Il ne suffit pas au gaz d’avoir « barboté » dans l’eau qui remplit la partie inférieure du barillet pour s’être purgé de tous les éléments qu’il doit perdre. Cette première opération ne lui enlève que les matières les plus encombrantes ; il est gras encore, et ne produirait qu’une clarté fumeuse.
Du collecteur où il s’est élevé, il descend dans une série de tuyaux recourbés au sommet, communiquant les uns avec les autres et qu’on nomme les condenseurs ; en style d’usinier cela s’appelle des jeux d’orgues. Si ce gros instrument était muni de clés et d’une embouchure, il pourrait servir d’ophicléide à Gargantua. Le gaz s’y promène, et s’y refroidit en passant le long des surfaces de fonte qui sont en contact avec l’air extérieur ; là il ne se purifie pas, il se condense. Une machine pneumatique, qui a le grand avantage de besogner en silence, fait le vide dans des conduits souterrains aboutissant au condenseur et attire le gaz dans d’énormes colonnes cylindriques ayant 1m,50 de diamètre et dont l’intérieur est garni de corps rugueux, coke, fragmens de briques, de pierres meulières. Ce sont les laveurs : vivement aspiré par l’action de la machine, le gaz y pénètre avec une certaine force, se glisse à travers toutes les aspérités qui encombrent la cavité, et, en les frôlant, abandonne les parties goudronneuses et solides dont il est encore alourdi.
Cette fois le voilà devenu léger, « maigre » comme l’on dit ; cependant il est encore imprégné d’ammoniaque, élément mauvais pour la combustion et dont il faut le délivrer. On y parvient facilement en le poussant dans de grandes cuves en tôle fermées, où il circule à travers des claies couvertes de sciure de bois mêlée de peroxyde de fer qui se combine avec les produits alcalins et sulfureux, s’en empare et l’en débarrasse. Quand ce mélange est trop chargé d’ammoniaque, on l’étend au grand air, où il se vivifie et reprend les qualités épuratives qui lui sont propres. Cela sent fort mauvais, et Rabelais dirait : «Ça pue bien comme cinq cents charretées de diables». L’inhalation de cette acre et pénétrante odeur a été très recommandée pour les malades de la poitrine ; ce fut la mode pendant un temps, et tous les enrhumés assiégeaient l’usine à gaz. Lorsque le peroxyde de fer est devenu tellement infect qu’on ne peut plus l’utiliser, on le livre à l’industrie, qui en fait du bleu de Prusse.
Le gaz est à point, les goudrons, les eaux ammoniacales l’ont abandonné ; il est pur et prêt à nous éclairer. On en a fait l’essai : sous une cloche de verre qu’il remplit, on a suspendu une fiche de papier trempée dans une solution d’acétate de plomb concentrée ; le papier n’a pas bruni, donc l’épuration est complète. On en a mesuré le pouvoir éclairant ; 100 mètres de gaz et 10 grammes d’huile fine de colza ont produit une lumière absolument semblable et ont été consommés dans le même laps de temps. Le gaz hydrogène carboné répond donc à toutes les conditions requises, il est conforme aux stipulations du cahier des charges imposées par la préfecture de la Seine et acceptées par la compagnie ; il n’y a plus qu’à l’emmagasiner pour pouvoir le livrer régulièrement à la consommation publique.
Franchissant une assez longue distance par des conduites enfouies sous terre, il pénètre dans les réservoirs qu’on a imaginés et construits spécialement pour lui. Qui ne connaît les gazomètres ? Qui n’a vu ces énormes cloches en fer boulonné baignant par la partie inférieure dans une citerne en maçonnerie, armées de bras articulés qui leur permettent de s’élever ou de s’abaisser selon que le gaz qu’elles contiennent est plus ou moins abondant ? Il y en a quatorze à l’usine de La Villette, dont l’un, de dimensions colossales, peut recevoir 30,000 mètres cubes ; le gaz y arrive d’un côté et s’en échappe de l’autre pour prendre route vers les larges tuyaux en fonte qui le distribuent dans Paris tout entier.
Maxime Du Camp, L’Éclairage à Paris, Revue des Deux Mondes, 1873