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"Je vous donne un commandement nouveau : c'est de vous aimer les uns les autres.

 

Comme je vous ai aimés, vous aussi aimez-vous les uns les autres.

 

Ce qui montrera à tous les hommes que vous êtes mes disciples, c'est l'amour que vous aurez les uns pour les autres."

 

Evangile de Jésus-Christ selon  saint Jean 

   

 

Pentecôte

" Le Défenseur, l'Esprit Saint que le Père enverra en mon nom, lui, vous enseignera tout, et il vous fera souvenir de tout ce que je vous ai dit."

 

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean  

 

   

 

 El Papa es argentino. Jorge Bergoglio                 

Saint Père François

 

 

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1er mai 2011 Béatification de Jean-Paul II

Béatification du Serviteur de Dieu Jean-Paul II

 

 

  Béatification du Père Popieluszko

beatification Mass, in Warsaw, Poland

à Varsovie, 6 juin 2010, Dimanche du Corps et du Sang du Christ

 

 

presidential palace in Warsaw

Varsovie 2010

 

 

Basilique du Sacré-Cœur de Montmartre
Sanctuaire de l'Adoration Eucharistique et de la Miséricorde Divine

La miséricorde de Dieu est comme un torrent débordé. Elle entraîne les cœurs sur son passage.
(Saint Curé d'Ars)
 

 


Le côté du Christ a été transpercé et tout le mystère de Dieu sort de là. C’est tout le mystère de Dieu qui aime, qui se livre jusqu’au bout, qui se donne jusqu’au bout. C’est le don le plus absolu qui soit. Le don du mystère trinitaire est le cœur ouvert. Ce n’est pas une image, c’est une réalité. C’est la réalité la plus profonde qui soit, la réalité de l’amour.
Père Marie-Joseph Le Guillou




Dans le cœur transpercé
de Jésus sont unis
le Royaume du Ciel
et la terre d'ici-bas
la source de la vie
pour nous se trouve là.

Ce cœur est cœur divin
Cœur de la Trinité
centre de convergence
de tous les cœur humains
il nous donne la vie
de la Divinité.


Sainte Thérèse Bénédicte de la Croix
(Edith Stein)



Le Sacré-Cœur représente toutes les puissances d'aimer, divines et humaines, qui sont en Notre-Seigneur.
Père Marie-Eugène de l'Enfant Jésus

 



feuille d'annonces de la Basilique du Sacré-Coeur de Montmartre

 

 

 

 

 

 

 

     

The Cambrai Madonna

Notre Dame de Grâce

Cathédrale de Cambrai

 

 

 

Cathédrale Notre Dame de Paris 

   

Ordinations du samedi 27 juin 2009 à Notre Dame de Paris


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Solennité de l’Immaculée Conception de la Vierge Marie à Notre-Dame de Paris


NOTRE DAME DES VICTOIRES

Notre-Dame des Victoires




... ma vocation, enfin je l’ai trouvée, ma vocation, c’est l’Amour !

 

 

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Voyages de Benoît XVI

 

SAINT PIERRE ET SAINT ANDRÉ

Saint Pierre et Saint André

 

BENOÎT XVI à CHYPRE 

 

Benedict XVI and Cypriot Archbishop Chrysostomos, Church of 

Salutation avec l'Archevêque Chrysostomos à l'église d' Agia Kyriaki Chrysopolitissa de Paphos, le vendredi 4 juin 2010

 

     

 

Benoît XVI en Terre Sainte  


 

Visite au chef de l'Etat, M. Shimon Peres
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Visite au mémorial de la Shoah, Yad Vashem




 






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SALVE REGINA

7 juillet 2015 2 07 /07 /juillet /2015 11:00

A quelques différences près, qui tiennent à la partie technique de l’art, ce que nous avons dit de la peinture s’applique également à la sculpture.

 

La statue de Moïse, par Michel-Ange, à Rome ; Adam et Eve, par Baccio, à Florence ; le groupe du Vœu de Louis XIII, par Coustou, à Paris ; le saint Denis, du même ; le tombeau du cardinal de Richelieu, ouvrage du double génie de Le Brun et de Girardon ; le monument de Colbert exécuté d’après le dessin de Le Brun, par Coyzevox et Tuby ; le Christ, la Mère de pitié, les huit Apôtres de Bouchardon, et plusieurs autres statues du genre pieux, montrent que le christianisme ne saurait pas moins animer le marbre que la toile.

 

Cependant, il est à désirer que les sculpteurs bannissent à l’avenir de leurs compositions funèbres ces squelettes qu’ils ont placés au monument : ce n’est point là le génie du christianisme, qui peint le trépas si beau pour le juste.

 

Il faut également éviter de représenter des cadavres (quel que soit d’ailleurs le mérite de l’exécution), ou l’humanité succombant sous de longues infirmités. Un guerrier expirant au champ d’honneur dans la force de l’âge peut être superbe, mais un corps usé de maladies est une image que les arts repoussent, à moins qu’il ne s’y mêle un miracle, comme dans le tableau de saint Charles Borromée. Qu’on place donc au monument d’un chrétien, d’un côté, les pleurs de la famille et les regrets des hommes ; de l’autre, le sourire de l’espérance et les joies célestes : un tel sépulcre, des deux bords duquel on verrait ainsi les scènes du temps et de l’éternité, serait admirable. La mort pourrait y paraître, mais sous les traits d’un ange à la fois doux et sévère : car le tombeau du juste doit toujours faire s’écrier avec saint Paul : Ô mort ! Où est ta Victoire ? qu’as-tu fait de ton aiguillon ?

 

 

CHATEAUBRIAND, Génie du Christianisme, Troisième Partie, Beaux-arts et Littérature, Livre 1, Beaux-arts, Chapitre V - Sculpture

 

Pietà, Nicolas Coustou, Cathédrale Notre Dame de Paris

Pietà, Nicolas Coustou, Cathédrale Notre Dame de Paris

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3 juillet 2015 5 03 /07 /juillet /2015 11:00

Vérités fondamentales :

1 - Les sujets antiques sont restés sous la main des peintres modernes : ainsi, avec les scènes mythologiques, ils ont de plus les scènes chrétiennes.

2 - Ce qui prouve que le christianisme parle plus au génie que la fable, c’est qu’en général nos grands peintres ont mieux réussi dans les fonds sacrés que dans les fonds profanes.

3 - Les costumes modernes conviennent peu aux arts d’imitation ; mais le culte catholique a fourni à la peinture des costumes aussi nobles que ceux de l’antiquité.

 

Pausanias, Pline et Plutarque nous ont conservé la description des tableaux de l’école grecque. Zeuxis avait pris pour sujet de ses trois principaux ouvrages Pénélope, Hélène et l’Amour. Polygnote avait figuré sur les murs du temple de Delphes le sac de Troie et la descente d’Ulysse aux enfers. Euphanor peignit les douze dieux, Thésée donnant des lois et les batailles de Cadmée, de Leuctres et de Mantinée. Apelles représenta Vénus Anadyomène sous les traits de Campaspe ; Aetion, les noces d’Alexandre et de Roxane, et Timanthe, le sacrifice d’Iphigénie.

 

Rapprochez ces sujets des sujets chrétiens, et vous en sentirez l’infériorité. Le sacrifice d’Abraham, par exemple, est aussi touchant et d’un goût plus simple que celui d’Iphigénie : il n’y a là ni soldats, ni groupe, ni tumulte, ni ce mouvement qui sert à distraire de la scène. C’est le sommet d’une montagne ; c’est un patriarche qui compte ses années par siècles ; c’est un couteau levé sur un fils unique ; c’est le bras de Dieu arrêtant le bras paternel. Les histoires de l’Ancien Testament ont rempli nos temples de pareils tableaux, et l’on sait combien les mœurs patriarcales, les costumes de l’Orient, la grande nature des animaux et des solitudes de l’Asie sont favorables au pinceau.

