A toute autre époque, l'instruction d'une pareille affaire eût demandé un certain temps ; on eût, à tout le moins, procédé à des interrogatoires minutieux qu'expliquerait le véritable motif des poursuites, mais, depuis le décret du 22 prairial et surtout au 24 messidor, on ne s'arrêtait plus à de semblables vétilles. On était alors à l'apogée de la Terreur ; l'échafaud stationnait en permanence, et il ne fallait pas faire attendre ceux qui avaient l’habitude de se repaître de ces sanglantes exécutions.
La mise à mort se consommait en masse, sous une forme hypocritement juridique ; plus d'instruction préparatoire, plus d'interrogatoire, plus d'audition de témoins, les preuves morales suffisaient ; on jugeait pêle-mêle ; nobles et roturiers, riches ou pauvres, jeunes ou vieux, on condamnait tout par fournées ; on faisait ce que Fouquier-Tinville appelait des feux de file, c'est-à-dire qu'on envoyait à l'échafaud presque tous les accusés sans exception.
Fouquier-Tinville (se faisait appeler 'Fouquier de Tinville' avant la Révolution)
Cependant Fouquier-Tinville s'était empressé de faire libeller l'acte d'accusation des Carmélites de Compiègne qui devait être soumis au tribunal Révolutionnaire. Un rapide examen du procès-verbal dressé par le comité de Compiègne du 7 messidor (25 juin) précédent, et l'analyse sommaire des pièces qui l'accompagnaient, lui avaient suffi pour asseoir dans son esprit une conviction que la qualité seule des prévenues avait fait germer à l'avance. Aussi, trois jours après leur incarcération à la Conciergerie, le 16 juillet, jour de la fête de Notre-Dame du Mont-Carmel, les Carmélites furent-elles averties dans la soirée que, le lendemain matin, elles comparaîtraient devant le redoutable tribunal.
A la Grand Chambre du Palais, devenue salle de l'Égalité, s'installa le 17 avril 1792 le premier Tribunal révolutionnaire, remplacé le 10 mai 1793 par le Tribunal criminel extraordinaire, réorganisé le 26 septembre suivant par un décret qui contenait cette phrase encore plus extraordinaire que le tribunal lui-même : "La loi accorde un défenseur au patriote calomnié ; elle en refuse aux conspirateurs."
C'est là que comparurent – on ne peut pas dire furent jugés – et ce même d'Épréménil, qui avait proclamé les droits de la nation, et Barnave, et les Girondins, et la Reine de France, et Madame Élisabeth, et Danton, et Camille Desmoulins, Chaumette, Hébert, Fabre d'Églantine, puis à leur tour les deux Robespierre, avec Couthon, Collot d'Herbois, Saint-Just, Henriot et Fouquier-Tinville lui-même, au total deux mille sept cent quarante-deux victimes, dont les deux mille sept cent quarante-deux têtes tombèrent dans le panier rouge, soit à l'ancienne place Louis XV, devenue place de la Révolution, soit à la place du Trône, devenue Barrière Renversée.
Aucune apparence d'équité, nul simulacre de formes judiciaires ne colorait ces sanglantes hécatombes. La plupart des victimes, sacrifiées d'avance, étaient amenées à la Conciergerie à huit heures du matin, traduites à deux heures devant le Tribunal et exécutées à quatre heures.
La cour de Mai aujourd'hui : là attendaient les charrettes des condamnés à mort durant la Terreur
extrait des textes :
LES MARTYRS par le R. P. DOM H. LECLERCQ
Histoire du Tribunal Révolutionnaire de Paris
photos : 'Academic'