Tandis que ces choses se passaient à Jérusalem et dans le camp des assiégeants, les princes reçurent un messager qui vint leur annoncer l'arrivée des vaisseaux génois dans le port de Joppé, et leur demander d'y envoyer quelques troupes qui pussent escorter et ramener ceux qui étaient à bord. Solin, dans le trente-neuvième chapitre de son livre De memorabilibus mundi, a parlé dans les termes suivants de la ville de Joppé :
" Joppé est la ville la plus ancienne du monde entier, puisqu'elle fut fondée avant l'inondation générale de la terre. On y voit le rocher qui porte encore la marque des liens par lesquels Andromède était attachée, lorsqu'elle fut exposée à la fureur d'un monstre, ainsi que la nouvelle s'en répandit fort à propos dans le pays. Entre autres choses miraculeuses, je dirai à ce sujet que Marcus Scaurus fit connaître à Rome les ossements de cette bête féroce, et que ce fait a été consigné dans les Annales. On trouve aussi les dimensions de son corps dans des livres reconnus pour véridiques. Les côtes de cet animal avaient plus de quarante pieds de longueur, et il était plus haut qu'un éléphant de l’Inde ; ses vertèbres avaient plus d'un demi-pied de longueur."
Jérôme, dans son épitaphe de Sainte-Paule, parle de Joppé en ces termes : " Elle vit aussi Joppé, port où Jonas prit la fuite et qui, pour dire un mot des fables des poètes, fut aussi témoin de la captivité d'Andromède, liée sur l'un de ses rochers."
Après que les princes eurent tenu conseil pour délibérer sur la demande des Génois, le comte de Toulouse, qui était le plus riche de tous, fit partir aussitôt un noble de sa suite, nommé Galdemar, surnommé Carpinelle, à la tête de trente cavaliers et de cinquante hommes à pied. Mais, lorsqu'ils se furent mis en route, les princes reconnurent qu'ils ne pourraient suffire à remplir une telle mission, et demandèrent au comte d'expédier un nouveau renfort. Il se rendit à leurs voeux, et chargea deux hommes illustres, Raimond Pelet et Guillaume de Sabran, de prendre avec eux cinquante cavaliers et d'aller se réunir à ceux qui marchaient en avant.
Galdemar, qui était parti le premier, arriva dans la plaine située entre Lydda et Ramla, et y rencontra un corps d'ennemis fort de six cents hommes. Ceux-ci s'élancèrent aussitôt sur lui et lui tuèrent quatre cavaliers et un plus grand nombre de fantassins. Tandis que ces derniers cherchaient à faire bonne résistance et s'encourageaient les uns les autres à combattre vaillamment, quoiqu'ils fussent fort inférieurs en nombre, les deux nobles, qui avaient marché sur leurs traces le plus rapidement possible, arrivèrent sur le lieu du combat avant que les rangs fussent rompus et prirent part à la mêlée ; tous se réunirent avec ardeur, et, animés d'un courage tout divin, ils chargèrent l'ennemi, lui tuèrent deux cents hommes, et mirent tout le reste en fuite. Cette affaire coûta la vie à deux nobles, Gilbert de Trèves et Achard de Montmerle; leur mort causa de grands regrets dans le camp des Croisés.
Après avoir obtenu de Dieu cette victoire, les deux détachements poursuivirent leur marche vers Joppé, et y arrivèrent sains et saufs : les matelots les accueillirent avec de vives démonstrations de joie, et tous se divertirent à l'envi par des témoignages réciproques d'affection et par d'agréables entretiens. Comme ils s'arrêtèrent un peu pour attendre que ceux qui étaient arrivés sur les vaisseaux eussent disposé leurs bagages et tout préparé pour leur départ, la flotte des Égyptiens, qui se tenait cachée à Ascalon pour attendre une occasion favorable de les attaquer, arriva subitement devant Joppé au milieu de la nuit. Aussitôt que les nôtres en furent informés, ils se rendirent sur le bord de la mer, pour essayer de protéger les navires contre les ennemis ; mais ils reconnurent bientôt qu'il serait impossible de résister à leur nombre, et, après avoir enlevé les voiles, les cordes, tous les objets d'armement, les ustensiles et les approvisionnements, ils se retirèrent dans la citadelle de la place. L'un de ces vaisseaux, qui était parti pour faire quelque prise, revint auprès de Joppé chargé de dépouilles, mais l'équipage ayant appris que la flotte ennemie avait occupé le port, profita d'un vent favorable et alla mouiller à Laodicée. A cette époque, la ville de Joppé avait été abandonnée par ses habitants et se trouvait déserte. Peu de temps avant l'arrivée des Croisés, les citoyens qui n'avaient pas beaucoup de confiance en la solidité de leurs remparts avaient pris le parti de se retirer : cependant nos troupes n'occupèrent que la citadelle.
Lorsque tout fut disposé pour le départ, les soldats d'escorte marchèrent en avant, conformément à leur mission, et tout le convoi se mit en route pour Jérusalem. Les légions qui étaient demeurées dans le camp les reçurent avec des transports de joie, et leur arrivée fut en effet pour tous un grand sujet de consolation. Ceux qui composaient cette expédition étaient des hommes sages et qui avaient, comme tous les marins, une grande connaissance de l'art des constructions ; ils étaient fort habiles à couper le bois, à l'aplanir, à assembler les poutres, et à dresser les machines. Ils apportèrent en outre des moyens de secours de diverses espèces, qui devaient être fort utiles aux assiégeants, en sorte qu'avec leur aide on put faire désormais et très facilement toutes sortes d'ouvrages dans lesquels on avait presque désespéré de réussir avant leur arrivée, ou qui du moins auraient présenté de grandes difficultés.
GUILLAUME DE TYR, HISTOIRE DES CROISADES, BnF - Gallica
JAFFA - ancient JAPHO or JOPPA