 

Le Nouveau Testament change le génie de la peinture. Sans lui rien ôter de sa sublimité, il lui donne plus de tendresse. Qui n’a cent fois admiré les Nativités, les Vierges et l’Enfant, les Fuites dans le désert, les Couronnements d’épines, les Sacrements, les Missions des apôtres, les Descentes de croix, les Femmes au saint Sépulcre ! Des Bacchanales, des fêtes de Vénus, des rapts, des métamorphoses, peuvent-ils toucher le cœur comme les tableaux tirés de l’Écriture ? Le christianisme nous montre partout la vertu et l’infortune, et le polythéisme est un culte de crimes et de prospérité. Notre religion à nous, c’est notre histoire ; c’est pour nous que tant de spectacles tragiques ont été donnés au monde : nous sommes parties dans les scènes que le pinceau nous étale, et les accords les plus moraux et les plus touchants se reproduisent dans les sujets chrétiens. Soyez à jamais glorifiée, religion de Jésus-Christ, vous qui aviez représenté au Louvre le Roi des rois crucifié, le Jugement dernier au plafond de la salle de nos juges, une Résurrection à l’hôpital général, et la Naissance du Sauveur à la maison de ces orphelins délaissés de leurs pères et de leurs mères !

 

Au reste, nous pouvons dire ici des sujets de tableaux ce que nous avons dit ailleurs des sujets de poèmes : le christianisme a fait naître pour le peintre une partie dramatique très supérieure à celle de la mythologie. C’est aussi la religion qui nous a donné les Claude le Lorrain, comme elle nous a fourni les Delille et les Saint-Lambert. Mais tant de raisonnements sont inutiles : parcourez la galerie du Louvre, et dites encore, si vous le pouvez, que le génie du christianisme est peu favorable aux beaux-arts.

 

 

CHATEAUBRIAND, Génie du Christianisme, Troisième Partie, Beaux-arts et Littérature, Livre 1, Beaux-arts, Chapitre IV - Des sujets de Tableaux

 

Le Sacrifice d'Isaac, Rembrandt

Le Sacrifice d'Isaac, Rembrandt

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2 juillet 2015 4 02 /07 /juillet /2015 11:00

La Grèce raconte qu’une jeune fille, apercevant l’ombre de son amant sur un mur, dessina les contours de cette ombre. Ainsi, selon l’antiquité, une passion volage produisit l’art des plus parfaites illusions.

 

L’école chrétienne a cherché un autre maître ; elle le reconnaît dans cet artiste qui, pétrissant un peu de limon entre ses mains puissantes, prononça ces paroles : Faisons l’homme à notre image. Donc, pour nous, le premier trait du dessin a existé dans l’idée éternelle de Dieu, et la première statue que vit le monde fut cette fameuse argile animée du souffle du Créateur.

 

Il y a une force d’erreur qui contraint au silence, comme la force de vérité : l’une et l’autre, poussées au dernier degré emportent conviction, la première négativement, la seconde affirmativement. Ainsi, lorsqu’on entend soutenir que le christianisme est l’ennemi des arts, on demeure muet d’étonnement, car à l’instant même on ne peut s’empêcher de se rappeler Michel-Ange, Raphaël, Carrache, Dominique, Le Sueur, Poussin, Coustou et tant d’autres artistes dont les seuls noms rempliraient des volumes.

 

Vers le milieu du quatrième siècle, l’empire romain, envahi par les barbares et déchiré par l’hérésie, tomba en ruine de toutes parts. Les arts ne trouvèrent plus de retraites qu’auprès des chrétiens et des empereurs orthodoxes. Théodose, par une loi spéciale De excusatione artificium, déchargea les peintres et leurs familles de tout tribut et du logement d’hommes de guerre. Les Pères de l’Église ne tarissent point sur les éloges qu’ils donnent à la peinture. Saint Grégoire s’exprime d’une manière remarquable : Vidi saepias inscriptionis imaginem, et sine lacrymis transire non potui, cum tam efficaciter ob oculos poneret historiam ; c’était un tableau représentant le sacrifice d’Abraham.

 

Saint Basile va plus loin, car il assure que les peintres font autant par leurs tableaux que les orateurs par leur éloquence. Un moine nommé Méthodius peignit dans le huitième siècle ce Jugement dernier qui convertit Bogoris, roi des Bulgares. Les prêtres avaient rassemblé au collège de l’orthodoxie, à Constantinople, la plus belle bibliothèque du monde et les chefs-d’œuvre des arts : on y voyait en particulier la Vénus de Praxitèle, ce qui prouve au moins que les fondateurs du culte catholique n’étaient pas des barbares sans goût, des moines bigots livrés à une absurde superstition.

 

Ce collège fut dévasté par les empereurs iconoclastes. Les professeurs furent brûlés vifs, et ce ne fut qu’au péril de leurs jours que des chrétiens parvinrent à sauver la peau de dragon, de cent vingt pieds de longueur, où les œuvres d’Homère étaient écrites en lettres d’or. On livra aux flammes les tableaux des églises. De stupides et furieux hérésiarques, assez semblables aux puritains de Cromwell, hachèrent à coups de sabre les mosaïques de l’église de Notre-Dame de Constantinople et du palais des Blaquernes. Les persécutions furent poussées si loin, qu’elles enveloppèrent les peintres eux-mêmes : on leur défendit, sous peine de mort, de continuer leurs études. Le moine Lazare eut le courage d’être le martyr de son art. Ce fut en vain que Théophile lui fit brûler les mains pour l’empêcher de tenir le pinceau. Caché dans le souterrain de l’église de Saint-Jean-Baptiste, le religieux peignit avec ses doigts mutilés le grand saint dont il était le suppliant, digne sans doute de devenir le patron des peintres et d’être reconnu de cette famille sublime que le souffle de l’esprit ravit au-dessus des hommes.

 

Sous l’empire des Goths et des Lombards, le christianisme continua de tendre une main secourable aux talents. Ces efforts se remarquent surtout dans les églises bâties par Théodoric, Luitprand et Didier. Le même esprit de religion inspira Charlemagne ; et l’église des Apôtres, élevée par ce grand prince à Florence, passe encore, même aujourd’hui, pour un assez beau monument.

 

Enfin, vers le treizième siècle, la religion chrétienne, après avoir lutté contre mille obstacles, ramena en triomphe le chœur des Muses sur la terre. Tout se fit pour les églises et par la protection des pontifes et des princes religieux. Bouchet, Grec d’origine, fut le premier architecte, Nicolas le premier sculpteur et Cimabué le premier peintre, qui tirèrent le goût antique des ruines de Rome et de la Grèce. Depuis ce temps les arts, entre diverses mains et par divers génies, parvinrent jusqu’à ce siècle de Léon X, où éclatèrent comme des soleils Raphaël et Michel-Ange.

 

On sent qu’il n’est pas de notre sujet de faire l’histoire complète de l’art. Tout ce que nous devons montrer, c’est en quoi le christianisme est plus favorable à la peinture qu’une autre religion. Or, il est aisé de prouver trois choses : 1 - que la religion chrétienne, étant d’une nature spirituelle et mystique, fournit à la peinture un beau idéal plus parfait et plus divin que celui qui naît d’un culte matériel ; 2 - que, corrigeant la laideur des passions ou les combattant avec force, elle donne des tons plus sublimes à la figure humaine et fait mieux sentir l’âme dans les muscles, et les liens de la matière ; 3 - enfin, qu’elle a fourni aux arts des sujets plus beaux, plus riches, plus dramatiques, plus touchants que les sujets mythologiques.

