, qui aspire à cette grandeur d'une vie supérieure, doit vivre comme les Anges d'une existence divine et toute céleste. La vierge s'isole des attraits sensuels : non seulement elle renonce au droit qu'elle aurait de les suivre en ce qu'ils ont de légitime ; mais elle aspire à cette espérance que Dieu, qui ne saurait tromper, entretient par sa promesse, et qui dépasse celle qu'ont les hommes  d'avoir une postérité.  En  retour de leur généreux sacrifice,  leur partage au ciel est la félicité même des Anges."

 

Tel était le langage du disciple de Pierre, choisi par lui pour mettre la main au renouvellement de la Babylone romaine. Il ne fallait pas moins que cette forte doctrine pour lutter avec avantage contre le débordement des moeurs de l'Empire. Si le christianisme se fût contenté d'inviter les hommes à l'honnêteté, comme faisaient les philosophes, ses efforts eussent été en pure perte. Le stoïcisme, en surexcitant l'orgueil chez quelques-uns, pouvait amener à mépriser la mort ; il était impuissant à faire reculer le sensualisme, dans lequel il faut reconnaître le plus puissant auxiliaire de la tyrannie des Césars. L'idéal de la chasteté, jeté au sein de cette société dissolue, pouvait seul arrêter le torrent d'ignominie qui menaçait de submerger toute dignité humaine.

 

Pour le bonheur du monde, la morale chrétienne parvint à se faire jour, et, les exemples éclatants se joignant aux maximes, on dut enfin en tenir compte. La corruption romaine s'étonna en entendant parler de la virginité, comme de l'objet du culte et de la pratique d'un grand nombre de sectateurs de la religion nouvelle, et cela dans un moment où les plus beaux privilèges, joints aux plus terribles châtiments,  avaient peine à contenir dans le devoir les six vestales sur la fidélité desquelles reposaient l'honneur et la sécurité de la ville éternelle.  Vespasien et Titus eurent connaissance des infractions que ces gardiennes du Palladium se permettaient à l'égard de leur premier devoir ; mais ils jugèrent que le niveau auquel étaient descendues les moeurs, ne permettait plus d'infliger à ces infidèles les pénalités antiques.

 

DOM GUÉRANGER

SAINTE CÉCILE ET LA SOCIÉTÉ ROMAINE AUX DEUX PREMIERS SIÈCLES (pages 198 à 204) 

 

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6 janvier 2011 4 06 /01 /janvier /2011 20:00

L'arrivée de Vespasien à Rome avait été saluée de vives acclamations. On espérait que ce chef militaire effacerait l'odieux souvenir de Néron, et mettrait un terme à l'anarchie qu'avaient amenée les trois compétiteurs à l'Empire, que l'on avait vus disparaître tour à tour d'une façon si tragique.

 

Il est à propos de nous arrêter à considérer de nouveau le mouvement du christianisme dans la famille Flavia, qui compensait à ce moment le défaut d'une origine patricienne par l'éclat de la pourpre impériale. Avec un instinct évidemment éclairé d'en haut, Lucine avait su pressentir les destinées de cette race, et elle en avait admis tout d'abord l'aîné jusque dans sa propre famille. Mais au moment où Vespasien, son frère, devenait césar, le gendre de Lucine, Flavius Sabinus, périssait dans Rome, au milieu d'une émeute qu'avait amenée la chute de Vitellius. Depuis douze ans, selon Tacite, il gérait la préfecture de la ville, et l'estime publique entourait sa personne. Sa bonté et sa justice étaient universellement reconnues, et l'on s'accordait à dire que dans les camps et la vie privée nul ne s'était montré plus irréprochable. Quant à la dignité de sa personne, Tacite, à qui nous empruntons tous ces traits, déclare qu'elle avait suffi à mettre en honneur la race des Flavii, avant même que Vespasien montât à l'empire.

 

Ces grandes qualités aident à expliquer la bienveillance dont il fut l'objet de la part de Lucine, et peut-être ne nous tromperons-nous pas en attribuant leur développement à l'influence de cette illustre Romaine. Avec tant de belles parties, Sabinus mit-il le dernier sceau à sa moralité, en embrassant le christianisme? Il semble qu'on serait en droit de le conclure du trait final qu'ajoute Tacite lorsqu'il nous dit que, vers la fin de sa vie, Sabinus adopta une conduite qui le fit accuser de mollesse par les uns, tandis que les autres reconnaissaient en lui un type de modération et la clémence d'un magistrat avare du sang humain. (Histor., lib. III, cap. lXXV.) Des jugements semblables et formulés dans les mêmes termes chez des historiens païens, à l'endroit de personnages que nous savons, à n'en pas douter, avoir professé le christianisme, aident à saisir la portée des expressions de l'annaliste.

