L’Incarnation nous présente le Souverain des cieux dans une bergerie, celui qui lance la foudre, entouré de bandelettes de lin, celui que l’univers ne peut contenir, renfermé dans le sein d’une femme.
L’antiquité eût bien su tirer parti de cette merveille. Quels tableaux Homère et Virgile ne nous auraient-ils pas laissés de la nativité d’un Dieu dans une crèche, des pasteurs accourus au berceau, des mages conduits par une étoile, des anges descendant dans le désert, d’une vierge mère adorant son nouveau-né, et de tout ce mélange d’innocence, d’enchantement et de grandeur !
En laissant à part ce que nos mystères ont de direct et de sacré, on pourrait retrouver encore sous leurs voiles les vérités les plus ravissantes de la nature. Ces secrets du ciel, sans parler de leur partie mystique, sont peut-être le type des lois morales et physiques du monde : cela serait très digne de la gloire de Dieu, et l’on entreverrait alors pourquoi il lui a plu de se manifester dans ces mystères, de préférence à tout autre qu’il eût pu choisir. Jésus-Christ (par exemple, ou le monde moral) prenant naissance dans le sein d’une vierge nous enseignerait le prodige de la création physique, et nous montrerait l’univers se formant dans le sein de l’amour céleste. Les paraboles et les figures de ces mystères seraient ensuite gravées dans chaque objet autour de nous. Partout en effet la force naît de la grâce : le fleuve sort de la fontaine ; le lion est d’abord nourri d’un lait pareil à celui que suce l’agneau ; et parmi les hommes, le Tout-Puissant a promis la gloire du ciel à ceux qui pratiquent les plus humbles vertus.
Ceux qui ne découvrirent dans la chaste Reine des anges que des mystères d’obscurité sont bien à plaindre. Il nous semble qu’on pourrait dire quelque chose d’assez touchant sur cette femme mortelle devenue une mère immortelle d’un Dieu rédempteur, sur cette Marie à la fois vierge et mère, les deux états les plus divins de la femme, sur cette jeune fille de l’antique Jacob, qui vient au secours des misères humaines et sacrifie un fils pour sauver la race de ses pères. Cette tendre médiatrice entre nous et l’Eternel ouvre avec la douce vertu de son sexe un cœur plein de pitié à nos tristes confidences, et désarme un Dieu irrité : dogme enchanté, qui adoucit la terreur d’un Dieu en interposant la beauté entre notre néant et la majesté divine !
Les cantiques de l’Église nous peignent la bienheureuse Marie assise sur un trône de candeur, plus éclatant que la neige ; elle brille sur ce trône comme une rose mystérieuse, Rosa mystica, ou comme l’étoile du matin, précurseur du soleil de la grâce, Stella matutina ; les plus beaux anges la servent, les harpes et les voix célestes forment un concert autour d’elle ; on reconnaît dans cette fille des hommes le refuge des pécheurs, Refugium peccatorum, la consolation des affligés, Consolatrix afflictorum ; elle ignore les saintes colères du Seigneur, elle est toute bonté, toute compassion, toute indulgence.
Marie est la divinité de l’innocence, de la faiblesse et du malheur. La foule de ses adorateurs dans nos églises se compose de pauvres matelots qu’elle a sauvés du naufrage, de vieux invalides qu’elle a arrachés à la mort, sous le fer des ennemis de la France, de jeunes femmes dont elle a calmé les douleurs. Celles-ci apportent leurs nourrissons devant son image, et le cœur du nouveau-né, qui ne comprend pas encore le Dieu du ciel, comprend déjà cette divine mère qui tient un enfant dans ses bras.
CHATEAUBRIAND, Génie du Christianisme ; Première Partie - Dogmes et doctrines ; Livre 1 - Mystères et Sacrements ; Chapitre V - De l’Incarnation