 

Les deux premières propositions ont été amplement développées dans notre examen de la poésie : nous ne nous occuperons donc que de la troisième.

 

 

CHATEAUBRIAND, Génie du Christianisme, Troisième Partie, Beaux-arts et Littérature, Livre 1, Beaux-arts, Chapitre III - Partie historique de la peinture chez les modernes

 

La Sainte Famille à l'agneau, Raphaël, Museo del Prado

La Sainte Famille à l'agneau, Raphaël, Museo del Prado

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1 juillet 2015 3 01 /07 /juillet /2015 11:00

Si l’histoire ne prouvait pas que le chant grégorien est le reste de cette musique antique dont on raconte tant de miracles, il suffirait d’examiner son échelle pour se convaincre de sa haute origine. Avant Gui Arétin, elle ne s’élevait pas au-dessus de la quinte, en commençant par l’ut, ré, mi, fa, sol. Ces cinq tons sont la gamme naturelle de la voix, et donnent une phrase musicale pleine et agréable.

 

M. Burette nous a conservé quelques airs grecs. En les comparant au plain-chant, on y reconnaît le même système. La plupart des psaumes sont sublimes de gravité, particulièrement le Dixit Dominus Domino meo, le Confitebor tibi et le Laudate, pueri. L’In exitu, arrangé par Rameau, est d’un caractère moins ancien ; il est peut-être du temps de l’Ut queant laxis, c’est-à-dire du siècle de Charlemagne.

 

Le christianisme est sérieux comme l’homme, et son sourire même est grave. Rien n’est beau comme les soupirs que nos maux arrachent à la religion. L’office des morts est un chef-d’œuvre ; on croit entendre les sourds retentissements du tombeau. Si l’on en croit une ancienne tradition, le chant qui délivre les morts, comme l’appelle un de nos meilleurs poètes, est celui-là même que l’on chantait aux pompes funèbres des Athéniens vers le temps de Périclès.

 

Dans l’office de la Semaine Sainte on remarque la passion de saint Matthieu. Le récitatif de l’historien, les cris de la populace, la noblesse des réponses de Jésus, forment un drame pathétique.

 

Pergolèze a déployé dans le Stabat Mater la richesse de son art ; mais a-t-il surpassé le simple chant de l’Église ? Il a varié la musique sur chaque strophe, et pourtant le caractère essentiel de la tristesse consiste dans la répétition du même sentiment et, pour ainsi dire, dans la monotonie de la douleur. Diverses raisons peuvent faire couler les larmes, mais les larmes ont toujours une semblable amertume ; d’ailleurs, il est rare qu’on pleure à la fois pour une foule de maux ; et quand les blessures sont multipliées, il y en a toujours une plus cuisante que les autres, qui finit par absorber les moindres peines. Telle est la raison du charme de nos vieilles romances françaises. Ce chant pareil qui revient à chaque couplet sur des paroles variées imite parfaitement la nature : l’homme qui souffre promène ainsi ses pensées sur différentes images, tandis que le fond de ses chagrins reste le même.

 

Pergolèze a donc méconnu cette vérité qui tient à la théorie des passions, lorsqu’il a voulu que pas un soupir de l’âme ne ressemblât au soupir qui l’avait précédé. Partout où il y a variété il y a distraction, et partout où il y a distraction il n’y a plus de tristesse tant l’unité est nécessaire au sentiment ! tant l’homme est faible dans cette partie même où gît toute sa force, nous voulons dire dans la douleur !

 

La leçon des Lamentations de Jérémie porte un caractère particulier : elle peut avoir été retouchée par les modernes, mais le fond nous en paraît hébraïque, car il ne ressemble point aux airs grecs du plain-chant. Le Pentateuque se chantait à Jérusalem, comme des bucoliques, sur un mode plein et doux ; les prophéties se disaient d’un ton rude et pathétique, et les psaumes avaient un mode extatique qui leur était particulièrement consacré. Ici nous retombons dans ces grands souvenirs que le culte catholique rappelle de toutes parts. Moïse et Homère, le Liban et le Cythéron, Solyme et Rome, Babylone et Athènes, ont laissé leurs dépouilles à nos autels.

 

Enfin, c’est l’enthousiasme même qui inspira le Te Deum. Lorsque, arrêtée sur les plaines de Lens ou de Fontenoy, au milieu des foudres et du sang fumant encore, aux fanfares des clairons et des trompettes, une armée française, sillonnée des feux de la guerre, fléchissait le genou et entonnait l’hymne au Dieu des batailles ; ou bien lorsqu’au milieu des lampes, des masses d’or, des flambeaux, des parfums, aux soupirs de l’orgue, au balancement des cloches, au frémissement des serpents et des basses, cette hymne faisait résonner les vitraux, les souterrains et les dômes d’une basilique, alors il n’y avait point d’homme qui ne se sentît transporté, point d’homme qui n’éprouvât quelque mouvement de ce délire qui faisait éclater Pindare aux bois d’Olympie ou David au torrent de Cédron.

 

Au reste, en ne parlant que des chants grecs de l’Église, on sent que nous n’employons pas tous nos moyens, puisque nous pourrions montrer les Ambroise, les Damase, les Léon, les Grégoire, travaillant eux-mêmes au rétablissement de l’art musical ; nous pourrions citer ces chefs-d’œuvre de la musique moderne composés pour les fêtes chrétiennes ; les Vinci, les Léo, les Hasse, les Galuppi, les Durante, élevés, formés ou protégés dans les oratoires de Venise, de Naples, de Rome, et à la cour des souverains pontifes.

 

 

CHATEAUBRIAND, Génie du Christianisme ; Troisième Partie, Beaux-arts et Littérature ; Livre 1, Beaux-arts ; Chapitre II - Du Chant grégorien

 

Grandes Heures de Rohan, XVe s.

Grandes Heures de Rohan, XVe s.

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30 juin 2015 2 30 /06 /juin /2015 11:00

Frères de la poésie, les beaux-arts vont être maintenant l’objet de nos études : attachés aux pas de la religion chrétienne, ils la reconnurent pour leur mère aussitôt qu’elle parut au monde ; ils lui prêtèrent leurs charmes terrestres ; elle leur donna sa divinité. La musique nota ses chants, la peinture la représenta dans ses douloureux triomphes, la sculpture se plut à rêver avec elle sur les tombeaux, et l’architecture lui bâtit des temples sublimes et mystérieux comme sa pensée.

 

Platon a merveilleusement défini la nature de la musique : " On ne doit pas, dit-il, juger de la musique par le plaisir, ni rechercher celle qui n’aurait d’autre objet que le plaisir, mais celle qui contient en soi la ressemblance du beau."

 

En effet, la musique considérée comme art est une imitation de la nature : sa perfection est donc de représenter la plus belle nature possible. Or le plaisir est une chose d’opinion, qui varie selon les temps, les mœurs et les peuples, et qui ne peut être le beau, puisque le beau est un et existe absolument. De là toute institution qui sert à purifier l’âme, à en écarter le trouble et les dissonances, à y faire naître la vertu, est, par cette qualité même, propice à la plus belle musique, ou à l’imitation la plus parfaite du beau. Mais si cette institution est en outre de nature religieuse, elle possède alors les deux conditions essentielles à l’harmonie, le beau et le mystérieux. Le chant nous vient des anges, et la source des concerts est dans le ciel.

