Un témoin du Fils de Dieu, un des princes qui annoncèrent sa gloire aux nations, illumine ce jour des
incomparables feux de la lumière apostolique. Tandis que ses frères du collège sacré suivaient la race humaine sur toutes les routes où la migration des peuples l'avait portée, c'est au
point de départ, sur les monts d'Arménie d'où les fils de Noé remplirent la terre, que Barthélémy parut comme l'envoyé des collines éternelles et le héraut de l'Epoux. Là,
s'était arrêtée l'arche figurative ; l'humanité, partout ailleurs voyageuse, y restait assise, se souvenant de la colombe au rameau d'olivier, attendant la consommation de l'alliance dont
l'arc-en-ciel, brillant sur la nue, avait dans ces lieux pour la première fois signifié les splendeurs .
Or, voici qu'une nouvelle bienheureuse a réveillé dans ces hautes vallées les échos des antiques traditions : nouvelle de paix, fin du péché dont l'universel déluge recule devant le bois du
salut. Combien la sérénité qu'apportait la colombe de jadis est dépassée ! Au châtiment va succéder l'amour. L'ambassadeur du ciel a montré Dieu aux fils d'Adam dans le plus beau de
leurs frères. Les nobles sommets d'où coulent les fleuves qui arrosèrent autrefois le jardin de délices, voient renouveler le contrat déchiré en Eden, et célébrer dans l'allégresse de la terre et des cieux les noces divines, attente des siècles, union
du Verbe et de l'humanité régénérée.
Personnellement, que fut l'Apôtre dont le ministère emprunte une telle solennité du lieu où il s'accomplit ? Sous le nom ou le surnom de Barthélémy, qui est le seul trait que nous aient conservé
de lui les trois premiers Evangiles, devons-nous voir, comme plusieurs l'ont pensé, ce Nathanaël dont la présentation par Philippe à Jésus est l'objet en saint Jean d'une scène si
suave ? Personnage tout de droiture, d'innocence, de simplicité, bien digne d'avoir eu la colombe pour précurseur, et pour lequel on sent que l'Homme-Dieu dès l'abord réservait des
tendresses et des grâces de choix.
Quoi qu'il en puisse être, la part échue entre les douze à l'élu de ce jour dit assez la spéciale confiance du Cœur divin ; l'héroïsme du redoutable martyre où il scelle son apostolat, nous
révèle sa fidélité ; la dignité qu'a su garder sous toutes les latitudes où elle vit transplantée la nation qu'il greffa sur le Christ, témoigne de l'excellence de la sève infusée originairement
dans ses rameaux.
Lorsque, deux siècles et demi plus tard, Grégoire l’illuminateur fit germer par toute l'Arménie l'abondance des fleurs et des fruits qui la manifestèrent si belle, il n'eut qu'à réveiller la
semence divine déposée par l'Apôtre, et dont les épreuves, qui ne devaient jamais manquer à la généreuse contrée, avaient un temps comprimé l'essor, sans pouvoir l'étouffer.
Pourquoi faut-il que de déplorables malentendus, nourris dans le trouble d'invasions sans fin,
aient maintenu trop longtemps en défiance contre Rome une race que les guerres d'extermination, les supplices, la dispersion, n'ont pu détacher de l'amour du Christ Sauveur ! Grâce à Dieu
pourtant, le mouvement de retour, plus d'une fois commencé pour ensuite se ralentir, semble aujourd'hui s'accentuer davantage ; l'illustre nation voit l'élite de ses fils travailler avec
persévérance au rapprochement si souhaitable, en dissipant les préjugés de leur peuple, en révélant à nos régions les trésors de sa littérature si chrétienne, les magnificences de sa
liturgie, en priant surtout et en se dévouant sous l'étendard du père des moines de l'Occident. Avec ces tenants de la vraie tradition nationale, prions Barthélémy leur Apôtre, et le
disciple Thaddée qui eut aussi part à l'évangélisation primitive, et Ripsima, l'héroïque vierge amenant des terres romaines ses trente-cinq compagnes à la conquête d'une nouvelle patrie, et
tous les martyrs dont le sang cimenta l'édifice sur le seul fondement posé par le Seigneur.
Puisse, comme ces grands prédécesseurs, le chef du second apostolat, Grégoire l'Illuminateur, qui voulut voir Pierre en la personne de Silvestre et reçut la bénédiction du
Pontife romain, puissent les saints rois, les patriarches et les docteurs de l'Arménie, redevenir pour elle les guides écoutés des beaux temps de son histoire, et ramener tout entière, sans
retour enfin, à l'unique bercail, une Eglise faite pour marcher d'un même pas avec l'Eglise maîtresse et mère !
Nous apprenons d'Eusèbe et de saint Jérôme, qu'avant de se rendre dans l'Arménie, but suprême
de son apostolat, saint Barthélémy évangélisa les Indes, où Pantène, au siècle suivant, trouva un exemplaire de l'Evangile de saint Matthieu en lettres hébraïques qu'il y avait laissé. Saint
Denys rapporte aussi du glorieux Apôtre une parole profonde, qu'il cite et commente en ces termes :
"Le divin Barthélémy dit de la théologie qu'elle est à la fois abondante et succincte, de l'Evangile qu'il est de vaste étendue et en même temps concis ; donnant ainsi excellemment à entendre
que la bienfaisante cause de tous les êtres s'exprime et en beaucoup et en peu de paroles, ou même sans discours, n'y ayant parole ou pensée qui la puisse rendre. Car elle est au-dessus de tout
par son essence supérieure ; et ceux-là seuls l'atteignent dans sa vérité, non dans les voiles dont elle s'entoure, qui dépassant la matière et l'esprit, s'élevant par delà le faite des plus
saints sommets, laissent tous les rayonnements divins, tous les échos de Dieu, tous les discours des cieux, pour entrer dans l'obscurité où habite, comme dit l'Ecriture, celui qui est au delà de
toutes choses."
DOM GUÉRANGER
L'Année Liturgique