 

 Nous connaissons  déjà  la  fille  de  Sabinus, Plautilla,  dont le nom est dérivé de celui de Plautia, sa mère. On ignore jusqu'ici celui de son mari, et le moment n'est pas encore venu de parler de son illustre fille, la vierge Flavia Domitilla. La mère et la fille sont honorées d'un culte dans l'Eglise. Outre leur fille Plautilla, Sabinus  et Plautia  eurent deux  fils, dont  l'un, nommé Titus Flavius Sabinus, épousa Julia Augusta, fille de Titus. Il n'y a pas lieu de douter qu'il n'ait été chrétien.  L'autre,  Titus Flavius Clemens,  non seulement fut chrétien,  mais  il remporta la palme du martyre. Il épousa Flavia Domitilla,  petite-fille de Vespasien,  chrétienne aussi, quoique de la branche cadette des Flavii. Nous aurons à revenir sur ces deux époux. Cette intéressante généalogie, que M. de Rossi a exposée avec tant de précision et de clarté, nous donne une idée des succès de la prédication de saint Pierre dans Rome, en même temps qu'elle fait apprécier de plus en plus l'influence de Lucine, durant les quarante années de ce deuil dont nous parle Tacite, sans en pénétrer le mystère.

 

La branche cadette des Flavii ne paraît pas avoir donné au christianisme un autre nom que celui de Flavia Domitilla,  l'épouse de Flavius Clemens ; en retour, elle eut les honneurs et la puissance. Il n'est pas de notre sujet d'entrer dans le détail des gestes de Vespasien ; mais nous devons mentionner la construction de son colossal amphithéâtre, qui devint le champ de bataille des chrétiens, un des lieux où se décida, par leur invincible courage,  la victoire finale après tant de luttes. Nous en reparlerons à propos de Titus.

 

Dans un moment où le christianisme florissait au sein même de la dynastie régnante, et où la Chaire de Pierre était occupée par un membre d'une des familles du haut patriciat, on n'a pas droit d'être étonné de voir l'Eglise régler déjà son administration par une mesure qui annonce l'importance de son établissement dans la capitale du monde. De même que Pierre avait tracé les grandes lignes de démarcation de l'empire chrétien, en créant, avec subordination au premier, les trois sièges de Rome, d'Alexandrie et d'Antioche ; ainsi Clément,  son deuxième successeur, ayant devant lui les quatorze régions de Rome, en traçait sept au point de vue ecclésiastique, réunissant deux en une, et plaçait à la tête de chacune d'elles l'un des sept diacres qui formaient une des parties essentielles du clergé de Rome, à l'imitation de ce qui avait eu lieu au commencement de l'église de Jérusalem. Ces diacres régionaux, dont l'institution nous est révélée par le Liber pontificalis, aidaient l'évêque dans l'administration des secours temporels aux pauvres, et facilitaient aux prêtres le ministère des âmes. Un de ces diacres avait la préséance sur les autres, et fut décoré de bonne heure du nom d'archidiacre. On entrevoit déjà cette prééminence dans saint Etienne à Jérusalem, et les Pères l'ont reconnue.

 

 Clément institua en outre sept notaires de l'Eglise, dont la fonction correspondait à chacune des régions de la division chrétienne de Rome. La tolérance de Vespasien permettait ces hardiesses, et l'on reconnaît aisément le caractère romain dans cet esprit d'administration. Mais l'Eglise ne comptait pas sur la longueur de la trêve, et la mesure que prenait Clément l'annonçait assez. La charge de ces notaires devait être de recueillir les Actes des martyrs, c'est-à-dire le détail de leur interrogatoire, de leurs réponses, des tourments qu'ils auraient soufferts et de leur glorieux trépas. Le courage invincible des martyrs devant être la confirmation de l'origine divine du christianisme, il importait de ne pas laisser se perdre les éléments précieux d'un argument sur lequel reposerait la certitude de la foi dans les âges futurs. Le Sauveur, en outre, avait annoncé que toutes les paroles de ses disciples devant les persécuteurs leur seraient divinement suggérées ; un respect particulier s'attachait donc à ces réponses sublimes rendues aux tyrans par des héros de toute condition, de tout âge et de tout sexe. L'effroyable persécution de Néron avait fait périr un nombre immense de chrétiens dans Rome. Durant la tempête, nul ne songea à recueillir des détails qui auraient été si précieux à la postérité. On mourait par masse : l'héroïsme du martyre était là ; mais l'expérience du martyre n'était pas formée encore. Nous avons remarqué ci-dessus que deux noms seulement ont surnagé, de tous ceux des chrétiens de Rome qui succombèrent sous les violences et les cruautés raffinées de Tigellinus.

 

Clément, qui a sauvé de l'oubli ces deux noms, était à même de sentir à quel point il importait à l'église romaine de réunir en corps de si utiles enseignements, et c'est ce qui le porta à organiser un service pour en assurer la conservation. Ses successeurs se montrèrent plus d'une fois les imitateurs et les continuateurs de son oeuvre. Heureuse la postérité, si la persécution de Dioclétien, particulièrement jalouse des archives chrétiennes, n'eût pas sévi avec autant d'habileté que de fureur sur les dépôts où se conservaient de si glorieuses annales !