 

C’est la religion qui fait gémir, au milieu de la nuit, la vestale sous ses dômes tranquilles ; c’est la religion qui chante si doucement au bord du lit de l’infortuné. Jérémie lui dut ses lamentations et David ses pénitences sublimes. Plus fière sous l’ancienne alliance, elle ne peignit que les douleurs de monarques et de prophètes ; plus modeste et non moins royale sous la nouvelle loi, ses soupirs conviennent également aux puissants et aux faibles, parce qu’elle a trouvé dans Jésus-Christ l’humilité unie à la grandeur.

 

Ajoutons que la religion chrétienne est essentiellement mélodieuse, par la seule raison qu’elle aime la solitude. Ce n’est pas qu’elle soit ennemie du monde, elle s’y montre au contraire très aimable ; mais cette céleste Philomèle préfère les retraites ignorées. Elle est un peu étrangère sous les toits des hommes, elle aime mieux les forêts, qui sont les palais de son père et son ancienne patrie. C’est là qu’elle élève la voix vers le firmament, au milieu des concerts de la nature : la nature publie sans cesse les louanges du Créateur, et il n’y a rien de plus religieux que les cantiques que chantent avec les vents les chênes et les roseaux du désert.

 

Ainsi le musicien qui veut suivre la religion dans ses rapports est obligé d’apprendre l’imitation des harmonies de la solitude. Il faut qu’il connaisse les sons que rendent les arbres et les eaux ; il faut qu’il ait entendu le bruit du vent dans les cloîtres et ces murmures qui règnent dans les temples gothiques, dans l’herbe des cimetières et dans les souterrains des morts.

 

Le christianisme a inventé l’orgue et donné des soupirs à l’airain même. Il a sauvé la musique dans les siècles barbares : là où il a placé son trône, là s’est formé un peuple qui chante naturellement comme les oiseaux. Quand il a civilisé les sauvages, ce n’a été que par des cantiques ; et l’Iroquois, qui n’avait point cédé à ses dogmes, a cédé à ses concerts.

 

Religion de paix ! vous n’avez pas, comme les autres cultes, dicté aux humains des préceptes de haine et de discorde ; vous leur avez seulement enseigné l’amour et l’harmonie.

 

 

CHATEAUBRIAND, Génie du Christianisme ; Troisième Partie - Beaux-Arts et Littérature ; Livre 1 - Beaux-Arts ; Chapitre I - Musique - De l’influence du Christianisme dans la musique

 

Orgue de l'abbaye bénédictine d'Ottobeuren

Orgue de l'abbaye bénédictine d'Ottobeuren

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26 juin 2015 5 26 /06 /juin /2015 11:00

Quelques exemples achèveront maintenant le développement de ce parallèle. Nous prendrons l’ordre inverse de nos premières bases, c’est-à-dire que nous commencerons par les lieux d’oraison dont on peut citer des traits courts et détachés, tels que le sublime et les comparaisons, pour finir par la simplicité et l’antiquité des mœurs.

 

Il y a un endroit remarquable par le sublime dans l’Iliade : c’est celui où Achille, après la mort de Patrocle, paraît désarmé sur le retranchement des Grecs, et épouvante les bataillons troyens par ses cris. Le nuage d’or qui ceint le front du fils de Pélée, la flamme qui s’élève sur sa tête, la comparaison de cette flamme à un feu placé la nuit au haut d’une tour assiégée, les trois cris d’Achille, qui trois fois jettent la confusion dans l’armée troyenne, tout cela forme ce sublime homérique, qui, comme nous l’avons dit, se compose de la réunion de plusieurs beaux accidents et de la magnificence des mots.

 

Voici un sublime bien différent, c’est le mouvement de l’ode dans son plus haut délire :

" Prophétie contre la vallée de Vision.

" D’où vient que tu montes ainsi en foule sur les toits,

" Ville pleine de tumulte, ville pleine de peuple, ville triomphante ? Les enfants sont tués, et ils ne sont point morts par l’épée ; ils ne sont point tombés par la guerre.

" Le Seigneur vous couronnera d’une couronne de maux. Il vous jettera comme une balle dans un champ large et spacieux. Vous mourrez là : et c’est à quoi se réduira le char de votre gloire."

 

Dans quel monde inconnu le prophète vous jette tout à coup ! Où vous transporte-t-il ? Quel est celui qui parle, et à qui la parole est-elle adressée ? Le mouvement suit le mouvement, et chaque verset s’étonne du verset qui l’a précédé. La ville n’est plus un assemblage d’édifices, c’est une femme, ou plutôt un personnage mystérieux, car son sexe n’est pas désigné. Il monte sur les toits pour gémir ; le prophète, partageant son désordre, lui dit au singulier : pourquoi montes-tu ? et il ajoute, en foule, collectif "Il vous jettera comme une balle dans un champ spacieux, et c’est à quoi se réduira le char de votre gloire" : voilà des alliances de mots et une poésie bien extraordinaires.

 

Homère a mille façons sublimes de peindre une mort violente ; mais l’Écriture les a toutes surpassées par ce seul mot : "Le premier-né de la mort dévorera sa beauté."

Le premier-né de la mort, pour dire la mort la plus affreuse, est une de ces figures qu’on ne trouve que dans la Bible. On ne sait pas où l’esprit humain a été chercher cela, les routes pour arriver à ce sublime sont inconnues.

 

C’est ainsi que l’Écriture appelle encore la mort le roi des épouvantements ; c’est ainsi qu’elle dit, en parlant du méchant : " Il a conçu la douleur et enfanté l’iniquité."

Quand le même Job veut relever la grandeur de Dieu, il s’écrie : " L’enfer est nu devant ses yeux ; — c’est lui qui lie les eaux dans les nuées ; — il ôte le baudrier aux rois et ceint leurs reins d’une corde."

 

Le devin Théoclymène, au festin de Pénélope, est frappé des présages sinistres qui les menacent.

" Ah, malheureux ! que vous est-il arrivé de funeste ? quelles ténèbres sont répandues sur vos têtes, sur votre visage et autour de vos genoux débiles ! Un hurlement se fait entendre, vos joues sont couvertes de pleurs. Les murs, les lambris, sont teints de sang ; cette salle, ce vestibule, sont pleins de larves qui descendent dans l’Erèbe, à travers l’ombre. Le soleil s’évanouit dans le ciel, et la nuit des enfers se lève."

 

Tout formidable que soit ce sublime, il le cède encore à la vision du livre de Job :

" Dans l’horreur d’une vision de nuit, lorsque le sommeil endort le plus profondément les hommes,

" Je fus saisi de crainte et de tremblement, et la frayeur pénétra jusqu’à mes os.

Un esprit passa devant ma face, et le poil de ma chair se hérissa d’horreur.

Je vis celui dont je ne connaissais point le visage. Un spectre parut devant mes yeux, et j’entendis une voix comme un petit souffle."

 

Il y a là beaucoup moins de sang, de ténèbres, de larves que dans Homère ; mais ce visage inconnu et ce petit souffle sont en effet beaucoup plus terribles.

 

Quant à ce sublime qui résulte du choc d’une grande pensée et d’une petite image, nous allons en voir un bel exemple en parlant des comparaisons.

 

Si le chantre d’Ilion peint un jeune homme abattu par la lance de Ménélas, il le compare à un jeune olivier couvert de fleurs, planté dans un verger loin des feux du soleil, parmi la rosée et les zéphyrs ; tout à coup un vent impétueux le renverse sur le sol natal, et il tombe au bord des eaux nourricières qui portaient la sève à ses racines. On croit entendre les soupirs du vent dans la tige du jeune olivier. Quam flatus motant omnium ventorum.

