Les cendres d’où le feu s’est retiré sont le signe de la ville détruite : les cendres
fument encore.
C’est l’expérience dont nous parle l’ancien testament : ils n’ont pas voulu se convertir et leur ville a été détruite par le feu.
Comme Sodome et de Gomorrhe qui refusèrent d’entendre l’appel à la conversion des envoyés de Dieu ; ils n’y ont pas cru et une pluie de souffre et de feu tomba sur leurs villes.
Seul Lot le neveu d’Abraham écouta finalement les anges de Dieu et fut sauvé. Ce signe n’est pas d’abord là pour anéantir mais pour réveiller ceux qui s’assoupissent. Faute d’avoir été accueilli,
Dieu a quitté cette ville qui est allée à sa perte. Les vents recouvriront de sable et de poussière les cendres de cette ville. Quelques siècles après on ne verra peut-être qu’une légère
colline.
Les habitants de Ninive, eux, ont entendu la parole du prophète Jonas. « Encore quarante jours et Ninive sera détruite ». Ils l’ont accueillie et sont entrés dans un chemin de conversion :
l’Ecriture nous dit : « Les gens de Ninive crurent en Dieu, ils publièrent un jeûne… le roi quitta son manteau, se recouvrit d’un sac et s’assit sur la cendre ». Assis sur la cendre comme s’il se
trouvait après la destruction de la ville, comme après le retentissement en son cœur de la destruction. Dans le lieu d’un cœur qui revient vers son Seigneur. La ville ne fut pas détruite.
Le livre de Joël fait entendre l’appel de Dieu à Israël : « Revenez à moi de tout votre cœur, dans le jeûne, les larmes et le deuil. Déchirez vos cœurs et non pas vos vêtements car votre Dieu est
plein d’amour renonçant au châtiment…. Et le Seigneur s’est ému en faveur de son peuple ».
En acceptant que les cendres soient posées sur notre corps, nous reconnaissons ensemble, comme les gens de Ninive, comme les habitants de Jérusalem au temps du prophète Joël que nous sommes
pécheurs.
Le geste que nous posons anticipe symboliquement la destruction de la ville et de ceux qui l’habitent. Le geste dit le retournement du cœur qui entend l’appel à la conversion et reconnaît son
péché ou a le désir de le reconnaître.
Lorsque j’entendrai « Convertissez-vous et croyez à l’évangile » je pourrai répondre dans mon cœur : « oui avec la vie que je mène je vais tout droit à la cendre et à la poussière » ou bien « oui
Seigneur je désire me revenir à toi mais ouvre mon intelligence et mon cœur ».
Ce geste des cendres est une action qui témoigne sur le corps de l’attitude du cœur.
Lorsque l’on est invité à un mariage, on s’habille avec des habits de fête pour s’associer à la joie ; ici on reçoit les cendres comme un signe qui manifeste la tristesse qui nous habite face à
l’écart entre la parole du Seigneur et la manière de mener notre vie. Cette tristesse est une grâce ! Elle est le ressort d’un retournement vers le Seigneur.
Marqués de la cendre sur notre corps nous témoignons ensemble publiquement de l’œuvre de l’Esprit saint en nous : il purifie nos cœurs comme l’or est passé au creuset. Nous croyons que les
langues de feu manifestées à la Pentecôte viennent sur nous, font leur travail en brûlant l’ivraie et que l’Esprit témoigne en nos cœurs que nous sommes appelés à revivre dans le Christ.
Cette anticipation du geste des cendres dit notre foi en la résurrection. Et c’est à ceux qui croient cela que Jésus s’adresse dans le discours sur la montagne que nous entendons dans
l’évangile.
Lorsque Jésus dit à ses disciples et à ceux qui l’écoutent : « Si vous voulez vivre
comme de justes....», il rejoint ce lieu du cœur de l’homme où l’Esprit saint travaille, ce lieu où la liberté consent à accueillir l’appel de Dieu à la conversion.
Quand tu fais l’aumône, quand vous priez, quand vous jeûnez. Jésus s’adresse à des
personnes qui font l’aumône, qui prient et qui jeûnent. L’aumône, oui. La prière, oui. Le jeûne c’est moins courant aujourd’hui, sauf avant un examen médical.
Quand tu fais l’aumône, ne fais pas sonner de la trompette devant toi comme ceux qui se donnent en spectacle dans les synagogues et dans les rues, pour obtenir la gloire qui vient des hommes.
Quand vous priez, ne soyez pas comme ceux qui se donnent en spectacle.
Quand vous jeûnez, ne prenez pas un air abattu comme ceux qui se donnent en spectacle
Notre image, voilà bien la chose qui semble la plus digne d’attention à nos yeux nous dit Jésus. On fait ce que Dieu demande afin d’en recevoir, pour nous-mêmes, la gloire. On se cache derrière
la loi pour la pervertir.
On est agi par l’envie : la convoitise commande en nous jusqu’à se composer une mine défaite, jusqu’à nous mettre en scène dans nos actions caritatives : la recherche de l’exemplarité aux yeux
des autres. La charité et la relation à Dieu sont utilisés, détournés, instrumentalisés pour le lustre de notre image sociale. Voilà ce que nous révèle Jésus.
Jésus nous invite à entrer dans la discrétion. Renoncer à la mise en scène de moi-même
visant ma propre gloire. L’exemple même de l’attitude du disciple de Jésus c’est l’obole de la veuve : elle donne de son nécessaire et personne ne la remarque sinon Jésus.
Dans la discrétion, notre Père des cieux est présent à notre vie, comme Jésus a été présent à la vie d’une vieille femme au temple : il a vu, lui, que sans bruit elle avait donné de son
nécessaire et pas seulement de son superflu, il a reconnu en elle une soeur, il a vu en elle une fille bien vivante et bien aimée de Dieu.
Alors,
- faire l’aumône : partager gratuitement ce que j’ai reçu gratuitement avec celui qui n’a pas,
- prier : écouter Dieu, écouter sa Parole et lui parler comme le mouvement le plus profond du cœur,
- jeûner : comme un acte entre le Seigneur et moi, un acte de mémoire comme la prière, un acte qui touche le corps et ses pulsions les plus basiques. Jeûner en prenant un seul repas dans la
journée. Jeûner en marchant une demi-heure gratuitement, sans but sinon à me reconnaître créé au milieu de la ville, m’émerveillant pour le travail de l’homme et pour le travail de
Dieu.
« Si vous voulez vivre comme de justes.... ». Jésus ne
nous force pas. La Parole du Seigneur frappe à la porte de chacun de nous ce soir. A nous de trouver notre réponse, de la recevoir, de la demander dans la prière au cours de ces 40 jours.
Père Jean-Marc Furnon, jésuite
Eglise Saint-Ignace