 

Sous un pontife tel que Clément, le nombre des chrétiens ne pouvait manquer d'être en progrès. Dans ces recrues, nous n'avons garde de le contester, les humbles et les pauvres formaient l'immense majorité, et dans l'Eglise la société tout entière, avec ses inégalités de rang et ses proportions  naturelles,  se trouvait représentée. Sous  Néron, Tacite, parlant  de  la  population chrétienne de Rome, l'appelle déjà une multitude immense, ingens multitudo. La période de paix  qui s'ouvrait à l'avènement des Flavii, abaissait de nombreuses barrières, et rendait une liberté d'action dont la prédication évangélique avait grandement à profiter. Mais les progrès de la chrétienté romaine ne firent point perdre de vue à  Clément  le devoir que  lui  imposait  sa qualité de patriarche de l'Occident, celui de répandre la lumière de l'Evangile sur les provinces de l'Empire dont saint Pierre avait rattaché le soin immédiat au siège de Rome.

 

Pour ce qui est de la Gaule en particulier, la critique la plus assurée rattache à saint Clément la mission de saint Denys à Paris. Il nous serait impossible de discuter ici les titres des autres églises de France, qui font remonter à notre saint pape la mission de leur premier évêque ; mais il est permis de remarquer que le Liber pontificalis attribue à Clément l'ordination  de  quinze évêques  destinés à divers lieux. On a droit de penser avec toute vraisemblance que ces évêques auront été partagés entre les provinces occidentales où le besoin d'apôtres se faisait le plus sentir. Les successeurs de Pierre ne durent avoir rien de plus à coeur que de protéger la foi dans l'héritage qui leur avait été transmis, et l'occupation chrétienne de la Gaule avant le troisième siècle est désormais un fait incontestable.

 

DOM GUÉRANGER

SAINTE CÉCILE ET LA SOCIÉTÉ ROMAINE AUX DEUX PREMIERS SIÈCLES (pages 191 à 197) 

 

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5 janvier 2011 3 05 /01 /janvier /2011 20:00

Saint Linus. — Son passage sur le siège de Rome. — Sa pierre sépulcrale au Vatican. — Mort de Néron. — Châtiment des meurtriers de saint Pierre. — Clément souverain pontife. — Explication du dyptique romain des martyrs Linus, Cletus, Clemens. — Guerre des Juifs. — Vespasien empereur. — Chute de Jérusalem et de son temple. — Arc de Titus.

 

Pierre avait désigné Clément pour son successeur,  il  l'avait  fait asseoir dans  sa propre chaire ; cependant tous les catalogues des pontifes romains,  sans exception,  s'accordent à placer Linus immédiatement après Pierre. On en doit conclure que si le mérite et la considération de Clément, joints à l'estime que lui avait témoignée le prince des apôtres, le recommandaient particulièrement au respect de la population chrétienne de Rome, sa modestie l'élevait plus haut encore. Souvent les apôtres avaient laissé dans une même ville plusieurs de leurs disciples honorés du caractère épiscopal ; la mission de l'apôtre terminée, la succession s'établissait par le concert de ces hommes désintéressés de toute idée humaine,  et bientôt l'unité d'évêque,  qui est la force de toute église particulière, s'établissait pour durer toujours.

 

 Depuis douze ans, Linus avait reçu la consécration ; durant l'absence de Pierre, il l'avait suppléé dans le gouvernement de l'église romaine ; que pouvait faire Clément, ordonné évêque tout récemment, sinon donner l'exemple de l'humilité chrétienne, en s'effaçant devant un homme vénérable et dès longtemps en possession du respect de la chrétienté de Rome ? On découvre les sentiments qui suggérèrent à Clément cette conduite pleine de modestie, en lisant sa lettre aux Corinthiens,  dans laquelle il exprime avec un accent si ferme l'obligation, pour les pasteurs de l'Eglise, de vivre dans un entier détachement des honneurs et des charges ecclésiastiques. Linus dut donc accepter, pour quelques jours qu'il devait vivre encore, la qualité de successeur de Pierre, ayant près de lui Clément et Cletus comme les vicaires de son autorité.

 

 Tandis que la succession au pontificat chrétien s'opérait ainsi dans Rome, la tyrannie de Néron, qui s'obstinait à poursuivre en Grèce ses succès d'histrion, devenait de plus en plus odieuse. Des conjurations se formaient et se multipliaient. Hélius, effrayé de la vindicte publique qui  le menaçait  chaque jour autant  que  son maître,  s'embarqua pour la Grèce,  et  parvint enfin à ramener le tyran à Rome, dans les derniers mois de 67. L'année 68 vit la chute honteuse et tragique du monstre, en ce même mois de juin où, l'année précédente, le sang des apôtres avait coulé dans Rome, et l'Eglise put enfin respirer.