La Bible pour tout cela n’a qu’un trait : " L’impie, dit-elle, se flétrira comme la vigne tendre, comme l’olivier qui laisse tomber sa fleur."

" La terre, s’écrie Isaïe, chancellera comme un homme ivre ; elle sera transportée comme une tente dressée pour une nuit."

Voilà le sublime en contraste. Sur la phrase elle sera transportée l’esprit demeure suspendu et attend quelque grande comparaison, lorsque le prophète ajoute : comme une tente dressée pour une nuit. On voit la terre, qui nous paraît si vaste, déployée dans les airs comme un petit pavillon, ensuite emportée avec aisance par le Dieu fort qui l’a tendue, et pour qui la durée des siècles est à peine comme une nuit rapide.

 

La seconde espèce de comparaison que nous avons attribuée à la Bible, c’est-à-dire la longue comparaison, se rencontre ainsi dans Job :

" Vous verriez l’impie humecté avant le lever du soleil et réjouir sa tige dans son jardin. Ses racines se multiplient dans un tas de pierres et s’y affermissent ; si on l’arrache de sa place, le lieu même où il était le renoncera, et lui dira : "Je ne t’ai point connu."

Combien cette comparaison ou plutôt cette figure prolongée est admirable ! C’est ainsi que les méchants sont reniés par ces cœurs stériles, par ces tas de pierres sur lesquels, dans leur coupable prospérité, ils jettent follement leurs racines. Ces cailloux qui prennent la parole offrent de plus une sorte de personnification presque inconnue au poète de l’Ionie.

 

Ezéchiel prophétisant la ruine de Tyr s’écrie : " Les vaisseaux trembleront, maintenant que vous êtes saisie de frayeur ; et les îles seront épouvantées dans la mer en voyant que personne ne sort de vos portes."

Y a-t-il rien de plus effrayant que cette image ? On croit voir cette ville, jadis si commerçante et si peuplée, debout encore avec ses tours et ses édifices, tandis qu’aucun être vivant ne se promène dans ses rues solitaires ou ne passe sous ses portes désertes.

 

Venons aux exemples de narrations, où nous trouverons réunis le sentiment, la description, l’image, la simplicité et l’antiquité des mœurs.

 

Les passages les plus fameux, les traits les plus connus et les plus admirés dans Homère, se retrouvent presque mot pour mot dans la Bible, et toujours avec une supériorité incontestable.

Ulysse est assis au festin du roi Alcinoüs, Démodocus chante la guerre de Troie et les malheurs des Grecs :

" UIysse, prenant dans sa forte main un pan de son superbe manteau de pourpre, le tirait sur sa tête pour cacher son noble visage et pour dérober aux Phéaciens les pleurs qui lui tombaient des yeux. Quand le chantre divin suspendait ses vers, Ulysse essuyait ses larmes, et, prenant une coupe, il faisait des libations aux dieux. Quand Démodocus recommençait ses chants et que les anciens l’excitaient à continuer (car ils étaient charmés de ses paroles), Ulysse s’enveloppait la tête de nouveau, et recommençait à pleurer."

 

Ce sont des beautés de cette nature qui de siècle en siècle ont assuré à Homère la première place entre les plus grands génies. Il n’y a point de honte à sa mémoire de n’avoir été vaincu par de pareils tableaux que par des hommes écrivant sous la dictée du Ciel. Mais vaincu, il l’est sans doute, et d’une manière qui ne laisse aucun subterfuge à la critique.

Ceux qui ont vendu Joseph, les propres frères de cet homme puissant, retournent vers lui sans le reconnaître, et lui amènent le jeune Benjamin, qu’il avait demandé.

" Joseph les salua aussi en leur faisant bon visage, et il leur demanda : Votre père, ce vieillard dont vous parliez, vit-il encore, se porte-t-il bien ?

Ils lui répondirent : Notre père, votre serviteur, est encore en vie, et il se porte bien ; et, en se baissant profondément, ils l’adorèrent.

Joseph, levant les yeux, vit Benjamin, son frère, fils de Rachel, sa mère, et il leur dit : Est-ce là le plus jeune de vos frères dont vous m’aviez parlé ? Mon fils, ajouta-t-il, je prie Dieu qu’il vous soit toujours favorable.

Et il se hâta de sortir, parce que ses entrailles avaient été émues en voyant son frère, et qu’il ne pouvait plus retenir ses larmes : passant donc dans une autre chambre, il pleura.

Et après s’être lavé le visage, il revint, et, se faisant violence, dit à ses serviteurs : Servez à manger."

 

Voilà les larmes de Joseph en opposition à celles d’Ulysse ; voilà des beautés semblables, et cependant quelle différence de pathétique ! Joseph, pleurant à la vue de ses frères ingrats et du jeune et innocent Benjamin, cette manière de demander des nouvelles d’un parc, cette adorable simplicité, ce mélange d’amertume et de douceur, sont des choses ineffables ; les larmes en viennent aux yeux, et l’on se sent prêt à pleurer comme Joseph.

 

Ulysse caché chez Eumée se fait reconnaître à Télémaque ; il sort de la maison du pasteur, dépouille ses haillons, et, reprenant sa beauté par un coup de baguette de Minerve, il rentre pompeusement vêtu.

" Son fils bien aimé l’admire, et se hâte de détourner sa vue, dans la crainte que ce ne soit un dieu. Faisant un effort pour parler, il lui adresse rapidement ces mots : Étranger, tu me parais bien différent de ce que tu étais avant d’avoir ces habits, et tu n’es plus semblable à toi-même. Certes, tu es quelqu’un des dieux habitants du secret Olympe ; mais sois-nous favorable, nous t’offrirons des victimes sacrées et des ouvrages d’or merveilleusement travaillés.

" Le divin Ulysse, pardonnant à son fils, répondit : Je ne suis point un dieu. Pourquoi me compares-tu aux dieux ? Je suis ton père, pour qui tu supportes mille maux et les violences des hommes. Il dit, et il embrasse son fils, et les larmes qui coulent le long de ses joues viennent mouiller la terre ; jusqu’alors il avait eu la force de les retenir."

 

Nous reviendrons sur cette reconnaissance ; il faut voir auparavant celle de Joseph et de ses frères.

Joseph, après avoir fait mettre une coupe dans le sac de Benjamin, ordonne d’arrêter les enfants de Jacob ; ceux-ci sont consternés. Joseph feint de vouloir retenir le coupable : Juda s’offre en otage pour Benjamin ; il raconte à Joseph que Jacob lui avait dit, avant de partir pour l’Égypte :

" Vous savez que j’ai eu deux fils de Rachel, ma femme.

L’un d’eux étant allé aux champs, vous m’avez dit qu’une bête l’avait dévoré ; il ne paraît point jusqu’à cette heure.

Si vous emmenez encore celui-ci, et qu’il lui arrive quelque accident dans le chemin, vous accablerez ma vieillesse d’une affliction qui la conduira au tombeau.

Joseph ne pouvant plus se retenir, et parce qu’il était environné de plusieurs personnes, il commanda que l’on fît sortir tout le monde, afin que nul étranger ne fût présent lorsqu’il se ferait reconnaître de ses frères.

Alors les larmes lui tombant des yeux, il éleva fortement sa voix, qui fut entendue des Égyptiens et de toute la maison de Pharaon.

Il dit à ses frères : Je suis Joseph : mon père vit-il encore ? Mais ses frères ne purent lui répondre, tant ils étaient saisis de frayeur.

Il leur parla avec douceur, et leur dit : Approchez-vous de moi ; et s’étant approchés de lui, il ajouta : Je suis Joseph votre frère, que vous avez vendu pour l’Égypte.

Ne craignez point. Ce n’est point par votre conseil que j’ai été envoyé ici, mais par la volonté de Dieu. Hâtez-vous d’aller trouver mon père.

" Et s’étant jeté au cou de Benjamin, son frère, il pleura, et Benjamin pleura aussi en le tenant embrassé.

Joseph embrassa aussi tous ses frères, et il pleura sur chacun d’eux."

 

La voilà, cette histoire de Joseph, et ce n’est point dans l’ouvrage d’un sophiste qu’on la trouve (car rien de ce qui est fait avec le cœur et les larmes n’appartient à des sophistes) ; on la trouve, cette histoire, dans le livre qui sert de base à une religion dédaignée des esprits forts, et qui serait bien en droit de leur rendre mépris pour mépris. Voyons comment la reconnaissance de Joseph et de ses frères l’emporte sur celle d’Ulysse et de Télémaque.

 

Homère, ce nous semble, est d’abord tombé dans une erreur en employant le merveilleux. Dans les scènes dramatiques, lorsque les passions sont émues, et que tous les miracles doivent sortir de l’âme, l’intervention d’une divinité refroidit l’action, donne aux sentiments l’air de la fable, et décèle le mensonge du poète où l’on ne pensait trouver que la vérité. Ulysse se faisant reconnaître sous ses haillons à quelque marque naturelle eût été plus touchant. C’est ce qu’Homère lui-même avait senti, puisque le roi d’Ithaque se découvre à sa nourrice Euryclée par une ancienne cicatrice, et à Laërte par la circonstance des treize poiriers que le vieillard avait donnés à Ulysse enfant. On aime à voir que les entrailles du destructeur des villes sont formées comme celles du commun des hommes, et que les affections simples en composent le fond.

 

La reconnaissance est mieux amenée dans la Genèse : une coupe est mise par la plus innocente vengeance dans le sac d’un jeune frère innocent ; des frères coupables se désolent en pensant à l’affliction de leur père ; l’image de la douleur de Jacob brise tout à coup le cœur de Joseph, et le force à se découvrir plus tôt qu’il ne l’avait résolu. Quant au mot fameux : Je suis Joseph, on sait qu’il faisait pleurer d’admiration Voltaire lui-même. Le "Je suis ton père", est bien inférieur à l’Ego sum Joseph. Ulysse retrouve dans Télémaque un fils soumis et fidèle. Joseph parle à des frères qui l’ont vendu ; il ne leur dit pas Je suis votre frère : il leur dit seulement : Je suis Joseph, et tout est pour eux dans ce nom de Joseph. Comme Télémaque, ils, sont troublés ; mais ce n’est pas la majesté du ministre de Pharaon qui les étonne, c’est quelque chose au fond de leur conscience.

 

Ulysse fait à Télémaque un long raisonnement pour lui prouver qu’il est son père : Joseph n’a pas besoin de tant de paroles avec les fils de Jacob. Il les appelle auprès de lui : car, s’il a élevé la voix assez haut pour être entendu de toute la maison de Pharaon, lorsqu’il a dit Je suis Joseph, ses frères doivent être maintenant les seuls à entendre l’explication qu’il va ajouter à voix basse : Ego sum, Joseph, frater vester, quem vendidistis in Aegyptum : c’est la délicatesse, la générosité et la simplicité poussées au plus haut degré.

 

N’oublions pas de remarquer avec quelle bonté Joseph console ses frères, les excuses qu’il leur fournit en leur disant que, loin de l’avoir rendu misérable, ils sont au contraire la cause de sa grandeur. C’est à quoi l’Écriture ne manque jamais, de placer la Providence dans la perspective de ses tableaux. Ce grand conseil de Dieu, qui conduit les affaires humaines alors qu’elles semblent le plus abandonnées aux lois du hasard, surprend merveilleusement l’esprit. On aime cette main cachée dans la nue, qui travaille incessamment les hommes ; on aime à se croire quelque chose dans les projets de la Sagesse et à sentir que le moment de notre vie est un dessein de l’éternité.

 

Tout est grand avec Dieu, tout est petit sans Dieu : cela s’étend jusque sur les sentiments. Supposez que tout se passe dans l’histoire de Joseph comme il est marqué dans la Genèse ; admettez que le fils de Jacob soit aussi bon, aussi sensible qu’il l’est, mais qu’il soit philosophe, et qu’ainsi, au lieu de dire : Je suis ici par la volonté du Seigneur, il dise : La fortune m’a été favorable, les objets diminuent, le cercle se rétrécit, et le pathétique s’en va avec les larmes.

 

Enfin Joseph embrasse ses frères comme Ulysse embrasse Télémaque, mais il commence par Benjamin. Un auteur moderne n’eût pas manqué de le faire se jeter de préférence au cou du frère le plus coupable, afin que son héros fût un vrai personnage de tragédie. La Bible a mieux connu le cœur humain : elle a su comment apprécier cette exagération de sentiment par qui un homme a toujours l’air de s’efforcer d’atteindre à ce qu’il croit une grande chose ou de dire ce qu’il pense un grand mot. Au reste, la comparaison qu’Homère a faite des sanglots de Télémaque et d’Ulysse aux cris d’un aigle et de ses aiglons (comparaison que nous avons supprimée) nous semble encore de trop dans ce lieu ; "et, s’étant jeté au cou, de Benjamin pour l’embrasser, il pleura ; et Benjamin pleura aussi en le tenant embrassé" : c’est là la seule magnificence de style convenable en de telles occasions.

 

Nous trouverions dans l’Écriture plusieurs autres morceaux de narration de la même excellence que celui de Joseph, mais le lecteur peut aisément en faire la comparaison avec des passages d’Homère. Il comparera, par exemple, le livre de Ruth et le livre de la réception d’Ulysse chez Eumée. Tobie offre des ressemblances touchantes avec quelques scènes de l’Iliade et de l’Odyssée : Priam est conduit par Mercure sous la forme d’un jeune homme, comme le fils de Tobie l’est par un ange sous le même déguisement. Il ne faut pas oublier le chien qui court annoncer à de vieux parents le retour d’un fils chéri ; et cet autre chien qui, reste fidèle parmi des serviteurs ingrats, accomplit ses destinées dès qu’il a reconnu son maître sous les lambeaux de l’infortune. Nausicaa et la fille de Pharaon vont laver leurs robes aux fleuves : l’une y trouve Ulysse, et l’autre Moïse.

 

Il y a surtout dans la Bible de certaines façons de s’exprimer plus touchantes, selon nous, que toute la poésie d’Homère. Si celui-ci veut peindre la vieillesse, il dit :

"Nestor, cet orateur des Pyliens, cette bouche éloquente dont les paroles étaient plus douces que le miel, se leva au milieu de l’assemblée. Déjà il avait charmé par ses discours deux générations d’hommes entre lesquels il avait vécu dans la grande Pylos, et il régnait maintenant sur la troisième."

Cette phrase est de la plus belle antiquité comme de la plus douce mélodie. Le second vers imite la douceur du miel et l’éloquence onctueuse d’un vieillard.

 

Pharaon ayant interrogé Jacob sur son âge, le patriarche répond :

" Il y a cent trente ans que je suis voyageur. Mes jours ont été courts et mauvais, et ils n’ont point égalé ceux de mes pères."

 

Voilà deux sortes d’antiquités bien différentes : l’une est en images, l’autre en sentiments ; l’une réveille des idées riantes, l’autre des pensées tristes ; l’une représentant le chef d’un peuple, ne montre le vieillard que relativement à une position de la vie ; l’autre le considère individuellement et tout entier : en général Homère fait plus réfléchir sur les hommes, et la Bible sur l’homme.