 

 Mais déjà Linus avait disparu. Dès le 23 septembre 67, il avait été atteint par le glaive de la persécution. On l'ensevelit dans la crypte Vaticane, près de la tombe du prince des apôtres, et telle fut la vénération qui entoura son sépulcre, qu'il fut découvert, encore immobile, dans les restaurations que fit exécuter Urbain VIII,  en 1633, à la Confession de saint Pierre. Severano et Torrigio, témoins oculaires, attestent que sur un tombeau voisin de celui du prince des apôtres, on  lut  cette  simple inscription : Linus. L'emplacement de ce tombeau,  qui n'est plus apparent aujourd'hui, est indiqué sur un plan de la crypte Vaticane dressé en 1635 par Benoît Drai, employé à la basilique, et ce plan est celui-là même que Bonanni a inséré dans son Histoire de la basilique Vaticane.

 

 L'Empire, vacant par la mort de Néron, vit successivement passer Galba, Othon et Vitellius. L'Eglise n'eut rien à souffrir durant  la  crise qu'entraînèrent ces révolutions si rapides ; mais la Providence sévit contre les ennemis des chrétiens. Galba eut le temps d'ordonner le supplice d'Hélius et de Polythètes ; quant à l'infâme Tigellinus, ce fut la main d'Othon que Dieu employa pour lui infliger la peine de ses cruautés contre les chrétiens dans les jardins de Néron.

 

 Linus ayant reçu la couronne du martyre, Clément dut enfin se résoudre à occuper la chaire de saint Pierre. Ici les critiques se partagent ; les uns voulant que Cletus ait précédé Clément dans le pontificat, les autres que Clément ait siégé avant Cletus. Le sentiment des premiers s'appuie sur les listes des papes dressées loin de Rome, sur lesquelles en effet Cletus est préposé à Clément ; l'opinion des seconds est fondée sur le plus ancien catalogue des pontifes romains, rédigé à Rome dans la première partie du troisième siècle, et qui se trouve confirmé par l'autorité de saint Optât de Milève et de saint Augustin. On connaît les relations intimes que l'église d'Afrique entretenait avec celle de Rome,  dont elle était sortie.  La divergence qui s'est manifestée sur ce point semble avoir eu pour origine la manière dont les trois premiers successeurs de saint Pierre  sont établis  sur les diptyques  de l'église de Rome, tels que l'on peut encore les constater au Canon de la messe. On y lit en effet : Lini,  Cleti,  Clementis ; mais il  serait utile de remarquer que le martyre de saint Clément, dont la date précise nous est fournie par saint Jérôme,  n'ayant eu lieu qu'après celui de saint Cletus, il est tout naturel que, sur une liste de martyrs, on ait enregistré les martyrs dans l'ordre chronologique de leur martyre.

 

Cette question de l'antériorité de saint Clément à saint Cletus ou de saint Cletus à saint Clément n'a sans doute qu'une importance très secondaire ; mais outre que la marche des faits relatifs à ces deux pontificats s'agence parfaitement en plaçant Clément avant Cletus, l'archéologue ne peut faire abstraction du précieux catalogue romain du troisième siècle, dont le rédacteur, qui semble avoir été le chronographe saint Hippolyte, a procédé à l'aide des fastes consulaires. La nature de notre travail ne nous permettant pas les dissertations, nous ne nous arrêterons pas davantage sur ce sujet. Il nous suffit d'avoir touché le point de solution, en montrant que la méprise a eu pour origine une fausse interprétation  des  diptyques  des  martyrs  de l'église romaine, sur lesquels saint Clément ne devait en effet occuper que la troisième place. A la suite des doctes archéologues Bianchini, Vignoli, et de nos jours Mgr Héfélé,  nous nous attacherons donc au chronographe du troisième siècle, qui avait connaissance des autres listes, et qui assurément ne détermina pas la place de saint Clément sans avoir interrogé  soigneusement les vraies traditions de l'église de Rome.

 

Le pontificat de Clément devait voir s'accomplir le terrible jugement de Dieu sur Jérusalem, et le dernier écroulement de la religion mosaïque. Rome était déjà constituée héritière de la ville autrefois sainte et désormais maudite. La gentilité ébranlée se rendait de toutes parts au vrai Dieu, ainsi que l'avaient prédit les prophètes juifs eux-mêmes. L'élite d'Israël avait passé à l'Evangile ; mais la multitude, ayant sur le coeur ce voile que lui reprochait saint Paul ( II Cor., III), s'obstinait de plus en plus dans la haine et le mépris des chrétiens. Pourtant, dans cette substitution d'une nouvelle alliance à l'ancienne, les premiers honneurs avaient été pour Israël. C'était à ses fils qu'il avait été dit : "Allez, enseignez toutes les nations." Les nations prêtaient l'oreille, et le gentil devenu croyant était désormais, non disciple de Moïse, il est vrai, mais fils d'Abraham. Le Juif pouvait-il, sans irriter le ciel, s'obstiner à ne pas remonter au delà du Sinaï, à ne pas tenir compte de la page où il est écrit qu'Abraham, avant même la naissance d'Isaac, avait reçu de Dieu la promesse qu'en lui seraient bénis tous les peuples de la terre ?