 

Homère a souvent parlé des joies de deux époux, mais l’a-t-il fait de cette sorte ?

" Isaac fit entrer Rébecca dans la tente de Sara, sa mère, et il la prit pour épouse ; et il eut tant de joie en elle, que la douleur qu’il avait ressentie de la mort de sa mère fut tempérée."

 

Nous terminerons ce parallèle et notre poétique chrétienne par un essai qui fera comprendre dans un instant la différence qui existe entre le style de la Bible et celui d’Homère ; nous prendrons un morceau de la première pour la peindre des couleurs du second. Ruth parle ainsi à Noémi :

" Ne vous opposez point à moi en me forçant à vous quitter et à m’en aller : en quelque lieu que vous alliez, j’irai avec vous. Je mourrai où vous mourrez ; votre peuple sera mon peuple et votre Dieu sera mon Dieu."

Tâchons de traduire ce verset en langue homérique :

" La belle Ruth répondit à la sage Noémi, honorée des peuples comme une déesse : Cessez de vous opposer à ce qu’une divinité m’inspire ; je vous dirai la vérité telle que je la sais et sans déguisement. Je suis résolue de vous suivre. Je demeurerai avec vous, soit que vous restiez chez les Moabites, habiles à lancer le javelot, soit que vous retourniez au pays de Juda, si fertile en oliviers. Je demanderai avec vous l’hospitalité aux peuples qui respectent les suppliants. Nos cendres seront mêlées dans la même urne, et je ferai au Dieu qui vous accompagne toujours des sacrifices agréables.

Elle dit : et comme, lorsque le violent zéphyr amène une pluie tiède du côté de l’occident, les laboureurs préparent le froment et l’orge et font des corbeilles de jonc très proprement entrelacées, car ils prévoient que cette ondée va amollir la glèbe et la rendre propre à recevoir les dons précieux de Cérès, ainsi les paroles de Ruth, comme une pluie féconde, attendrirent le cœur de Noémi."

 

Autant que nos faibles talents nous ont permis d’imiter Homère, voilà peut-être l’ombre du style de cet immortel génie. Mais le verset de Ruth, ainsi délayé, n’a-t-il pas perdu ce charme original qu’il a dans l’écriture ? Quelle poésie peut jamais valoir ce seul tour : Populus tuus populus meus, Deus tuus Deus meus. Il sera aisé maintenant de prendre un passage d’Homère, d’en effacer les couleurs et de n’en laisser que le fond à la manière de la Bible.

 

Par là nous espérons (du moins aussi loin que s’étendent nos lumières) avoir fait connaître aux lecteurs quelques-unes des innombrables beautés des livres saints : heureux si nous avons réussi à leur faire admirer cette grande et sublime pierre qui porte l’Église de Jésus-Christ !

 

" Si l’Ecriture, dit saint Grégoire le Grand, renferme des mystères capables d’exercer les plus éclairés, elle contient aussi des vérités simples, propres à nourrir les humbles et les moins savants : elle porte à l’extérieur de quoi allaiter les enfants, et dans ses plus secrets replis de quoi saisir d’admiration les esprits les plus sublimes. Semblable à un fleuve dont les eaux sont si basses en certains endroits qu’un agneau pourrait y passer, et en d’autres si profondes qu’un éléphant y nagerait."

 

 

CHATEAUBRIAND, Génie du Christianisme ; Deuxième Partie - Poétique du Christianisme ; Livre 5 - La Bible et Homère ; Chapitre IV - Suite du parallèle de la Bible et d’Homère. — Exemples

 

Joseph reconnu par ses frères, Peter von Cornelius (1783, Düsseldorf - 1867, Berlin)

Joseph reconnu par ses frères, Peter von Cornelius (1783, Düsseldorf - 1867, Berlin)

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25 juin 2015 4 25 /06 /juin /2015 11:00

On a tant écrit sur la Bible, on l’a tant de fois commentée, que le seul moyen qui reste peut-être aujourd’hui d’en faire sentir les beautés, c’est de la rapprocher des poèmes d’Homère. Consacrés par les siècles, ces poèmes ont reçu du temps une espèce de sainteté qui justifie le parallèle et écarte toute idée de profanation. Si Jacob et Nestor ne sont pas de la même famille, ils sont du moins l’un et l’autre des premiers jours du monde, et l’on sent qu’il n’y a qu’un pas des palais de Pylos aux tentes d’Ismael.

 

Comment la Bible est plus belle qu’Homère ; quelles sont les ressemblances et les différences qui existent entre elle et les ouvrages de ce poète : voilà ce que nous nous proposons de rechercher dans ces chapitres. Considérons ces deux monuments, qui, comme deux colonnes solitaires, sont placés à la porte du temple du Génie et en forment le simple péristyle.

 

Et d’abord, c’est une chose assez curieuse de voir lutter de front les deux langues les plus anciennes du monde ; langues dans lesquelles Moïse et Lycurgue ont publié leurs lois, et Pindare et David chanté leurs hymnes.

 

L’hébreu, concis, énergique, presque sans inflexions dans ses verbes exprimant vingt nuances de la pensée par la seule apposition d’une lettre, annonce l’idiome d’un peuple qui, par une alliance remarquable, unit à la simplicité primitive une connaissance approfondie des hommes.

 

Le grec montre dans ses conjugaisons perplexes, dans ses inflexions, dans sa diffuse éloquence, une nation d’un génie imitatif et sociable, une nation gracieuse et vaine, mélodieuse et prodigue de paroles.

 

L’hébreu veut-il composer un verbe, il n’a besoin que de connaître les trois lettres radicales qui forment au singulier la troisième personne du prétérit. Il a à l’instant même tous les temps et tous les modes, en ajoutant quelques lettres serviles avant, après ou entre les trois lettres radicales.

 

Bien plus embarrassée est la marche du grec. Il faut considérer la caractéristique, la terminaison, l’augment et la pénultième de certaines personnes des temps des verbes ; choses d’autant plus difficiles à connaître, que la caractéristique se perd, se transpose ou se charge d’une lettre inconnue, selon la lettre même devant laquelle elle se trouve placée.

 

Ces deux conjugaisons hébraïque et grecque, l’une si simple et si courte, l’autre si composée et si longue, semblent porter l’empreinte de l’esprit et des mœurs des peuples qui les ont formées : la première retrace le langage concis du patriarche qui va seul visiter son voisin au puits du palmier ; la seconde rappelle la prolixe éloquence du Pélasge qui se présente à la porte de son hôte.

 

Si vous prenez au hasard quelque substantif grec ou hébreu, vous découvrirez encore mieux le génie des deux langues. Nesher, en hébreu signifie un aigle : il vient du verbe shur, contempler, parce que l’aigle fixe le soleil.

Aigle, en grec, se rend par aietox, vol rapide.

Israël a été frappé de ce que l’aigle a de plus sublime : il l’a vu immobile sur le rocher de la montagne, regardant l’astre du jour à son réveil.

Athènes n’a aperçu que le vol de l’aigle, sa fuite impétueuse, et ce mouvement qui convenait au propre mouvement du génie des Grecs.

 

Telles sont précisément ces images de soleil, de feux, de montagnes, si souvent employées dans la Bible, et ces peintures de bruits, de courses, de passages, si multipliées dans Homère.

 

Nos termes de comparaison seront :

La simplicité ;

L’antiquité des mœurs ;

La narration ;

La description ;

Les comparaisons ou les images ;

Le sublime.

 

Examinons le premier terme.

1 - Simplicité.

La simplicité de la Bible est plus courte et plus grave ; la simplicité d’Homère plus longue et plus riante.

La première est sentencieuse, et revient aux mêmes locutions pour exprimer des choses nouvelles.

La seconde aime à s’étendre en paroles, et répète souvent dans les mêmes phrases ce qu’elle vient déjà de dire.

La simplicité de l’Ecriture est celle d’un antique prêtre qui, plein des sciences divines et humaines, dicte du fond du sanctuaire les oracles précis de la sagesse.

La simplicité du poète de Chio est celle d’un vieux voyageur qui raconte au foyer de son hôte ce qu’il a appris dans le cours d’une vie longue et traversée.

 

2 - Antiquité des mœurs.

Les fils des pasteurs d’Orient gardent les troupeaux comme le fils des rois d’Ilion ; mais lorsque Pâris retourne à Troie, il habite un palais parmi des esclaves et des voluptés.

Une tente, une table frugale, des serviteurs rustiques, voilà tout ce qui attend les enfants de Jacob chez leur père.

 

Un hôte se présente-t-il chez un prince dans Homère, des femmes, et quelquefois la fille même du roi, conduisent l’étranger au bain. On le parfume, on lui donne à laver dans des aiguières d’or et d’argent, on le revêt d’un manteau de pourpre, on le conduit dans la salle du festin, on le fait s’asseoir dans une belle chaise d’ivoire, ornée d’un beau marchepied. Des esclaves mêlent le vin et l’eau dans les coupes et lui présentent les dons de Cérès dans une corbeille ; le maître du lieu lui sert le dos succulent de la victime, dont il lui fait une part cinq fois plus grande que celle des autres. Cependant on mange avec une grande joie, et l’abondance a bientôt chassé la faim. Le repas fini, on prie l’étranger de raconter son histoire. Enfin, à son départ, on lui fait de riches présents, si mince qu’ait paru d’abord son équipage ; car on suppose que c’est un dieu qui vient, ainsi déguisé, surprendre le cœur des rois, ou un homme tombé dans l’infortune, et par conséquent le favori de Jupiter.

 

Sous la tente d’Abraham, la réception se passe autrement. Le patriarche sort pour aller au-devant de son hôte : il le salue, et puis adore Dieu. Les fils du lieu emmènent les chameaux, et les filles leur donnent à boire. On lave les pieds du voyageur : il s’assied à terre, et prend en silence le repas de l’hospitalité. On ne lui demande point son histoire, on ne le questionne point ; il demeure ou continue sa route à volonté. A son départ, on fait alliance avec lui, et l’on élève la pierre du témoignage. Cet autel doit dire aux siècles futurs que deux hommes des anciens jours se rencontrèrent dans le chemin de la vie ; qu’après s’être traités comme deux frères, ils se quittèrent pour ne se revoir jamais et pour mettre de grandes régions entre leurs tombeaux.

 

Remarquez que l’hôte inconnu est un étranger chez Homère et un voyageur dans la Bible. Quelles différentes vues de l’humanité ! Le grec ne porte qu’une idée politique et locale où l’hébreu attache un sentiment moral et universel.

 

Chez Homère, les œuvres civiles se font avec fracas et parade : un juge, assis au milieu de la place publique, prononce à haute voix ses sentences ; Nestor, au bord de la mer, fait des sacrifices ou harangue les peuples. Une noce a des flambeaux, des épithalames, des couronnes suspendues aux portes ; une armée, un peuple entier, assistent aux funérailles d’un roi ; un serment se fait au nom des Furies, avec des imprécations terribles, etc.

 

Jacob, sous un palmier, à l’entrée de sa tente, distribue la justice à ses pasteurs. "Mettez la main sur ma cuisse, dit Abraham à son serviteur, et jurez d’aller en Mésopotamie". Deux mots suffisent pour conclure un mariage au bord de la fontaine. Le domestique amène l’accordée au fils de son maître, ou le fils du maître s’engage à garder pendant sept ans les troupeaux de son beau-père, pour obtenir sa fille. Un patriarche est porté par ses fils, après sa mort, à la cave de ses pères, dans le champ d’Ephron. Ces mœurs-là sont plus vieilles encore que les mœurs homériques, parce qu’elles sont plus simples : elles ont aussi un calme et une gravité qui manquent aux premières.

 

3 - La narration.

La narration d’Homère est coupée par des digressions, des discours, des descriptions de vases, de vêtements, d’armes et de sceptres ; par des généalogies d’hommes ou de choses. Les noms propres y sont hérissés d’épithètes ; un héros manque rarement d’être divin, semblable aux Immortels ou honoré des peuples comme un dieu. Une princesse a toujours de beaux bras ; elle est toujours comme la tige du palmier de Délos, et elle doit sa chevelure à la plus jeune des Grâces.

 

La narration de la Bible est rapide, sans digression, sans discours : elle est semée de sentences, et les personnages y sont nommés sans flatterie. Les noms reviennent sans fin, et rarement le pronom les remplace, circonstance qui, jointe au retour fréquent de la conjonction et, annonce par cette simplicité une société bien plus près de l’état de nature que la société peinte par Homère. Les amours-propres sont déjà éveillés dans les hommes de l’Odyssée, ils dorment encore chez les hommes de la Genèse.

 

4 - Description.

Les descriptions d’Homère sont longues, soit qu’elles tiennent du caractère tendre ou terrible, ou triste, ou gracieux, ou fort ou sublime.

La Bible, dans tous ses genres, n’a ordinairement qu’un seul trait ; mais ce trait est frappant et met l’objet sous les yeux.

 

5 - Les comparaisons.

Les comparaisons homériques sont prolongées par des circonstances incidentes : ce sont de petits tableaux suspendus au pourtour et un édifice, pour délasser la vue de l’élévation des dômes, en l’appelant sur des scènes de paysages et de mœurs champêtres.

 

Les comparaisons de la Bible sont généralement exprimées en quelques mots : c’est un lion, un torrent, un orage, un incendie, qui rugit, tombe, ravage, dévore. Toutefois, elle connaît aussi les comparaisons détaillées, mais alors elle prend un tour oriental, et personnifie l’objet, comme l’orgueil dans le cèdre, etc.

 

6 - Le sublime.

Enfin le sublime dans Homère naît ordinairement de l’ensemble des parties, et arrive graduellement à son terme.

 

Dans la Bible il est presque toujours inattendu ; il fond sur vous comme l’éclair ; vous restez fumant et sillonné par la foudre avant de savoir comment elle vous a frappé.

 

Dans Homère, le sublime se compose encore de la magnificence des mots en harmonie avec la majesté de la pensée.

 

Dans la Bible, au contraire, le plus haut sublime provient souvent d’un contraste entre la grandeur de l’idée et la petitesse, quelquefois même la trivialité du mot qui sert à la rendre. Il en résulte un ébranlement, un froissement incroyable pour l’âme : car lorsque, exalté par la pensée, l’esprit s’élance dans les plus hautes régions, soudain l’expression, au lieu de le soutenir, le laisse tomber du ciel en terre et le précipite du sein de Dieu dans le limon de cet univers.

 

Cette sorte de sublime, le plus impétueux de tous, convient singulièrement à un Être immense et formidable qui touche à la fois aux plus grandes et aux plus petites choses.

 

 

CHATEAUBRIAND, Génie du Christianisme ; Deuxième Partie - Poétique du Christianisme ; Livre 5 - La Bible et Homère ; Chapitre III - Parallèle de la Bible et d’Homère. — Termes de comparaisons

 

Bible de Corbolino, XIIe siècle, Florence

Bible de Corbolino, XIIe siècle, Florence

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