 

La race des Flaviens, qui nous a paru déjà marquée d'un signe surnaturel, que l'on verra se dessiner plus vivement encore, avait été choisie pour être l'exécutrice des vengeances divines, et devait en retour recevoir la couronne de l'Empire. Heureuse cette famille, si sa branche cadette, qui obtint en partage les grandeurs du monde, eût prêté l'oreille, comme sa branche aînée, à l'enseignement des apôtres ! En l'année 67, tandis que son frère Flavius Sabinus occupait encore la préfecture de Rome, Flavius Vespasien était envoyé en Palestine pour réprimer l'insurrection des Juifs dans cette province. Une fureur inouïe entraînait ce peuple à sa perte. Divisé en partis féroces les uns envers les autres, il bravait Rome avec une imprudence qui devait précipiter sa ruine. Vespasien commença par faire la conquête de la Galilée, et les bandes juives qui n'avaient pas été exterminées refluèrent sur la Judée et Jérusalem. La campagne en était là lorsque Vespasien apprit, au mois de juillet 69, qu'il venait d'être proclamé empereur à Alexandrie. Il se rendit d'abord dans cette ville, avant de se présenter à Rome, où il n'avait pour compétiteur que l'ignoble Vitellius.

 

En partant, Vespasien laissait à son fils Titus la charge d'en finir avec les Juifs, et dans les derniers mois de l'an 70, il arrivait sur le théâtre de sa fortune. En avril 70, Titus mit le siège devant Jérusalem, et dès les premiers jours de septembre, après les plus affreuses convulsions, la ville déicide succombait avec son temple. Pour le culte du vrai Dieu, Jérusalem n'était plus ; il n'y avait plus que Rome.

 

On fut à même de le reconnaître, lorsqu'au printemps de l'année suivante se déroula dans les rues de cette ville la pompe triomphale qui célébrait la défaite du judaïsme, non par la main des hommes, comme l'attesta Titus lui-même, mais par la main de Dieu. Les yeux des Romains virent passer tour à tour le mystérieux chandelier à sept branches, la table des pains de proposition, les trompettes sacrées, le voile du Saint des saints ; en un mot les dépouilles du sanctuaire que Dieu délaissait, ayant transporté ailleurs ses affections.

 

Vespasien et son fils paraissaient sur un char, aux acclamations d'un peuple immense, au sein duquel les chrétiens seuls savaient qu'en ce jour Rome célébrait une victoire qui dépassait en résultats toutes celles qui lui avaient soumis le monde. Désormais, c'était dans ses murs qu'il fallait venir chercher la montagne de Sion, tant aimée de Dieu, le vrai temple, le sacrifice éternel, le Christ du Seigneur, que la première Jérusalem n'avait su que méconnaître et crucifier. Dans cette consommation terrible, il y eut, entre mille autres, un trait caractéristique de la vengeance divine. Le représentant de la résistance judaïque se nommait Simon, fils de Gioras ; c'était lui qui devait être égorgé, selon l'usage, pendant la marche du cortège, lorsque celui-ci serait arrivé en vue du temple de Jupiter Capitolin. Flagellé durant tout le parcours de la pompe triomphale, il fut saisi et plongé dans le cachot de la prison Mamertine, où Simon Pierre, quatre ans auparavant, avait passé les heures qui précédèrent son martyre. Là, Simon, fils de Gioras, fut immolé, et l'on remonta son cadavre.

  

La mémoire d'un événement aussi grave pour le christianisme que le fut l'extinction de Jérusalem et le renversement de son temple, donne un intérêt saisissant aux médailles qui furent frappées à cette occasion. La Judée vaincue, assise tristement sous un palmier, exprime de la façon la plus expressive le châtiment qu'elle s'attira en repoussant son Messie, en s'obstinant à vouloir n'être que la capitale d'un peuple, et dédaignant de devenir celle du genre humain.

 

Mais le trophée de Rome victorieuse et héritière de la cité de David est l'arc de Titus, qui, dans la beauté et la pureté de ses lignes, se dresse en face de l'amphithéâtre de Vespasien. En l'établissant avec cette solennité sur la voie Sacrée, Rome ignorait qu'elle posait sur le sol le premier monument de sa transformation.

 

L'arrivée de Vespasien à Rome avait été saluée de vives acclamations. On espérait que ce chef militaire effacerait l'odieux souvenir de Néron, et mettrait un terme à l'anarchie qu'avaient amenée les trois compétiteurs à l'Empire, que l'on avait vus disparaître tour à tour d'une façon si tragique.

 

DOM GUÉRANGER 

SAINTE CÉCILE ET LA SOCIÉTÉ ROMAINE AUX DEUX PREMIERS SIÈCLES (pages 175 à 182 ) 

 

Cecilia

SAINTE CÉCILE - Santa Cecilia in Trastevere, Rome

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4 janvier 2011 2 04 /01 /janvier /2011 20:00

Pierre et Paul avaient rendu leur témoignage, ils avaient inauguré dans leur sang la nouvelle Jérusalem. Il s'agissait maintenant de donner la sépulture à leurs dépouilles sacrées.

 

 La crypte ouverte par les soins des Cornelii chrétiens avait son centre sous le temple d'Apollon et s'étendait sous la colline du térébinthe. Le prêtre Marcel présida aux funérailles de Pierre, détaché de la croix. On sait avec quelle facilité la loi romaine accordait les corps des suppliciés à ceux qui les réclamaient pour leur donner la sépulture. Lucine fit enlever des Eaux Salviennes la dépouille de Paul, et la déposa dans l'hypogée qu'elle avait fait construire au bord du Tibre, sur la voie d'Ostie. Elle avait dû céder aux Cornelii l'honneur d'ensevelir Pierre ; le centurion de la cohorte Italique, prémices de la foi romaine, assurait un droit incontesté à quiconque de sa race se déclarait disciple du Christ. Le partage de Lucine fut donc d'être la gardienne de la tombe de Paul, auquel sa petite-fille Plautilla avait rendu le dernier office ici-bas.

 

 Ces deux tombes, scellées avec tant de respect et d'amour, étaient cependant au moment d'être violées : une conjuration s'était ourdie contre elles. Un parti d'Orientaux chrétiens veillait, et se préparait à enlever la dépouille des deux apôtres, afin de la rendre à l'Orient, dont ils regardaient Pierre et Paul comme les transfuges. Le lecteur doit y voir un nouveau trait de cette opposition à la gentilité que nous avons si souvent rencontrée chez une partie des chrétiens juifs, et de cette jalousie qu'inspirait à d'autres encore la préférence donnée à l'Occident. Cependant tout était consommé, c'était à Rome et non ailleurs que la succession de Pierre était ouverte, ses ossements sacrés en étaient le titre visible ; mais le droit reposait sur quelque chose de plus solide encore, sur le fait de la mort de Pierre à Rome. A la faveur des ombres, les ravisseurs s'emparent simultanément des corps saints, et, chargés de ce dépôt, ils se mettent en marche vers la voie Appienne, espérant gagner promptement un des ports de l'Italie méridionale, et partir de là pour l'Orient. Ils s'arrêtent après le deuxième mille, et déposent leur riche capture au lieu appelé dans la suite Ad Catacumbas, où s'éleva plus tard la basilique de Saint-Sébastien.

 

Cette première station avait été préparée à l'avance. Les Orientaux gardèrent toute la nuit leur trésor, espérant jouir en paix du fruit de leur frauduleuse entreprise ; mais le ciel se déclara contre eux. Au moment où ils allaient se remettre en marche, un affreux orage, accompagné de tonnerres et d'éclairs terribles, éclata soudain et glaça leurs cœurs. Sur ces entrefaites, des chrétiens de Rome, avertis de l'enlèvement des corps, renseignés par ces indiscrétions, qui compromettent souvent le succès des complots les plus hardis, parviennent à découvrir la marche des ravisseurs. Ils accourent et remportent bientôt leur auguste patrimoine, sous les yeux des conjurés qui n'osent leur résister. Saint Grégoire le Grand, à qui nous empruntons ce récit (Epist. ad Constantinam Aug.), donne à penser que le nombre des complices de l'enlèvement était considérable, et c'est ce qui explique comment le secret ne put être gardé. Rome chrétienne recouvra donc le titre immortel de sa puissance, et deux siècles avant saint Grégoire, le pontife qui eut pour mission de célébrer les grandeurs de Rome souterraine, saint Damase, décora de ses vers élégants le lieu où avaient un moment reposé les corps des deux apôtres, et où ils revinrent au troisième siècle chercher, durant trente années, une sécurité que leurs tombes ne garantissaient plus.

 

 L'inscription damasienne, posée au quatrième siècle, s'exprimait ainsi :

" Ô toi qu'attirent en ces lieux les noms de Pierre et de Paul, sache qu'ici fut leur premier séjour. C'est l'Orient, nous en convenons, qui nous avait envoyé ces disciples du Christ. Ayant versé leur sang pour lui, ils ont mérité de le suivre jusque dans les cieux ; à travers les airs, ils sont montés au royaume des saints ; mais Rome aussi avait le droit de défendre comme sa propriété ceux qui étaient devenus ses citoyens. Astres nouveaux, c'est Damase qui vous adresse ici ces louanges."

 

 Après la reprise du sacré dépôt, on dut recommencer  les funérailles des deux apôtres, et, comme l'exprime saint Grégoire, "leurs corps furent dès lors établis dans les lieux où ils reposent aujourd'hui".  Ces paroles d'un si grand pape nous remettent en mémoire celles de Caïus, prêtre romain, qui, au siècle suivant, sous Zéphyrin, combattant Proclus, chef de la secte des Cataphryges, s'enorgueillissait saintement de la possession de ces deux tombeaux. "Moi, s'écriait-il, je suis en mesure de te montrer les trophées des apôtres. Quiconque le veut n'a qu'à se rendre au Vatican et sur la voie d'Ostie, il y verra les monuments de ceux qui ont fondé cette église". (EUSEB., Hist. eccles., lib. II, cap. XXIV.)

 

On conçoit jusqu'à un certain point que les réformateurs du seizième siècle, dans les premiers jours de la révolte, dépourvus, comme on l'était généralement  alors, de  toute  science historique, se soient avisés, comme d'un expédient, de nier le séjour de saint Pierre à Rome ; mais ce qui étonnera la postérité, c'est qu'on ait vu, il y a peu d'années, en ce siècle de l'archéologie, dans cette même Rome, de prétendus savants, demeurants d'un autre âge, tenir des conférences publiques pour remettre en question le voyage du prince des apôtres dans la capitale de l'Empire romain. Si nous eussions eu l'honneur d'être présent dans un si docte aréopage, nous eussions demandé à ces critiques, renouvelés de l'Allemagne de Luther, de nous laisser penser sur ce point de litige ce que pensait Julien l'Apostat, qu'on ne soupçonnera pas de papisme. Comme eux Julien était d'avis que les synoptiques n'ont pas enseigné la divinité de Jésus-Christ, et que saint Jean est le premier des évangélistes qui l'ait formulée ; mais pour le prouver, l'Apostat emploie un argument qui  ne saurait être du goût de  nos docteurs. "L'excellent Jean,  dit-il,  s'étant aperçu  que, dans la plupart des villes grecques et italiques, une immense multitude était portée à admettre la divinité de Jésus, et sachant que les tombeaux de Pierre et de Paul étaient l'objet d'un culte fervent quoique secret, osa le premier mettre en avant cette doctrine". (Apud Cyrill. Alexandr., Edition de Spanheim, Leipsick, 1696.) Ainsi, on peut être apostat et croire néanmoins que saint Pierre est venu à Rome et que son corps y repose.

 

Autour de la tombe de Pierre vinrent se ranger ses successeurs jusqu'à la fin du deuxième siècle. Un labyrinthe de galeries s'étendit progressivement sous les terrains que longeaient la voie Triomphale et la voie Cornelia ; ce fut le cimetière Vatican, le plus sacré de tous. Ses corridors, interceptés au quatrième siècle par les murs de la basilique constantinienne, reparurent au seizième, lorsque l'on eut à creuser de nouvelles fondations pour établir la basilique actuelle, dont les proportions dépassaient de beaucoup celles de l'ancienne. On put circuler de nouveau dans ces galeries qui n'avaient été visitées par personne depuis le quatrième siècle ; on retrouva des oratoires, des cubicula ornés de peintures. Bosio, à qui nous devons ces détails, déclare les avoir en partie puisés dans les notes d'un bénéficier de Saint-Pierre nommé Tiberio Alfarano, et en partie recueillis de ses propres souvenirs, et il regrette que son âge trop peu avancé encore ne lui ait pas permis de prendre les dessins des peintures.

 

Quant à la tombe de Pierre, enfouie d'abord sous le sol du champ Triomphal, à quelques pas du cirque de Néron, les somptueuses constructions qui l'ont successivement entourée depuis Constantin ne lui ont point enlevé son immobilité. Des degrés conduisent au niveau du sol de la crypte des Cornelii, et le pèlerin qui les a descendus se trouve en présence de la Confession immortelle, centre et rendez-vous du monde entier. C'est là que Pierre repose, "tout près du lieu où il fut crucifié", comme l'atteste, avec le Liber pontificalis, la tradition de douze siècles. A quelques pas, près de l'endroit où l'on vénère la statue de bronze du prince des apôtres, s'éleva la croix, à l'ombre du térébinthe. La coupole lancée dans les airs par le génie de Michel-Ange désigne à la ville et au monde le lieu où dort le pêcheur galiléen, vainqueur et successeur des Césars, résumant dans le Christ, dont il est le vicaire, les destinées de la ville éternelle.

 

 La seconde gloire de Rome est la tombe de Paul sur la voie d'Ostie. Constantin voulut aussi l'entourer de splendeur, en construisant autour d'elle une immense basilique ; mais le cimetière souterrain qui rayonnait du sépulcre de l'apôtre ne fut point intercepté. En 1837, sur le pan d'un des murs ruinés du transept de gauche, nous pûmes lire encore cette inscription :

 

SVB   HOC   PAVIMENTO   TESSELLATO
EST  CAEMETERIVM   S.   LVCINAE  MATRONAE
IN QVO PLVRIMA SANCTORVM
MARTYRUM   CORPORA   REQVIESCVNT.

 

Ce cimetière d'ailleurs, quoique très vaste, ne fut jamais compté parmi les plus célèbres de Rome souterraine ; son honneur était d'avoir pour centre la tombe du docteur des nations. Cette tombe, à la différence de celle de Pierre, qui plonge dans les profondeurs de la crypte vaticane, est portée jusqu'à fleur de terre par un massif de maçonnerie sur lequel pose le vaste sarcophage. On fut à même de constater cette particularité en 1841, lorsque l'on reconstruisit l'autel papal. Il parut évident que l'intention de soustraire le tombeau de l'apôtre aux inconvénients qu'amènent les débordements du Tibre, avait obligé de soulever ainsi le sarcophage de la place où d'abord Lucine l'avait établi. Le pèlerin n'a garde de s'en plaindre, lorsque, par le soupirail qui s'ouvre au centre de l'autel, son oeil respectueux peut s'arrêter sur le marbre qui ferme la tombe, et y lire ces imposantes paroles, tracées en vastes caractères de l'époque constantinienne :

 

PAVLO APOSTOLO MARTYRI

 

Ainsi Rome chrétienne est protégée au nord et au midi par ces deux citadelles. Les fidèles de Rome, privés d'entendre et de voir désormais leurs apôtres, entourèrent d'une tendre vénération, au témoignage même de Julien l'Apostat, ces augustes trophées, dont la seule pensée faisait tressaillir saint Jean Chrysostome. Entendons-le parler dans une homélie au peuple de Constantinople. "Non, s'écriait-il, le ciel, lorsque le soleil l'illumine de tous ses feux, n'a rien de comparable à la splendeur de Rome versant sur le monde entier la lumière de ces deux flambeaux. C'est de là que sera enlevé Paul, que partira Pierre. Réfléchissez et frissonnez déjà à la pensée du spectacle dont Rome sera témoin, lorsque Paul avec Pierre, se levant de leurs tombes, seront emportés à la rencontre du Seigneur. Quelle rose éclatante Rome présente au Christ ! Quelles couronnes entourent cette cité ! De quelles chaînes d'or elle est ceinte ! Quelles fontaines elle possède ! Cette ville fameuse, je l'admire, non à cause de l'or dont elle abonde, non à cause de ses fastueux portiques, mais parce qu'elle garde dans son enceinte ces deux colonnes de l'Eglise." (Homil. XXXII in Epist. ad Rom.)

 

 La carrière personnelle de Pierre était donc achevée. Vingt-cinq ans s'étaient écoulés depuis ce jour de l'année 42, où, obscur et sans appui, il avait abordé dans Rome ; il la laissait toute pleine de lui jusqu'à la fin des siècles. L'empire païen luttera encore deux siècles et demi contre ce nouveau et impérissable souverain venu de Judée, qu'avaient mystérieusement pressenti les peuples, au rapport de Tacite et de Suétone. La dynastie de Pierre va suivre son cours sous le fer de la persécution, jusqu'à ce qu'enfin, ayant vaincu, elle voit apparaître Constantin qui, ébloui d'une si haute majesté, s'en ira porter jusqu'aux rives du Bosphore le trône impérial, qui dans Rome n'aurait plus que la seconde place.

 

Dans cette rapide esquisse, nous avons cherché à faire connaître et apprécier le rôle qui revient à Pierre dans l'oeuvre de la fondation du christianisme parmi les gentils, et particulièrement à Rome. N'est-il pas apparu comme le vicaire du Rédempteur des hommes, appelant toutes les classes de la société à la régénération dont l'heure était venue ? Quelle grandeur, quelle bonté, quelle simplicité caractérisèrent ce premier monarque de l'Eglise chrétienne ! Que serait-ce si, laissant reposer la plume de l'historien, et nous élevant avec Dante aux sommets de l'empyrée, nous voulions le montrer "au-dessous du Fils de Dieu et de la Vierge-Mère, entre le monde ancien et le monde nouveau, tenant, dans l'attitude du triomphe, les clefs du séjour de la gloire éternelle ?"

 

Quivi trionfa sotto l'alto Filio
Di Dio et di Maria, di sua vittoria,
E con l'antico et col miovo concilio
Colui, che tien le chiavi di tal gloria.

(Paradiso, canto XXIII.)

 

DOM GUÉRANGER

SAINTE CÉCILE ET LA SOCIÉTÉ ROMAINE AUX DEUX PREMIERS SIÈCLES (pages 164 à 173 ) 

 

Cecilia

SAINTE CÉCILE - Santa Cecilia in Trastevere, Rome

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